L’Encyclopédie/1re édition/ABREGÉ
ABREGÉ, s. m. épitome, sommaire, précis, raccourci. Un abregé est un discours dans lequel on réduit en moins de paroles, la substance de ce qui est dit ailleurs plus au long & plus en détail.
« Les Critiques, dit M. Baillet, & généralement tous les Studieux qui sont ordinairement les plus grands ennemis des abregés, prétendent que la coûtume de les faire ne s’est introduite que long-tems après ces siecles heureux où fleurissoient les Belles-Lettres & les Sciences parmi les Grecs & les Romains. C’est à leur avis un des premiers fruits de l’ignorance & de la fainéantise, où la barbarie a fait tomber les siecles qui ont suivi la décadence de l’Empire. Les Gens de Lettres & les Savans de ces siecles, disent-ils, ne cherchoient plus qu’à abreger leurs peines & leurs études, sur-tout dans la lecture des Historiens, des Philosophes, & des Jurisconsultes, soit que ce fût le loisir, soit que ce fût le courage qui leur manquât ».
Les abregés peuvent, selon le même Auteur, se réduire à six especes differentes ; 1°, les épitomes où l’on a réduit les Auteurs en gardant régulierement leurs propres termes & les expressions de leurs originaux, mais en tâchant de renfermer tout leur sens en peu de mots ; 2°. les abrégés proprement dits, que les Abréviateurs ont faits à leur mode, & dans le style qui leur étoit particulier ; 3°. les centons ou rhapsodies, qui sont des compilations de divers morceaux ; 4°. les lieux communs ou classes sous lesquelles on a rangé les matieres relatives à un même titre ; 5°. les Recueils faits par certains Lecteurs pour leur utilité particuliere, & accompagnés de remarques ; 6°. les extraits qui ne contiennent que des lambeaux transcrits tout entiers dans les Auteurs originaux, la plûpart du tems sans suite & sans liaison les uns avec les autres.
« Toutes ces manieres d’abreger les Auteurs, continue-t-il, pouvoient avoir quelque utilité pour ceux qui avoient pris la peine de les faire, & peut-être n’étoient-elles point entierement inutiles à ceux qui avoient lû les originaux. Mais ce petit avantage n’a rien de comparable à la perte que la plûpart de ces abregés ont causée à leurs Auteurs, & n’a point dédommagé la République des Lettres ».
En effet, en quel genre ces abregés n’ont-ils pas fait disparoître une infinité d’originaux ? Des Auteurs ont crû que quelques-uns des Livres saints de l’ancien Testament n’étoient que des abregés des Livres de Gad, d’Iddo, de Nathan, des Mémoires de Salomon, de la Chronique des Rois de Juda, &c. Les Jurisconsultes se plaignent qu’on a perdu par cet artifice plus de deux mille volumes des premiers Ecrivains dans leur genre, tels que Papinien, les trois Scevoles, Labéon, Ulpien, Modestin, & plusieurs autres dont les noms sont connus. On a laissé périr de même un grand nombre des ouvrages des Peres Grecs depuis Origene ou S. Irenée, même jusqu’au schisme, tems auquel on a vû toutes ces chaînes d’Auteurs anonymes sur divers Livres de l’Ecriture. Les extraits que Constantin Porphyrogenete fit faire des excellens Historiens Grecs & Latins sur l’histoire, la Politique, la Morale, quoique d’ailleurs très-loüables, ont occasionné la perte de l’Histoire Universelle de Nicolas de Damas, d’une bonne partie des Livres de Polybe, de Diodore de Sicile, de Denys d’Halicarnasse, &c. On ne doute plus que Justin ne nous ait fait perdre le Trogue Pompée entier par l’abrege qu’il en a fait, & ainsi dans presque tous les autres genres de littérature.
Il faut pourtant dire en faveur des abregés, qu’ils sont commodes pour certaines personnes qui n’ont ni le loisir de consulter les originaux, ni les facilités de se les procurer, ni le talent de les approfondir, ou d’y démêler ce qu’un compilateur habile & exact leur présente tout digéré. D’ailleurs, comme l’a remarqué Saumaise, les plus excellens ouvrages des Grecs & des Romains auroient infailliblement & entierement péri dans les siecles de barbarie, sans l’industrie de ces Faiseurs d’abregés qui nous ont au moins sauvé quelques planches du naufrage : ils n’empêchent point qu’on ne consulte les originaux quand ils existent. Baillet, Jugem. des Sçavans, tom. I. pag. 240. &. suiv. (G)
Ils sont utiles : 1°. à ceux qui ont déjà vû les choses au long.
2°. Quand ils sont faits de façon qu’ils donnent la connoissance entiere de la chose dont ils parlent, & qu’ils sont ce qu’est un portrait en mignature par rapport à un portrait en grand. On peut donner une idée générale d’une grande Histoire, ou de quelqu’autre matiere ; mais on ne doit point entamer un détail qu’on ne peut pas éclaircir, & dont on ne donne qu’une idée confuse qui n’apprend rien, & qui ne réveille aucune idée déja acquise. Je vais éclaircir ma pensée par ces exemples : Si je dis que Rome fut d’abord gouvernée par des Rois, dont l’autorité duroit autant que leur vie, ensuite par deux Consuls annuels ; que cet usage fut interrompu pendant quelques années ; que l’on élut des Décemvirs qui avoient la suprème autorité, mais qu’on reprit bien-tôt l’ancien usage d’élire des Consuls : qu’enfin Jules César, & après lui, Auguste, s’emparerent de la souveraine autorité ; qu’eux & leurs successeurs furent nommés Empereurs : il me semble que cette idée générale s’entend en ce qu’elle est en elle-même : mais nous avons des abregés qui ne nous donnent qu’une idée confuse qui ne laisse rien de précis. Un célebre Abréviateur s’est contenté de dire que Joseph fut vendu par ses freres, calomnié par la femme de Putiphar, & devint le Surintendant de l’Égypte. En parlant des Décemvirs, il dit qu’ils furent chassés à cause de la lubricité d’Appius ; ce qui ne laisse dans l’esprit rien qui le fixe & qui l’éclaire. On n’entend ce que l’Abréviateur a voulu dire, que lorsque l’on sait en détail l’Histoire de Joseph & celle d’Appius. Je ne fais cette remarque que parce qu’on met ordinairement entre les mains des jeunes gens des abregés dont ils ne tirent aucun fruit, & qui ne servent qu’à leur inspirer du dégoût. Leur curiosité n’est excitée que d’une maniere qui ne leur fait pas venir le desir de la satisfaire. Les jeunes gens n’ayant point encore assez d’idées acquises, ont besoin de détail ; & tout ce qui suppose des idées acquises, ne sert qu’à les étonner, à les décourager, & à les rebuter.
En abregé, façon de parler adverbiale, summatim. Les jeunes gens devroient recueillir en abregé ce qu’ils observent dans les Livres, & ce que leurs Maîtres leur apprennent de plus utile & de plus intéressant. (F)
Abregé ou Abréviation, lorsqu’on veut écrire avec diligence, ou pour diminuer le volume, ou en certains mots faciles à deviner, on n’écrit pas tout au long. Ainsi au lieu d’écrire Monsieur & Madame, on écrit Mr ou Me par abréviation ou par abrégé. Ainsi les abréviations sont des lettres, notes, caracteres, qui indiquent les autres lettres qu’il faut suppléer. D. O. M. c’est-à-dire, Deo optimo, maximo. A. R. S. H. Anno reparatæ salutis humanæ. Au commencement des Epîtres latines, on trouve souvent S. P. D. c’est-à-dire, Salutem plurimam dicit. Aux Inscriptions, D. V. C. c’est-à-dire, Dicat, vovet, consecrat. Sertorius Ursatus a fait une collection des explications De Notis Romanorum. (F)
ABREGÉ, s. m. partie de l’Orgue. C’est un assemblage de plusieurs rouleaux par le moyen desquels on répand & l’on transmet l’action des touches du clavier dans une plus grande étendue. Voyez la Figure 20. Planches d’Orgue.
Si les sommiers n’avoient pas plus d’étendue que le clavier, il suffiroit alors de mettre des targettes qui seroient attachées par leur extrémité inférieure aux demoiselles du clavier, & par leur extrémité supérieure aux anneaux des boursettes. Il est sensible qu’en baissant une touche du clavier, on tireroit sa targette qui feroit suivre la boursette, l’esse & la soupape correspondante. Mais comme les soupapes ne peuvent pas être aussi près les unes des autres que les touches du clavier dont 13, nombre de touches d’une octave y compris les feintes, ne font qu’un demi-pié, puisqu’il y a tel tuyau dans l’Orgue, qui porte le double ; il a donc fallu nécessairement les écarter les unes des autres : mais en les éloignant les unes des autres, elles ne se trouvent plus vis-à-vis des touches correspondantes du clavier, d’où cependant il faut leur transmettre l’action. Il faut remarquer que l’action des touches du clavier se transmet par le moyen des targettes posées verticalement, & ainsi que cette action est dans une ligne verticale. Pour remplir cette indication, on fait des rouleaux B C, Fig. 21. qui sont de bois & à huit pans d’un pouce ou environ de diametre : aux deux extrémités de ces rouleaux que l’on fait d’une longueur convenable, ainsi qu’il va être expliqué on met deux pointes de fil de fer d’une ligne ou une demi-ligne de diametre pour servir de pivots. Ces pointes entrent dans les trous des billots. AA. Voyez Billots. Soit maintenant la ligne ED, la targette qui monte d’une touche de clavier au rouleau, & la ligne GF celle qui descend de la soupape au même rouleau. La distance FD entre les perpendiculaires qui passent par une soupape, & la touche qui doit la faire mouvoir s’appellera l’expansion du clavier. Les rouleaux doivent être de trois ou quatre pouces plus longs que cette étendue. Ces trois ou quatre pouces doivent être repartis également aux deux côtés de l’espace IK qui est l’espace égal & correspondant du rouleau. A l’espace FD, aux points I & K, on perce des trous qui doivent traverser les mêmes faces. Ces trous servent à mettre des pattes IF, KD de gros fil de fer. Ces pattes sont appointées par l’extrémité qui entre dans le rouleau, & rivées après l’avoir traversé ; l’autre extrémité de la pate est applatie dans le sens vertical, & percée d’un trou qui sert à recevoir le leton des targettes. Les pattes ont trois ou quatre pouces de longueur hors du rouleau, & sont dans le même plan horisontal. On conçoit maintenant que si l’on tire la targette ED attachée à une touche, en appuyant le doigt sur cette touche, l’extrémité D de la patte DK doit baisser. Mais comme la patte est fixée dans le rouleau au point K, elle ne sauroit baisser par son extrémité D sans faire tourner le rouleau sur lui-même d’une égale quantité. Le rouleau en tournant fait suivre la patte IF dont l’extrémité F décrit un arc de cercle égal à celui que décrit l’extrémité D de l’autre patte, & tire la targette FG à laquelle le mouvement de la targette E a ainsi été transmis. Cette targette FG est attachée à la boursette par le moyen du leton H. Voyez Boursette, Sommier.
Un abregé est un composé d’autant de rouleaux semblables à celui que l’on vient de décrire, qu’il y a de touches au clavier ou de soupapes dans les sommiers. Tous les rouleaux qui composent un abregé sont rangés sur une table ou planche EFGH, Fig. 20, dans laquelle les queues des billots entrent & sont collées. Une de leurs pattes répond directement au-dessus d’une touche du clavier LM, à laquelle elle communique par le moyen de la targette ab. L’autre patte communique par le moyen d’une targette cd à une soupape des sommiers SS, TT qui s’ouvre, lorsque l’on tire la targette du clavier en appuyant le doigt sur la touche à laquelle elle est attachée, ce qui fait tourner le rouleau & tirer la targette du sommier. On appelle targette du clavier celle qui va du clavier à l’abregé, & targette du sommier celle qui va de l’abregé au sommier. Les unes & les autres doivent se trouver dans un même plan vertical dans lequel se doivent aussi trouver les demoiselles du clavier & les boursettes des sommiers. Par cette ingénieuse construction, l’étendue des sommiers qui est quelquefois de 15 ou 20 piés, se trouve rapprochée ou réduite à l’étendue du clavier qui n’est que de deux piés pour quatre octaves. C’est ce qui lui a fait donner le nom d’abregé, comme étant les sommiers réduits ou abregés.
Dans les grandes Orgues qui ont deux sommiers placés à côté l’un de l’autre en cette sorte A▭C▭B, les tuyaux des basses & des dessus sont repartis sur tous les deux ; ensorte que les plus grands soient vers les extrémités extérieures A-B, & les plus petits vers C ; les tuyaux sur chaque sommier se suivent par tons, en cette sorte :
La disposition des rouleaux pour faire cette repartition est représentée dans la Figure.