L’Encyclopédie/1re édition/AUTEL

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 893-894).
AUTEUR  ►

AUTEL, s. m. (Hist. anc. mod. & Théol.) espece de table de bois, de pierre ou de métal, élevée de quelques piés au-dessus de terre, sur laquelle on sacrifie à quelque divinité. Voyez Sacrifice.

Les Juifs avoient un autel d’airain pour les holaucaustes, & un d’or sur lequel ils brûloient l’encens. Voyez Tabernacle, &c.

Chez les Romains l’autel étoit une espece de piédestal quarré, rond, ou triangulaire, orné de sculpture, de bas-reliefs & d’inscriptions, sur lequel ils brûloient les victimes qu’ils sacrifioient aux idoles. Voyez Victime.

Servius nous apprend que les autels des dieux célestes & supérieurs étoient exhaussés & construits sur quelqu’édifice relevé ; & que ce fut pour cela qu’on les appella altaria, composé de alta & ara, qui signifient autel élevé. Ceux qu’on destinoit aux dieux terrestres étoient posés à rase terre, & on les appelloit aræ ; & pour les dieux infernaux, on fouilloit la terre, & on y faisoit des fosses qu’on appelloit βόθροιλάκκοι, scrobiculi.

Mais cette distinction ne paroît pas suivie. Les meilleurs auteurs se servent fréquemment d’ara, comme d’un terme générique sous lequel ils comprennent également les autels des dieux célestes, terrestres & infernaux : témoin Virgile, Eclog. V.

En quatuor aras.

où assûrément altaria est bien compris dans aræ ; car il est question entr’autres de Phœbus, qui étoit un dieu céleste. De même Cicéron, pro Quint. Aras delubraque Hecates in Græciâ vidimus.

Les Grecs distinguoient aussi deux sortes d’autels ; l’un sur lequel ils sacrifioient aux dieux, qu’ils appelloient βῶμος, & qui étoit un véritable autel : l’autre, sur lequel ils sacrifioient aux héros, qui étoit plus petit, & qu’ils appelloient ἔσχαρα. Pollux fait cette distinction des deux sortes d’autels usités chez les Grecs, dans son Onomasticon : il ajoûte cependant que quelquefois les poëtes employoient le mot ἔσχαρα, pour exprimer l’autel sur lequel on sacrifioit aux dieux. Les Septante employent aussi le mot ἔσχαρα, pour un autel bas, qu’on pourroit exprimer en Latin par craticula ; attendu que c’étoit plûtôt une espece d’âtre ou foyer qu’un autel.

Varron dit qu’au commencement les autels étoient portatifs, & consistoient en un trépié sur lequel on mettoit du feu pour brûler la victime. Les autels étoient communément dans les temples ; cependant il y en avoit de placés en plein air, soit devant la porte des temples, soit dans le péristyle des palais des princes. Dans les grands temples de l’ancienne Rome il y avoit ordinairement trois autels : le premier étoit dans le sanctuaire, & au pié de la statue du dieu ; on y brûloit l’encens, les parfums, & l’on y faisoit les libations : le second étoit devant la porte du temple, & on y offroit les sacrifices : le troisieme étoit un autel portatif, nommé anclabris, sur lequel on posoit les offrandes & les vases sacrés. On juroit par les autels & sur les autels ; & ils servoient d’asyle aux malheureux. Lorsque la foudre tomboit en quelque lieu, on y élevoit un autel en l’honneur du dieu qui l’avoit lancée : Deo fulguratori aram & locum hunc religiosum ex aruspicum sententiâ, Quint. Pub. Front. posuit, dit une ancienne inscription. On en élevoit aussi pour conserver la mémoire des grands évenemens, comme il paroît par divers endroits de l’Ecriture.

Les Juifs donnoient aussi le nom d’autels à des especes de tables qu’ils dressoient au milieu de la campagne, pour sacrifier à Dieu. C’est de ces autels qu’il faut entendre plusieurs passages où on lit : En cet endroit il édifia un autel au Seigneur.

Il faut pourtant observer que ces autels ainsi dressés en pleine campagne pour sacrifier, n’ont été permis que dans la loi de nature ; car dans celle de Moyse il ne devoit y avoir pour tout le peuple d’Israël qu’un autel pour offrir des victimes ; & c’étoit celui des holocaustes qui étoit d’abord dans le tabernacle, aussi bien que l’autel des parfums : car on lit au chap. xxij. du livre de Josué, que les tribus de Ruben, de Gad, & la demi-tribu de Manassé qui en dresserent d’autres, furent obligées de se disculper, en remontrant qu’elles ne les avoient pas érigés pour sacrifier, mais seulement pour servir de monument. Il y eut dans le temple de Salomon, comme dans le tabernacle, deux autels, l’un pour les holocaustes, & l’autre pour les parfums. C’étoit violer la loi dans un point capital, que d’offrir des sacrifices en tout autre endroit : aussi les autels que Jeroboam érigea à Samarie, & ceux que les Juifs, à l’exemple de quelques-uns de leurs rois, éleverent sur les hauts lieux, furent en abomination aux yeux de Dieu.

Autel, parmi les Chrétiens, se dit d’une table quarrée, placée ordinairement à l’orient de l’église, pour y célébrer la messe. Voyez Eucharistie.

L’autel des Chrétiens ne ressemble pour sa construction, ni à ceux des Payens, ni à ceux des Juifs : mais il est fait comme une table, parce que l’eucharistie fut instituée par J. C. à un souper, & sur une table : ainsi on pourroit l’appeller, comme on fait en effet en quelques endroits, table de communion. Voy. Communion.

Ce n’est pas que le nom d’autel n’y convienne aussi ; car l’eucharistie étant véritablement un sacrifice, la table sacrée sur laquelle se consomme ce mystere est bien aussi véritablement un autel. Voyez Messe.

Dans la primitive Eglise les autels n’étoient que de bois, & se transportoient souvent d’une place à une autre : mais un concile de Paris de l’an 509 défendit de construire à l’avenir des autels d’autre matiere que de pierre.

Dans les premiers siecles il n’y avoit qu’un seul autel dans chaque église : mais le nombre en augmenta bientôt ; & nous apprenons de S. Grégoire le grand, qui vivoit dans le sixieme siecle, que de son tems il y en avoit douze & quinze dans certaines églises. A la cathédrale de Magdebourg il y en a quarante-neuf.

L’autel n’est quelquefois soûtenu que par une seule colonne, comme dans les chapelles soûterraines de sainte Cécile à Rome, & ailleurs : quelquefois il l’est par quatre colonnes, comme l’autel de S. Sébastien, in Crypta arenaria : mais la méthode la plus ordinaire est de poser la table d’autel sur un massif de pierre.

Ces autels ressemblent en quelque chose à des tombeaux : & en effet nous lisons dans l’histoire de l’Eglise, que les premiers Chrétiens tenoient souvent leurs assemblées aux tombeaux des martyrs, & y célébroient les saints mysteres. C’est de-là qu’est venu l’usage qui s’observe encore à présent, de ne point bâtir d’autel sans mettre dessous quelque relique de saint. Voyez Relique, Saint, Cimetiere.

L’usage de la consécration des autels est assez ancien, & la cérémonie en est réservée aux évêques. Depuis qu’il n’a plus été permis d’offrir que sur des autels consacrés, on a fait des autels portatifs, pour s’en servir dans les lieux où il n’y avoit point d’autels consacrés. Hincmar & Bede en font mention. Les Grecs se servent à la place d’autels de linges benis, qu’ils nomment ἀντιμήνσια, c’est-à-dire, qui tiennent lieu d’autel.

Autel de prothese, altare protheis, est un petit autel préparatoire sur lequel les Grecs bénissent le pain avant que de le porter au grand autel, où se fait tout le reste de la célébration.

Cet autel a beaucoup de rapport avec ce que nous appellons dans nos églises crédence.

Le pere Goar prétend que cette table de prothese étoit anciennement dans la sacristie, ou le vestiaire ; & son sentiment paroît appuyé par quelques manuscrits Grecs, où en effet le mot sacristie est employé au lieu de celui de prothese. Voyez Sacristie.

Autel se trouve aussi employé dans l’Histoire ecclésiastique, pour signifier les oblations ou les revenus casuels de l’église. Voyez Oblation.

Dans les premiers tems on mettoit une distinction entre l’église & l’autel : on appelloit l’église, les dixmes & autres revenus fixes ; & l’autel, les revenus casuels. Voyez Dixme.

On dit même encore en ce sens que le prêtre doit vivre de l’autel ; ce qui signifie qu’il est juste que se devoüant tout entier au service de Dieu, il puisse être sans inquiétude sur les besoins de la vie. (G)

Autel, s. m. (Astron. & Myth.) c’est une constellation méridionale composée de sept étoiles, &, selon quelques auteurs, d’un plus grand nombre ; car il y en a qui en comptent huit, comme Bayer ; & d’autres veulent qu’elle soit formée de douze étoiles. Suivant la fiction des poëtes elle est l’autel sur lequel les dieux prêterent serment de fidélité à Jupiter avant la guerre contre les Titans, & que ce dieu mit entre les astres après sa victoire ; ou bien l’autel sur lequel Chiron le centaure immola un loup, dont la constellation est dans le ciel proche de cet autel. Voyez Loup. (O)