L’Encyclopédie/1re édition/CHARON
* CHARON, s. m. (Myth.) ce terme vient, à ce qu’on prétend, par antiphrase de χαίρω, gaudeo, je me réjouis ; parce qu’il n’y a rien de moins réjouissant que d’aller trouver Charon. Il étoit fils de l’Erebe & de la Nuit, & par conséquent frere du Chaos. Voyez Chaos. On en a fait un dieu, quoique ce ne fût qu’un batelier chargé de passer les morts sur l’Achéron. Voyez Achéron. On lui avoit assigné une obole pour droit de péage ; cette piece qu’on mettoit dans la bouche des morts, s’appelloit naulé, & ce tribut dinaqué. Les généraux Athéniens curieux d’être reconnus jusque sur le Styx pour des hommes de distinction, ordonnoient qu’on leur mît dans la bouche une piece plus considérable que l’obole. Les habitans d’Hermioné voisins de l’entrée des enfers, se prétendoient exemts de ce tribut. Il étoit défendu à Charon de prendre sur sa barque aucun vivant. Ulisse, Énée, Orphée, Thésée, Pirithoüs & Hercule furent cependant exceptés de cette loi : mais on dit que Charon fut enchaîné pendant un an & séverement puni pour avoir descendu ce dernier aux enfers, de son autorité privée. Il n’admettoit pas indistinctement tous les morts sur son bord ; il falloit avoir reçû les honneurs de la sépulture ; sans cet avantage on erroit cent ans sur les rives de l’Achéron. Charon écartoit les ames empressées de passer, à grands coups d’aviron. Le vieillard inflexible & sévere laissoit tomber ses coups sur le pauvre & sur le riche, sur le sujet & sur le monarque, sans aucune acception ; il ne reconnoissoit personne : en effet, un homme comme un autre est un prince tout nud. Il paroît aux mumies qu’on tire des sables d’Egypte, que les habitans de ce pays étoient très-religieux observateurs de la coûtume de mettre une piece dans la bouche des morts ; c’est aussi à un usage établi dans la même contrée qu’on attribue toute la fable de Charon. On dit que les morts de Memphis étoient transportés autrefois au-delà du Nil dans un petit bateau appellé baris, & par un batelier dont le nom étoit Charon, à qui l’on payoit le passage.