L’Encyclopédie/1re édition/ANTECHRIST

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 491-492).
ANTECIENS  ►

ANTECHRIST, s. m. (Théol.) ce terme est formé de la préposition Greque ἀντὶ, contra, & de χριστός, Christus. Il signifie en général un ennemi de Jesus-Christ, un homme qui nie que Jesus-Christ soit venu, & qu’il soit le Messie promis. C’est la notion qu’en donne l’apôtre S. Jean dans sa premiere épître, ch. ij. En ce sens on peut dire des Juifs & des infideles que ce sont des antechrists.

Par Antechrist on entend plus ordinairement un tyran impie & cruel à l’excès, qui doit régner sur la terre lorsque le monde touchera à sa fin. Les persécutions qu’il exercera contre les élûs, seront la derniere & la plus terrible épreuve qu’ils auront à subir. Jesus-Christ même a prédit qu’ils y eussent succombé si le tems n’en eût été abregé en leur faveur. C’est par ce fléau que Dieu annoncera le jugement dernier & la vengeance qu’il doit prendre des méchans.

L’Ecriture & les Peres parlent de l’Antechrist, comme d’un seul homme auquel à la vérité ils donnent un grand nombre de précurseurs. Suivant S. Irénée, S. Ambroise, S. Augustin, & presque tous les autres Peres, l’Antechrist doit être non un homme engendré par un démon, comme l’a prétendu S. Jerôme, ni un démon revêtu d’une chair apparente & phantastique ; moins encore un démon incarné, comme l’ont imaginé d’autres, qui ont pensé que pour perdre les hommes le démon devoit imiter tout ce que Jesus-Christ a fait pour les sauver ; mais un homme de la même nature, & conçû par la même voie que tous les autres, mais qui ne differera d’eux que par une malice & une impiété plus dignes d’un démon que d’un homme. Il en est qui croyent qu’il doit naître d’un Juif & d’une Juive de la tribu de Dan ; qu’il déployera tous ses artifices & sa cruauté contre l’Eglise & l’Evangile ; s’élevera contre Dieu même, se fera bâtir un palais sur la montagne d’Apadno, rétablira la ville & le temple de Jérusalem, & là se fera adorer, publiant qu’il est le vrai Dieu & le Messie attendu des Juifs ; secondé par la puissance du démon, il étonnera & entraînera les peuples dans la séduction par des prestiges capables d’ébranler même les élûs.

Sa naissance sera précédée de signes extraordinaires, tant au ciel que sur la terre. Son regne ne durera que trois ans & demi : mais il sera signalé par des cruautés inoüies. Enoch & Elie viendront le combattre, & ce tyran les fera mettre à mort dans l’endroit même où Jesus-Christ fut crucifié. Leurs corps seront exposés dans les rues de Jérusalem, sans que personne ose en approcher, ni leur donner la sépulture : mais trois jours & demi après, l’esprit de vie envoyé de Dieu entrera dans des cadavres, Elie & Enoch ressusciteront & seront enlevés au ciel dans une nuée. Enfin le Christ ne pouvant plus souffrir la perversité de son ennemi, le tuera du souffle de sa bouche, & le perdra par l’éclat de sa puissance.

Tel est le tableau que l’Ecriture & les Peres nous ont tracé de l’Antechrist. Il suffit d’y jetter les yeux pour sentir combien un grand nombre d’écrivains Protestans se sont écartés de la vérité & du bon sens, en appliquant au Pape & à l’Eglise Romaine tout ce que l’Ecriture, & sur-tout l’Apocalypse, dit de l’Antechrist. L’absurdité de cette idée n’a pas empêché que les Protestans du dernier siecle ne l’ayent adopté comme un article de foi. Dans leur xvii synode national, tenu à Gap en 1603, ils affecterent même de publier que Clément VIII. qui décéda quelque tems après, étoit mort de chagrin de cette décision : mais ce Pontife aussi-bien que le Roi Henri IV. qu’ils avoient déclaré en plein synode race de l’Antechrist, n’opposerent à leurs excès que la modération, le mépris, & le silence.

Quoique le savant Grotius & le docteur Hammond se fussent attachés à détruire ces rêveries, on a vû sur la fin du siecle dernier Joseph Mede en Angleterre & le ministre Jurieu en Hollande, les présenter sous une nouvelle forme, qui ne les a pas accréditées davantage. Décriés dans leur propre secte, ces écrivains ont trouvé parmi les Catholiques des adversaires qui ont démontré tout le fanatisme de leurs prophéties & de leurs explications de l’Apocalypse, par lesquelles ils s’efforçoient de montrer que l’Antechrist devoit paroître & sortir de l’Eglise Romaine vers l’an 1710. On peut consulter sur cette matiere l’Histoire des Variations par M. Bossuet, tom. II. liv. XIII. depuis l’art, 11. jusqu’à la fin du même livre.

Grotius a prétendu que Caligula avoit été l’Antechrist : mais ce sentiment ne s’accorde pas avec ce que l’Ecriture & les Peres nous apprennent de la venue de l’Antechrist à la fin du monde.

Il seroit inutile de s’arrêter sur les différens noms que divers Auteurs, tant anciens que modernes, ont donnés à l’Antechrist, fondés sur un passage du xiij chap. de l’Apocalypse, où il est dit que les lettres du nom de la bête, c’est-à-dire de l’Antechrist, expriment le nombre de 666 : car les lettres qui expriment ce nombre étant susceptibles d’une multitude de combinaisons différentes, & ces diverses combinaisons formant autant de noms différens, il paroît fort difficile, pour ne pas dire impossible, qu’on ait réussi à trouver la véritable. Quoi qu’il en soit, on peut voir dans la bibliotheque de Sixte de Sienne, liv. II. une partie de ces noms, dont le plus probable paroît être celui qu’ont imaginé S. Irenée & S. Hippolyte ; savoir τεῖταν, mot Grec qui signifie géant, & qui est composé de six lettres dont la valeur numérale équivaut à 666.

On trouve parmi les écrits de Raban-Maur, d’abord abbé de Fulde, puis archevêque de Mayence, auteur fort célebre du neuvieme siecle, un traité sur la vie & les mœurs de l’Antechrist. Nous n’en citerons qu’un endroit singulier ; c’est celui où l’Auteur, après avoir prouvé par S. Paul que la ruine totale de l’Empire Romain, qu’il suppose être celui d’Allemagne, précédera la venue de l’Antechrist, il conclut de la sorte : « Ce terme fatal pour l’Empire Romain n’est pas encore arrivé. Il est vrai que nous le voyons aujourd’hui extrèmement diminué, & pour ainsi dire détruit dans sa plus grande étendue : mais il est certain que son éclat ne sera jamais entierement éclipsé ; parce que tandis que les Rois de France qui en doivent occuper le trône subsisteront, ils en seront toûjours le ferme appui ». Hoc tempus nondum advenit ; quia licet Romanum imperium videamus ex maximâ parte destructum, tamen quandiu Francorum Reges duraverint qui Romanum imperium tenere debent, Romani imperii dignitas ex toto non peribit, quia in regibus suis stabit. Et rapportant ensuite le sentiment de quelques Docteurs de bon sens il ajoûte : « Quelques-uns de nos Docteurs assûrent que ce sera un Roi de France qui à la fin du monde dominera sur tout l’Empire Romain. Ce Roi sera le dernier & le plus grand qui ait jamais porté le sceptre. Après le regne le plus brillant & le plus heureux, il ira à Jérusalem déposer son sceptre & sa couronne sur la montagne des Oliviers ; le moment d’après l’Empire Romain finira pour toûjours, & soudain s’accomplira l’oracle de l’Apôtre sur la venue de l’Antechrist ». Quidam Doctores nostri dicunt quod unus de Regibus Francorum, imperium Romanum ex integro tenebit, qui in novissimo tempore erit, & ipse erit maximus & omnium Regum ultimus, qui postquam regnum suum feliciter gubernaverit, ad ultimum Jerosolymam veniet, & in monte Oliveti sceptrum & coronam suam deponet. Hic erit finis & consummatio Romanorum Christianorumque regnorum ; statimque secundum prædictam sententiam Apostoli Pauli Antichristum dicunt futurum. Si la derniere prédiction de ces Docteurs n’est pas plus exactement accomplie que la premiere de Raban-Maur, elles seront fausses de tout point.

Malvenda, théologien Espagnol, a donné un long & savant ouvrage sur l’Antechrist. Son traité est divisé en 13 livres. Il expose dans le premier les différentes opinions des Peres touchant l’Antechrist. Il détermine dans le second le tems auquel il doit paroître, & prouve que tous ceux qui ont assûré que la venue de l’Antechrist étoit proche, ont supposé en même tems que la fin du monde n’étoit pas éloignée. Le troisieme est une dissertation sur l’origine de l’Antechrist, & sur la nation dont il doit être. L’Auteur prétend qu’il sera Juif & de la tribu de Dan, & il se fonde sur l’autorité des Peres & sur le v. 17. du chap. xlix. de la Genese, où Jacob mourant dit à ses fils : Dan est un serpent dans le chemin, & un céraste dans le sentier ; & sur le chap. viij. v. 16. de Jérémie, où il est dit que les armées de Dan dévoreront la terre : & encore sur le chap. vij. de l’Apocalypse, où S. Jean a omis la tribu de Dan dans l’énumération qu’il fait des autres tribus. Il traite dans le quatrieme & le cinquieme des caracteres de l’Antechrist. Il parle dans le sixieme de son regne & de ses guerres ; dans le septieme, de ses vices ; dans le huitieme, de sa doctrine & de ses miracles ; dans le neuvieme, de ses persécutions ; & dans le reste de l’ouvrage, de la venue d’Enoch & d’Elie, de la conversion des Juifs, du regne de Jesus-Christ & de la mort de l’Antechrist, qui arrivera après un regne de trois ans & demi. V. Millenaires. (G)