L’Encyclopédie/1re édition/CAVERNE
CAVERNE, s. f. (Hist. nat. & Physiq.) réduit obscur & soûterrain d’une certaine étendue.
Les cavernes se trouvent dans les montagnes, & peu ou point du tout dans les plaines : il y en a beaucoup dans les îles de l’Archipel, & dans plusieurs autres îles ; & cela parce que les îles ne sont en général que des dessus de montagnes. Les cavernes se forment, comme les précipices, par l’affaissement des rochers, ou comme les abysmes, par l’action du feu ; car pour faire d’un précipice ou d’un abysme une caverne, il ne faut qu’imaginer des rochers contrebutés & faisant voûte par-dessus ; ce qui doit arriver très-souvent lorsqu’ils viennent à être ébranlés & déracinés. Les cavernes peuvent être produites par les mêmes causes qui produisent les ouvertures, les ébranlemens, & les affaissemens des terres ; & ces causes sont les explosions des volcans, l’action des vapeurs soûterraines, & les tremblemens de terre ; car ils font des bouleversemens & des éboulemens qui doivent nécessairement former des cavernes & des ouvertures de toute espece. Voyez, &c.
La caverne de saint Patrice en Irlande n’est pas aussi considérable qu’elle est fameuse ; il en est de même de la grotte du chien près de Naples, & de celle qui jette du feu dans la montagne de Beni-guazeval, au royaume de Fez. Dans la province de Darby en Angleterre, il y a une grande caverne, fort considérable, & beaucoup plus grande que la fameuse caverne de Bauman auprès de la forêt Noire, dans le pays de Brunswick. On a appris par une personne aussi respectable par son mérite que par son nom (Mylord comte de Morton) que cette grande caverne, appellée Devil’s-hole (trou du diable) présente d’abord une ouverture fort considérable, comme celle d’une très grande porte d’église ; que par cette ouverture il coule un gros ruisseau ; qu’en avançant, la voûte de la caverne se rabaisse si fort, qu’en un certain endroit on est obligé, pour continuer sa route, de se mettre sur l’eau du ruisseau dans des bacquets fort plats, où on se couche pour passer sous la voûte de la caverne, qui est abaissée dans cet endroit au point, que l’eau touche presqu’à la voûte : mais, après avoir passé cet endroit, la voûte se releve, & on voyage encore sur la riviere jusqu’à ce que la voûte se rabaisse de nouveau, & touche à la superficie de l’eau ; & c’est-là le fond de la caverne, & la source du ruisseau qui en sort. Il grossit considérablement dans de certains tems, & il amene & amoncelle beaucoup de sable dans un endroit de la caverne qui forme comme un cul-de-sac, dont la direction est différente de celle de la caverne principale.
Dans la Carniole, il y a une caverne auprès de Potpechio, qui est fort spacieuse, & dans laquelle on trouve un grand lac soûterrain. Près d’Adelsperg, il y a une caverne dans laquelle on peut faire deux milles d’Allemagne de chemin, & où on trouve des précipices très-profonds. Voyez Act. erud. Lips. an. 1689. page 558. Il y a aussi de grandes cavernes & de belles grottes sous les montagnes de Mendipp, dans la principauté de Galles ; on trouve des mines de plomb auprès de ces cavernes, & des chênes enterrés à 15 brasses de profondeur. Dans la province de Glocester, il y a une très-grande caverne qu’on appelle Penpark-hole, au fond de laquelle on trouve de l’eau à 32 brasses de profondeur ; on y trouve aussi des filons de mine de plomb.
On voit bien que la caverne de Devil’s-hole, & les autres dont il sort de grosses fontaines ou des ruisseaux, ont été creusées & formées par les eaux qui ont emporté les sables & les matieres divisées, qu’on trouve entre les rochers & les pierres ; & on auroit tort de rapporter l’origine de ces cavernes aux éboulemens & aux tremblemens de terre.
Une des plus singulieres & des plus grandes cavernes que l’on connoisse, est celle d’Antiparos, dont M. de Tournefort nous a donné une ample description. On trouve d’abord une caverne rustique d’environ 30 pas de largeur, partagée par quelques piliers naturels ; entre les deux piliers qui sont sur la droite, il y a un terrein en pente douce, & ensuite jusqu’au fond de la même caverne une pente plus rude d’environ 20 pas de longueur : c’est le passage pour aller à la grotte ou caverne intérieure ; & ce passage n’est qu’un trou fort obscur, par lequel on ne sauroit entrer qu’en se baissant, & au secours des flambeaux. On descend d’abord dans un précipice horrible, à l’aide d’un cable que l’on prend la précaution d’attacher tout à l’entrée ; on se coule dans un autre bien plus effroyable, dont les bords sont fort glissans, & répondent sur la gauche à des abysmes profonds. On place sur les bords de ces gouffres une échelle, au moyen de laquelle on franchit, en tremblant, un rocher tout-à-fait coupé à plomb ; on continue à glisser par des endroits un peu moins dangereux : mais dans le tems qu’on se croit en pays praticable, le pas le plus affreux vous arrête tout court, & on s’y casseroit la tête, si on n’étoit averti ou arrêté par ses guides. Pour le franchir, il faut se couler sur le dos le long d’un gros rocher, & descendre une échelle qu’il faut porter exprès ; quand on est arrivé au bas de l’échelle, on se roule quelque tems encore sur des rochers, & enfin on arrive dans la grotte. On compte trois cents brasses de profondeur depuis la surface de la terre ; la grotte paroît avoir 40 brasses de hauteur sur 50 de large ; elle est remplie de belles & grandes stalactites de différentes formes, tant au-dessus de la voute, que sur le terrein d’en bas. Voyez le Voyage du Levant, pag. 188. & suiv.
Dans la partie de la Grece appellée Livadie, (Achaia des anciens) il y a une grande caverne dans une montagne qui étoit autrefois fort fameuse par les oracles de Trophonius, entre le lac de Livadie & la mer voisine, qui, dans l’endroit le plus près, en est à quatre milles : il y a 40 passages soûterreins à travers le rocher, sous une haute montagne par où les eaux du lac s’écoulent. Voyez Géographie de Gordon, édit. de Londres 1733. page 179.
Dans tous les volcans, dans tous les pays qui produisent du soufre, dans toutes les contrées qui sont sujettes aux tremblemens de terre, il y a des cavernes. Le terrein de la plûpart des îles de l’Archipel est caverneux presque par-tout ; celui des îles de l’Océan Indien, principalement celui des îles Moluques, ne paroît être soûtenu que sur des voutes & des concavités ; celui des îles Açores, celui des îles Canaries, celui des îles du cap Verd, & en général le terrein de presque toutes les petites îles, est à l’intérieur creux & caverneux en plusieurs endroits ; parce que ces îles ne sont, comme nous l’avons dit, que des pointes de montagnes où il s’est fait des éboulemens considérables, soit par l’action des volcans, soit par celle des eaux, des gelées, & des autres injures de l’air. Dans les Cordelieres au Pérou, où il y a plusieurs volcans, & où les tremblemens de terre sont fréquens, il y a aussi un grand nombre de cavernes, de même que dans le volcan de l’île de Banda, dans le mont Ararat, qui est un ancien volcan, &c.
Le fameux labyrinthe de l’île de Candie n’est pas l’ouvrage de la nature toute seule. M. de Tournefort assûre que les hommes y ont beaucoup travaillé, & on doit croire que cette caverne n’est pas la seule que les hommes ayent augmentée ; ils en forment tous les jours de nouvelles, en fouillant les mines & les carrieres ; & lorsqu’elles sont abandonnées pendant un très-long espace de tems, il n’est pas fort aisé de reconnoître si ces excavations ont été produites par la nature, ou faites de la main des hommes. On connoît des carrieres qui sont d’une étendue très-considérable : celle de Mastricht, par exemple, où l’on dit que 50000 personnes peuvent se réfugier, & qui est soûtenue par plus de 1000 piliers, qui ont 20 ou 24 piés de hauteur ; l’épaisseur de terre & de rocher qui est au-dessus, est de plus de 25 brasses : il y a dans plusieurs endroits de cette carriere de l’eau & de petits étangs, où on peut abreuver du bétail, &c. V. Tr. Phil. abr. vol. II. page 463. Les mines de sel de Pologne forment des excavations encore plus grandes que celle-ci. Il y a ordinairement de vastes carrieres auprès de toutes les grandes villes : mais nous n’en parlerons pas ici en détail ; d’ailleurs les ouvrages des hommes, quelque grands qu’ils puissent être, ne tiendront jamais qu’une bien petite place dans l’histoire de la Nature.
Les volcans & les eaux qui produisent des cavernes dans l’intérieur, forment aussi à l’extérieur des fentes, des précipices & des abysmes. A Cajétan en Italie, il y a une montagne qui autrefois a été séparée par un tremblement de terre, de façon qu’il semble que la division en a été faite par la main des hommes. Les eaux produisent, aussi-bien que les feux soûterreins, des affaissemens de terre considérables, des éboulemens, des chûtes de rochers, des renversemens de montagnes dont nous pouvons donner plusieurs exemples.
« Au mois de Juin 1714, une partie de la montagne de Diableret, en Valais, tomba subitement & tout-à-la-fois entre deux & trois heures après midi, le ciel étant fort serein ; elle étoit de figure conique ; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans, écrasa quinze personnes, & plus de cent bœufs & vaches, & beaucoup plus de menu bétail, & couvrit de ses débris une bonne lieue quarrée ; il y eut une profonde obscurité causée par la poussiere ; les tas de pierres amassées en bas sont hauts de plus de trente perches, qui sont apparemment des perches du Rhin, de dix pieds ; ces amas ont arrêté des eaux qui forment de nouveaux lacs fort profonds. Il n’y a dans tout cela aucun vestige de matiere bitumineuse, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu soûterrein : apparemment la base de ce grand rocher s’étoit pourrie d’elle-même & réduite en poussiere ». Hist. de l’Acad. des Scienc. pag 4. ann. 1715.
On a vû un exemple remarquable de ces affaissemens dans la province de Kent, auprès de Folkstone : les collines des environs ont baissé de distance en distance par un mouvement insensible & sans aucun tremblement de terre. Ces collines sont à l’intérieur de rochers de pierre & de craie ; par cet affaissement elles ont jetté dans la mer des rochers & des terres qui en étoient voisines : on peut voir la relation de ce fait dans les Transactions philosophiques, abreg. vol. IV. pag. 259.
En 1618, la ville de Pleurs, en Valteline, fut enterrée sous les rochers au pié desquels elle étoit située. En 1678, il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l’affaissement de quelques morceaux de montagnes dans les Pyrenées, qui firent sortir les eaux qui étoient contenues dans les cavernes soûterraines de ces montagnes. En 1680, il en arriva encore une plus grande en Irlande, qui avoit aussi pour cause l’affaissement d’une montagne dans des cavernes remplies d’eau. On peut concevoir aisément la cause de tous ces effets ; on sait qu’il y a des eaux soûterreines en une infinité d’endroits ; ces eaux entraînent peu à peu les sables & les terres à travers lesquels elles passent, & par conséquent elles peuvent détruire peu à peu la couche de terre sur laquelle porte cette montagne ; & cette couche de terre qui lui sert de base venant à manquer plûtôt d’un côté que de l’autre, il faut que la montagne se renverse : ou si cette base manque à peu près également par-tout, la montagne s’affaisse sans se renverser. Cet article appartient tout entier à M. de Buffon, Histoire naturelle, tome I. page 544, &c.