L’Encyclopédie/1re édition/CAUTERE (jardinage)

CAUTERE, s. m. (Jadinage.) est une opération fort récente dans le Jardinage, laquelle produit des effets aussi admirables qu’avantageux. Elle consiste à couper avec la pointe de la serpette l’écorce d’un arbre en droite ligne, de deux ou trois pouces de long, & d’entamer un peu le bois de la tige : on fait l’incision sur le côté ou sur le derriere du tronc, & quand on la fait sur le devant de l’arbre, on la couvre d’un linge de peur que le soleil ne darde dessus ; on prend ensuite un petit coin d’un bois dur bien aiguisé, de la longueur de l’incision, on l’enfonce afin qu’il puisse en remplir le fond. Après avoir laissé ce coin deux ou trois jours pour donner le tems à la seve d’y arriver, on l’ôte pour pouvoir visiter la plaie. Aux arbres à pepin on trouve de l’humidité, & de la gomme aux arbres à noyau ; on nettoie la plaie avec un linge chaque fois qu’on la visite, & on remet le coin, que l’on retire enfin au bout d’un mois, lorsque la plaie ne suinte plus : elle se referme après avoir été escoriée avec le bout d’une spatule & essuyée ; on la remplit de bouze de vache que l’on couvre d’un linge, ce qui termine l’opération.

On peut faire plusieurs cauteres sur un arbre, pourvû que ce soit à différentes branches, mais il n’en faut jamais qu’un sur chaque ainsi qu’à la tige. On en peut encore faire sur les racines en découvrant deux des principales, d’un pié environ de long avec un vaisseau dessous pour recevoir l’humidité. Le trou se recouvre de grande litiere afin de pouvoir visiter la plaie tous les deux jours. Elle se rebouche ensuite, & le trou se remplit d’une terre bien amandée.

Le tems de faire les cauteres est dans le printems jusqu’au commencement de Juin. Il est essentiel pour réussir dans cette opération que la partie de l’arbre, de la branche, ou de la racine sur laquelle on applique un cautere soit jeune, vigoureuse, pleine de seve, & qu’elle soit lisse & unie.

Le cautere procure à un arbre une ample végétation ; il leve les obstructions, purge la masse de la seve, lui donne plus de jeu, rend le ressort aux parties, leur donne plus d’action, enleve les humeurs superflues : si le cautere est fait sur les racines, il servira à égouter les humeurs de l’arbre, & à renouveller & purifier la masse de la seve.

Le jardinier y trouve encore l’avantage de faire percer des boutons & des bourgeons dans les endroits de l’écorce d’un arbre qui en est entierement dénuée, en un mot d’attirer la seve par-tout où il voudra. La raison physique de l’effet du cautere est que l’incision de la peau d’un arbre fait que le suc s’y portant abondamment, y trouve une plus facile issue & s’y arrête au-lieu de monter : alors elle dilate les passages, elle ouvre les pores, les fibres, les couloirs, & tous les canaux des branches pour y faire éruption, & en faire percer quantité à-travers cette peau.

M. Dargenville, un de nos collegues, qui a traité dans ce Dictionnaire, de l’Hydraulique & de toutes les parties du Jardinage, en nous envoyant ces deux articles & le suivant, nous prie d’avertir le public, qu’il se réserve à parler dans son lieu de la taille des arbres fruitiers & de leur gouvernement conformément à la maniere des gens de Montreuil, qui ont long-tems gardé leur méthode sans la vouloir communiquer à qui que ce soit. Enfin par les soins de M. l’abbé Roger, qui depuis plus de quarante ans a fait des études particulieres sur la végétation, on sera bien-tôt instruit de leur maniere de tailler & de gouverner les arbres fruitiers, particulierement les pêchers. Il nous donnera incessamment sept vol. in-12. sur cette matiere, compris un dictionnaire des termes du Jardinage & un catéchisme complet de cet art par demandes & par réponses.

Cette nouvelle méthode établie sur ce que la physique a de plus certain, confirmée par une très longue expérience, est entierement opposée à l’ancienne : on n’en donnera ici qu’une seule preuve.

Tous nos jardiniers sont dans l’usage de couper sur les pêchers les branches qu’ils appellent gourmandes, comme emportant toute la seve d’un arbre, & affamant & appauvrissant les branches voisines. Ils donnent par cette raison le nom de larrons à ces gourmands. Les nouveaux jardiniers au-contraire, pénétrant les intentions de la nature, réservent ces branches gourmandes, & profitent de l’abondance de leur seve pour former des arbres vigoureux, capables de produire de beaux fruits & en quantité.

Ce seul exemple suffit pour faire connoître la différence de ces deux méthodes, & combien cette derniere est supérieure. Elle détruit entierement tout ce que nous ont enseigné la Quintinie, Liger, le frere François, la Maison-Rustique, & les livres anglois de Brandelay, de Miller, Jean Lawrence & autres. La nature dévoilée dans ce qu’elle a de plus secret se manifeste ici de toutes parts, & l’on ne peut se refuser à l’évidence & à l’excellence de cette méthode. (K) Voyez Taille des arbres.