L’Encyclopédie/1re édition/CHALUT

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* CHALUT, s. m. (Pêche.) drague ou rets traversier ; sorte de chausse dont le sac a quatre brasses de goule ou d’ouverture, cinq brasses & demie de long, & une demi-brasse au plus de large par le bout.

Les pêcheurs pêchent quelquefois avec ce filet sur huit à dix brasses de fond : ils doublent alors ou tiercent au moins leurs cablots ou petits horrins qui sont amarrés sur le bout-hors & sur l’échallon du chalut, pour faire courir le rets sur le fond, & en faire sortir les poissons plats : ils battent l’eau & même le fond, quand ils le peuvent, comme c’est la pratique des pêcheurs qui se servent des rets nommés picots. Voyez Drague & Picots.

Autrefois les pécheurs chargeoient le bas de leurs chaluts de vieilles savattes ou faisceaux, avec une petite pierre dans chaque savatte ; ce qui convenoit beaucoup mieux que le plomb qu’on leur a fait mettre depuis à la quantité d’une livre par brasse. La tête du rets est garnie de flotes de liége. Ce filet est en usage dans le ressort de l’amirauté de Carentan & Isigny, où le Masson du Parc, commissaire ordinaire de la Marine, & inspecteur général des pêches en mer, en a laissé un modele.

Ce chalut est différent de celui qui est en usage dans les provinces de Bretagne, de Poitou, de Saintonge, & d’Aunis, dont les genouillets sont formés d’un morceau de bois fourchu, entre les branches duquel les pêcheurs mettent une ou plusieurs pierres pour le faire caler sur le fond ; celui des pêcheurs de Saint-Brieux, amirauté de Saint-Malo, en approche le plus.

Les genouillets ou chandeliers de bois sont formés d’une ou plusieurs pieces ; la traverse ou esparre passe dans une mortoise de bois au haut du genouillet, & on l’arrête avec une cheville de bois ou de fer qui se passe dans le bout de la traverse, & qui s’amarre sur le genouillet avec un cordage : on y peut aussi substituer du plomb à proportion de la longueur & grandeur du filet.

A la pointe du genouillet est un autre trou où l’on passe un des bras, ou hales, ou petits funins, avec lequel le bateau traîne le chalut qui est amarré, comme les autres chaluts, à bas-bords & stribords, c’est-à-dire de côté & d’autre du bateau.

Le bas du genouillet est arrondi pour le faire couler plus aisément sur le fond ; il évite ainsi beaucoup plus facilement les petites roches & fonds inégaux, que le chalut peut trouver dans son passage : construit de cette maniere, c’est de tous les instrumens de cette espece, celui que les pêcheurs peuvent manœuvrer avec moins de peine & de risque pour le sac qui se déchire en pieces quand les genouillets ne cedent pas facilement. Comme le haut du filet garni de flotes de liége est soûlevé, on y pêche également & le poisson rond & le poisson plat.

Pour retenir dans le sac le poisson de cette derniere espece, on jette un surfil des deux côtés de la longueur du sac, qui prend du bas du genouillet en se rapprochant à mesure qu’il va vers le fond du sac. Le surfil joint de cette maniere le dessus & le dessous du sac, au milieu duquel reste une ouverture de cinq à six piés de large, par laquelle les poissons que le chalut trouve en son passage, entrent dans le fond du sac & retombent dans les côtés, qui forment de cette maniere chacun un autre sac, dont le fond finit aux genouillets ; ensorte qu’il est impossible aux poissons d’en sortir, lorsqu’ils y sont une fois entrés. Le sac est long & quarré ; c’est une triple chausse qui a un avantage pour faire la pêche, que les sacs pointus ne peuvent avoir.

Pour faire caler le fond du sac & le retenir en état, on amarre à chaque coin une petite pierre avec un petit cordage long au plus d’une demi-brasse, pour empêcher que la pierre ne tombe sur le sac qu’elle couperoit, & pour donner la facilité aux pêcheurs de retirer le poisson qui y est entré. On laisse une ouverture à l’un des coins d’environ une brasse que l’on ferme avec une moyenne corde, comme on feroit une bourse, & que l’on ouvre de même, lorsqu’on veut faire sortir ce qui est dans le sac du chalut. Voyez les figures & Planches de Pêche.

Chalut à l’Angloise. La manœuvre pour se servir de ce filet est la même que ci-dessus. Les Anglois appellent ce filet, drague ; les pêcheurs Normans, chausse. Il est composé d’une traverse de bois de la longueur de douze à quinze piés à volonté, suivant la grandeur du bateau que montent les pêcheurs qui s’en doivent servir. La traverse est ronde dans le milieu ; & les deux bouts qui sont quarrés, se placent avec une rosture sur le haut de deux chandeliers de fer qui sont faits en demi-cercle. Le convexe en-haut est arrêté par le bas d’une lame aussi de fer, large d’environ trois pouces : les bouts de cette lame relevent un peu, pour ne point embecquet le fond sur lequel la drague traîne, ce qui l’arrêteroit & la romproit aussitôt. Les dragues armées de fer, des pêcheurs de cancale dont la lame est en biseau, grattent & embecquent le fond, mais c’est sans inconvénient ; cette lame donne au contraire à cette drague le poids nécessaire pour faire caler la traverse plus aisément. On met encore au milieu de chaque chandelier un boulet de fer, arrêté au haut du demi-cercle. Ces échalons de fer sont représentés dans nos Planches de Pêche. Voyez ces Planches & leur explication.

Le sac dont les mailles ont dix-huit à vingt lignes en quarré, est formé en pointe, & on amarre à cette pointe un autre boulet, au bout d’une petite corde, pour faire le même effet que les pierres qu’on place aux coins du sac quarré. Le haut du sac est arrêté sur la traverse ; & le bas qu’on laisse un peu libre, est garni de boules ou de plaques de plomb ; ainsi qu’on le pratique à tous les autres chaluts.

Sur chaque bout de la traverse est frappé un cordage de la longueur de quelques brasses ; ces cordages en se réunissant font une espece de four, sur lequel est amarré le cordage du petit cablot, qui traine le chalut par l’arriere du bateau, soit à la voile, soit à la rame ; & comme du bas du rets garni de plomb jusqu’à la traverse, à peine peut-il y avoir dix-huit à vingt pouces de hauteur, les pêcheurs ne peuvent jamais prendre avec cet instrument que du poisson plat ; au lieu qu’étant établi comme celui que l’ordonnance a permis, on y prend, comme on l’a observé, toutes les especes de poisson qui se trouvent dans le passage du chalut.

La pêche de la drague ou du chalut se fait un peu différemment dans l’ile de Bouin, dans le ressort de l’amirauté de Poitou ou des sables d’Olonne, que dans les autres lieux dont on a parlé plus haut. Le sac du chalut a à l’entrée une ouverture de gueule de cinq brasses de large & de six brasses de long, & pour le fond une brasse & demie, où le rets est lacé pour en pouvoir retirer le poisson sans le faire venir par l’ouverture : c’est au surplus le même instrument que celui dont se servent les pêcheurs de la Rochelle, de Fouran, & du port des Barques, sinon qu’il n’a point de perche, & qu’il opere un peu différemment. Le haut du rets est garni de flotes de liége ; & sur la corde du pié sont amarrées de chaque côté quatre vieilles savattes. L’ouverture en bas est garnie en-dedans d’une petite pierre, & de deux grosses à chaque bout du sac pour le faire caler ; ensorte que le rets ne puisse entrer dans la vase, mais courir dessus. Ces pierres étoient les cablieres des dragues, autrefois d’usage dans la Manche, & maintenant défendues par la déclaration du 23 Avril 1726.

Le sac ou chalut est amarré à deux bouts-dehors, chacun de vingt-deux piés de long, dont six piés au moins sont dans le bateau à l’avant & à l’arriere ; ensorte qu’ils saillent environ de seize piés en-dehors. Le chalut est amarré sur un grelin ou cablot de quelques brasses de long, sur lequel en est amarré un autre sur le coin de l’ouverture du sac, de six à huit brasses de long, aussi amarré au bout-dehors. Les pêcheurs le nomment balissoire, & il sert à amener le sac du chalut, lorsque les pêcheurs le veulent relever.

Les vents de S & d’O sont à cette côte les meilleurs pour cette pêche, un peu différente de celle dont nous avons parlé ci-devant. Il n’y a pas de meilleure saison & de tems plus convenable pour la faire avec succès, que les mois d’Octobre, Novembre, & Décembre. Les pêcheurs travaillent de jour & de nuit : en hyver ils vont au large & loin de chez eux ; en été, ils font ordinairement la pêche entre Noirmoutier & Bouin. Ils prennent également des poissons plats & des poissons ronds.

Les pêcheurs sont de sentimens opposés sur les moyens de faire avantageusement la pêche avec le chalut ; les uns estiment qu’il ne faut pas que le rets ou le pié du chalut traîne sur le fond, mais qu’il le batte seulement pour faire saillir les poissons plats qui s’ensablent ou s’envasent ; le bateau en pêchant est à la voile & dérivant à la marée, & les pêcheurs font servir la voile suivant la force du vent. Quand on veut relever le chalut, on amene la voile ; on tire les balissoires, ensuite les flotes du sac, & le pié où sont les savattes au lieu de plomb ; & on fait tomber de cette maniere tout ce qui se trouve dans le sac jusqu’au fond, que l’on délace pour l’en tirer.

Un land ou un trait de la pêche dure quelquefois deux heures, suivant les marques ou signaux & hamets qu’ils connoissent, & sur lesquels les pêcheurs se gouvernent.

Les mailles des sacs des chaluts de l’Espois sont de quatre grandeurs différentes ; celles de l’entrée ou de l’embouchure ont dix-huit lignes & dix-sept lignes en quarré, & les suivantes dix-sept lignes : ces mailles se retrécissent en approchant du fond du chalut, où elles ont treize & quatorze lignes au plus en quarré.