L’Encyclopédie/1re édition/APIS

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 526-527).

* APIS, s. m. (Myth.) divinité célebre des Egyptiens. C’étoit un bœuf qui avoit certaines marques extérieures. C’étoit dans cet animal que l’ame du grand Osiris s’étoit retirée : il lui avoit donné la préférence sur les autres animaux, parce que le bœuf est le symbole de l’agriculture, dont ce prince avoit eu la perfection tant à cœur. Le bœuf Apis devoit avoir une marque blanche & quarrée sur le front ; la figure d’un aigle sur le dos ; un nœud sous la langue en forme d’escarbot ; les poils de la queue doubles, & un croissant blanc sur le flanc droit. Il falloit que la genisse qui l’avoit porté l’eût conçû d’un coup de tonnerre. Comme il eût été assez difficile que la nature eût rassemblé sur un même animal tous ces caracteres, il est à présumer que les prêtres pourvoyoient à ce que l’Egypte ne manquât pas d’Apis, en imprimant secretement à quelques jeunes veaux les marques requises ; & s’il leur arrivoit de différer beaucoup de montrer aux peuples le dieu Apis, c’étoit apparemment pour leur ôter tout soupçon de supercherie. Mais cette précaution n’étoit pas fort nécessaire ; les peuples ne font-ils pas dans ces occasions tous leurs efforts pour ne rien voir ? Quand on avoit trouvé l’Apis, avant que de le conduire à Memphis on le nourrissoit pendant quarante jours dans la ville du Nil. Des femmes avoient seules l’honneur de le visiter & de le servir : elles se présentoient au divin taureau dans un deshabillé, dont les prêtres auroient mieux connu les avantages que le dieu. Après la quarantaine on lui faisoit une niche dorée dans une barque ; on l’y plaçoit, & il descendoit le Nil jusqu’à Memphis : là les prêtres l’alloient recevoir en pompe ; ils étoient suivis d’un peuple nombreux : les enfans assez heureux pour sentir son haleine, en recevoient le don des prédictions. On le conduisoit dans le temple d’Osiris, où il y avoit deux magnifiques étables : l’une étoit l’ouvrage de Psammeticus ; elle étoit soûtenue de statues colossales de douze coudées de hauteur ; il y demeuroit presque toûjours renfermé ; il ne se montroit guere que sur un préau où les étrangers avoient la liberté de le voir. Si on le promenoit dans la ville, il étoit environné d’officiers qui écartoient la foule, & de jeunes enfans qui chantoient ses loüanges.

Selon les livres sacrés des Egyptiens, le dieu Apis n’avoit qu’un certain tems déterminé à vivre ; quand la fin de ce tems approchoit, les prêtres le conduisoient sur les bords du Nil, & le noyoient avec beaucoup de vénération & de cérémonies. On l’embaumoit ensuite ; on lui faisoit des obseques si dispendieuses, que ceux qui étoient commis à la garde du bœuf embaumé s’y ruinoient ordinairement. Sous Ptolemée Lagus, on emprunta cinquante talens pour célébrer les funérailles du bœuf Apis. Quand le bœuf Apis étoit mort & embaumé, le peuple le pleuroit, comme s’il eût perdu Osiris ; & le deuil continuoit jusqu’à ce qu’il plût aux prêtres de montrer son successeur ; alors on se réjoüissoit, comme si le prince fût ressuscité, & la fête duroit sept jours.

Cambise, roi de perse, à son retour d’Ethiopie, trouvant le peuple Egyptien occupé à célébrer l’apparition d’Apis, & croyant qu’on se réjoüissoit du mauvais succès de son expédition, fit amener le prétendu dieu, qu’il frappa d’un coup d’épée dont il mourut : les prêtres furent fustigés ; & les soldats eurent ordre de massacrer tous ceux qui célébreroient la fête.

Les Egyptiens consultoient Apis comme un oracle ; s’il prenoit ce qu’on lui présentoit à manger, c’étoit un bon augure ; son refus au contraire étoit un fâcheux présage. Pline, cet auteur si plein de sagesse & d’esprit, observe qu’Apis ne voulut pas manger ce que Germanicus lui offrit, & que ce prince mourut bien-tôt après ; comme s’il eût imaginé quelque rapport réel entre ces deux évenemens. Il en étoit de même des deux loges qu’on lui avoit bâties : son séjour dans l’une annonçoit le bonheur à l’Egypte ; & son séjour dans l’autre lui étoit un signe de malheur. Ceux qui le venoient consulter approchoient la bouche de son oreille, & mettoient les mains sur les leurs, qu’ils tenoient bouchées jusqu’à ce qu’ils fussent sortis de l’enceinte du temple. Arrivés là, ils prenoient pour la réponse du dieu la premiere chose qu’ils entendoient.