L’Encyclopédie/1re édition/CARPE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 694-698).
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CARPE, καρπὸς, s. m. (terme d’Anatomie.) le poignet, ou la partie qui est entre la paume de la main & la partie inférieure de l’avant-bras. Voyez Planche Anat. & leur explication. Voyez aussi Main.

Le carpe est composé de huit os de figure & grosseur différentes, placés en deux rangs, quatre à chaque. Le premier rang s’articule avec les deux os de l’avant-bras, & le second avec les os du métacarpe. Ces os sont fortement liés ensemble par des ligamens qui viennent du radius, & par le ligament annulaire, par lequel passent les tendons qui font mouvoir les doigts. Quoique ce ligament passe pour être unique, il fournit une gaine à chaque tendon qu’il reçoit.

Les Arabes l’appellent rasceta, & les Latins quelquefois carpismus.

Les os du carpe sont le scaphoïde, le semi-lunaire, le telocïde, le pisiforme ou hors de rang, le trapese, le trapesoïde, le grand, & le crochu. Voyez Scaphoide, &c. (L)

Carpe, (Hist. nat. Ichthiolog.) en Latin cyprinus, poisson d’eau douce fort commun, & fort connu.

Ceux qui ne sont touchés que de la bonté des langues de carpe, n’ont pas besoin de lire cet article, & ce n’est pas pour eux qu’il est fait ; c’est pour des gens moins curieux de la délicatesse du palais de ce poisson, que de son histoire anatomique. On en est redevable à plusieurs Physiciens, & particulierement à M. du Verney l’aîné, & à M. Petit le Medecin, qui l’ont donné dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, avec les lumieres & l’exactitude qui regnent dans leurs recherches.

Ménage que Balsac disoit être inspiré pour les étymologies, n’a pas eu besoin d’une révélation pour dériver notre terme François carpe, du nom Latin carpa, qui se trouve dans Cassiodore. Ceux qui dérivent carpe, de carpio, qui est un poisson qu’on trouve dans un lac d’Italie, doivent céder le pas à Ménage ; car outre qu’ils se trompent dans le fait, parce que carpio désigne un poisson tout différent ; la permutation des lettres est bien plus grande, en tirant carpe de carpio, que de carpa.

Les Grecs appellent ce poisson κυπρίνος, d’où les Latins comme Pline, ont fait cyprinus.

On trouve la carpe dans les rivieres, dans les étangs, & dans les marais ; il y en a de plusieurs grandeurs ; elle multiplie beaucoup, & parvient à un âge fort avancé : mais je ne sais si nous en devons croire Willughby, qui dans son histoire des poissons, fait mention d’une carpe qui avoit vécu cent ans. On sait qu’il y a des carpes mâles & des carpes femelles ; que la carpe laitée est le mâle, & l’œuvée la femelle : il y en a même d’hermaphrodites, comme nous le dirons plus bas.

Les naturalistes modernes n’ont pas manqué d’orner leurs ouvrages de la figure de ce poisson : celle d’Aldrovandi, de Blasius, de Jonston, tant dans la premiere édition d’Allemagne, que dans celle d’Amsterdam, imprimée sous le nom du Ruisch, ne sont pas exactes. Les uns n’ont pas représenté les moustaches qui sont au-dessus de la levre supérieure, & celles qui sont au coin des deux levres. Les autres n’ont pas marqué les rayons qui sont sur les écailles, ou la ligne qui se trouve dans toute la longueur du corps sur les deux côtés de la carpe, ou encore la différence de la grosseur du ventre des carpes laitées & des carpes œuvées. La figure de Willughby est fort belle ; celle de Rondelet bien plus exacte, & celle de M. Petit encore davantage.

Les écailles. Tous les poissons sont revêtus de peau ou d’écailles, tant dans la mer & les rivieres, que dans les étangs & les lacs. La carpe est peut-être celui de tous les poissons qui a de plus grandes écailles, à proportion de sa grandeur. Dans la même carpe il y en a de brunes, de jaunes, & de blanches ; la couleur brune domine dans les plus grandes écailles ; dans les moyennes c’est la jaune & la dorée : on trouve ces trois couleurs dans chacune des grandes écailles. En général plus les carpes sont grandes, plus les écailles sont brunes, quoi qu’en dise Rondelet.

Les plus grandes écailles occupent le milieu des côtes de la carpe par rapport à sa longueur ; plus elles sont près de la tête, plus elles sont petites.

Les écailles de moyenne grandeur sont du côté de la queue ; les plus petites sous le ventre, & sont d’autant plus petites, qu’elles sont plus près de la tête.

Dans les carpes les plus communes, qui sont de 16 à 18 pouces de longueur tout compris, ou de 9 à 10 pouces entre œil & bas, c’est-à-dire, entre la tête & la queue ; les plus grandes écailles ont 7 lignes jusqu’à 8 lignes de longueur, & 6 lignes jusqu’à 6 lignes & de largeur. Il s’en trouve assez souvent qui sont aussi larges que longues ; elles sont épaisses de ou de ligne : en général, plus elles sont petites, plus elles sont allongées. Lorsqu’elles sont encore sur la carpe, il n’en paroît tout au plus que le tiers qui est coloré ; cette partie externe est souvent d’un jaune un peu rembruni, couleur qui paroît être dans la propre substance de l’écaille ; car on ne peut l’ôter entierement en raclant l’écaille, qu’on n’en enleve une portion, hors un endroit qui appartient à la membrane qui attache les écailles, & c’est aussi l’endroit le plus brun sur l’écaille ; il y a sur cette partie externe des lignes en forme de rayons.

Le dessous de l’écaille opposé à cette partie externe, est argenté au moyen d’une membrane extremement fine qui porte cette couleur, que l’on enleve facilement avec la membrane, & qui laisse l’écaille blanche en cet endroit.

Toutes les écailles tiennent ensemble par le moyen des membranes qui les enveloppent : mais tout cela n’empêche pas qu’il n’y ait un peu de jeu dans les écailles, les unes à l’égard des autres ; sans cela la carpe ne pourroit se courber vers les côtés, comme elle fait dans ses mouvemens. Ces membranes tiennent très-fortement à la membrane tendineuse qui enveloppe tout le corps de la carpe, & en sont une continuité.

Si l’on examine bien la partie externe de la carpe, on remarque une ligne brune de chaque côté qui s’étend depuis la tête jusqu’à la queue. Cette ligne paroît brune, parce que la membrane qui attache la partie inférieure de l’écaille, est très-brune dans le milieu ; quelquefois elle est rouge.

On trouve dans la substance des écailles, où l’on voit cette ligne, un canal long de deux lignes ou deux lignes & demie, qui a environ un quart de ligne de diametre. On peut y introduire une petite épingle de cette grosseur : mais elle y entre plus facilement par la partie interne & inférieure, que par la partie externe & supérieure de l’écaille. Ce canal va de haut en bas de cette écaille, ou de bas en haut, & obliquement de dehors en dedans ; il se continue d’une écaille dans l’autre successivement depuis la tête jusqu’à la queue : il y a entre chaque écaille un petit canal membraneux qui en fait la continuité.

Après avoir observé ce qu’il y a de plus singulier dans les parties externes de la carpe, il faut venir aux parties internes.

Division de la carpe. On peut diviser la carpe en quatre parties : 1°. la tête, 2°. la poitrine, 3°. le bas-ventre, 4°. la queue. La tête se prend depuis le museau jusqu’à l’extrémité des couverts des ouies, vis-à-vis desquelles se trouve la poitrine ; car il n’y a point de cou entre la tête & le tronc de la carpe. La poitrine est séparée du bas-ventre par le diaphragme ; elle renferme seulement le cœur, & une partie considérable des reins ; le bas-ventre contient les entrailles ; la queue commence à l’anus, & est toute musculeuse.

La tête. La tête est un composé d’un nombre prodigieux d’os emboîtés ensemble avec un art admirable : on y trouve entre autres un os pierreux assez large, plat, triangulaire, blanc, placé au haut du palais ; c’est proprement l’os hyoide. On prétend qu’étant réduit en poudre subtile, & donné depuis un scrupule jusqu’à demi-drachme, il est propre pour arrêter les cours de ventre, pour exciter l’urine, pour atténuer les pierres des reins, pour l’épilepsie. C’est l’opinion des Schroders, des Boeclers, des Lémerys : mais n’est-ce point me rendre moi-même ridicule que de la rapporter ?

La mâchoire supérieure de la carpe est garnie de six dents molaires, rangées trois à trois. L’inférieure a un os cartilagineux de la forme d’une olive applatie ; cet os lui sert peut-être pour appuyer & aider à broyer ses alimens.

Ses yeux sont fort remarquables ; le crystallin dans sa partie centrale, a une fermeté qui approche presque de la dureté de la corne. Dans une carpe de quinze pouces de longueur, il fait par sa convexité antérieure une portion de sphere qui a trois lignes de diametre, & la postérieure deux lignes & demie ; il a deux lignes & demie de largeur ou de diametre de sa circonférence, & deux lignes un tiers d’axe ou d’épaisseur : il pese deux grains & demi.

Le cœur. Chacun sait que le cœur de tous les poissons qui ne respirent pas l’air, n’a qu’une cavité, & par conséquent qu’une oreillette à l’embouchure du vaisseau qui y rapporte le sang ; celle du cœur de la carpe est appliquée au côté gauche.

Sa chair est fort épaisse, & ses fibres très-compactes : mais il faudroit des figures pour bien expliquer la structure de cet organe : on en trouvera de très-bonnes dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de l’année 1699.

L’abdomen. Ce poisson a la cavité du bas-ventre formée par les vertebres du dos, & par des muscles qui sont tous différens de ceux de l’homme, & des animaux à quatre piés. Il a de plus seize arrêtes de chaque côté en forme de côte, qui sortent de chaque vertebre, depuis le diaphragme jusqu’à l’anus, où se termine le bas-ventre comme en pointe de cone.

L’anus. L’anus, que les mariniers appellent ombilic, ou le fondement, a aussi ses singularités dans la carpe. Il ne consiste pas seulement dans une ouverture par où elle décharge les excrémens des boyaux : il comprend encore deux autres ouvertures ; l’une donne passage aux œufs dans les femelles, & à la semence dans les mâles lorsqu’ils s’en déchargent ; & l’autre laisse passer l’urine de la vessie : desorte que voilà trois conduits qui aboutissent à cet endroit.

L’anus appellé podex par Rondelet, est en quelque maniere triangulaire dans les carpes laitées, moins dans les carpes œuvées, & a environ quatre à cinq lignes de diametre. Si l’on pique cette partie dans les carpes vives avec la pointe d’une aiguille, on n’y apperçoit aucun mouvement, & néanmoins elle se retrécit insensiblement de moitié.

L’estomac. L’estomac ou le ventricule prend son origine du fond de la gorge ; il passe à travers le centre du diaphragme, & a la figure d’un boyau. Il a cinq ou six pouces de longueur, & s’étend le long de l’abdomen ; à son extrémité du côté de l’anus, il se replie pour former le premier boyau.

Cet estomac est enveloppé de tous côtés par les boyaux & le foie ; dans l’endroit où il se replie pour produire le premier boyau, il n’y a ni pylore ni valvule à ce repli, comme dans le brochet & d’autres poissons.

Les intestins. Les intestins au nombre de six, n’ont point de mésentere ; ils sont liés ensemble par les parties du foie, qui se trouvent logées & attachées entre les espaces qu’ils laissent entre leurs circonvolutions.

Le foie. Le foie est divisé en plusieurs parties, & comme par appendices, qui ont peu d’épaisseur. Il est aussi long que le paquet des boyaux, logé avec eux entre les deux laites. Sa couleur est d’un rouge de chair musculeuse, tantôt plus, tantôt moins pâle. Il recouvre près de la moitié de la grosse vésicule aërienne, avec laquelle il a une légere adhérence, & il est recouvert à ses côtés par le paquet des œufs.

La vésicule du fiel. La vésicule du fiel se trouve enchâssée dans le milieu de la partie principale du foie, tout le long de la partie supérieure de l’estomac.

Le canal cholidoque & le canal cystique ne font qu’un canal continu & de même diametre, qui a deux à trois lignes de longueur.

La vésicule du fiel dans une carpe de dix-huit pouces tout compris, est longue d’environ quinze lignes, & a six à sept lignes de diametre. La bile qu’elle contient est ordinairement verte & liquide. Lémery dit qu’elle est propre pour éclaircir la vue : mais on s’en servira bien plus utilement pour le dégraissage.

La rate. La rate est attachée au commencement de l’estomac, à cinq ou six lignes du diaphragme ; sa situation est entre le paquet des boyaux & la grosse vésicule aërienne vers le côté gauche ; sa longueur dans une carpe de dix-huit pouces est de trois ou quatre pouces, sa longueur de pouce, & son épaisseur de deux lignes. Cette partie varie très-fort dans ses dimensions ; elle est d’un rouge foncé, comme du sang caillé.

Les œufs. Les œufs de la carpe forment deux paquets, un de chaque côté de l’abdomen ; ils s’étendent depuis le diaphragme jusqu’à l’anus ; ils couvrent de chaque côté le paquet formé par les intestins & le foie, & s’étendent entre ce paquet & la vessie aërienne, qu’ils couvrent de part & d’autre depuis la moitié de la grosse vésicule aërienne jusqu’à l’anus.

Ils sont revêtus d’une membrane très-fine & transparente, formant une capsule qui enveloppe entierement les œufs, auxquels elle est très-peu adhérente ; si l’on souffle dans cette capsule, elle se sépare facilement des œufs, & se gonfle beaucoup.

Les deux capsules se réünissent en un seul canal, qui se termine à la partie postérieure de l’anus. Cette capsule est adhérente au péritoine, & au paquet du foie & des boyaux, mais très-légerement.

Les œufs qu’elle contient sont adhérens les uns aux autres ; ils sont ronds, ou à peu près ronds, & ont ligne jusqu’à de ligne de diametre, ce qui est rare.

Ils sont d’un jaune très-léger, plus ou moins ; si on les fait bouillir, ils deviennent blancs : mais étant refroidis, ils redeviennent jaunes.

Leur quantité. M. Petit a été curieux de voir combien il y avoit d’œufs dans une carpe ; pour y parvenir, il a mis dans une balance, très-fine, la quantité d’œufs qu’il falloit pour la pesanteur d’un grain, & il a trouvé qu’il en falloit 71 ou 72. Les deux paquets qu’en avoit une carpe de dix-huit pouces de longueur, compris la tête & la queue, pesoient huit onces deux gros, qui font 4752 grains, qui multipliés par 72, font 342144 œufs, ou environ, que cette carpe contenoit.

Dans une autre carpe moins grosse, c’est-à-dire de seize pouces, les deux paquets d’œufs ne pesoient que sept onces deux gros quarante-deux grains, & ne contenoient que 303552 œufs. Dans une carpe de 14 pouces, le paquet d’œufs pesoit six onces quatre gros quarante-deux grains, & ne contenoit par conséquent que 262224 œufs. Les œufs de toutes ces carpes paroissoient de la même grosseur. Il suit de ces observations, que plus les carpes sont grosses, plus elles contiennent d’œufs. Ce doit être un fait fort rare de rencontrer juste dans de pareilles opérations, & ce seroit bien peu de chose de ne se tromper que de quelques centaines.

Leuwenhoeck, tom. I. de ses Œuvres, ne donne aux carpes que 211629 œufs, & quatre fois plus aux morues, ajoûtant que les œufs d’un poisson d’un an, sont aussi gros que ceux d’un poisson de vingt-cinq ans. Il établit ensuite que la morue contient 9344000 (neuf millions trois cents quarante quatre mille) œufs, ce qui fait non pas quatre fois plus d’œufs que la carpe, comme il avoit dit auparavant, mais quarante-quatre fois plus & d’avantage. Il s’est apparemment glissé quelque faute d’impression dans les chiffres du nombre des œufs de la morue ; car l’édition latine des ouvrages de cet habile artiste, pour le dire en passant, est toute pleine de pareilles fautes ; & il n’y a que l’édition originale de Leuwenhoeck en Hollandois, qui soit bonne.

La laite. La laite que l’on nomme aussi laitance, est une partie dans les carpes mâles, composée de deux corps blancs, très-irréguliers : ce sont les testicules dans lesquels se filtre la semence ; ils sont presque aussi longs que la cavité du bas-ventre. Le côté droit est quelquefois un peu plus long que le gauche, parce qu’il commence un peu plus près du diaphragme ; il recouvre par les côtés, le paquet des boyaux, la vessie aërienne, & la vessie urinaire.

Les vésicules séminales. Chaque corps blanc ou testicule, est composé de deux parties. La premiere & la plus considérable, qui prend son origine près le diaphragme, est le corps du testicule qui est uni & lisse à sa superficie ; la seconde partie consiste dans les vésicules séminales, qui sont près de l’anus.

Ces vésicules séminales paroissent formées par des petites vésicules distinguées les unes des autres. Pour les voir avec facilité, il faut les presser doucement avec le doigt en ramenant du côté de l’anus ; & par ce moyen on en fait sortir par l’ouverture qui est au-dessous de l’anus, la semence qu’elles contiennent. Si après cela on souffle dans cette ouverture, on voit gonfler ces vésicules qui paroissent très-distinctes les unes des autres à l’extérieur. Ces deux vésicules séminales se réunissent en un canal commun, qui se termine au dehors comme l’anus à la partie postérieure duquel il est situé. Il est long de quatre à cinq lignes, & n’a qu’une ligne & demie jusqu’à deux lignes de diametre. Si on ouvre ce canal, on y voit l’ouverture de la vessie, qui ne paroît pas toûjours au-dehors dans les carpes laitées.

La vessie aërienne. On trouve dans la carpe & dans la plûpart des autres poissons une vessie remplie d’air, & qu’on peut appeller pour cela vessie aërienne. C’est pour la même raison que quelques auteurs l’ont nommée vesicula pneumatica, d’autres utriculus natatorius, parce qu’il paroît que les poissons s’élevent plus ou moins facilement vers la superficie de l’eau, selon qu’elle se trouve plus ou moins remplie d’air.

Elle est située entre les reins & les œufs ou la laite. Elle s’étend depuis le diaphragme jusqu’à la vessie urinaire.

Elle est attachée légerement par des fibres & des vaisseaux à toutes les parties qui la touchent, mais elle tient très-fort à la base d’un petit os qui ressemble de figure à la partie antérieure d’une mitre. La partie supérieure de la membrane externe de cette vessie est attachée si fortement à cet os, qu’on ne peut la séparer sans la couper ou la déchirer ; il y a même quelques-unes des fibres de cette membrane, qui sont continues avec le diaphragme.

Cette vessie est composée de deux vésicules. La premiere est la plus grosse & la plus près du diaphragme ; elle a trois pouces ou environ de longueur, & dix-huit à vingt lignes de diametre à l’endroit où elle a plus de grosseur ; elle forme une espece d’ovale.

La seconde vésicule qui est plus petite en grosseur que la précédente, est de deux ou trois lignes plus longue que la premiere ; mais elle n’a qu’environ douze lignes de diametre dans l’endroit où elle a le plus de grosseur.

Chacune de ces vésicules a deux membranes, une externe & une interne. La premiere tendineuse & forte, est double ; ce que l’on apperçoit très-bien en la déchirant, principalement lorsqu’elle a été macérée dans l’eau. On voit que chacune des deux lames qui la composent a des fibres, dont la direction est différente. Les fibres de la lame extérieure sont plus obliques que celles de l’intérieure.

La seconde membrane est très-fine : malgré cela, on reconnoît par la macération, qu’elle est double ; elle renferme dans sa duplicature un muscle dont les fibres sont transverses, & occupent toute la longueur de la vésicule, ou peu s’en faut, & environ le tiers de sa circonférence. Les fibres inférieures se croisent à angles droits, avec d’autres fibres charnues, qui sont à la partie inférieure de la vésicule.

La seconde vésicule a les mêmes membranes : mais les externes sont plus fines que celles de la premiere vésicule. Elle a deux plans de fibres charnues & transverses, un de chaque côté, qui regnent dans toute la longueur de la vésicule : mais chaque plan n’occupe qu’environ le quart de la circonférence.

Les deux vésicules communiquent l’une à l’autre par un petit canal qui a environ une ligne de diametre, & de ligne de longueur pour l’ordinaire. Il n’y a point de valvule, & l’air passe librement de l’une à l’autre vésicule.

Tout le monde connoît l’usage de la vessie aérienne ; selon qu’elle est plus ou moins remplie d’air, elle rend le corps du poisson plus ou moins pesant, & par là propre à monter à la superficie de l’eau, ou à s’enfoncer plus ou moins dans l’eau.

Tout le monde connoît aussi la nécessité absolue de l’air, & même du renouvellement d’air pour la vie des poissons. La machine du vuide a prouvé l’un & l’autre depuis long-tems ; & c’est sur la carpe que les expériences en ont été faites le plus souvent, ce poisson étant fort commun.

Si l’on met une carpe mâle dans un vaisseau plein d’eau, placé sous le récipient de la machine pneumatique, & que l’on pompe l’air trois ou quatre fois, la carpe commence à s’agiter ; toute la surface de son corps devient perlée ; il lui sort par la bouche & par les ouies une infinité de bulles d’air fort grosses, & la région de la vessie aérienne s’enfle considérablement. Si l’on recommence à pomper, les ouies recommencent à battre, mais peu de tems & foiblement ; ensuite la carpe demeure sans aucun mouvement, & la région de la vessie aérienne devient si gonflée & si tendue, que la laite sort en s’éfilant par l’anus : enfin au bout d’une demi-heure ou environ, la carpe meurt ; si on l’ouvre, on trouve d’ordinaire la vessie aérienne crevée.

Les reins. Les reins de la carpe sont rouges-bruns, mollasses, semblables en quelque maniere à du sang caillé : ils occupent la plus grande partie de la poitrine, & de-là s’étendent dans toute la longueur du bas-ventre jusqu’à la vessie ; ils sont adhérens au péritoine, aussi bien qu’aux ovaires, ou à la laite ; ils se grossissent en bosse triangulaire, & sont logés entre les deux vésicules aériennes ; ils remplissent l’espace que ces vésicules laissent entr’elles.

L’urine passe immédiatement de la substance des reins dans les uréteres, par le moyen des vaisseaux excrétoires qui s’y rendent. Les uréteres sont, comme l’on sait, des canaux qui transportent l’urine des reins dans la vessie. Ils sont dans la carpe cachés en partie dans la substance des reins, & principalement dans la partie qui est renfermée dans la poitrine.

La vessie urinaire. La vessie urinaire est une capsule oblongue, arrondie, & qui étant gonflée, ressemble à une petite cucurbite renversée, dont l’embouchure est très-étroite. Elle ne paroît composée que d’une seule membrane qui est fort fine ; son embouchure est tout près de celle du rectum, à la partie postérieure de l’anus dans les carpes œuvées : mais dans les carpes laitées, on ne la découvre point au-dehors ; on la trouve dans le canal commun des vésicules séminales.

Des carpes hermaphrodites. M. Morand a fait voir à l’Académie des Sciences en 1737, les parties intérieures d’une grosse carpe, où l’on voyoit distinctement d’un côté les œufs, & de l’autre la laite : elle étoit donc véritablement hermaphrodite. A cette occasion, M. de Reaumur dit qu’il avoit observé plusieurs fois la même chose dans le brochet ; & M. Marchand dans le merlan. On y peut ajoûter les moules, dont nous parlerons : & voilà bien des poissons hermaphrodites qui en feroient soupçonner beaucoup d’autres. Que d’éclaircissemens à desirer sur ce sujet ! Toute une espece n’aura-t-elle que des hermaphrodites, ou sera-t-elle mêlée ? Plusieurs hermaphrodites ont le besoin ordinaire d’un autre animal de leur espece pour engendrer ; les moules engendrent toutes seules. De quel genre seront ces nouveaux hermaphrodites qui se trouvent parmi les poissons ? ce sont tout autant de questions de M. de Fontenelle.

De la respiration de la carpe. Mais de quelque sexe que soient les carpes, œuvées, laitées, hermaphrodites, elles ont toutes besoin de respirer pour vivre.

M. Derham dit, que pourvû qu’on les mette dans un endroit frais & dans une position qui ne gêne point leur respiration, elles peuvent vivre long-tems dans l’air, & hors de l’eau ; ce qu’il prouve d’après le témoignage d’une personne très-illustre & très-curieuse, par la maniere dont on les engraisse en Hollande, laquelle a aussi été pratiquée en Angleterre. On les suspend à la cave, ou en tout autre lieu frais, dans un petit filet, sur de la mousse humide ; ensorte que la tête de la carpe sorte hors du filet. On les nourrit de cette maniere de pain blanc qui a trempé dans du lait.

Ce fait est aisé à vérifier : il n’est pas aussi facile de démontrer toutes les pieces qui servent à la respiration de ce poisson ; elles montent à un nombre si surprenant, que l’imagination même en est effrayée. Mais sans entrer dans un détail que je ne saurois faire par écrit, je me contenterai d’en donner le dénombrement, que personne ne sera fâché de voir ; & je ne donnerai point ce dénombrement en chiffres, de peur que quelqu’un ne soupçonne ici des fautes d’impression.

Les pieces osseuses sont au nombre de quatre mille trois cents quatre-vingts-six : il y a soixante-neuf muscles.

Les arteres des ouies, outre leurs huit branches principales, jettent quatre mille trois cents vingt rameaux ; chaque rameau jette de chaque côté sur le plat de chaque lame, une infinité d’arteres capillaires transversales, dont le compte ne seroit pas impossible : il passe de beaucoup tous ces nombres ensemble.

Il y a autant de nerfs que d’arteres, les ramifications des premiers suivant exactement celles des autres.

Les veines ainsi que les arteres, outre leurs huit branches principales, jettent quatre mille trois cents vingt rameaux, qui sont de simples tuyaux, & qui à la différence des rameaux des arteres ; ne jettent point de vaisseaux capillaires transversaux.

Ce nombre prodigieux d’os, de muscles, de vaisseaux, de nerfs, de veines, & d’arteres, concourant au même but, arrangés avec tant d’industrie, marquent sans doute la main du souverain artiste. Que ses œuvres sont admirables ! Et puisqu’il ne s’est point lassé de les produire dans les eaux comme sur la terre, suivant la remarque de Galien, les hommes peuvent-ils jamais se lasser de les lire & de les étudier ! Que cette étude est belle ! qu’elle est intéressante !

Etude de tout tems, de tous lieux, de tout âge,
Que n’épuiseront point les siecles à venir !
Je la propose aux grands, je la propose au sage :
Par où saurois-je mieux finir ?

Article communiqué par M. le Chevalier de Jaucourt.

La pêche de la carpe n’a rien de particulier.