L’Encyclopédie/1re édition/Æ

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 153-154).
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Æ. (Gramm.) Cette figure n’est aujourd’hui qu’une diphthongue aux yeux, parce que quoiqu’elle soit composée de a & de e, on ne lui donne dans la prononciation que le son de l’e simple ou commun, & même on ne l’a pas conservée dans l’orthographe Françoise : ainsi on écrit César, Enée, Enéide, Equateur, Equinoxe, Eole, Préfet, Préposition, &c.

Comme on ne fait point entendre dans la prononciation le son de l’a & de l’e en une seule syllabe, on ne doit pas dire que cette figure soit une diphthongue.

On prononce a-éré, exposé à l’air, & de même a-érien : ainsi a-é ne sont point une diphthongue en ces mots, puisque l’a & l’e y sont prononcés chacun séparément en syllabes particulieres.

Nos anciens Auteurs ont écrit par æ le son de l’ai prononcé comme un ê ouvert : ainsi on trouve dans plusieurs anciens Poëtes l’ær au lieu de l’air, aer, & de même æles pour aîles ; ce qui est bien plus raisonnable que la pratique de ceux qui écrivent par ai le son de l’é ouvert, Français, connaître. On a écrit connoître dans le tems que l’on prononçoit connoître ; la prononciation a changé, l’orthographe est demeurée dans les Livres ; si vous voulez réformer cette orthographe & la rapprocher de la prononciation présente, ne réformez pas un abus par un autre encore plus grand : car ai n’est point fait pour représenter ê. Par exemple, l’interjection hai, hai, hai, bail, mail, &c. est la prononciation du Grec ταῖς, μούσαις.

Que si on prononce par ê la diphthongue oculaire ai en palais, &c. c’est qu’autrefois on prononçoit l’a & l’i en ces mots-là ; usage qui se conserve encore dans nos Provinces méridionales : de sorte que je ne vois pas plus de raison de réformer François par Français, qu’il y en auroit à réformer palais par palois.

En Latin æ & ai étoient de véritables diphthongues, où l’a conservoit toûjours un son plein & entier, comme Plutarque l’a remarqué dans son Traité des Festins, ainsi ai que nous entendons le son de l’a dans notre interjection, hai, hai, hai ! Le son de l’e ou de l’i étoit alors très-foible, & c’est à cause de cela qu’on écrivoit autrefois par ai ce que depuis on a écrit par æ, Musai ensuite Musæ, Kaisar & Cæsar. Voyez la Méthode Latine de P. R. (F)