L’Encyclopédie/1re édition/ANTHROPOPHAGIE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 498).

ANTHROPOPHAGIE, s. f. (Hist. anc. & mod.) c’est l’acte ou l’habitude de manger de la chair humaine. Voyez Anthropophages.

Quelques Auteurs font remonter l’origine de cette coûtume barbare jusqu’au déluge : ils prétendent que les géans ont été les premiers anthropophages. Pline parle des Scythes & des Sauromates, Solinus des Ethiopiens, & Juvenal des Egyptiens, comme de peuples accoûtumés à cet horrible mets. Voy. Pline, hist. nat. L. IV. c. xij. L. VI. c. xvij. xxx. L. VII. c. ij. Solin. Polih. c. xxxiij. Nous lisons dans Tite-Live qu’Annibal faisoit manger à ses soldats de la chair humaine pour les rendre plus féroces. On dit que l’usage de vivre de chair humaine subsiste encore dans quelques parties méridionales de l’Afrique, & dans des contrées sauvages de l’Amérique.

Il me semble que l’anthropophagie n’a point été le vice d’une contrée ou d’une nation, mais celui d’un siecle. Avant que les hommes eussent été adoucis par la naissance des arts, & civilisés par l’imposition des lois, il paroît que la plûpart des peuples mangeoient de la chair humaine. On dit qu’Orphée est le premier qui fit sentir aux hommes l’inhumanité de cet usage, & qu’il parvint à l’abolir. C’est ce qui a fait imaginer aux Poëtes qu’il avoit eu l’art de dépouiller les tigres & les lions de leur férocité naturelle.

Sylvestres homines sacer, interpresque deorum
Cædibus & fœdo victu deterruit Orpheus,
Dictus ab hoc lenire tigres rabidosque leones.

Horat.

Quelques Medecins se sont ridiculement imaginés avoir découvert le principe de l’anthropophagie dans une humeur acre, atrabilieuse qui, logée dans les membranes du ventricule, produit par l’irritation qu’elle cause, cette horrible voracité qu’ils assurent avoir remarquée dans plusieurs malades ; ils se servent de ces observations pour appuyer leur sentiment. Un Auteur a mis en question si l’anthropophagie étoit contraire ou conforme à la nature. (G)