L’Encyclopédie/1re édition/ASSAISONNEMENT

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 765).
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ASSAISONNEMENT, s. m. (en terme de Cuisine.) est un mêlange de plusieurs ingrédiens, qui rendent un mets exquis. L’art du Cuisinier n’est presque que celui d’assaisonner les mets ; il est commun à toutes les nations policées : les Hébreux le nommoient Mathamim, les Grecs ἀρτματα ἡδύσματα, les Latins condimenta. Le mot assaisonnement vient selon toute apparence de assatio : la plûpart des assaisonnemens sont nuisibles à la santé, & méritent ce qu’en a dit un savant Medecin : condimenta, gulæ irritamenta ; c’est l’art de procurer des indigestions. Il faut pourtant convenir qu’il n’y a guere que les sauvages qui puissent se trouver bien des productions de la nature, prises sans assaisonnement, & telles que la nature même les offre. Mais il y a un milieu entre cette grossiereté & les rafinemens de nos cuisines. Hippocrate conseilloit les assaisonnemens simples. Il vouloit qu’on cherchât à rendre les mets sains, en les disposant à la digestion par la maniere de les préparer. Nous sommes bien loin de-là, & l’on peut bien assûrer que rien n’est plus rare, sur tout sur nos tables les mieux servies, qu’un aliment salubre. La diete & l’exercice étoient les principaux assaisonnemens des anciens. Ils disoient que l’exercice du matin étoit un assaisonnement admirable pour le dîner, & que la sobriété dans ce repas étoit de toutes les préparations la meilleure pour souper avec appétit. Pendant long-tems le sel, le miel & la crême furent les seuls ingrédiens, dont on assaisonnât les mets ; mais les Asiatiques ne s’en tinrent pas à cela. Bien-tôt ils employerent dans la préparation de leurs alimens toutes les productions de leur climat. Cette branche de la luxure se fût étendue dans la Grece, si les plus sages de cette nation ne s’y étoient opposés. Les Romains devenus riches & puissans secoüerent le joug de leurs anciennes lois ; & je ne sai si nous avons encore atteint le point de corruption où ils avoient poussé les choses. Apicius réduisit en art, la maniere de rendre les mets délicieux. Cet art se répandit dans les Gaules : nos premiers rois en connurent les conséquences, les arrêterent ; & ce ne fut que sous le regne de Henri second, que les habiles cuisiniers commencerent à devenir des hommes importans. C’est une des obligations que nous avons à cette foule d’Italiens voluptueux qui suivirent à la cour Catherine de Medicis. Les choses depuis ce tems n’ont fait qu’empirer ; & l’on pourroit presqu’assûrer qu’il subsiste dans la société deux sortes d’hommes, dont les uns, qui sont nos chimistes domestiques, travaillent sans cesse à nous empoisonner ; & les autres, qui sont nos Medecins, à nous guérir ; avec cette différence, que les premiers sont bien plus sûrs de leur fait que les seconds.