L’Encyclopédie/1re édition/BESANÇON

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 212-213).
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* BESANÇON, (Géog.) ville de France, capitale de la Franche-Comté ; elle est divisée en haute & basse ville. Long. 23. 44. lat. 47. 18.

Il y a à cinq lieues de Besançon une grande caverne creusée dans une montagne, couverte par le dessus de chênes & d’autres grands arbres, dont on trouve trois récits dans les Mémoires de l’Académie ; l’un dans les anciens Mémoires, tom. II. le second dans le recueil de 1712, & le troisieme dans celui de 1726. Nous invitons les lecteurs crédules de les parcourir tous les trois ; moins pour s’instruire des particularités de cette grotte qui ne sont pas bien merveilleuses, que pour apprendre à douter. Quoi de plus facile que de s’instruire exactement de l’état d’une grotte ? Y a-t-il quelque chose au monde sur quoi il soit moins permis de se tromper, & d’en imposer aux autres ? Cependant la premiere relation est fort chargée de circonstances ; on nous assûre, par exemple, qu’on y accourt en été avec des charriots & des mulets qui transportent des provisions de glace pour toute la province ; que cependant la glaciere ne s’épuise point, & qu’un jour de grandes chaleurs y reproduit plus de glaces qu’on n’en enleve en huit jours ; que cette prodigieuse quantité de glace est formée par un petit ruisseau qui coule dans une partie de la grotte ; que ce ruisseau est glacé en été ; qu’il coule en hyver ; que quand il regne des vapeurs dans ce soûterrain, c’est un signe infaillible qu’il y aura de la pluie le lendemain ; & que les paysans d’alentour ne manquent pas de consulter cette espece singuliere d’almanach, pour savoir quel tems ils auront dans les différens ouvrages qu’ils entreprenent.

Cette premiere rélation fut confirmée par une seconde ; & la grotte conserva tout son merveilleux, depuis 1699 jusqu’en 1712, qu’un professeur d’Anatomie & de Botanique à Besançon y descendit. Les singularités de la grotte commencerent à disparoître ; mais il lui en resta encore beaucoup : le nouvel observateur loin de contester la plus importante, la formation de la glace, d’autant plus grande en été, qu’il fait plus chaud, en donne une explication, & prétend que les terres du voisinage, & sur-tout celles de la voute, sont pleines d’un sel nitreux, ou d’un sel ammoniac naturel ; & que ce sel mis en mouvement par la chaleur de l’été, se mêlant plus facilement avec les eaux qui coulent par les terres & les fentes du rocher, pénetre jusque dans la grotte ; ce mêlange, dit M. de Fontenelle, les glace précisément de la même maniere que se font nos glaces artificielles ; & la grotte est en grand, ce que nos vaisseaux à faire de la glace sont en petit. Voilà, sans contredit, une explication très-simple & très-naturelle ; c’est dommage que le phénomene ne soit pas vrai.

Un troisieme observateur descendit quatre fois dans la grotte, une fois dans chaque saison, y fit des observations, & acheva de la dépouiller de ses merveilles. Ce ne fut plus en 1726, qu’une cave comme beaucoup d’autres ; plus il fait chaud au-dehors, moins il fait froid au-dedans : non-seulement les eaux du ruisseau ne se glacent point en été, & ne se dégelent point en hyver, mais il n’y a pas même de ruisseau ; les eaux de la grotte ne sont que de neige ou de pluie ; & de toutes ses particularités, il ne lui reste que celle d’avoir presque sûrement de la glace en toute saison.

Qui ne croiroit sur les variétés de ces relations, que la grotte dont il s’agit étoit à la Cochinchine, & qu’il a fallu un intervalle de trente à quarante ans, pour que des voyageurs s’y succédassent les uns aux autres, & nous détrompassent peu à peu de ses merveilles ? cependant il n’est rien de cela ; la grotte est dans notre voisinage ; l’accès en est facile en tout tems ; ce ne sont point des voyageurs qui y descendent ; ce sont des philosophes, & ils nous en rapportent des faits faux, des préjugés, de mauvais raisonnemens, que d’autres philosophes reçoivent, impriment, & accréditent de leur témoignage.