L’Encyclopédie/1re édition/CAFFÉ

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 527-529).
◄  CAFFA
CAFFETIER  ►

* CAFFÉ, s. m. (Hist. nat. bot.) Depuis environ soixante ans, disoit M. de Jussieu en 1715, que le caffé est connu en Europe, tant de gens en ont écrit sans connoître son origine, que si l’on entreprenoit d’en donner une histoire sur les relations qu’on nous en a laissées, le nombre des erreurs seroit si grand, qu’un seul memoire ne suffiroit pas pour les rapporter toutes.

Ce que nous en allons dire est tiré d’un mémoire contenu dans le recueil de l’Académie des Sciences, année 1713. Ce mémoire est de M. de Jussieu, le nom de l’auteur suffit pour garantir les faits. L’Europe, dit M. de Jussieu, a l’obligation de la culture de cet arbre aux soins des Hollandois, qui de Moka l’ont porté à Batavia, & de Batavia au jardin d’Amsterdam. La France en est redevable au zele de M. de Ressons, lieutenant général de l’Artillerie, & amateur de la Botanique, qui se priva en faveur du jardin du Roi, d’un jeune pié de cet arbre qu’il avoit fait venir de Hollande. Il est maintenant assez commun, & on lui voit donner successivement des fleurs & des fruits.

Cet arbre dans l’état où il étoit au jardin du Roi, lorsque M. de Jussieu fit son mémoire, avoit cinq piés de hauteur & la grosseur d’un pouce ; il donne des branches qui sortent d’espace en espace de toute la longueur de son tronc, toûjours opposées deux à deux, & rangées de maniere qu’une paire croise l’autre. Elles sont souples, arrondies, noüeuses par intervalles, couvertes aussi bien que le tronc, d’une écorce blanchâtre fort fine, qui se gerse en se desséchant : leur bois est un peu dur & douçâtre au goût ; les branches inférieures sont ordinairement simples, & s’étendent plus horisontalement que les supérieures qui terminent le tronc, lesquelles sont divisées en d’autres plus menues qui partent des aisselles des feuilles, & gardent le même ordre que celles du tronc. Les unes & les autres sont chargées en tout tems de feuilles entieres, sans dentelures ni crenelures dans leur contour, aiguës par leurs deux bouts, opposées deux à deux, qui sortent des nœuds des branches, & ressemblent aux feuilles du laurier ordinaire ; avec cette différence qu’elles sont moins seches & moins épaisses, ordinairement plus larges, plus pointues par leur extrémité, qui souvent s’incline de côté ; qu’elles sont d’un beau verd gai & luisant en-dessus, verd pâle en-dessous, & verd jaunâtre dans celles qui sont naissantes ; qu’elles sont ondées par les bords, ce qui vient peut-être de la culture, & qu’enfin leur goût n’est point aromatique, & ne tient que de l’herbe. Les plus grandes de ses feuilles ont deux pouces environ dans le fort de leur largeur, sur quatre à cinq pouces de longueur ; leurs queues sont fort courtes. De l’aisselle de la plûpart des feuilles naissent des fleurs jusqu’au nombre de cinq, soûtenues par un pédicule court ; elles sont toutes blanches, d’une seule piece, à peu près du volume & de la figure de celles du jasmin d’Espagne, excepté que le tuyau en est plus court, & que les decoupures en sont plus étroites, & sont accompagnées de cinq étamines blanches à sommets jaunâtres, au lieu qu’il n’y en a que deux dans nos jasmins : ces étamines débordent le tuyau de leurs fleurs, & entourent un style fourchu qui surmonte l’embryon ou pistil placé dans le fond d’un calice verd à quatre pointes, deux grandes & deux petites, disposées alternativement. Ces fleurs passent fort vîte, & ont une odeur douce & agréable. L’embryon ou jeune fruit, qui devient à peu-près de la grosseur & de la figure d’un bigarreau, se termine en ombilic, & est verd clair d’abord, puis rougeâtre, ensuite d’un beau rouge, & enfin rouge obscur dans sa parfaite maturité. Sa chair est glaireuse, d’un goût desagréable, qui se change en celui de nos pruneaux noirs secs, lorsqu’elle est séchée, & la grosseur de ce fruit se réduit alors en celle d’une baie de laurier. Cette chair sert d’enveloppe à deux coques minces, ovales, étroitement unies, arrondies sur leur dos, applaties par l’endroit où elles se joignent, de couleur d’un blanc jaunâtre, & qui contiennent chacune une semence calleuse, pour ainsi-dire ovale, voûtée sur son dos, & plate du côté opposé, creusée dans le milieu & dans toute la longueur de ce même côté, d’un sillon assez profond. Son goût est tout-à-fait pareil à celui du caffé qu’on nous apporte d’Arabie : une de ses deux semences venant à avorter, celle qui reste acquiert ordinairement plus de volume, a ses deux côtés plus convexes, & occupe seule le milieu du fruit. Voyez Plan. XXVIII. d’Hist. nat. fig. 3.

On appelle caffé en coque, ce fruit entier & desséché ; & caffé mondé, ses semences dépouillées de leurs enveloppes propres & communes.

Par cette description faite d’après nature, il est aisé de juger que l’arbre du caffé, que l’on peut appeller le caffier, ne peut être rangé sous un genre qui lui convienne mieux que sous celui des jasmins, si l’on a égard à la figure de sa fleur, à la structure de son fruit, & à la disposition de ses feuilles.

Cet arbre croît dans son pays natal, & même à Batavia, jusqu’à la hauteur de quarante piés ; le diametre de son tronc n’excede pas quatre à cinq pouces : on le cultive avec soin ; on y voit en toutes les saisons des fruits, & presque toûjours des fleurs. Il fournit deux ou trois fois l’année une récolte très-abondante. Les vieux piés portent moins de fruit que les jeunes, qui commencent à en produire dès la troisieme & quatrieme année après la germination.

Les mots caffé en François, & coffee en Anglois & en Hollandois, tirent l’un & l’autre leur origine de caouhe, nom que les Turcs donnent à la boisson qu’on prépare de cette plante.

Quant à sa culture, on peut assûrer que si la semence du caffé n’est pas mise en terre toute récente, comme plusieurs autres semences des plantes, on ne doit pas espérer de la voir germer. Celles de l’arbre qu’on cultivoit depuis une année au Jardin-royal, mises en terre aussi-tôt après avoir été cueillies, ont presque toutes levé six semaines après. Ce fait, dit M. de Jussieu, justifie les habitans du pays où se cultive le caffé, de la malice qu’on leur a imputée de tremper dans l’eau bouillante, ou de faire sécher au feu tout celui qu’ils débitent aux étrangers, dans la crainte que venant à élever comme eux cette plante, ils ne perdissent un revenu des plus considérables.

La germination de ces semences n’a rien que de commun.

A l’égard du lieu où cette plante peut se conserver, comme il doit avoir du rapport avec le pays dans lequel elle naît naturellement, & où l’on ne ressent point d’hyver, on a été obligé jusqu’ici de suppléer au défaut de la température de l’air & du climat par une serre à la maniere de celles de Hollande, sous laquelle on fait un feu modéré, pour y entretenir une chaleur douce ; & l’on a observé que pour prevenir la sécheresse de cette plante, il lui falloit de tems en tems un arrosement proportionné.

Soit que ces précautions en rendent la culture difficile, soit que les Turcs, naturellement paresseux, ayent négligé le soin de la multiplier dans les autres pays sujets à leur domination ; nous n’avons pas encore appris qu’aucune contrée que celle du royaume d’Yemen en Arabie, ait l’avantage de la voir croitre chez elle abondamment ; ce qui paroît être la cause pour laquelle avant le xvi. siecle son usage nous étoit presqu’inconnu.

On laisse à d’autres le soin de rapporter au vrai ce qui y a donné occasion, & d’examiner si l’on en doit la premiere expérience à la vigilance du supérieur d’un monastere d’Arabie, qui voulant tirer ses moines du sommeil qui les tenoit assoupis dans la nuit aux offices du chœur, leur en fit boire l’infusion, sur la relation des effets que ce fruit causoit aux boucs qui en avoient mangé ; ou s’il faut en attribuer la découverte à la piété d’un mufti, qui pour faire de plus longues prieres, & pousser les veilles plus loin que les dervis les plus dévots, a passé pour s’en être servi des premiers.

L’usage depuis ce tems en est devenu si familier chez les Turcs, chez les Persans, chez les Arméniens, & même chez les différentes nations de l’Europe, qu’il est inutile de s’étendre sur la préparation, & sur la qualité des vaisseaux & instrumens qu’on y employe.

Il est bon d’observer que des trois manieres d’en prendre l’infusion, savoir, ou du caffé mondé & dans son état naturel, ou du caffé rôti, ou seulement des enveloppes propres & communes de cette substance, auxquelles nos François au retour de Moka ont improprement donné le nom de fleur de caffé ; la seconde de ces manieres est préférable à la premiere, & à la troisieme appellée aussi caffé à la sultane.

Qu’entre le gros & le blanchâtre qui nous vient par Moka, & le petit verdâtre qui nous est apporté du Caire par les caravanes de la Meque, celui-ci doit être choisi comme le plus mûr, le meilleur au goût, & le moins sujet à se gâter.

Que de tous les vaisseaux pour le rôtir, les plus propres sont ceux de terre vernissée, afin d’éviter l’impression que ceux de fer ou d’airain peuvent lui communiquer.

Que la marque qu’il est suffisament brûlé ou rôti est la couleur tirant sur le violet, qu’on ne peut appercevoir qu’en se servant pour le rôtir d’un vaisseau découvert.

Que l’on ne doit en pulvériser qu’autant & qu’au moment que l’on veut l’infuser : on se sert pour cet effet d’un petit moulin portatif, composé de deux ou trois pieces ; d’une gorge qui fait la fonction de trémie, dans laquelle on met le caffé grillé, & qu’on bouche d’un couvercle percé d’un trou ; d’une noix dont l’arbre est soûtenu & fixé dans le coffre ou le corps du moulin qui la cache, & dans lequel elle se meut sur elle-même : la partie du coffre qui correspond à la noix est de fer, & taillée en dent ; il y a au-dessous de la noix un coffret qui reçoit le caffé à mesure qu’il se moud. Voyez Plan. du Tailland. 3 un moulin à caffé, r s tout monté ; & dans les fig. 4. m m l, k, o p p, n, un autre moulin & son détail. La fig. 4. est l’arbre séparé du moulin r s : m m l, autre moulin ; m, son arbre ; k, son embase ; n, sa coupe par le milieu ; o, sa noix ; fig. r s, r est la trémie.

Et qu’étant jetté dans l’eau bouillante, l’infusion en est plus agréable, & souffre moins de dissipation de ses parties volatiles, que lorsqu’il est mis d’abord dans l’eau froide.

Quant à sa maniere d’agir & à ses vertus, la matiere huileuse qui se sépare du caffé, & qui paroît sur sa superficie lorsqu’on le grille, & son odeur particuliere qui le fait distinguer du seigle, de l’orge, des pois, des feves, & autres semences que l’épargne fait substituer au caffé, doivent être les vraies indications de ses effets, si l’on en juge par leur rapport avec les huiles tirées par la cornue, puisqu’elle contient aussi-bien que celles-là, des principes volatils, tant salins que sulphureux.

C’est à la dissolution de ses sels, & au mêlange de ses soufres dans le sang, que l’on doit attribuer la vertu principale de tenir éveillé, que l’on a toûjours remarquée comme l’effet le plus considérable de son infusion. C’est de-là que viennent ses propriétés de faciliter la digestion, de précipiter les alimens, d’empêcher les rapports des viandes, & d’éteindre les aigreurs, lorsqu’il est pris après le repas.

C’est par-là que la fermentation qu’il cause dans le sang, utiles aux personnes grasses, replettes, pituiteuses, & à celles qui sont sujettes aux migraines, devient nuisible aux gens maigres, bilieux, & à ceux qui en usent trop fréquemment.

Et c’est aussi ce qui dans certains sujets rend cette boisson diurétique.

L’expérience a introduit quelques précautions qu’on ne sauroit blâmer, touchant la maniere de prendre cette infusion : telles sont celles de boire un verre d’eau auparavant, afin de la rendre laxative ; de corriger par le sucre l’amertume qui pourroit la rendre desagréable, & de la mêler, ou de la faire quelquefois au lait ou à la creme, pour en éteindre les soufres, en embarrasser les principes salins, & la rendre nourrissante.

Enfin l’on peut dire en faveur du caffé, que quand il n’auroit pas des vertus aussi certaines que celles que nous lui connoissons, il a toûjours l’avantage par-dessus le vin de ne laisser dans la bouche aucune odeur desagréable, ni d’exciter aucun trouble dans l’esprit ; & que cette boisson au contraire semble l’égayer, le rendre plus propre au travail, le récréer, en dissiper les ennuis avec autant de facilité, que ce fameux Népenthe si vanté dans Homere. Mémoires de l’Académie royale des Sciences, année 1713, page 299.

M. Leaulté pere, docteur en Medecine de la Faculté de Paris, a fait une observation sur l’infusion de caffé, qu’il n’est pas inutile de rapporter ici. Un homme à qui un charlatan avoit conseillé l’usage d’une composition propre, à ce qu’il disoit, à arrêter une toux opiniâtre qui le tourmentoit depuis longtems, prit le remede, sans être instruit des ingrédiens qui y entroient : cet homme fut tout-à-coup saisi d’un assoupissement & d’un étouffement considérable, accompagnés de la suppression de toutes les évacuations ordinaires, plus de crachats, plus d’urine, &c. On appella M. Leaulté, qui informé de la nature des drogues que cet homme avoit prises, lui ordonna sur le champ une saignée : mais le poison avoit figé le sang, de maniere qu’il n’en vint ni des bras ni des piés : le medecin ordonna plusieurs tasses d’une forte infusion de caffé sans sucre, ce qui en moins de cinq à six heures restitua au sang un mouvement assez considérable pour sortir par les quatre ouvertures, & le malade guérit.

Simon Pauli, medecin Danois, a prétendu qu’il enivroit les hommes, & les rendoit inhabiles à la génération. Les Turcs lui attribuent le même effet, & pensent que le grand usage qu’ils en font est la cause pour laquelle les provinces qu’ils occupent, autrefois si peuplées, le sont aujourd’hui si peu. Mais Dufour réfute cette opinion, dans son Traité du caffé, du thé, & du chocolat.

Le pere Malebranche assûra à MM. de l’Académie des Sciences, qu’un homme de sa connoissance avoit été guéri d’une apoplexie par le moyen de plusieurs lavemens de caffé : d’autres disent qu’employé de la même maniere, ils en ont été délivrés de maux de tête violens & habituels. (N)

Le commerce du caffé est considérable : on assûre que les seuls habitans du royaume d’Yemen en débitent tous les ans pour plusieurs millions ; ce qu’on n’aura pas de peine à croire, si l’on fait attention à la consommation prodigieuse.

Caffé mariné ; c’est ainsi qu’on appelle celui qui dans le transport a été mouillé d’eau de mer : on en fait peu de cas, à cause de l’acreté de l’eau de mer, que la torréfaction ne lui ôte pas.

Caffés : ce sont des lieux à l’établissement desquels l’usage du caffé a donné lieu : on y prend toutes sortes de liqueurs. Ce sont aussi des manufactures d’esprit, tant bonnes que mauvaises.