L’Encyclopédie/1re édition/AIGLE

AIGLE, (Hist. nat.) s. m. très-grand oiseau de proie qui va le jour : c’est le plus courageux de tous ; son bec est recourbé sur toute sa longueur, ce qui peut le faire distinguer du faucon, dont le bec n’est crochu qu’à l’extrémité. On a distingué six especes principales d’aigles ; savoir 1°. l’aigle royal, qui a été appellé chrysaëtos, ou asterias, sans doute parce que ses plumes sont rousses ou de couleur d’or, & qu’elles sont parsemées de taches dont on a comparé la blancheur à celle des étoiles. 2°. L’orfraie, aigle de mer, halieaëtos. Voyez. 3°. Le petit aigle noir, melaneaëtos, ou valeria. 4°. L’aigle à queue blanche, pygargus. 5°. Le huard, morphnos, ou clanga. (Voyez Huard. 6°. Le percnoptere, percnopteros. Voyez Percnoptere.

Aigle Royal. On trouve dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences la description suivante de deux aigles que l’on a rapportés à l’espece de l’aigle royal. L’un étoit mâle, & l’autre femelle ; ils ne pesoient chacun guere plus de huit livres, parce qu’ils étoient jeunes. Le bec étoit noir par le bout, jaune vers sa naissance, & bleuâtre par le milieu : l’œil étoit enfoncé dans l’orbite, & couvert par une saillie de l’os du front qui faisoit comme un sourcil avancé ; il étoit de couleur isabelle fort vive, & ayant l’éclat d’une topase ; les paupieres étoient grandes, chacune étant capable de couvrir tout l’œil ; outre les paupieres supérieures & inférieures, il y en avoit une interne qui étoit relevée dans le grand coin de l’œil, & qui étant étendue vers le petit, couvroit entierement la cornée. Le plumage étoit de trois couleurs, de châtain brun, roux, & blanc ; le dessus de la tête étoit mêlé de châtain & de roux ; la gorge & le ventre étoient mêlés de blanc, de roux & de châtain, peu de roux, & encore moins de blanc. Les tuyaux des grandes plumes des ailes avoient neuf lignes de tour ; les plumes de la queue étoient fort brunes vers l’extrémité, ayant quelque peu de blanc vers leur origine : les cuisses, les jambes, & le haut des piés, jusqu’au commencement des doigts, étoient couverts de plumes moitié blanches & moitié rousses ; chaque plume étant rousse par le bout, & blanche vers son origine. Outre les grandes plumes qui couvroient le corps, il y avoit à leur racine un duvet fort blanc & fort fin, de la longueur d’un pouce. Les autres plumes qui couvroient le dos & le ventre, avoient quatre ou cinq pouces de long ; celles qui couvroient les jambes en dehors, avoient jusqu’à six pouces, & elles descendoient de trois pouces au-dessous de la partie qui tient lieu de tarse & de métatarse. Les plumes qui garnissoient la gorge & le ventre, avoient sept pouces de long & trois de large à la femelle, & elles étoient rangées les unes sur les autres comme des écailles. Au mâle elles étoient molles, n’ayant des deux côtés du tuyau qu’un long duvet, dont les fibres n’étoient point accrochées ensemble, comme elles sont ordinairement aux plumes fermes arrangées en écailles. Ces plumes étoient doubles ; car chaque tuyau après être sorti de la peau de la longueur d’environ deux lignes & demie, jettoit deux tiges inégales, l’une étant une fois plus grande que l’autre. Les doigts des piés étoient jaunes, couverts d’écailles de différentes grandeurs. Celles de dessus étoient grandes & en table, principalement vers l’extrémité, les autres étant fort petites : les ongles étoient noirs, crochus, & fort grands, surtout celui du doigt de derriere, qui étoit presque une fois plus grand que les autres. Descript. des Anim. vol. III. part. 2. page 89. & suiv.

Joignons à cette description d’un jeune aigle quelque chose de ce qu’Aldrovande a dit d’un aigle royal, qui avoit pris tout son accroissement ; il pesoit douze livres ; il avoit trois piés neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu’à l’extrémité de la queue, qui n’excédoit les pattes étendues que d’environ quatre pouces ; l’envergure étoit de six piés, le bec avoit une palme & un pouce de longueur, & deux pouces de largeur au milieu ; l’extrémité crochue de la partie supérieure du bec étoit longue d’un pouce & de couleur noire ; le reste étoit de couleur de corne, tirant sur le bleu pâle, taché de brun ; la langue ressembloit assez à celle de l’homme ; les yeux étoient fort enfoncés sous une prééminence de l’os du front ; l’iris brilloit comme du feu, & étoit légerement teinte de vert ; la prunelle étoit fort noire ; les plumes du cou étoient fermes & de couleur de fer ; les aîles & la queue étoient brunes, & cette couleur étoit d’autant plus foncée, que les plumes étoient plus grandes ; les petites plumes du reste du corps étoient d’un brun roux ou châtain, & parsemées de taches blanches, plus fréquentes sur le dos que sur le ventre de l’oiseau. Toutes ces plumes étoient blanches à leur racine ; il y avoit six grandes plumes dans chaque aile : les tuyaux étoient forts, plus courts que ceux des plumes d’oie, & très-bons pour écrire. Les jambes étoient revêtues de plumes jusqu’aux piés, dont la couleur étoit jaunâtre ; les doigts étoient couverts d’écailles ; les griffes avoient depuis deux jusqu’à six pouces de longueur.

Willughby a vû trois aigles dont la queue étoit blanche en partie, & il les rapporte à l’espece de l’aigle royal. Chrysaëtos, Ornit. page 28.

Petit Aigle noir, Willughby a décrit un aigle de cette espece, qui étoit de moitié plus gros que le corbeau, mais plus petit que l’aigle à queue blanche ; il avoit les mâchoires & les paupieres dégarnies de plumes & rougeâtres : la tête, le cou, & la poitrine étoient noires ; on voyoit au milieu du dos, ou plûtôt entre les épaules, une grande tache de figure triangulaire, & d’un blanc roussâtre le croupion étoit roux ; les petites plumes des ailes étoient de la couleur de la buse ; les grandes plumes étoient traversées par une bande noire qui joignoit une autre bande blanche : enfin ce qui restoit des plumes jusqu’à leur extrémité étoit d’une couleur cendrée très-foncée ; le bec étoit moins gros que celui de l’aigle blanc ; sa pointe étoit noire, & le gros bout de couleur jaunâtre, auprès de la peau qui étoit rouge vers les narines ; l’iris des yeux étoit de couleur de noisette ; il y avoit des plumes qui couvroient le dessus des pattes, qui étoient rouges au-dessous des plumes : enfin les ongles étoient fort longs.

Aigle a queue blanche. Cet oiseau tire son nom de la couleur blanche qu’il a sur la queue, selon la description que Willughby a faite d’un mâle de cette espece dans son Ornithologie, page 31. Il pese huit livres & demie ; il a environ deux piés & demi depuis la pointe du bec jusqu’à l’extrémité de la queue, & seulement vingt-six à vingt-sept pouces si on ne prend la longueur que jusqu’au bout des pattes ; l’envergure est de six piés quatre pouces. Le bec a presque deux pouces de longueur depuis la pointe jusqu’aux narines, & trois jusqu’aux angles de la bouche, & presque trois jusqu’aux yeux. Le bec a près d’un pouce un quart de largeur ; l’extrémité crochue de la partie supérieure du bec excede presque d’un pouce la partie inférieure : l’ouverture des narines est longue d’un demi-pouce, & se trouve dans une direction oblique. Le bec est d’un jaune clair, de même que la peau qui recouvre sa base & qui environne les narines. La langue est large, charnue, & noire par le bout ; son impression est marquée sur le palais par une cavité ; il a de grands yeux enfoncés sous une prééminence de l’os du front. Ses yeux sont de couleur de noisette pâle. Willughby en avoit vû d’autres de la même espece avec des yeux jaunes & rouges ; celui-ci a les piés d’une couleur jaune claire avec de grands ongles crochus ; celui de derriere, qui est le plus grand, a un pouce de longueur ; le doigt du milieu a deux pouces. La tête de l’oiseau est blanchâtre ; la côte des petites plumes pointues est noire : il n’y a point de plumes entre les yeux & les narines, mais cet espace est couvert de soies cotoneuses par le bas. Les plumes du cou sont fort étroites, & les premieres un peu roussâtres. Le croupion est noirâtre, & tout le reste du corps de couleur de fer. Il y a environ vingt-sept grandes plumes dans chaque aile, qui sont très-bonnes pour écrire ; la troisieme & la quatrieme sont les plus longues ; la seconde a un demi-pouce de moins que la troisieme, & la premiere environ trois pouces & demi moins que la seconde. Toutes les grandes plumes des ailes sont noirâtres, & les plus petites sont de couleur cendrée par le bord. Les ailes repliées ne vont pas jusqu’au bout de la queue. La queue est composée de douze plumes, & longue de près de onze pouces ; la partie supérieure des plumes est blanchâtre, & l’inférieure noire. Willughby avoit vû un autre oiseau de cette espece, dont la queue étoit blanche à son origine, & noire par le bout. Dans celui-ci les plumes extérieures de la queue sont moins longues que celles du milieu, & leur longueur diminue par degrés à mesure qu’elles en sont éloignées.

Willughby trouva cet aigle à Venise, & il le rapporta à l’espece dont il s’agit à cause du blanc de la queue. La couleur de la tête & du bec de cet oiseau suffit, selon l’auteur qui vient d’être cité, pour le distinguer de l’aigle royal, dont la queue est traversée par une bande blanche.

Cette description de l’aigle à queue blanche, n’est pas d’accord avec celle d’Aldrovande dans son Ornithologie, liv. II. cap. 5.

Il y a des aigles sur le mont Caucase, sur le Taurus, au Pérou, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne, en Suede, en Danemarck, en Prusse, en Russie, & en général dans tout le Septentrion, où ils trouvent des oiseaux aquatiques qui sont aisés à prendre parce-qu’ils volent difficilement, & quantité d’animaux, &c. Ils habitent les rochers les plus escarpés, & les arbres les plus élevés. Ils se plaisent dans les lieux les plus reculés & les plus solitaires, fuyant non-seulement les hommes & leurs habitations, mais aussi le voisinage des autres oiseaux de proie. Il y a deux especes d’aigles qui semblent être plus familiers : l’aigle à queue blanche, qui approche des villes & qui séjourne dans les bois & dans les plaines ; & le huard qui reste sur les lacs & les étangs. En général ils se nourrissent de la chair des poissons, des crabes, des tortues, des serpens, des oiseaux, tels que les pigeons, les oies, les cygnes, les poules, & beaucoup d’autres. Ils n’épargnent pas même ceux de leur espece, lorsqu’ils sont affamés. Ils enlevent les lievres ; ils attaquent & ils déchirent les brebis, les daims, les chevres, les cerfs, & même les taureaux ; enfin ils tombent sur toute sorte d’animaux, & quelquefois le berger n’est pas en sûreté contr’eux auprès de son troupeau. L’aigle est très-chaud. On a prétendu qu’il s’approchoit jusqu’à trente fois au moins de sa femelle en un seul jour ; & on a ajoûté que la femelle ne refusoit jamais le mâle même après l’avoir reçu tant de fois. Les aigles font leur aire sur les rochers les plus escarpés ou sur le sommet des arbres les plus élevés. Quelquefois les bâtons dont l’aire est composée tiennent d’un côté à un rocher & de l’autre à des arbres. On a vû des aires qui avoient jusqu’à six piés en quarré ; elles sont revêtues de morceaux de peaux de renard ou de lievre & d’autres pelleteries pour tenir les œufs chauds. La ponte est ordinairement de deux œufs, & rarement de trois : ils les couvent pendant vingt ou trente jours ; la chaleur de l’incubation est très-grande : on croît qu’il n’éclôt ordinairement qu’un seul aiglon : le pere & la mere ont grand soin de leurs petits ; ils leur apportent dans leur bec le sang des animaux qu’ils ont tués, & ils leur fournissent des alimens en abondance, souvent même des animaux, comme des lievres, ou des agneaux encore vivans sur lesquels les aiglons commencent à exercer leur férocité naturelle. Lorsqu’on peut aborder une aire, on y trouve différentes parties d’animaux, & même des animaux entiers bons à manger, du gibier, des oiseaux. &c. On les enleve à mesure que l’aigle les apporte, & on retient l’aiglon en l’enchaînant pour faire durer cet approvisionnement : mais il faut éviter la présence de l’aigle ; cet oiseau seroit furieux, & on auroit beaucoup à craindre de sa rencontre ; car on dit que sans être irrité, il attaque les enfans. On dit aussi que l’aigle porte son petit sur ses ailes, & que lorsqu’il est assez fort pour se soûtenir, il l’éprouve en l’abandonnant en l’air, mais qu’il le soûtient à l’instant où les forces lui manquent. On ajoûte que dès qu’il peut se passer de secours étrangers, le pere & la mere le chassent au loin, & ne le souffrent pas dans leur voisinage non plus qu’aucun autre oiseau de proie. Mais la plûpart de ces faits n’ont peut-être jamais été bien observés ; il faudroit au moins tâcher de les confirmer. Je ne parlerai pas de ceux qui sont démentis par l’expérience, ou absurdes par eux-mêmes : par exemple, la pierre d’aigle qui tempere la chaleur de l’incubation, & qui fait éclorre les petits : Voyez Pierre d’Aigle : l’épreuve qu’ils font de leurs petits en les exposant aux rayons du Soleil, & en les abandonnant s’ils ferment la paupiere : la maniere dont les vieux aigles se rajeunissent ; & tant d’autres faits qu’il est inutile de rapporter.

Les Naturalistes assûrent que l’aigle vit long-tems, & peut-être plus qu’aucun autre oiseau. On prétend que lorsqu’il est bien vieux, son bec se courbe au point qu’il ne peut plus prendre de nourriture. Cet oiseau est un des plus rapides au vol & des plus forts pour saisir sa proie. Il est doüé à un degré éminent de qualités, qui lui sont communes avec les autres oiseaux de proie, comme la vûe perçante, la férocité, la voracité, la force du bec & des serres, &c. Voyez Oiseau de proie. (I)

*l’Aigle est un oiseau consacré à Jupiter, du jour où ce Dieu ayant consulté les augures dans l’isle de Naxos, sur le succès de la guerre qu’il alloit entreprendre contre les Titans, il parut un aigle qui lui fut d’un heureux présage. On dit encore que l’aigle lui fournit de l’ambroisie pendant son enfance, & que ce fut pour le récompenser de ce soin qu’il le plaça dans la suite parmi les astres. L’aigle se voit dans les images de Jupiter, tantôt aux piés du Dieu, tantôt à ses côtés, & presque toûjours portant la foudre entre ses serres. Il y a bien de l’apparence que toute cette fable n’est fondée que sur l’observation du vol de l’aigle qui aime à s’élever dans les nuages les plus hauts, & à se tenir dans la région du tonnerre. C’en fut là tout autant qu’il en falloit pour en faire l’oiseau du Dieu du ciel & des airs, & pour lui donner la foudre à porter. Il n’y avoit qu’à mettre les Payens en train, quand il falloit honorer leurs Dieux : la superstition imagine plûtôt les visions les plus extravagates & les plus grossieres, que de rester en repos. Ces visions sont ensuite consacrées par le tems & la crédulité des peuples, & malheur à celui qui sans être appellé par Dieu au grand & périlleux état de missionnaire, aimera assez peu son repos & connoîtra assez peu les hommes, pour se charger de les instruire. Si vous introduisez un rayon de lumiere dans un nid de hibous, vous ne ferez que blesser leurs yeux & exciter leurs cris. Heureux cent fois le peuple à qui la religion ne propose à croire que des choses vraies, sublimes & saintes, & à imiter que des actions vertueuses ; telle est la nôtre, où le Philosophe n’a qu’à suivre sa raison pour arriver aux piés de nos Autels.

Aigle, s. m. en Astronomie, est le nom d’une des constellations de l’hémisphere septentrional ; son aile droite touche à la ligne équinoctiale ; son aile gauche est voisine de la tête du serpent ; son bec est séparé du reste du corps par le cercle qui va du cancer au capricorne.

L’aigle & Antinoüs ne font communément qu’une même constellation. Voyez Constellation.

Ptolomée dans son catalogue ne compte que 15 étoiles dans la constellation de l’aigle & d’Antinoüs, Tycho-Brahé en compte 17 : le catalogue Britannique en compte 70. Hevelius a donné les longitudes, latitudes, grandeurs, &c. des étoiles qui sont nommées par les deux premiers Auteurs ; on peut voir le calcul du catalogue Britannique sur cette constellation dans l’Histoire Celeste de Flamstéed. (O)

Aigle, s. f. en Blason, est le symbole de la royauté, parce qu’il est, selon Philostrate, le roi des oiseaux ; c’est aussi la raison pour laquelle les anciens l’avoient dédié à Jupiter.

L’Empereur, le Roi de Pologne, &c. portent l’aigle dans leurs armes : on l’estime une des parties les plus nobles du Blason ; & suivant les connoisseurs dans cet art, elle ne devroit jamais être donnée qu’en récompense d’une bravoure ou d’une générosité extraordinaire. Dans ces occasions, on peut permettre de porter ou une aigle entiere, ou une aigle naissante, ou bien seulement une tête d’aigle.

On représente l’aigle quelquefois avec une tête, quelquefois avec deux, quoiqu’elle n’ait jamais qu’un corps, deux jambes, & deux ailes ouvertes & étendues, & en ce cas on dit qu’elle est éployée : telle est l’aigle de l’Empire, qu’on blasonne ainsi ; une aigle éployée, sable, couronnée ; languée, becquée & membrée de gueule.

La raison pour laquelle on a coûtume de donner dans le Blason des aigles avec les ailes ouvertes & étendues, est que dans cette attitude elles remplissent mieux l’écusson, & qu’on s’imagine que cette attitude est naturelle à l’aigle lorsqu’elle arrange son plumage, ou qu’elle regarde le Soleil. On voit cependant dans les armoiries, des aigles dans d’autres attitudes ; il y en a de monstrueuses, à tête d’homme, de loup, &c.

Les Auteurs modernes se servent du mot éployée, pour désigner une aigle qui a deux têtes ; & l’appellent simplement aigle, sans ajoûter d’épithete, lorsqu’elle n’en a qu’une. Le Royaume de Pologne porte gueule, une aigle argent, couronnée & membrée, or.

L’aigle a servi d’étendart à plusieurs nations. Les premiers peuples qui l’ont portée en leurs enseignes sont les Perses, selon le témoignage de Xénophon. Les Romains, après avoir porté diverses autres enseignes, s’arrêterent enfin à l’aigle, la seconde année du Consulat de Marius : avant cette époque, ils portoient indifféremment des loups, des léopards & des aigles, selon la fantaisie de celui qui les commandoit. Voyez Étendart.

Plusieurs d’entre les Savans soûtiennent que les Romains emprunterent l’aigle de Jupiter, qui l’avoit prise pour sa devise, parce que cet oiseau lui avoit fourni du nectar pendant qu’il se tenoit caché dans l’isle de Crete, de peur que son pere Saturne ne le dévorât. D’autres disent qu’ils la tiennent des Toscans, & d’autres enfin des habitans de l’Epire.

Il est bon de remarquer que ces aigles Romaines n’étoient point des aigles peintes sur des drapeaux ; c’étoient des figures en relief, d’or ou d’argent, au haut d’une pique ; elles avoient les ailes étendues, & tenoient quelquefois un foudre dans leurs serres. Voyez l’Hist. de Dion. liv. XI. Au-dessous de l’aigle on attachoit à la pique des boucliers, & quelquefois des couronnes. Voyez Feschius Dissert. de insignibus. Et Lipse, de Militia Romana. liv. IV. Dialogue 5.

On dit que Constantin fut le premier qui introduisit l’aigle à deux têtes, pour montrer qu’encore que l’Empire semblât divisé, ce n’étoit néanmoins qu’un même corps. D’autres disent que ce fut Charlemagne, qui reprit l’aigle, comme étant l’enseigne des Romains, & qu’il y ajoûta une seconde tête. Mais cette opinion est détruite par un aigle à deux têtes, que Lipse a observé dans la colonne Antonine, & parce qu’on ne voit qu’une seule tête dans le sceau de l’Empereur Charles IV. qui est apposé à la Bulle d’or. Ainsi, il y a plus d’apparence à la conjecture du Pere Menestrier, qui dit que de même que les Empereurs d’Orient, quand il y en avoit deux sur le Trône, marquoient leurs monnoies d’une croix à double traverse, que chacun d’eux tenoit d’une main, comme étant le symbole des Chrétiens ; aussi firent-ils la même chose de l’aigle dans leurs enseignes, & au lieu de doubler leurs aigles, ils les joignirent & les représenterent avec deux têtes : en quoi les Empereurs d’Occident suivirent bien-tôt leur exemple.

Le Pere Papebrock demande que la conjecture du Pere Menestrier soit prouvée par d’anciennes monnoies, sans quoi il doute si l’usage de l’aigle à deux têtes n’a point été purement arbitraire ; cependant il convient qu’il est probable que cet usage s’est introduit à l’occasion de deux Empereurs qui avoient été en même tems sur le throne : il ajoûte que depuis l’aigle à deux têtes de la colonne Antonine, on n’en trouve plus jusqu’au quatorzieme siecle sous l’Empereur Jean-Paléologue.

Selon M. Spanheim, l’aigle sur les médailles est un symbole de la divinité & de la providence : mais tous les autres Antiquaires disent que c’est le symbole de la Souveraineté ou de l’Empire ; les Princes sur les médailles desquels on la trouve le plus souvent, sont les Ptolemées & les Seleucides de Syrie : une aigle avec le mot consecratio dénote l’apothéose d’un Empereur. (V)

Aigle, (en Architecture.) c’est la représentation de cet oiseau qui servoit anciennement d’attribut aux chapiteaux des Temples dédiés à Jupiter. On s’en sert encore pour orner quelques chapiteaux, comme à l’ionique de l’Eglise des PP. Barnabites de Paris. (P)

* Aigle, (Géog.) petite ville de France dans la haute Normandie, à onze lieues d’Evreux & dix-neuf de Rouen.