L’Enclos du Rêve/06/Jeune Fille moderne, son Rêve

Alphonse Lemerre (p. 90-92).

JEUNE FILLE MODERNE
SON RÊVE

De mon pauvre cœur voici
Que nul ne prend le souci
Et ne fait la découverte.
Que nul ne prend le souci
Je laisse la porte ouverte,
Le premier passant venu
Pourra voir mon cœur tout nu.

Au ras de l’ombre il émerge,
Et sa forme pure et vierge
Apparaît, joyau vermeil,


Pétri d’éclatante argile,
D’un peu de sable fragile
Et de rayons de soleil.

Pour la lutte de la vie
J’y semai des fleurs d’envie,
Mais aussi des fleurs d’amour.

Tout cela grandit et pousse
Parmi le lierre et la mousse,
Côté jardin, côté cour.

Et de ce terrain inculte,
Un jardinier ayant culte
De la beauté de son art,

Et le prenant tout en friche,
Pourrait devenir très riche
S’il n’arrivait pas trop tard.

Il verrait croître sans peine
Roses, jasmins et verveine ;
Même les échantillons


Des essences les plus rares
Sortiraient, droits et sans tares,
Dans le creux brun des sillons.

Il pourrait, sans compte à rendre,
Tout tenter, tout entreprendre
Sur ce terrain neuf encor,

Et de ce coin solitaire,
Si cela devait lui plaire,
Faire un merveilleux décor.

Voilà pourquoi sur la porte,
Comme ce cas le comporte,
Je vais pendre un écriteau :

Cœur à céder, où la flore
Du bonheur voudrait éclore ;
On traiterait au plus tôt.