L’Encyclopédie/1re édition/AMOUR, GALANTERIE

AMOUR, GALANTERIE, (Langue franç.) ce ne sont point-là deux synonymes.

La galanterie est l’enfant du desir de plaire, sans un attachement fixe qui air sa source dans le cœur. L’amour est le charme d’aimer & d’être aimé.

La galanterie est l’usage de certains plaisirs qu’on cherche par intervalles, qu’on varie par dégoût & par inconstance. Dans l’amour la continuité du sentiment en augmente la volupté, & souvent son plaisir s’éteint dans les plaisirs mêmes.

La galanterie devant son origine au tempérament & à la compléxion, finit seulement quand l’âge vient en tarir la source. L’amour brise en tout tems ses chaînes par l’effort d’une raison puissante, par le caprice d’un dépit soutenu, ou bien encore par l’absence ; alors il s’évanouit comme on voit le feu matériel s’éteindre.

La galanterie entraîne vers toutes les personnes qui ont de la beauté ou de l’agrément, nous unit à celles qui répondent à nos desirs, & nous laisse du goût pour les autres. L’amour livre notre cœur sans réserve à une seule personne qui le remplit tout entier ; ensorte qu’il ne nous reste que de l’indifference pour toutes les autres beautés de l’univers.

La galanterie est jointe à l’idée de conquête par faux honneur, ou par vanité ; l’amour consiste dans le sentiment tendre, délicat, & respectueux, sentiment qu’il faut mettre au rang des vertus.

La galanterie n’est pas difficile à démêler ; elle ne laisse entrevoir dans toutes sortes de caracteres, qu’un goût fondé sur les sens. L’amour se diversifie, selon les différentes ames sur lesquelles il agit. Il regne avec fureur dans Médée, au lieu qu’il allume dans les naturels doux, un feu semblable à celui de l’encens qui brûle sur l’autel. Ovide tient les propos de la galanterie, & Tibulle soupire l’amour.

C’est d’amour dont Lydie est atteinte, quand elle s’écrie :

Calaïs est charmant ; mais je n’aime que vous.
Ingrat, mon cœur vous justifie ;
Heureuse également en des liens si doux
De perdre ou de passer ma vie.

Trad. de M. le duc de Nivernois.

Lorsque la niece du cardinal de Mazarin, recevant un ordre pour se rendre à Brouage, dit à Louis XIV : « Ah, sire, vous êtes roi, vous m’aimez, & je pars », ces paroles qui disent tant de choses, n’en disent pas une qui ait rapport à la galanterie ; c’est le langage de l’amour qu’elle tenoit. Bérénice dans Racine ne parle pas si bien à Titus.

Quand Despréaux a voulu railler Quinault, en le qualifiant de doux & de tendre, il n’a fait que donner à cet aimable poëte, une louange qui lui est légitimement acquise. Ce n’est point par-là qu’il devoit attaquer Quinault ; mais il pouvoit lui reprocher qu’il se montroit fréquemment plus galant que tendre, que passionné, qu’amoureux, & qu’il confondoit à tort ces deux choses dans ses écrits.

L’amour est souvent le frein du vice, & s’allie d’ordinaire avec les vertus. La galanterie est un vice, car c’est le libertinage de l’esprit, de l’imagination, & des sens ; c’est pourquoi, suivant la remarque de l’auteur de l’esprit des Lois, les bons législateurs ont toujours banni le commerce de galanterie que produit l’oisiveté, & qui est cause que les femmes corrompent avant même que d’être corrompues, qui donne un prix à tous les riens, rabaisse ce qui est important, & fait que l’on ne se conduit que sur les maximes du ridicule que les femmes entendent si bien à établir. (D. J.)