L’Encyclopédie/1re édition/AINESSE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 224-225).

AINESSE, s. f. en Droit, priorité de naissance ou d’âge entre des enfans nobles, ou qui ont à partager des biens possédés noblement, pour raison de laquelle le plus âgé des mâles emporte de la succession de son pere ou de sa mere, une portion plus considérable que celle de chacun de ses freres ou sœurs en particulier. Voyez Ainé.

J’ai dit entre des enfans nobles, ou qui ont à partager des biens possédés noblement, par rapport à la coûtume de Paris, & plusieurs autres semblables : mais il y a des coûtumes où le droit d’ainesse a lieu, même entre roturiers & pour des biens de roture.

Le droit d’ainesse étoit inconnu aux Romains : il a été introduit singulierement en France pour perpétuer le lustre des familles en même tems que leurs noms.

Dans la coûtume de Paris, le droit d’ainesse consiste 1°. dans un préciput, c’est-à-dire, une portion que l’ainé préleve sur la masse de la succession avant que d’entrer en partage avec ses freres & sœurs : & ce préciput consiste dans le château ou principal manoir, la basse-cour attenant & contiguë audit manoir ; & en outre un arpent dans l’enclos ou jardin joignant ledit manoir ; le corps du moulin, four ou pressoir banaux, étant dans l’enclos du préciput de l’ainé, lui appartient aussi : mais le revenu en doit être partagé entre les puînés, en contribuant par eux à l’entretenement desdits moulin, four ou pressoir. Peut toutefois l’ainé garder pour lui seul le profit qui en revient, en récompensant ses freres.

2°. Le préciput prélevé, voici comme se partage le reste des biens : s’il n’y a que deux enfans, l’ainé des deux prend les deux tiers des biens restans, & le cadet l’autre tiers : s’il y a plus de deux enfans, l’ainé de tous prend la moitié pour lui seul, & le reste se partage également entre tous les autres enfans.

S’il n’y avoit pour tout bien dans la succession qu’un manoir, l’ainé le garderoit : mais les puînés pourroient prendre sur icelui leur légitime, ou droit de doüaire coûtumier ou préfixe ; si mieux n’aimoit l’ainé, pour ne point voir démembrer son fief, leur bailler récompense en argent.

Si au contraire il n’y avoit dans la succession que des terres sans manoir, l’ainé prendroit pour son préciput un arpent avant partage.

S’il y a des fiefs dans différentes coûtumes, l’ainé peut prendre un préciput dans chaque coûtume selon la coûtume d’icelle ; ensorte que le principal manoir que l’ainé aura pris pour son préciput dans un fief situé dans la coûtume de Paris, n’empêche pas qu’il ne prenne un autre manoir dans un fief situé dans une autre coûtume, qui attribuera le manoir à l’ainé pour son préciput.

Ce droit est si favorable, que les pere & mere n’y sauroient préjudicier en aucune façon, soit par derniere volonté, ou par actes entre-vifs, par constitution de dot ou donation en avancement d’hoirie, au profit des autres enfans.

Ce droit se prend sur les biens substitués, même par un étranger : mais il ne se prend pas sur les biens échûs à titre de doüaire, & ne marche qu’après la légitime ou le doüaire.

Voyez sur cette matiere la Coûtume de Paris, article xiij. xiv. &c. jusqu’à xix. inclusivement. C’est sur cette coûtume que se reglent toutes celles qui n’ont pas de dispositions contraires.

Le droit d’ainesse ne peut être ôté par le pere au premier né, & transporté au cadet, même du consentement de l’ainé : mais l’ainé peut de son propre mouvement & sans contrainte, renoncer validement à son droit : & si la renonciation est faite avant l’ouverture de la succession, elle opere le transport du droit d’ainesse sur le puîné ; secus, si elle est faite après l’ouverture de la succession : auquel cas elle accroît au profit de tous les enfans, à moins qu’il n’en ait fait cession expresse à l’un d’eux.

Les filles n’ont jamais de droit d’ainesse, à moins qu’il ne leur soit donné expressément par la Coûtume.

La représentation a lieu pour le droit d’ainesse dans la plûpart des Coûtumes, & spécialement dans celle de Paris, où les enfans de l’ainé, soit mâles ou femelles, prennent tout l’avantage que leur pere auroit eu.

Observez néanmoins que les filles ne représentent leur pere au droit d’ainesse, que lorsque le défunt n’a pas laissé de frere : seulement elles prennent à ce titre la part qu’auroit eu un enfant mâle, laquelle est double de celle qui revient à une fille.

Quoique la plûpart des Coutumes se servent indifféremment du mot de préciput, en parlant du principal manoir, & de la moitié ou des deux tiers que l’ainé prend dans les fiefs, néanmoins ce qu’on appelle proprement le préciput, c’est le manoir, la basse-cour ou le vol du chapon : le reste s’appelle communément la portion avantageuse. V. Portion avantageuse.

Il y a cette différence de l’un à l’autre, que quand il y auroit dix terres en fiefs toutes bâties, dans une même succession & dans une même Coûtume, l’ainé ne peut avoir qu’un château tel qu’il veut choisir pour son préciput, au lieu qu’il prend la portion avantageuse dans tous les fiefs. (H)