L’Encyclopédie/1re édition/CACHOU

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 505-509).
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CACHOU, (Hist. nat. des drogues.) suc épaissi tiré du regne des végétaux : en Anglois cashoo ; en Latin terra Japonica, terre du Japon ; dénomination reçûe depuis près d’un siecle, quoique très-fausse en elle-même, & d’autant plus impropre, que tout le cachou qu’on trouve au Japon y est apporté d’ailleurs.

Il en est du cachou, suivant la remarque de M. de Jussieu, comme de la plûpart des autres drogues, sur l’histoire desquelles il y a autant de variations que de relations de voyageurs.

Le cachou n’est point une terre. Le public & les marchands épiciers séduits par la sécheresse & la friabilité du cachou, ont commencé par goûter avidement les décisions de ceux qui s’éloignent du récit de Garcie du Jardin, & ont mis cette drogue au rang des terres. M. de Caen, docteur en Medecine de la faculté de Paris, est un des particuliers qui a le plus accrédité cette opinion en France, en détaillant l’origine & la nature de cette terre, sur l’attestation d’un de ses amis voyageur.

On trouve, a-t-il dit, cette terre dans le Levant, & elle y est appellée masquiqui : on la ramasse principalement sur les plus hautes montagnes où croissent les cedres, & sous la racine desquels on la rencontre dure, & en bloc. Pour ne rien perdre de cette terre, les naturels du pays, qu’on nomme Algonquins, la ramassent en entier avec ce sable qui s’y trouve joint. Ils versent dessus le tout de l’eau de riviere, le rendent liquide, & en pétrissent une pâte qu’ils mettent sécher au soleil, jusqu’à ce qu’elle soit dure comme nous la voyons. Les Algonquins en portent toûjours sur eux, & en usent pour les maux d’estomac. Ils l’appliquent aussi extérieurement en forme d’onguent sur la région du bas-ventre.

Ce roman a passé de bouche en bouche, de livres en livres, avec d’autres circonstances singulieres : tout cela n’a servi qu’à lui donner plus de créance ; & le petit gravier qu’on trouve quelquefois dans le cachou n’y a pas nui. Enfin le nom même de terre du Japon, sous lequel le cachou est connu depuis si long-tems parmi les auteurs de matiere médicale, n’a pas peu contribué à confirmer l’opinion que c’est effectivement une terre, ou du moins qu’il y a une terre qui lui sert de base.

Mais on est à présent détrompé de cette erreur par l’examen analytique qui a été fait des principes du cachou ; premierement en Allemagne par Hagendorn, Wedelius, & autres, & ensuite en France par M. Bouldue.

Les expériences, les dissolutions, & les différentes analyses de ce mixte, ont prouvé démonstrativement que c’est un suc de végétal épaissi : car 1.o au lieu de jetter comme toutes les autres terres un limon dans l’humidité, il s’y dissout entierement, à quelques parties grossieres près ; & non-seulement dans les liqueurs aqueuses, mais encore dans les spiritueuses : 2.o il se dissout facilement dans l’eau commune, s’incorpore avec elle, & lui communique une teinture rouge, de même qu’un grand nombre d’extraits & de sucs de végétaux épaissis : 3.o la filtration ne l’en sépare point ainsi qu’elle fait les terres ; mais il passe par le filtre avec l’eau : 4.o en le filtrant on n’y trouve jamais de terre, si ce n’est lorsqu’il est mal-propre : 5.o il s’enflamme, brûle dans le feu, & ne donne que peu de cendres : 6.o mis dans la bouche il ne laisse sur la langue aucun goût de terre, & s’y fond totalement : 7.o on en tire par la chimie beaucoup d’huile & de sels essentiels, pareils à ceux qu’on tire des plantes.

Le cachou n’est point une substance vitriolique. Ces raisons étant décisives, d’autres Physiciens ont imaginé de placer le cachou dans la classe des vitriols, c’est-à-dire, de le regarder comme une substance composée, qui tient de leur nature : mais cette imagination n’a pas fait fortune ; les expériences la détruisent, & prouvent que le cachou n’a rien de vitriolique : en effet, 1.o on n’en sépare aucun sel de cette nature ; 2.o si on le mêle avec un alkali, il ne produit ni effervescence ni précipitation ; 3.o sa solution fait l’encre, avec une addition de quelques substances vitrioliques.

C’est une substance végétale. Il seroit inutile de m’étendre davantage sur de pures fictions : d’ailleurs tout le monde convient aujourd’hui qu’il faut mettre le cachou dans le rang des substances végétales ; personne n’oseroit le contester ; c’est un fait dont on est pleinement convaincu.

Sa définition. Par conséquent on peut hardiment le définir un suc gommeux, résineux, sans odeur, fait & durci par art, d’un roux noirâtre extérieurement, & d’un roux brun intérieurement ; son goût est astringent, amer quand on le met dans la bouche, ensuite plus doux & plus agréable. Voilà ce qu’on connoît du cachou : mais on n’est point encore assûré si c’est un suc qu’on tire de la décoction de diverses plantes, ou le fruit d’une seule ; & si notre cachou est la même chose que le lycium Indien de Dioscoride.

Il ne faut pas le confondre avec le cajou. Quelques-uns se fondant sur l’affinité des noms, ont avancé que le cachou est l’extrait ou le suc épaissi du fruit que nous appellons noix d’acajou ; car ce fruit se nomme catzu ou cajou : mais ceux qui ont eu cette idée ne connoissoient pas l’acajou, qui contient dans sa sustance un suc acre, mordicant, brûlant les levres & la langue, & qui est d’une saveur bien différente de celle du cachou.

Arbre dont on tire le cachou suivant Garcie. Si nous nous en rapportons à Garcie, l’arbre dont on tire le cachou est de la hauteur du frêne : il a des feuilles très-petites, & fort semblables à celle de la bruyere ou du tamaris : il est toûjours verd, & hérissé de beaucoup d’épines. Voici comment il rapporte la maniere de le tirer. On coupe par petits morceaux les branches de cet arbre, on les fait bouillir, ensuite on les pile ; après cela on en forme des pastilles & des tablettes avec la farine de nachani, & avec la sciure d’un certain bois noir qui naît dans le pays. On fait sécher ces pastilles à l’ombre : quelquefois on n’y mêle pas cette sciure.

Description de cet arbre suivant, Bontius. Bontius, un des premiers voyageurs qui en ait parlé, dit que cet arbre est tout couvert d’épines sur le tronc & sur les branches, ayant des feuilles qui sont presque comme celles de la sabine, ou de l’arbre que l’on appelle l’arbre de vie, hormis qu’elles ne sont pas si grosses ni si épaisses. Il porte, dit-il, des feves rondes de couleur de pourpre, dans lesquelles sont renfermées trois ou quatre noix tout au plus, & qui sont si dures que l’on ne peut les casser avec les dents. On en fait bouillir les racines, l’écorce & les feuilles, pour en faire un extrait que l’on appelle cate ; extrait, pour le dire en passant, que ces deux auteurs, Garcie & Bontius, croyent être le lycium Indien de Dioscoride.

Suivant Hebert de Jager. Mais Hebert de Jager, dans les Ephemérides des curieux de la nature, décad. II. an. 3. écrit que le lycium des Indes, ou le cate de Garcias, ou le kaath, comme les Indiens l’appellent, & le reng des Perses, est un suc tiré non d’un arbre, mais de presque toutes les especes d’acacia qui ont l’écorce astringente & rougeâtre, & de beaucoup d’autres plantes dont on peut tirer par l’ébullition un suc semblable. Tous ces sucs sont designés, ajoûte-t-il, dans ces pays-là sous le nom de kaath, quoiqu’ils soient bien différens en bonté & en vertu.

Il parle cependant d’un arbre qui porte le plus excellent & le meilleur kaath : cet arbre est nommé khier par les Indiens, khadira par les Brachmanes, tsaanra par les Golcondois, karanggalli fatti par les Malabares.

C’est une espece d’acacia épineux, branchu, dont les plus grandes branches sont couvertes d’une écorce blanchâtre cendrée. Les rameaux qui produisent des feuilles sont couverts d’une peau roussâtre, & ils sortent des plus grandes branches entre les petites épines, placées deux à deux, crochues & opposées. Les feuilles ailées, portées sur une côte, sont semblables à celles de l’acacia, mais plus petites. Cet auteur n’a pas vû les fleurs ni le fruit. On retire de cet arbre par la décoction, dans le royaume de Pégu, un suc dont on fait le kaath, si recherché dans toutes les Indes orientales.

L’arbre qui fournit le cachou est sur-tout l’Areca. En effet, quoi qu’en dise Hebert de Jager, l’arbre qu’on nomme areca est le plus célebre parmi ceux qui donnent l’extrait de kaath ou le cachou ; & c’est même le seul qui fournisse le vrai cachou, si l’on en croit les voyageurs qui méritent le plus de créance, & en particulier Jean Othon Helbigius, homme très-versé dans la connoissance des plantes orientales, & qui a fait un très-long séjour dans le pays.

Synonymes de cet arbre. Voilà donc la plante que nous cherchions : c’est un grand arbre des Indes orientales, qui croît seulement sur les bords de la mer & dans les terres sabloneuses, une espece de palmier qui porte les noms suivans dans nos ouvrages de Botanique ; palma cujus fructus sessilis Fausel dicitur, C. B. P. 510. Filfil & Fufel Avicen. Faufel, sive areca palmæ foliis, J. B. 1. 389. areca, sive Fauvel, Clus. Exot. 188. Pinung. Bont. caunga hort. Malab. où l’on en trouvera la figure très-exacte.

Sa description. Sa racine est noirâtre, oblongue, épaisse d’un empan, garnie de plusieurs petites racines blanchâtres & rousses ; son tronc est gros d’un empan près de la racine, & un peu moins vers son sommet ; son écorce est d’un verd gai, & si unie, qu’on ne peut y monter à moins qu’on n’attache à ses piés des crochets & des cordes, ou qu’on ne l’entoure par intervalles de liens faits de nattes, ou de quelqu’autre matiere semblable.

Les branches feuillées sortent du tronc en sautoir deux à deux ; celles qui sont au-dessus sortent de l’entre-deux des inférieures ; elles enveloppent par leur base le sommet du tronc, comme par une gaine ou une capsule ronde & fermée ; elles forment par ce moyen une tête oblongue au sommet, plus grosse que le tronc de l’arbre même.

Le pié des branches feuillées extérieurement se fend & se rompt, & elles tombent successivement l’une après l’autre : les branches feuillées sont composées d’une côte un peu creuse en-dessus, arrondie en-dessous, & de feuilles placées deux à deux & opposées, longues de trois ou quatre piés, larges de trois ou quatre pouces plus ou moins, pliées comme un éventail, vertes, & luisantes : au haut du tronc il sort de chaque aisselle de feuille une capsule en forme de gaîne, longue de quatre empans, plus ou moins, qui renferme les tiges chargées de fleurs & de fruits, concaves par où elles se rompent & s’ouvrent, d’un verd blanchâtre d’abord extérieurement, jaunâtre ensuite, & blanches en-dedans.

Les tiges qui sont renfermées dans ces gaînes sont les unes plus grosses, & chargées vers le bas de fruits tendres ; les autres sont plus grêles, & garnies des deux côtés de boutons de fleurs : ces boutons sont petits, anguleux, blanchâtres, s’ouvrant en trois pétales, roides, pointus, & un peu épais ; ils contiennent dans leur milieu neuf étamines grêles, dont trois sont plus longues, d’un jaune blanchâtre, qui sont entourées des six autres plus petites & plus jaunes.

Description du fruit arec. Les fruits encore tendres & mous sont blancs & luisans, attachés à des pédicules blancs, de figure anguleuse & non arrondis, renfermés pour la plus grande partie dans les feuilles du calice, qui sont ovalaires & entrelacées les unes avec les autres : ils contiennent beaucoup de liqueur limpide, d’un goût astringent, placée au milieu de la pulpe, qui s’augmente avec le tems ; & la liqueur diminue jusqu’à ce qu’il n’en reste plus : ensuite il naît une moelle blanchâtre, tandis que la pulpe s’endurcit, & l’écorce acquiert enfin la couleur de jaune doré.

Les fruits devenus assez gros, & n’étant pas encore secs, sont ovalaires, & ressemblent fort à des dattes : ils sont plus serrés aux deux bouts, & composés d’une écorce épaisse, lisse, membraneuse, & d’une pulpe d’un brun rougeâtre, qui devient en séchant fibreuse ou cotonneuse, & jaunâtre : la moelle, ou plûtôt le noyau ou la semence qui est au milieu, est blanchâtre.

Lorsque le fruit est sec, le noyau se sépare aisément de la pulpe fibreuse ; il est de la grosseur d’une aveline ou d’une muscade, le plus souvent en forme de poire, ou applati d’un côté & sans pédicule, convexe de l’autre, ridé, cannelé extérieurement ; d’une couleur rousse ou de canelle, d’une matiere dure, difficile à couper, panaché de veines blanchâtres, rousses & rougeâtres ; d’un goût un peu aromatique, & légerement astringent. C’est ce fruit que nous nommons proprement arec, & les Arabes fauvel.

Usages que les Indiens font de ce fruit. L’usage que les Indiens en font tous les jours, lui a donné une très grande réputation. Ils le mâchent continuellement, soit qu’il soit mou, soit qu’il soit dur, avec le lycium indien, ou le kaath, les feuilles de betel, & très peu de chaux. Ils avalent le suc ou la salive teinte de ces choses, & ils crachent le reste ; leur bouche alors paroît toute en sang, & fait peur à voir.

Ils ne manquent pas de l’employer comme une espece de régal dans les visites qu’ils se font. Leur maniere de le servir, est de le présenter en entier, ou coupé en plusieurs tranches. Lorsqu’on le présente entier, on sert en même tems un instrument propre à le couper, qui est une espece de ciseau, composé de deux branches mobiles arrêtées par une de leurs extrémités, & qui s’ouvre de l’autre. C’est par l’extrémité par laquelle le ciseau s’ouvre, que l’on presse l’arec, que l’on met entre ces deux branches pour le couper en autant de parties que l’on veut : & de ces deux branches il n’y en a qu’une, qui est la supérieure, destinée à couper ; l’inférieure ne sert que d’appui pour soûtenir cette semence dans le tems de l’effort que l’on fait par l’abaissement de la partie supérieure du ciseau.

Lorsqu’on le sert coupé en tranches, c’est ordinairement sur des feuilles de betel dans lesquelles on enveloppe ces morceaux, après les avoir auparavant couverts d’une couche légere de chaux, propre à se charger du suc de l’arec & du betel, quand on les mâche, pour en faire conserver plus longtems dans la bouche une saveur agréable.

Préparations du cachou. Je viens à la maniere de préparer l’extrait d’areca ; la voici, selon que le rapporte Hebert de Jager dans les Ephémerides des curieux de la nature, decur. II. an. 3.

On coupe en deux ou en trois morceaux la noix d’areca ou faufel avant qu’elle soit tout-à-fait mûre, & lorsqu’elle est encore verte, & on la fait bouillir dans de l’eau, en y ajoûtant un peu de chaux de coquillages calcinés pendant l’espace de quatre heures, jusqu’à ce que les morceaux de cette noix ayent contracté une couleur d’un rouge obscur. La chaux y sert beaucoup. Alors on passe cette décoction encore chaude ; & lorsqu’elle est refroidie, on la sépare un peu de la matiere épaisse & de la lie qui va au fond du vaisseau. Cette lie étant épaisse, s’appelle aussi kaath, & on l’employe de la même maniere que l’extrait appellé cate. Mais pour rendre cet extrait plus excellent, ils y ajoûtent l’eau de l’écorce encore verte du tsianra, ou de l’acacia, dont nous avons parlé, qu’ils pilent & font macérer pendant trois jours. Enfin, lorsque ce suc est épaissi, ils l’exposent au soleil sur des nattes, & ils le réduisent en petites masses ou en pastilles.

Les grands du pays & les riches ne se contentent pas de ce cachou : ils y mêlent du cardamome, du bois d’aloès, du musc, de l’ambre, & d’autres choses, pour le rendre plus agréable & plus flatteur au goût. Telle est la composition de quelques pastilles que l’on prépare dans les Indes, qui sont rondes, plates, de la grosseur d’une noix vomique, que les Hollandois apportent en Europe sous le nom de siri gata gamber.

Telles sont aussi des pastilles noires qui ont différentes figures, tantôt rondes comme des pilules, tantôt comme des graines, des fleurs, des fruits, des mouches, des insectes, tantôt comme des crotes de souris, &c. que les Portugais sont dans la ville de Goa, & que les François méprisent à cause de leur violente odeur aromatique. Mais comme les nations qui fabriquent ces pastilles, sont fort trompeuses, il leur arrive souvent d’y mêler d’autres corps étrangers, pour en augmenter le poids & le volume ; desorte qu’il est rare d’en voir sortir de pures de leurs mains.

Pour ce qui est du cachou simple, naturel, & sans aromates, qui passe en Europe, & que nous recherchons le plus ; c’est un pur extrait de l’arec fait sur les lieux, & rendu solide par l’évaporation de toute l’humidité que cet extrait contenoit.

On coupe les graines d’arec vertes, en tranches ; on les met bouillir dans l’eau, jusqu’à ce que cette eau soit chargée d’une forte teinture rouge-brune ; on passe cette décoction, qu’on fait évaporer jusqu’à consistance d’extrait, auquel on donne telle forme que l’on veut, & qui se durcit bientôt après.

Effets de l’arec quand il est verd. Garcias & Bontius assûrent que si l’on mâche l’arec verd, il cause une espece de vertige & d’ivresse semblable à celle que cause le vin, mais qu’on dissipe bientôt en prenant un peu de sel & d’eau fraîche : quand ce fruit est mûr ou cuit, il ne fait point le même effet, il n’en produit que de salutaires ; & je ne crois pas vraissemblable qu’il tire son seul mérite de la mode, de l’habitude, & de la volupté.

Vertus médicinales du cachou. Les Orientaux l’employent continuellement contre la puanteur de l’haleine, pour raffermir les gencives, pour aider la digestion, pour arrêter le vomissement, la diarrhée, la dyssenterie ; & les relations de nos voyageurs, de Garcie, de Linschot, de Bontius, de Clever, d’Herman, d’Helbigius, conviennent de son efficace dans tous ces cas.

Par l’usage que nous en avons fait en Europe, nous y avons remarqué à peu près les mêmes propriétés ; nous avons trouvé que le cachou naturel est bon pour raffermir les gencives, pour l’angine aqueuse, pour dissiper les catarrhes, pour appaiser la toux qui vient d’une pituite acre, pour arrêter les flux de ventre qui viennent du relâchement de l’estomac & des intestins, & autres maladies semblables.

Si nous pénétrons jusques dans les principes qui peuvent opérer ces effets, il semble que ce soit à l’astriction dont cette drogue est principalement douce, que l’on doive ses vertus.

Effectivement, c’est par cette astriction que l’estomac plus capable de retenir les alimens, est en état de les mieux digérer ; ce qui est le vrai remede de la plupart des diarrhées qui ont pour cause la foiblesse de ce viscere.

C’est par cette même astriction, que réunissant les principes du sang qui étoient divisés, elle peut arrêter la dyssenterie, & les fluxions dans lesquelles le sang ou sa sérosité s’épanchent avec trop de facilité.

Le caractere spécifique du cachou est donc d’être comme un composé des sucs d’hypocistis & d’acacia, desquels il a l’astriction ; & par sa douceur, il approche de celle de la réglisse & du sang-dragon, ensorte qu’il réunit en soi les vertus de ces différens sucs, en modifiant ce qu’ils ont de trop astringent ou de trop difficile à dissoudre, dans l’eau simple.

Nous pouvons le disputer aux Indiens par rapport aux différentes préparations que nous donnons au cachou pour le rendre plus agréable. On le dissout dans l’eau simple, qui dans peu de tems se charge de ses parties les plus pures ; on la coule, on laisse évaporer la colature, & l’on ne trouve au fond du vase qu’un extrait rouge-brun, qui est ce cachou purifié, auquel on ajoûte les aromates les plus convenables au goût de chacun, quelquefois même le sucre, pour en corriger cette amertume qui ne prévient pas d’abord en sa faveur.

Les formes sous lesquelles on le réduit, sont celles ou de pilules, ou de pastilles, ou de tablettes, pour s’accommoder aux goûts des diverses personnes qui en font usage : l’ambre-gris, dont l’odeur est utile à ceux qui ont l’haleine mauvaise, s’y retranche ordinairement pour les dames à qui elle pourroit causer des vapeurs. On le donne en substance sous la forme de pilules, de pastilles, ou de tablettes, depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme.

Son usage, sous quelqu’une de ces formes que ce soit, convient le matin à jeûn, avant & après le repas, & dans tous les cas où l’on veut faciliter la digestion, qui manque par l’affoiblissement de l’estomac, ou par l’acide qui domine dans les premieres voies.

Enfin, une qualité particuliere par laquelle le cachou se fait distinguer des autres drogues avec lesquelles il a quelque analogie, est, qu’au lieu que celles-ci se déguisent aisément par le mélange des autres ingrédiens que l’on y joint, le cachou le fait toûjours reconnoître, dans quelque composition où on le fasse entrer.

Je ne dois pas oublier un avantage que l’on peut tirer du cachou, en faveur de ceux qui ont de la répugnance pour les tisanes, & pour la commodité de ceux qui veulent faire sur le champ une boisson convenable dans les dévoiemens, dans les fievres bilieuses, dans les maladies provenantes d’une abondance de sérosités acres, &c. c’est que la quantité d’un ou deux gros de cette substance, jettée dans demi-pinte d’eau, lui donnera une teinture rougeâtre, une saveur douce & un peu astringente, telle qu’il convient dans ces occasions.

Il me paroît que l’on n’a rien à craindre d’une trop grande dose du cachou ; car l’on peut en retenir continuellement de petits morceaux dans la bouche, & en substituer de nouveaux à ceux qui sont dissous, sans accident fâcheux. Il faut observer que plus les morceaux sont petits, plus ils paroissent agréables au goût. On en prend de la grosseur d’une graine d’anis ou de coriandre.

Teinture de cachou. Wedelius en tire une teinture de la maniere suivante. ♃ cachou en poudre quantité suffisante ; versez dessus six ou huit fois autant d’esprit de vin rectifié : digerez. On retire une très-belle teinture, que l’on sépare de la lie, en la versant peu à peu, & on la garde pour l’usage ; la dose est depuis 20 gouttes jusqu’à 60.

On employe heureusement cette teinture dans la cachexie & autres maladies de fibres lâches, où les astringens conviennent. On peut s’en servir en gargarisme dans un véhicule propre, pour le scorbut, pour raffermir les dents & les gencives, & pour adoucir l’haleine.

Pastilles de cachou. ♃ cachou, une drachme ; sucre royal, une once : réduisez-les en poudre fine. M. avec du mucilage de gomme adraganth, & une goutte ou deux d’huile de canelle. Faites des pastilles, que l’on tiendra dans la bouche, dans les toux catarrhales.

Opiate de cachou. ♃ cachou, trois onces ; corail rouge préparé, deux drachmes ; sirop de coing, quantité suffisante. M. F. un opiat. La dose est une drachme trois ou quatre fois le jour, dans la superpurgation, la diarrhée, & la dyssenterie.

Julep de cachou. ♃ cachou, une drachme ; diacode, trois onces ; sirop de roses seches, une once ; eau de pourpier, de laitue, ana quatre onces : faites-en un julep dans le crachement de sang, ou la dyssenterie.

Looch de cachou. ♃ cachou en poudre, deux drachmes ; mucilage de gomme adraganth, trois onces ; sirop de grande consoude, une once : M. & faites-en un looch, contre la toux provenante de pituite acre, qui tombe sur le poumon.

Tout medecin peut changer, combiner, amplifier ces sortes de formules à son gré, & les employer dans les occasions. Je ne les ai indiquées que parce que je mets le cachou au rang des bonnes drogues qui ont le moins d’inconvéniens.

Choix du cachou. Il faut le choisir pesant, d’un rouge tanné au-dessus, point brûlé, & très-luisant. On l’apporte de Malabar, de Surate, de Pégu, & des autres côtes des Indes.

Notre cachou paroît un extrait du seul areca. Parmi celui que nous recevons, il se trouve des morceaux de différentes couleurs & figures ; les uns sont formés en boules, & d’autres en masses applaties plus ou moins grosses ; de plus, il y en a de pur qui se fond promptement dans la bouche, & d’autre plus grossier, plus amer, terreux, sablonneux, brûlé. Ces différences ont porté plusieurs auteurs de matiere médicale, à distinguer deux sortes de cachou, qu’ils ont imaginé être des sucs extraits de différentes plantes ; cependant toutes les différences dont on vient de parler, ne semblent qu’accidentelles, & peuvent venir de diverses préparations d’un seul & même fruit.

En effet, suivant l’observation de M. de Jussieu, la différence des couleurs de l’intérieur & de l’extérieur des masses, peut ne dépendre que du plus ou du moins de cuisson du suc extrait, qui ayant été exposé au feu & au soleil pour être désseché, a reçu à l’extérieur plus d’impression de feu qu’à l’intérieur.

Il ne faut d’ailleurs qu’un peu d’expérience sur les différens effets qu’est capable de produire le plus ou le moins de maturité dans les fruits & les semences dont on extrait ces sucs, pour juger de la cause de cette diversité de couleur dans les différentes masses de cachou qui nous sont apportées des Indes.

Le plus ou le moins de sécheresse de l’arec peut aussi contribuer à rendre ces morceaux de cachou plus ou moins terreux, & à les faire paroître plus ou moins résineux ; puisqu’il est impossible qu’à proportion de l’un de ces deux états dans lequel cette semence aura été employée, il n’y ait plus ou moins de fécules, dont la quantité le rendra plus terrestre & plus friable ; il sera au contraire plus compact, plus pesant, moins cassant, & paroîtra plus résineux, plus il y aura d’extrait gommeux.

Le sable, les petites pierres, & corps étrangers qu’on trouve dans quelques morceaux & non dans d’autres, sont l’effet de la malpropreté & du manque de soin dans la préparation.

Enfin la couleur & la saveur de l’arec, qui se rencontrent dans l’un & l’autre cachou, paroissent indiquer qu’ils ne tirent leur origine que de ce seul & même fruit, & que tous les autres accidens qu’on a détaillés ne dépendent que de la préparation.

Cependant je n’oserois nier qu’il n’y ait d’autre cachou dans le monde que celui qu’on retire de l’arec ; il n’est pas même vraissemblable que ce seul fruit puisse suffire à la quantité prodigieuse qu’on débite de cette drogue aux Indes ; & il est à présumer que leur extrait kaath est un suc tiré non-seulement du fruit de l’arec, mais de beaucoup d’autres fruits ou plantes, dont on tire par l’ébullition un suc qui lui est analogue.

Le cachou n’est point le lycium Indien des Grecs. Il ne me reste plus qu’à examiner si le cachou est la même chose que le lycium Indien de Dioscoride ; on a grand sujet d’en douter.

L’illustre medecin d’Anazarbe, Galien, & Pline, ont fait mention de deux sortes de lycium ; savoir, de celui de Cappadoce, & de celui des Indes. Le premier étoit un suc tiré d’un certain arbre épineux, dont les branches ont trois coudées de long, & même plus ; son écorce est pâle ; ses feuilles sont semblables à celles du bouis ; elles sont touffues : son fruit est noir comme le poivre, luisant, amer, compact ; ses racines sont nombreuses, obliques, & ligneuses. Cet arbre croît dans la Cappadoce, la Lycie, & plusieurs autres endroits. Les Grecs l’appelloient λύκιον & πυξάκανθα

On préparoit le lycium, ou cet extrait, avec les rameaux & les racines que l’on piloit : on les macéroit ensuite pendant plusieurs jours dans l’eau, & enfin on les faisoit bouillir. Alors on rejettoit le bois ; on faisoit bouillir de nouveau la liqueur jusqu’à la consistance de miel.

On en faisoit de petites masses noires en-dehors, rousses en-dedans lorsqu’on venoit de les rompre, mais qui se noircissoient bientôt ; d’une odeur qui n’étoit point du-tout puante ; d’un goût astringent avec un peu d’amertume. On avoit aussi coûtume de faire un lycium, que l’on exprimoit & que l’on faisoit sécher.

L’autre lycium, ou celui des Indes, étoit de couleur de safran ; il étoit plus excellent & plus efficace que le précédent. On dit, ajoûte Dioscoride, que l’on fait ce lycium d’un arbrisseau qui s’appelle lonchitis.

Il est aussi du genre des arbres à épines ; ses branches sont droites ; elles ont trois coudées, ou même plus ; elles sortent en grand nombre de la racine, & sont plus grosses que celles de l’églantier : l’écorce devient rousse après qu’on l’a brisée ; les feuilles paroissent semblables à celles de l’olivier.

Ces descriptions ne conviennent point du-tout avec celles que Garcias & Bontius font du caté, ou avec celle que Herbert de Jager fait de l’acacia Indien, ni avec celle que nous avons donnée du palmier areca ; d’où nous pouvons conclurre avec Clusius & Veslingius, que nous n’avons pas le lycium Indien des Grecs. On ne trouve plus dans les boutiques le lycium de Cappadoce.

Auteurs sur le cachou. J’ai lû sur le cachou quantité de relations de voyageurs, qui m’ont paru la plûpart infideles ; le Traité d’Hagendorn, imprimé en Latin à Genes en 1679, in 8°, qui est une fort médiocre compilation ; plusieurs Dissertations d’Allemagne, qui n’ont rien de remarquable ; les Ephémerides des curieux de la nature, qui ont du bon & du mauvais ; un Mémoire de M. Bouldue, dans le recueil de l’Académie des Sciences, qui ne renferme rien de particulier ; un autre de M. de Jussieu, qui est intéressant ; l’article qu’en a donné M. Geoffroi dans sa Matiere médicale, qui est excellent, & dont j’ai fait le plus d’usage. Enfin j’ai beaucoup travaillé ce sujet pour m’en instruire & pour en parler avec quelque connoissance. Article communiqué par M. le chevalier de Jaucourt.