L’Encyclopédie/1re édition/ARCANE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 603-604).
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ARCANE, s. m. (Chimie.) On se sert ordinairement de ce mot pour désigner un remede secret, un remede dont la composition n’est pas connue ; ce qui rend ce remede mystérieux & plus estimable pour le vulgaire, ou pour ceux qui pechent par l’éducation ou par l’esprit. On diroit que ces personnes veulent être trompées, & se plaisent à être les dupes de ces fanfarons en Medecine, qu’on nomme charlatans.

Les hommes agités par leurs passions détruisent la santé dont ils jouissent ; & aveuglés par de dangereux préjugés, ils s’en imposent encore sur les moyens de recouvrer cette santé précieuse lorsqu’ils l’ont perdue. Ils blâment injustement la Medecine comme une Science extraordinairement obscure ; cependant en ont-ils besoin, ils n’ont pas recours à ceux qui par leur étude & leur application continuelle pourroient en avoir dissipé les prétendues ténebres ; & dans leurs maladies, ils s’en rapportent à des ignorans.

Tout le monde est Medecin, c’est-à-dire tous les hommes jugent sur la Medecine décisivement, comme s’ils étoient certains de ce qu’ils disent ; & en même tems ils prétendent que les Medecins ne peuvent qu’y conjecturer.

On ne doit avancer que la Medecine est conjecturale, que parce qu’on peut dire que toutes les connoissances humaines le sont : mais si on veut examiner sincerement la chose, & juger sans préjugé, on trouvera la Medecine plus certaine que la plûpart des autres Sciences.

En effet, si une Science doit passer pour certaine lorsqu’on en voit les regles plus constamment suivies, les Medecins sont plus en droit de réclamer ce témoignage en leur faveur que les autres Savans. Quel contraste de maximes dans l’éloquence, la politique & la Philosophie ! Socrate a fait oublier Pythagore ; la doctrine de Socrate a de même été changée par Platon son eleve ; Aristote formé dans l’école de Platon, semble n’avoir écrit que pour le contredire.

Et pour se rapprocher de nos jours, nos peres ont vû Descartes fonder son empire sur les ruines de l’ancienne Philosophie : les succès ont été si éclatans, qu’il sembloit avoir fait disparoître devant lui tous les Philosophes ; & cependant moins d’un siecle a suffi pour changer presque toute sa doctrine : celle de Newton y a succédé, & plusieurs Philosophes censurent aujourd’hui celle-ci.

Au milieu des ruines des écoles de Pythagore, de Socrate, de Platon, d’Aristote, de Descartes & de Newton, Hippocrate qui vivoit avant Platon, se soûtient & joüit à présent de la même estime que ses contemporains lui ont accordée ; sa doctrine subsiste, au lieu que celles des autres Savans ses contemporains sont oubliées ou décriées.

Cependant Hippocrate n’étoit pas un plus grand homme que Socrate ou que Platon : si la doctrine de ce Medecin a été plus durable que celle de ces Savans, c’est que la Medecine dont Hippocrate a traité, a quelque chose de plus constant que n’ont les Sciences que ces grands Philosophes cultivoient.

Cette foule d’opinions littéraires ou philosophiques, qui tour-à-tour ont amusé le monde, est ensevelie depuis long-tems ; & l’Art qui a pour objet la santé des hommes, est encore aujourd’hui à peu près le même qu’il étoit du tems d’Hippocrate, malgré l’immense intervalle des tems, malgré les changemens nécessaires qu’ont introduits en Medecine la variété des climats, la différence des mœurs, les maladies inoüies aux siecles passés ; toutes les découvertes faites par Galien, par Avicenne, par Rasis, par Fernel & par Boerhaave, n’ont servi qu’à confirmer les anciennes.

Pour juger la Philosophie, on ouvre les ouvrages des premiers Philosophes. S’agit-il de la Medecine, on laisse là Hippocrate & Boerhaave, & l’on va chercher des armes contre elle dans les livres & la conduite des gens qui n’ont que le nom de Medecin. On lui objecte toutes les rêveries des Alchimistes, entre lesquelles les arcanes ne sont pas oubliés.

Il est du devoir d’un citoyen de faire tous ses efforts pour arracher les hommes à une prévention qui expose souvent leur vie, tant en les écartant des vrais secours que la science & le travail pourroient leur donner, qu’en les jettant entre les mains de prétendus possesseurs de secrets, qui achevent de leur ôter ce qui leur reste de santé. Combien d’hommes ont été dans tous les tems, & sont encore tous les jours, les victimes de cette conduite ! C’est pourquoi les Magistrats attentifs à la conservation de la vie des citoyens, se sont toûjours fait le plus essentiel devoir de leurs charges de protéger la Medecine, & ont donné une attention particuliere à cette partie du gouvernement, sur-tout en réprimant l’impudence de ces imposteurs, qui pour tenter & exciter la confiance du peuple qu’ils trompent, ont des secrets pour tout, & promettent toûjours de guérir.

Arcane-corallin, (Chim. med.) c’est le précipité rouge adouci par l’esprit de vin. Arcane veut dire secret ; & corallin veut dire ici, de couleur de corail. En disant arcane-corallin, on dit une composition ou un remede secret qui est rouge comme du corail. Paracelse a quelquefois nommé l’arcane-corallin, diacelta teston.

Pour faire l’arcane-corallin, il faut commencer par faire le précipité rouge ; & pour faire le précipité rouge, on met dans un matras ou dans une phiole de verre parties égales de mercure & d’esprit de nitre. Lorsque la dissolution est faite, on la met dans une petite cornue que l’on place dans du sable sur le feu ; on ajuste un récipient à cette cornue, & on en lute les jointures.

Ensuite on distille jusqu’à sec, & on reverse dans la cornue ce qui a distillé dans le récipient. On fait redistiller, & on remet dans la cornue ce qui est passé dans le récipient. On réitere ainsi cette opération jusqu’à cinq fois : on a par ce moyen un beau précipité rouge qui est en feuillets comme du talc. Il faut à la derniere distillation augmenter le feu jusqu’à faire rougir la cornue.

Il y en a qui au lieu de faire le précipité rouge par la distillation, comme on vient de le dire, le font par l’évaporation : ils mettent dans une phiole ou dans un matras à cou court, parties égales de mercure & d’esprit de nitre ; ensuite ils mettent le vaisseau sur le sable à une chaleur douce. Lorsque la dissolution du mercure est achevée, ils augmentent doucement le feu pour dissiper ce qui reste d’esprit de nitre & toute l’humidité ; ce qui donne un précipité blanc, qui devient jaune en augmentant le feu dessous. Ensuite on met ce précipité dans un creuset qu’on place au milieu des charbons ardens ; le précipité devient rouge par la force du feu ; cependant il n’est jamais aussi rouge que celui dont on a donné auparavant la préparation. Et lorsque pour tâcher de le rendre aussi rouge on employe plus de feu, il devient moins fort ; parce que le feu dissipe de l’acide ; & même on rétablit par là en mercure coulant, une partie du précipité : on trouve des globules de mercure au couvercle du creuset.

Le précipité rouge fait par la distillation est d’autant plus fort, qu’il devient plus rouge ; parce qu’il ne devient plus rouge que par la cohobation qui y concentre plus d’acide.

Il y a des fripons qui vendent du minium pour du précipité rouge. Un des moyens de distinguer l’un de l’autre, c’est de verser dessus de l’esprit de nitre : mais le plus sûr moyen d’éprouver le précipité, c’est d’en mêler trois parties avec deux de tartre crud, & une de salpetre, qu’on fond ensemble dans un creuset. Si c’est du minium, ou s’il y en a avec le précipité, on trouve après cette opération du plomb dans le fond du creuset. Voyez Précipité.

On ne doit point employer intérieurement le précipité rouge qu’on n’en ait fait l’arcane-corallin.

Cette opération se fait en versant sur le précipité rouge fait par cohobation de l’esprit-de-vin, jusqu’à ce qu’il en soit couvert. Il faut employer un esprit de vin bien rectifié, & y mettre le feu ; ensuite on fait sécher, & on réitere quatre fois ; & même selon quelques Chimistes, on y brûle aussi de l’esprit-de-vin jusqu’à sept fois.

L’arcane-corallin est par ce moyen fort différent du précipité rouge : l’esprit-de-vin y apporte un grand changement. Il y a autant de différence entre l’arcane-corallin & le précipité rouge, qu’il y en a entre l’esprit de nitre, qui est une eau-forte, & l’esprit de nitre dulcifié, qui est une liqueur agréable.

On fait peu d’usage de l’arcane-corallin : cependant il est fort efficace en Medecine, & il seroit bon de s’en servir dans des cas de maladies opiniâtres qui résistent aux remedes ordinaires.

Il est très-bon de simplifier la pratique de la Medecine, c’est-à-dire, il est à propos de ne pas donner plus de remedes qu’il n’en est nécessaire, & il faut les donner les plus faciles & les plus simples qu’il est possible : mais il est des maladies qui exigent plus de remedes, & des remedes plus forts, sans lesquels ces maladies restent incurables ; & ce que fait un Medecin qui a traité par les remedes simples & ordinaires, ne sert souvent que de préparation pour un remede plus efficace ; le malade ennuyé de ne pas guérir, reçoit quelquefois ce remede d’un charlatan qui le donne sans connoissance, au lieu que le Medecin pourroit le donner méthodiquement. Si le Medecin se conduisoit ainsi, il ne feroit que suivre le conseil d’Hippocrate qui dit : meliùs est anceps adhibere remedium quàm nullum.

On peut regarder l’arcane-corallin comme un des plus grands fondans des humeurs froides ou véroliques, qui sont des tumeurs ou des ulceres cancéreux. Il produit aussi de bons effets dans certaines hydropisies & dans de vieilles maladies de la peau, comme sont certaines dartres.

L’arcane-corallin est un bon remede pour les vieilles véroles dont le dépôt est dans les parties solides du corps, comme dans les os. Il ne réussit pas si bien pour les véroles qui ne sont sensibles que dans les humeurs, sur-tout si elles sont nouvelles ; pour celles-là, le mercure crud pris en friction ou autrement, vaut mieux.

On fait prendre l’arcane-corallin ou comme évacuant, ou comme purifiant. Lorsqu’on le donne comme évacuant, on le fait prendre à la dose de trois grains ; aux personnes délicates, on n’en donne qu’un grain ; & aux personnes robustes, on en fait prendre jusqu’à cinq, & même dans des cas extraordinaires, jusqu’à six grains tout d’un coup : il purge par bas & quelquefois par le vomissement.

Lorsqu’on veut fondre les humeurs & les purifier, on en fait prendre matin & soir une prise d’un demi-grain ou d’un grain.

Pour purifier & vuider en même tems les humeurs, M. Malouin en fait prendre trois prises le matin à une heure de distance l’une de l’autre d’un demi-grain ou d’un grain chaque prise.

On prend une tasse d’eau tiede ou de tisanne une demi-heure après chaque prise, & un bouillon une heure après la derniere prise.

On peut aussi se servir extérieurement de l’arcane-corallin ; on l’allie avec de la pommade ou avec du cérat de Galien, pour en frotter de vieilles dartres après avoir purgé suffisamment.

Arcane de tartre, (Chimie med.) c’est une matiere saline composée de l’acide du vinaigre & de l’alkali du tartre ; elle se fait lorsqu’on précipite le soufre doré d’antimoine avec le vinaigre ; on fait évaporer la liqueur où s’est fait cette précipitation, & on en tire l’arcane de tartre, qui est une espece de terre ou de tartre folié. (M)

* Arcane, (Géog. anc. & mod.) petite ville de la Turquie Asiatique dans la Natolie propre, sur la côte de la mer Noire, entre la ville de Seriape ou Sinape & le cap Pisello. Quelques Géographes prétendent que c’est l’Abonitrichos des Anciens. Voyez Craie.