L’Encyclopédie/1re édition/ARMAND

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 685-686).
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ARMAND, terme usité parmi les Maréchaux, est une espece de bouillie qu’on fait prendre à un cheval dégoûté & malade, pour lui donner de l’appétit & des forces : en voici la composition.

Prenez plein un plat de mie de pain blanc émiée bien menu ; mouillez-la avec du verjus, y mettant trois ou quatre pincées de sel, au défaut de verjus le vinaigre pourra servir, & suffisante quantité de miel rosat ou violat, ou à leur défaut, du miel commun. Faites cuire cette pâte à petit-feu pendant un quart-d’heure pour en ôter l’humidité superflue, & ajoûtez-y de la canelle en poudre le poids de deux écus, une douzaine & demie de clous de girofle battus, une muscade rapée, & demi-livre de cassonnade : remettez le tout sur un petit feu, & laissez cuire à feu lent un demi-quart-d’heure, remuant de tems en tems avec une spatule de bois, pour bien mêler le tout & faire incorporer les aromates avec le pain & le miel : mais il faut peu de feu, parce que la vertu des drogues s’exhale promptement par le moindre excès de chaleur.

Il faut avoir un nerf de bœuf, & mettre tremper le gros bout dans l’eau pendant quatre ou cinq heures ; & après qu’il sera ramolli de la sorte, le faire ronger au cheval, qui l’applatira peu-à-peu : ou bien vous l’applatirez avec un marteau, & y mettrez ensuite gros comme une noix de l’armand ; vous ouvrirez d’une main la bouche du cheval, lui faisant tenir la langue par quelqu’un avec la main, & la tête aussi, de peur qu’il ne la remue ; & vous introduirez votre nerf, ainsi chargé, le plus avant qu’il sera possible. Dès qu’il aura pénétré assez avant dans la bouche, il faut lui lâcher la langue & lui laisser mâcher le nerf de bœuf & l’armand tout ensemble l’espace d’un pater ; vous lui en remettrez ensuite jusqu’à cinq à six fois, & le laisserez manger au bout de trois heures, pour lui redonner l’armand, & continuerez de la sorte de trois en trois heures.

L’armand est utile à tous les chevaux dégoûtés & malades, pourvû qu’ils n’ayent point de fievre. Il nourrit & fait revenir l’appétit, & ne manque jamais, lorsqu’on fourre tout doucement le nerf jusqu’au fond du gosier, de faire jetter au-dehors quantité de flegmes ameres & bilieuses qui causent le dégoût. Il faut à chaque fois qu’on retire le nerf du gosier, le nettoyer & l’essuyer avec du foin. Solleysel, Parfait Maréchal.

L’armand est bon pour déboucher le gosier d’un cheval qui auroit avalé une plume ou telle autre ordure semblable, enfonçant par plusieurs fois le nerf chargé d’armand jusqu’au fond. On éprouvera que l’usage de ce remede ne fait aucune violence au cheval, & qu’il le nourrit & le remet en appétit : mais si le Maréchal a la main rude, & que le nerf ne soit pas amolli, il peut crever le gosier du cheval & le faire mourir par la suite : mais cela arrive fort rarement. Ibid.

Autre armand pour un cheval dégoûté. Prenez une livre de miel & le faites un peu chauffer ; un demi-verre de vinaigre, & un peu de farine de froment cuite au four ; faites cuire doucement le tout dans un pot devant le feu ; ajoûtez-y une canelle rapée, & pour deux hards de girofle battu ; quand le tout sera cuit, vous le ferez prendre au cheval le mieux que vous pourrez.

Comme un cheval peut êrre dégoûté parce qu’il est malade, & que si on laissoit agir la nature il seroit en danger de se laisser atténuer faute de nourriture, on prend du gruau ou de l’orge mondé, qu’on fait bouillir dans un pot sans beurre, puis on le donne tiéde au cheval, ce qui suffit pour le soûtenir dans son mal, & empêcher qu’il ne meure de faim. (V)