L’Encyclopédie/1re édition/ANE ou ASNE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 451-452).
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ANE ou ASNE, s. m. asinus. (Hist. nat.) animal quadrupede, bien connu par plusieurs défauts, & par plusieurs bonnes qualités ; desorte qu’il n’y a aucun animal qui soit plus dédaigné & plus employé. Il est du genre des solipedes, c’est-à-dire, qu’il a la corne du pié d’une seule piece. Il est plus petit que le cheval ; il a les oreilles plus longues & plus larges, les levres plus épaisses, la tête plus grosse à proportion du reste du corps, & la queue plus longue : mais elle n’est garnie de poils qu’à l’extrémité, & sa criniere n’est pas si grande que celle du cheval. Les ânes sont de plusieurs couleurs : la plûpart sont gris de souris ; il y en a de gris argenté, de gris marqué de taches obscures ; il y en a de blancs, de bruns, de roux, &c. Ils ont des bandes noires sur le cou & sur les jambes ; il y a deux autres bandes qui se croisent sur le garot ; l’une suit la colonne vertébrale dans toute son étendue, & l’autre passe sur les épaules. Il y a des ânes noirs. Les flancs de cet animal sont blancs ; son poil est dur & roide. Il a six dents incisives ; à deux ans & demi, il perd les premieres : les canines ne sont guere plus longues que les incisives, & en sont eloignées comme dans les chevaux ; desorte que les ânes ont aussi des barres. L’âne a le membre plus grand à proportion du corps que tout autre quadrupede ; il a aussi une très-grande ardeur pour l’accouplement : mais il est peu fécond ; on choisit le printems pour faire saillir les ânesses, surtout le mois de Mai, & l’été est encore plus favorable à leur fécondation. Comme leur terme arrive dans le douzieme mois, elles mettent bas l’année suivante dans la même saison où elles ont été fécondées : le printems & l’été sont aussi plus favorables pour l’ânon ; car le froid est plus contraire à ces animaux qu’aux autres bêtes de nos climats. Les ânes peuvent s’accoupler à deux ans & demi : mais il y en a bien peu qui soient féconds à cet âge ; il faut qu’ils aient trois ans pour être bons étalons, & qu’ils n’en aient pas plus de dix. On croit que les meilleurs sont de couleur grise tirant sur le brun ou le noir ; qu’ils doivent être gros & grands : il faut qu’ils portent bien la tête, qu’ils ayent le cou long, les flancs élevés, la croupe plate, la queue courte, &c. & surtout que les parties essentielles à l’opération à laquelle on les destine soient grosses, charnues & robustes. Si la femelle n’a pas été fécondée avant que de perdre ses dernieres dents, elle est stérile pour toute sa vie, dit Aristote. Il y a des ânesses qui sont en chaleur chaque mois de l’année : mais on a remarqué qu’elles sont moins fécondes que les autres. Aussi-tôt que la femelle a été saillie, on la foûette, & on la fait courir pour empêcher qu’elle ne rende la liqueur séminale qu’elle a reçûe ; elle ne porte ordinairement qu’un petit à la fois, il est très-rare qu’elle ait deux jumeaux. Sept jours après qu’elle a mis bas, elle s’accouple de nouveau avec le mâle ; elle est féconde pendant toute sa vie. On ne doit pas la faire travailler pendant le tems qu’elle porte ; & au contraire, le travail rend les mâles plus propres à l’accouplement. L’âne s’accouple avec la jument, & le cheval avec l’ânesse ; les mulets viennent de ces accouplemens, & surtout de celui de l’âne avec la jument. On choisit pour servir d’étalons les plus grands ânes & les plus vigoureux, ceux qui ont le plus gros membre, comme sont les ânes de Mirebalais ; il y en a eu qui ont valu dans quelques provinces ou royaumes jusqu’à douze & quinze cens livres. Voyez Mulet. L’âne s’accouple aussi avec la vache, & l’ânesse avec le taureau, & ils produisent les jumarts. Voyez Jumart.

L’âne est fort aisé à nourrir ; les plus mauvais pâturages sont bons pour cet animal ; il cherche les chardons ; les feuillages des buissons & des saules lui suffiroient. On lui fait manger des brins de sarment. La paille l’engraisse, il mange le chaume. Le foin est un aliment de choix, du son de farine détrempé dans l’eau est pour l’âne un aliment très-nourrissant ; l’avoine répare ses forces lorsqu’elles sont épuisées ; & on dit que plus il boit d’eau, plus il engraisse. On a remarqué qu’il plonge bien peu les levres dans l’eau lorsqu’il boit, & qu’il supporte long-tems la soif. Il y en a qui sont quelquefois deux jours sans boire. Cet animal a l’oüie fort fine : il prend quelquefois une figure hideuse en relevant ses levres, & en mettant ses dents à découvert ; ce qui lui arrive lorsque quelque chose le blesse dans son harnois, & lorsqu’il leve la tête pour éventer une ânesse qu’il sent de loin, & bien d’autres fois sans que l’on puisse deviner ce qui le détermine à faire cette figure, que l’on donne pour le symbole de l’ironie. La voix de l’âne est effrayante ; elle est extrèmement forte, dure, élevée, & très-desagréable à l’oreille ; & lorsqu’il se met à braire, il continue pendant un tems assez considérable, & il recommence à plusieurs reprises.

Les ânes craignent le froid, aussi y en a-t-il peu, ou point du tout, en Angleterre, en Danemarc, en Suede, en Pologne, en Hollande, & dans tous les pays septentrionaux ; & il s’en trouve au contraire beaucoup en Italie, en France, en Allemagne, en Grece, où on a vanté les ânes d’Arcadie comme les meilleurs.

L’âne est un animal stupide, lent & paresseux ; & cependant on convient généralement qu’il est courageux, dur au travail, & patient : mais ordinairement on ne peut le faire marcher qu’à force de coups ; sa peau est si dure qu’il n’est sensible qu’au bâton, & souvent on est obligé de le frapper à grands coups redoublés. Cependant l’âne est un des animaux les plus utiles : c’est une bête de somme qui porte de grands fardeaux à proportion de sa grosseur, surtout lorsqu’on le charge sur les reins ; cette partie étant plus forte que le dos. Il sert de monture : son allure est assez douce & assez prompte : mais il est peu docile, & on ne le manie qu’avec peine. C’est aussi une bête de trait ; on lui fait traîner de petites charrettes, & il tire la charrue dans les terres qui ne sont pas trop fortes. Que de services on peut tirer d’un animal qui coûte si peu à nourrir ! Aussi est-il la ressource des gens de la campagne, qui ne peuvent pas acheter un cheval & le nourrir. L’âne les soulage dans tous leurs travaux ; il est employé à tout, pour semer, pour recueillir & pour porter les denrées au marché. Le lait d’ânesse a de grandes propriétés dans la Medecine ; on le préfere dans certains cas au lait de chevre & au lait de vache. On doit commencer à faire travailler les ânes à trois ans, ils sont très-forts jusqu’à dix ou douze, & même jusqu’à quatorze & quinze ; ils vivent environ trente ans, & même plus. On croit que la vie de la femelle est plus longue que celle du mâle : mais il est rare que cet animal aille au bout de sa carriere naturelle, la plûpart meurent beaucoup plûtôt, excedés de fatigues & de travaux. La peau sert à faire des cribles, des tambours : celle qui recouvre le dos, peut servir à faire des souliers. Voyez Arist. hist. anim. lib. VI. cap. xxiij. Ald. de quadr. solip. lib. I. cap. ij. Voyez Quadrupede.

Asne Sauvage, onager. (Hist. nat.) Les anciens ont fait de l’âne sauvage une espece différente de celle de l’âne domestique, & ils lui ont donné un nom différent. M. Ray dit expressément qu’il n’auroit pas cru qu’il y eût d’autre différence entre l’âne sauvage & l’âne domestique, que celle qui se trouve ordinairement entre deux animaux de la même espece, dont l’un est sauvage & l’autre domestique ; si Belon & Rauwolf qui ont vû l’âne sauvage, n’en avoient fait une espece particuliere. Rauwolf dit que les ânes sauvages sont fréquens en Syrie, que leurs peaux sont très-fortes, & qu’on les prépare de façon que leur surface extérieure est parsemée de petits tubercules à peu près comme une fraise ; on s’en sert pour faire des fourreaux d’épées, des gaines de coûteaux, &c. C’est ce qu’on appelle du chagrin. Synop. method. anim. quad. pag. 62. Voyez Chagrin. Les descriptions que nous avons de l’âne sauvage sont si imparfaites, qu’on ne sait pas trop quel est cet animal. Il y a grande apparence qu’on l’a souvent confondu avec le zebre, qui est en effet assez ressemblant à l’âne. Voyez Zebre. (I)

Asne Marin, asinus marinus. On a donné ce nom au polype de mer. Voyez Polype de mer. (I)

Asne, s. m. C’est en terme de Tabletier-Cornettier, un outil sur lequel on évuide les dents d’un peigne. Voyez Évuider. L’âne est une espece de tenailles placées sur un établi posé en forme de prie-dieu, sur un montant qui sert de banc, sur lequel l’ouvrier se met à cheval. A la mâchoire supérieure de l’âne est une corde qui descend jusqu’à la hauteur du pié de l’ouvrier, qui lâche ou serre cette corde avec son pié, selon qu’il en est besoin pour les différentes façons qu’il donne au peigne. L’âne est aussi à l’usage des ouvriers en marquetterie. V. Planche de marquetterie, fig. 3. Les échancrures A C du banc A C D N reçoivent les cuisses de l’ouvrier. B est l’extrémité d’une marche sur laquelle l’ouvrier pose son pié. L’action de son pié tend la corde O H. La corde O H tire le levier G HI. Son extrémité I presse la mâchoire mobile K I, & l’ouvrage est serré dans l’étau P. On conçoit que les mâchoires sont plus ou moins écartées, selon que l’ouvrage qu’on a à serrer entr’elles, est plus ou moins gros ; & que par conséquent il falloit avoir la liberté d’approcher ou d’éloigner le levier G HI ; c’est ce qu’on s’est ménagé par le moyen de la cremaillere E G H ; dans les crans de laquelle on peut faire passer le levier G HI.