L’Encyclopédie/1re édition/CIRE DES OREILLES

Cire des oreilles, (Anatom.) en Latin cerumen auris, & par les anciens Medecins, aurium sordes ; espece de glu naturelle qui se trouve & s’amasse dans la partie antérieure & cartilagineuse du conduit de l’oreille.

Dans la partie du conduit auditif collée aux tempes, dans les fissures, & depuis la partie qui est couverte d’un cartilage jusqu’à la moitié du canal, & selon Morgagni, sur la convexité supérieure de la membrane, rampe un réseau réticulaire, celluleux, fort, fait d’aréoles, où est le siége des glandes jaunes, presque rondes, ou ovales, selon Duverney & Vieussens, lesquelles glandes percent par de petits trous la peau du canal. C’est donc par ces orifices que sort cette espece de cire nommée cire de l’oreille, jaune, huileuse, d’abord fluide, ensuite plus solide, plus épaisse, amere, & qui prend feu lorsqu’elle est pure.

Duverney n’est pas le premier qui ait fait mention des glandes cérumineuses de l’oreille ; Stenon & Drelincourt en avoient dit quelque chose avant lui : mais Duverney en a donné une description si claire & si exacte, qu’il passe, avec assez de raison, pour en être l’inventeur. Valsalva en a dépeint la figure : on les trouve aussi représentées dans l’anatomie de Drake.

Les Physiciens cherchent à deviner les usages de la matiere cérumineuse que filtrent ces glandes, & qu’elles envoyent dans le conduit auditif ; mais leurs recherches se bornent uniquement à savoir que cette cire sert à arrêter les ordures extérieures & les insectes, qui en entrant dans l’oreille ne manqueroient pas d’y nuire.

Lorsqu’il s’amasse trop de matiere cérumineuse dans l’oreille, les poils dont la croissance est empêchée se plient, & irritent la membrane du canal, dont la demangeaison force à le nettoyer.

Quelquefois cette humeur gluante s’y amasse en trop grande abondance, s’y épaissit par son séjour, & empêche que les tremblemens de l’air ne parviennent jusqu’à l’organe immédiat de l’oüie, ce qui produit l’espece de surdité la plus commune & la plus guérissable ; c’est même presque la seule que les gens habiles & sinceres entreprennent de traiter.

Ils exposent pour la connoître l’oreille du malade aux rayons du soleil ; & quand ils découvrent le conduit bouché par l’épaississement de la cire, ils se servent d’un instrument particulier pour l’enlever, & font ensuite des injections d’eau dans laquelle ils ont fondu un peu de sel & de savon : ils se servent aussi d’injection d’eau tiede aiguisée par quelques gouttes d’esprit-de-vin ; par ce moyen ils nettoyent à merveille le conduit auditif, & guérissent parfaitement cette surdité.

Si cette humeur huileuse & fluide de sa nature peche par son abondance accompagnée d’acrimonie, non-seulement elle cause des demangeaisons importunes, mais encore le mal d’oreille : alors elle peut prendre différentes couleurs, acquérir de la fétidité, & former un petit ulcere par son séjour, sa dégénération, & sa quantité ; ce qui cependant est rare : en ce cas toutefois il faut traiter ce mal accidentel par des injections détersives, antiseptiques, & par des tentes imbibées de legers balsamiques.

Quelquefois cette cire se pétrifie ; c’est alors qu’elle cause une surdité presque incurable, en bouchant exactement le conduit osseux & le conduit cartilagineux, comme Duverney dit l’avoir observé dans plusieurs sujets. L’on conçoit aisément la pétrification de la cire des oreilles, par la conformité de sa nature avec celle de la bile qui se pétrifie si souvent dans la vésicule du fiel.

Mais si l’abondance & la pétrification de cette glu cérumineuse sont nuisibles, la privation de sa secrétion dans les glandes produit à son tour quelquefois la surdité, principalement dans la vieillesse, suivant les observations de Duverney, de Morgagni, & de Valsalva.

Les anciens Anatomistes, & Bartholin entre autres (Anat. liv. III. ch. jx.) ont pris la cire des oreilles pour un excrément du cerveau. Rien de plus absurde, outre qu’on ne connoît aucun passage par où cette humeur étant séparée du cerveau pourroit venir dans le conduit auditif.

Quant au goût de cette cire, Casserius rapporte des exemples de quelques animaux chez qui elle est d’une saveur douce : dans l’homme, Schelhammer y trouve peu de douceur, & beaucoup d’amertume ; & Derham, un goût insipide mêlé d’amertume : ces différences doivent varier selon le tems, les sujets, l’âge, &c.

Tout ce qu’on dit des vertus de la cire des oreilles est misérable : Paul Eginete la vante pour la guérison des crevasses de la peau qui se forment autour de la racine des ongles ; Pline la loue contre la morsure de l’homme, des serpens, & des scorpions ; Vanhelmont, dans les piquûres des nerfs ; Etmuller, dans les blessures des parties nerveuses ; Serenus Sammonicus, pour la cure des furoncles ; d’autres en recommandent l’usage interne pour la colique ; Agricola en fait un onguent pour les tumeurs des jointures & les abscès, &c.

Les éphémérides des curieux de la nature ne sont remplies que de niaiseries de cette espece. Parlons vrai : cette humeur des glandes qui paroît par sa consistance & son amertume un composé de cire & d’huile, peut avoir quelque médiocre qualité savoneuse, abstergente, détersive ; mais manquons-nous d’autres remedes en qualité & abondance mieux choisis, & qui répondront aux mêmes intentions ? Prenons de la cire commune, de l’huile, du savon ; voilà des secours que nous avons sous la main pour une infinité de cas, & n’allons pas puiser nos recettes dans le bisarre, le merveilleux, dans les contes des grands & des bonnes-femmes.

Papinius (Nicolaus) a écrit un petit livre Latin sur l’usage de la cire des oreilles, imprimé à Saumur en 1648, in-12. on peut juger par ce que nous venons de dire, du cas qu’on doit faire de cet ouvrage. Cet article est de M. le Chevalier de Jaucourt.