L’Encyclopédie/1re édition/BETELE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 216).

* BETELE, betela-codi, Hort. Malab. BETRE ou TEMBOUL ; plante qui grimpe & qui rampe comme le lierre. Planche XXIX. Hist. nat. figure 3. Ses feuilles sont assez semblables à celles du citronnier, quoique plus longues & plus étroites à l’extrémité : elles ont des petites cotes qui s’étendent d’un bout à l’autre, comme il y en a dans celles du plantain. Le fruit A du betele est assez semblable à la queue d’un lésard ou d’un loir : ce fruit est rare, & on le préfere à la feuille. On cultive cette plante comme la vigne, & on lui donne des échalas pour la soûtenir ; quelquefois on la joint à l’arbre qui porte l’areque, ce qui fait un ombrage fort agréable. Le bétele croît dans toutes les Indes orientales, & sur-tout sur les côtes de la mer. Il n’y en a point dans les terres, à moins qu’on ne l’y ait planté.

Les Indiens mâchent des feuilles de bétele à toute heure du jour, & même de la nuit : mais comme ces feuilles sont ameres, ils corrigent cette amertume en les mêlant avec de l’areque & un peu de chaux, qu’ils enveloppent dans la feuille. D’autres prennent avec le bétele des trochisques, qui portent le nom de câte : ceux qui sont plus riches, y mêlent du camfre de Borneo, du bois d’aloès, du musc, de l’ambre gris, &c. Le bétele, ainsi préparé, est d’un si bon goût, & a une odeur si agréable, que les Indiens ne peuvent pas s’en passer ; presque tous en usent, au moins ceux qui peuvent s’en procurer. Il y en a aussi qui mâchent de l’areque avec de la canelle & du girofle : mais c’est ordinairement de l’areque avec un peu de chaux enveloppée dans la feuille de bétele, comme nous l’avons déjà dit. Ils crachent après la premiere mastication une liqueur rouge, qui est teinte par l’areque. Ils ont par l’usage du bétele, l’haleine fort douce & d’une très-bonne odeur, qui se répand au point de parfumer la chambre où ils sont. On prétend que sans l’usage du bétele ou d’autres aromates, ils auroient naturellement l’haleine fort puante : mais cette mastication gâte leurs dents, les noircit, les carie & les fait tomber : il y a des Indiens qui n’en ont plus à 25 ans, pour avoir fait excès du bétele.

Lorsqu’on se quitte pour quelque tems, on se fait présent de bétele, que l’on offre dans une bourse de soie ; & on ne croiroit pas avoir son congé, si on n’avoit reçû du bétele. On n’ose pas parler à un homme élevé en dignité, sans avoir la bouche parfumée de bétele : il seroit même impoli de parler à son égal sans avoir pris cette précaution, qui empêche la mauvaise odeur qui pourroit venir de la bouche ; & si par hasard un homme se présente sans avoir mâché du bétele, il a grand soin de mettre sa main devant sa bouche en parlant, pour intercepter toute odeur desagréable ; ce qui prouve bien que les Indiens sont suspects de mauvaise haleine. Les femmes, & sur-tout les femmes galantes, font grand usage du bétele, & le regardent comme un puissant attrait pour l’amour. On prend du bétele après le repas pour ôter l’odeur des viandes ; on le mâche tant que durent les visites ; on en tient à la main ; on s’en offre en se saluant & à toute heure : enfin toûjours du bétele. Cela ne vaudroit-il pas mieux que notre tabac, au moins pour l’odeur ; & si les dents s’en trouvoient mal, l’estomac en seroit plus sain & plus fort. Il y a dans ce pays-ci plus de gens qui manquent par l’estomac que par les dents. Ray, hist. pl. app. p. 1913.