L’Encyclopédie/1re édition/CAROUBIER

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 694).

CAROUBIER, s. m. (Hist. nat.) arbre connu des anciens & des modernes. Nos Botanistes l’appellent caroba siliqua dulcis, κερατωνία ; les Arabes kernab ; & les Egyptiens carub ou carnub, au rapport de Prosper Alpin qui en a donné une figure très-peu correcte.

C’est un arbre de moyenne grandeur, branchu, & garni de feuilles arrondies, nerveuses, d’un pouce ou deux de diametre, épaisses, lisses, verd foncé, portées sur des queues assez courtes, & rangées sur une côte à droite & à gauche : ses fleurs sont de petites grappes rouges chargées d’étamines jaunâtres : ses fruits, que nous nommons aujourd’hui carouges, & autrefois caroubes, sont des siliques ou gousses applaties, longues depuis un demi-pié jusqu’à quatorze pouces, sur un pouce & demi de large ; elles sont brunes en-dessous, courbées quelquefois, composées de deux cosses séparées par des membranes en plusieurs loges qui contiennent des semences plates, approchantes de celles de la casse.

Ces cosses sont remplies dans leur substance d’un suc épais, noirâtre, mielleux, douçâtre, qui ne s’éloigne pas beaucoup de celui de la moelle de casse. C’est apparemment la figure courbée de cette gousse qui lui a fait donner en Grec & en Latin les noms de keratia, keratonia, qui signifient de petites cornes.

Le caroubier étoit autrefois fort commun en Grece, en Egypte, dans la Palestine, & dans les montagnes de Judée.

Les Egyptiens, à ce que rapporte Prosper Alpin, chap. iij. tirent des siliques une espece de miel fort doux, qui tient lieu de sucre aux Arabes. Ils s’en servent pour confire les myrobolans, les tamarins, & plusieurs autres fruits ; ils l’employent fréquemment au lieu de miel dans les clysteres, & le donnent aux malades à dessein de leur rendre le ventre libre ; car il produit autant d’effet que la pulpe de la casse. Ils en usent encore extérieurement & intérieurement pour les inflammations des reins, contre la toux & l’asthme. Tous ceux qui prétendent que ce fruit resserre, sont dans l’erreur ; il est certain qu’il relâche & qu’il purge, comme la pulpe de casse, quand il est mûr : c’est ce que Bauhin confirme par des expériences qu’il en a faites quand il étoit à Venise.

Ce fruit est fort commun en Italie, en Provence, en Barbarie : on le laisse mûrir & sécher au soleil ; les pauvres s’en nourrissent, & on en engraisse le bétail. Autrefois on en tiroit une espece de vin ou de liqueur fermentée, d’un grand usage dans la Syrie & dans l’Egypte, & le marc se donnoit aux porcs.

L’enfant prodigue, dit S. Luc chap. xvj. 5. accablé de misere, & pressé par la faim, auroit desiré se rassasier des gousses (il faudroit traduire des carouges) dont les pourceaux se nourrissoient. C’est le sentiment des plus habiles interpretes de l’Ecriture, de Bochart, Grotius, Hammond, le Clerc, & autres. En effet le mot Grec κεράτια qu’employe S. Luc, signifie des carouges, ou, ce qui revient au même, le fruit du caroubier. Aussi MM. de Beausobre & Lenfant ont traduit avec raison le terme qu’employe S. Luc par celui de carouges : mais quand ils ajoûtent dans leur note sur ce passage de l’évangéliste, que ce fruit vient dans des écosses, ils ne se sont pas exprimés avec assez d’exactitude ; ils devoient dire que le caroubier porte pour fruit des siliques, des gousses, qui contiennent dans leur substance, dans leur follicule, une espece de pulpe douce, mielleuse, &c. Article communiqué par M. le Chevalier de Jaucourt.