L’Encyclopédie/1re édition/ARCHITECTE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 616-617).

ARCHITECTE, s. m. des mots Grecs ἀρχὴ, & de τέκτων, principal ouvrier. On entend par ce nom, un homme dont la capacité, l’expérience & la probité, méritent la confiance des personnes qui font bâtir. De tous les tems les architectes ont été utiles à la société, quand ils ont sû réunir ces différentes qualités ; les Grecs & les Romains ont montré dans plus d’une occasion le cas qu’ils ont fait des architectes, par les éloges qu’ils nous ont laissés de la plûpart des leurs : mais sans remonter si haut, la protection que Louis XIV. a accordée à ceux de son tems, nous fait assez connoître qu’un bon architecte n’est point un homme ordinaire, puisque sans compter les connoissances générales qu’il est obligé d’acquérir, telles que les belles-lettres, l’histoire, &c. il doit faire son capital du dessein, comme l’ame de toutes ses productions ; des mathématiques, comme le seul moyen de régler l’esprit, & de conduire la main dans ses différentes opérations ; de la coupe des pierres, comme la base de toute la main-d’œuvre d’un bâtiment ; de la perspective, pour acquérir les connoissances des différens points d’optique, & les plus-valeurs qu’il est obligé de donner aux hauteurs de la décoration, qui ne peuvent être apperçûes d’en-bas. Il doit joindre à ces talens les dispositions naturelles, l’intelligence, le goût, le feu & l’invention, parties qui lui sont non-seulement nécessaires, mais qui doivent accompagner toutes ses études. C’est sans contredit par le secours de ces connoissances diverses que de Brosse, le Mercier, Dorbets, Perrault, & sur-tout les Mansards, ont mis le sceau de l’immortalité sur leurs ouvrages, dans la construction des bâtimens des Invalides, du Val-de-grace, du Palais-Royal, du château de Versailles, de ceux de Clagny, de Maisons, des quatre Nations, du Luxembourg, du peristyle du Louvre, &c. monumens éternels de la magnificence du Monarque qui les a fait ériger, & du savoir de ces grands architectes. C’est aussi par ces talens réunis, que nous voyons encore de nos jours, MM. Boffrand, Cartault, & plusieurs autres, qui sont au nombre des hommes illustres de notre siecle, se distinguer avec éclat dans leur profession, & avoir place dans l’Académie royale d’Architecture, qui a été fondée par Louis XIV. en 1671 ; & est composée de vingt-six architectes, entre lesquels je nommerai M. Gabriel, premier architecte du Roi, & MM. de Côte, d’Isle, l’Assurence, Bilaudel, controlleurs des bâtimens du Roy, &c. qui ont pour chef & directeur général M. le Normand de Tournehem, sur-intendant des bâtimens.

Indépendament des architectes de l’Académie, dont plusieurs se sont distingués dans la construction, distribution & décoration de leurs édifices ; Paris en possede encore quelques-uns d’un mérite distingué, à la tête desquels on peut mettre Messieurs Franque & le Carpantier, dont la capacité & la probité véritablement reconnues leur ont attiré l’estime & la confiance des personnes du premier ordre. On verra quelques-unes de leurs productions dans cet Ouvrage. Je les ai engagés de trouver bon qu’elles y parussent ; j’ai compté par-là rendre un véritable service au public. Ces morceaux d’architecture seront de différens genres, & d’autant plus estimables qu’ils sont éloignés du déreglement, dont la plûpart des architectes usent aujourd’hui en France dans leurs bâtimens J’oserois presque avancer que plusieurs de ces derniers n’ont d’architecte que le nom, & joignent à une suffisance mesurée à leur ignorance, une mauvaise foi & une arrogance insupportable.

Peut-être trouvera-t-on ma sincérité hasardée : mais comme j’écris ici plus en qualité de citoyen, qu’en qualité d’Artiste, je me suis crû permise la liberté d’en user ainsi, tant par l’amour que je porte au progrès des beaux arts, que dans l’intention de ramener la plûpart de ceux qui font leur capital de l’architecture, des vices trop marqués, de la jalousie, de la cabale, & des mauvais procédés, dont plusieurs d’entre eux font profession ouvertement, sans respect pour le Prince, l’état & la patrie.

L’on trouvera aussi plusieurs desseins de ma composition dans le nombre des Planches, qui feront partie de celles d’architecture, dans lesquelles j’ai tâché de donner une idée de la façon dont je pense sur la simplicité, la proportion & l’accord auxquels je voudrois que l’architecture fût réduite ; de maniere que l’on trouvera dans la diversité de ces exemples une variété de préceptes, de formes & de compositions, qui je crois fera plaisir aux amateurs. Heureux si je puis trouver par-là l’occasion de prouver aux hommes du métier, qu’il n’est point de vice plus honteux que la jalousie, ni qui dégrade tant l’humanité : du moins me saura-t-on quelque gré, malgré les bontés dont le public a honoré mes ouvrages jusques à présent, de m’être fait honneur de partager le bien d’être utile au public, avec les deux habiles architectes que je viens de nommer, qui méritent à toute sorte d’égards l’estime des citoyens & l’attention du Ministre. (P)