L’Enclos du Rêve/07/La Chanson d’Automne

Alphonse Lemerre (p. 122-124).

LA CHANSON D’AUTOMNE

J’irai seul au jardin où fleurit la sagesse.
C’est un jardin désert, taciturne et pensif
Où les arbres ont pris cet air méditatif
Des philosophes que rien ne charme ou ne blesse.
J’irai seul au jardin où fleurit la sagesse.

De grands hortensias, dédaigneux et moroses,
Épanchent leurs bouquets aux vasques des bassins
Où le Temps burina de fantasques dessins
Se cachant à demi sous les pétales roses
Des grands hortensias dédaigneux et moroses.


Les oiseaux sont partis, les sources sont taries,
Et les boutons sont morts aux pâles églantiers ;
La ronce et le chardon disputent les sentiers
Aux buissons effeuillés des bandes défleuries.
Les oiseaux sont partis, les sources sont taries.

Et ce jardin n’est plus qu’un vaste cimetière
Où tout dit le néant des choses d’ici-bas,
Où l’on heurte un débris de tombe à chaque pas.
L’orgueil, l’argent, l’amour sont fragile matière,
Leurs stèles ont rempli ce vaste cimetière.

Des marbres sinueux les splendeurs sont passées,
La Renommée au ciel a le profil tourné,
Mais sa trompette gît sur le gazon fané,
Et ses ailes sont lamentables et cassées.
Des marbres sinueux les splendeurs sont passées.

Marbres, qui vous rendra votre beauté première ?
L’auguste Liberté laisse choir le flambeau,
La Fortune a perdu la roue, et son bandeau
Se détache et s’effrite au bord de sa paupière.
Marbres, qui vous rendra votre beauté première ?


Pan cherche, mais en vain, sous sa main mutilée
La flûte qui tomba du bout de ses doigts gourds.
Les Faunes étaient las, les Échos étaient sourds,
Et le vent brisa la flûte déjà fêlée
Que Pan cherche toujours sous sa main mutilée.

Dans son carquois noirci l’Amour n’a pas de flèche,
Et l’arc abandonné ne lance plus de traits,
Et les yeux de l’enfant cruel sont sans attraits,
Et sa lèvre est maussade, et sa mine est revêche.
Dans son carquois noirci l’Amour n’a pas de flèche.

J’irai seul au jardin où fleurit la sagesse,
Pour y cueillir la fleur déclose de l’oubli.
À l’autel de mon cœur le rite est aboli
Du culte que jadis encensa ma jeunesse.
J’irai seul au jardin où fleurit la sagesse.