L’Encyclopédie/1re édition/BYSSE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 471-472).
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BYSSE ou BYSSUS. Voyez Byssus.

Bysse, (Hist. des Arts.) Il est singulier que ce mot soit le même en Hébreux, en Grec, en Latin, & en François, sans qu’on connoisse précisément ce qu’il désigne. On sait seulement que c’est le nom de la matiere qui servoit au tissu des plus riches habillemens. Il en est beaucoup parlé dans les auteurs prophanes & dans l’Écriture : (Ezechiel, xxvij. 16. I. liv. Paralip. xv. 27. Esther, viij. 15. &c.) on y lit que David avoit un manteau de bysse, aussi bien que tous les chantres & tous les lévites ; surquoi la plûpart des Naturalistes prétendent que ce bysse étoit la soie des pinnes-marines, ou de l’huître perliere mise en œuvre. Voyez Pinne-marine.

Quelqu’amusante que soit cette idée, il est difficile de se persuader que du tems de David & de Salomon, la soie du poisson pinne ait été assez commune dans ces pays-là, pour qu’un si grand nombre de gens pussent en avoir des manteaux ; ce qui est certain, c’est que le bysse dont il s’agit ici, étoit différent du lin ordinaire.

Le passage de S. Luc, chap. xvj. 19. où il est dit dans notre édition Latine, conformement au Grec, que le mauvais riche étoit vêtu de pourpre & de bysse, n’embarrasse pas moins les interpretes du Nouveau Testament.

Il est d’abord incontestable que toutes les versions Espagnole, Italienne, Françoise, ou autres, qui pour s’accommoder à nos usages modernes, ont traduit qui étoit vêtu de pourpre & de soie, s’éloignent également de l’exactitude & du vrai. En effet le byssus étoit une toute autre matiere que notre soie, comme on peut le prouver évidemment par un grand nombre d’anciens écrivains, & pour abreger, par le seul dictionnaire de Pollux, liv. VII. chap. xvij.

On ne sauroit approuver davantage la traduction des Jésuites, qui s’habilloit d’écarlate & de toile fine, parce que byssus ne signifie point une toile fine dans le sens que nous attachons au mot de toile.

MM. de Port-Royal ont rendu plus exactement le terme Grec, qui étoit vêtu de pourpre & de lin ; mais ils n’en ont pas dit assez, car il s’agit ici nécessairement de quelque chose qui est au-dessus du simple lin.

M. Simon l’a bien vû ; aussi a-t-il traduit, qui se vêtoit de pourpre & de fin lin. Il appuie sa traduction d’une très-bonne note. « Il y avoit, dit-il, une espece de fin lin qui étoit fort cher, & dont les plus grands seigneurs se vêtoient en ce pays-là, & dans l’Egypte. Ce riche en avoit un habit de couleur de pourpre ».

MM. de Beausobre & Lenfant ont traduit de même, qui alloit vêtu de pourpre & de lin très-fin ; c’est-à-dire, ajoûtent-ils dans leurs notes, d’une étoffe de lin fin teinte en pourpre.

Ceci s’accorde parfaitement avec Pline, qui assûre que le bysse étoit une espece de lin très-fin. Pausanias dit la même chose, & remarque que dans toute la Grece, il ne croissoit de bysse qu’en Elide. Plusieurs modernes sont du même avis, & en particulier Bochart, qui remarque que le byssus étoit un lin fort fin, qu’on teignoit souvent en pourpre. On peut aussi consulter le vocabulaire Grec de Hésychius, & Leydekker dans sa république des Hébreux.

Ceux qui soûtiennent que le byssus n’étoit autre chose qu’une toile de coton fort fine, connue seulement aux Indes, & par conséquent très-chere dans les autres pays, s’appuient du récit de Philostrate, qui raconte qu’Apollonius de Tyane étant aux Indes, observa que tout le byssus dont on se servoit en Egypte, venoit uniquement des Indes. Mais l’autorité de Philostrate, auteur d’un vrai roman fait sous le titre de la vie d’Apollonius de Tyane, ne sauroit détruire des témoignages formels, qui prouvent qu’il y avoit d’autre bysse que celui des Indes.

Enfin Philon assûre (Philo, de Somnüs, pag. 597. édit. in-fol.) que le byssus est de tous les lins le plus beau, le plus blanc, & le plus fort ; qu’il n’est point tiré d’une chose mortelle, mais de la terre, & qu’il devient toûjours plus blanc & plus brillant lorsqu’on le lave comme il faut. Voilà donc l’amiante ou le lin incombustible, sous le nom de byssus dans Philon.

S’il est permis de dire notre sentiment après tant d’habiles critiques qui ont tâché d’éclaircir ce que l’on doit entendre par le byssus des anciens, nous croyons pouvoir conjecturer avec vraissemblance, que ce mot est un terme générique, qui signifie dans leurs écrits une matiere rare ; tirée du regne végétal & même minéral, en divers lieux & en divers pays, de laquelle matiere ils faisoient diverses étoffes riches & précieuses. Il y avoit le bysse des Indes, d’Egypte, de Grece, comme nous avons de la porcelaine de divers pays.

Nous ne doutons point encore que sous ce nom, les anciens n’ayent confondu les cotons, les oüattes, en un mot tout ce qui se filoit, & qui étoit d’un plus grand prix que la laine.

Mais s’il est certain qu’il y avoit chez les anciens du bysse tiré du regne végétal, il y a tout lieu de penser qu’ils tiroient aussi du byssus des pinnes-marines. Que dis-je, de penser ? Aristote l’assûre positivement ; car il nomme byssus, la soie de ces coquilles.

On a connu de tout tems l’art de la filer ; ainsi l’on ne peut douter qu’elle n’ait été souvent employée pour les habits des grands seigneurs, dans des siecles où la soie n’étoit que très-peu connue, & ne se voyoit que rarement.

En effet ce byssus de coquillage, quoique filé grossierement, paroît beaucoup plus beau que la laine, & approche assez de la soie : on en fait encore à présent des bas, & d’autres ouvrages qui seroient plus recherchés si la soie étoit moins commune.

Pour filer cette sorte de byssus, on le laisse quelques jours dans la cave pour l’humecter & le ramollir ; ensuite on le peigne pour en séparer la bourre & les autres ordures qui y sont attachées ; enfin on le file comme on fait la soie.

Si je connoissois quelque ouvrage, quelque traité particulier sur le byssus des anciens ; j’y renvoyerois les curieux. Voyez cependant l’article Byssus. (Le chevalier de Jaucourt.)