L’Encyclopédie/1re édition/CANNELURES

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 599-600).
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Cannelures, termes d’Architecture ; ce sont des canaux ou des cavités longitudinales formés ou taillés tout le long du fût d’une colonne, ou d’un pilastre, ou de tout autre objet. Vitruve croit qu’elles ont été introduites aux colonnes, à l’imitation des plis des vêtemens des anciennes dames Greques ; aussi les nomme-t-il striures du latin striges, les plis d’une robe. Cette étymologie peut avoir quelque sorte de vraissemblance, presque toutes les figures antiques étant revêtues de draperies perpendiculaires, lesquelles forment des ondulations concaves, qui ressemblent assez aux cannelures dont on parle ici. Les Anglois les appellent flûtes, parce qu’elles ont quelque ressemblance à l’instrument de musique qui porte ce nom.

On prétend que les cannelures ont été employées pour la premiere fois à l’ordre ionique, ensuite on les a introduites au corinthien, puis au dorique, avec cette différence qu’on n’en distribue que vingt sur la circonférence du fût de cet ordre, à cause de son caractere solide, au lieu que l’on en peut distribuer vingt-quatre, sur celle des ordres ionique & corinthien, ainsi qu’au composite, n’y ayant pas d’exemple qu’on en ait jamais employé au toscan, que l’on charge plûtôt, quand on veut orner le fût de cet ordre, de bossages, ainsi qu’on l’a pratiqué au palais du Luxembourg. Voyez Bossages.

Ordinairement on pratique un listeau ou listel pour séparer les cannelures, lesquelles se forment d’un demi-cercle ou bien d’une portion de cercle soûtenue par le côté d’un triangle équilatéral inscrit : mais presque tous les auteurs ont retranché ce listel aux cannelures de l’ordre dorique ; je crois que cette méthode d’introduire des cannelures à un ordre solide est contraire à son caractere. Voyez les différentes especes de cannelures tant anciennes que modernes dans nos Planches d’Architecture. Je regarde aussi comme abus de pratiquer de cannelures torses, formant une spirale, autour d’un fût perpendiculaire ; cela ne peut être autorisé qu’aux décorations théatrales ou fêtes publiques, qui ne demandent pas autant de séverité que les édifices construits de pierre, ainsi que nous l’avons dit ailleurs.

Ces cannelures concaves se remplissent assez souvent de rudentures, voyez Rudentures, dans toute la hauteur du tiers inférieur des colonnes ou pilastres, tant pour enrichir leur fût, que pour affecter de la solidité dans les parties d’en-bas ; alors on les appelle cannelures rudentées. Quelquefois à l’ordre dorique on ne fait régner les cannelures que dans les deux tiers du fût supérieur, afin de laisser au tiers inférieur toute sa solidité.

Ces rudentures sont souvent enrichies d’ornemens, tels qu’il s’en voit à l’ordre ionique du château des Tuileries du côté des jardins, dont l’exécution surpasse tout ce que nous avons de meilleur en France dans ce genre : mais il faut observer, lorsqu’on y affecte des ornemens, ou qu’on enrichit seulement les cannelures de baguettes ou de doubles listeaux, de ne les pas orner indifféremment ; leur richesse aussi bien que leur élégance doit être en rapport avec la solidité ou la légereté de l’ordre ; il faut éviter, surtout lorsque l’on surmonte un ordre corinthien sur un ordre ionique, de faire les cannelures de l’ordre d’en-haut plus simples que celles de l’ordre d’en-bas ; c’est un défaut de convenance que l’on peut remarquer aux colonnes corinthiennes & ioniques du portail des Feuillans à Paris.

On fait usage aussi des cannelures dans les gaînes & dans les consoles, lesquelles sont susceptibles d’ornemens selon la richesse de la matiere dont elles sont construites, ou des figures, thermes, vases, bustes qu’elles soûtiennent. (P)