L’Enclos du Rêve/04/Rogations

Alphonse Lemerre (p. 59-64).

ROGATIONS

À travers les chemins qui sillonnent les champs,
Comme des rubans blancs sur des étoffes claires,
C’est la procession qui passe avec des chants
Et de longs chuchotis d’Avé sur les rosaires.

La procession passe à travers les chemins
Jonchés de fleurs et de feuilles aromatiques,
Les petits clercs tenant le cierge entre leurs mains
Psalmodient gravement les stances liturgiques,

Et le plus fort d’entre eux de ses deux bras soutient
La lourde croix d’argent qui vacille et s’incline,
Comme dans un salut de bon pasteur qui vient
Visiter ses brebis de chaumine en chaumine.


Car la procession conduit les laboureurs
À chaque reposoir dressé contre la haie,
Entre les peupliers et les saules pleureurs,
Sur la pierre jetant l’ombre de leur futaie ;

Mais la pierre noircie en ce jour solennel
Par de pieuses mains fut couverte de voiles,
Et sur le lin bleui pour rappeler le ciel
On a jeté des lis et semé des étoiles.

Dans la beauté du jour les flammes aux flambeaux
Brillent pâles comme des pierres endormies,
Et les saints vénérés en de très vieux tableaux
Dressent parmi les fleurs leurs statures amies,

Et dans l’air clair où s’accrochent des rais ambrés
Le prêtre est à genoux pour les rites sacrés.

L’autel embaumé d’acacias et de menthe
S’auréole des ors somptueux du soleil,
Et tous sont prosternés devant la croix clémente.
L’enfant de chœur, alors, dans l’encensoir vermeil


Vient verser les grains blonds de l’encens qui parfume ;
Il le fait osciller trois fois, dévotement,
Puis le balance au bout des chaînes, lentement,
Comme un grand cœur troué dont la blessure fume.

Ô Seigneur de la croix, ô Christ, Notre-Sauveur,
C’est le cœur militant de la glèbe chrétienne
Qui va dans sa robuste et naïve ferveur
Demander aujourd’hui que sa cause soit tienne.

C’est son cœur confiant qui s’élève vers toi,
Sa supplication aux marches de ton trône
Mêle aux vapeurs d’encens l’hommage de sa foi.
Seigneur, à tes enfants, promets la sainte aumône ;

Ô fils de l’Homme, sois toujours l’intercesseur
De ces hommes auprès du Verbe, notre Père ;
Bénis leur lourde tâche et répands ta douceur
Sur ceux que courbe ici le vent de la prière :

prière.

« Jésus des Oliviers, nous qui vous connaissons
Le Maître bienfaisant qui sur les humbles veille,
Protégez les espoirs des futures moissons
Et gardez-les du mal quand la ferme sommeille.


« Jésus des Oliviers, qu’à votre sainte voix
La saison soit propice aux terres nourricières,
Préservez tous ces champs, préservez tous ces bois
Des accablants soleils, des grêles meurtrières.

« Jésus des Oliviers, quand nous aurons plus tard
Fauché de tous nos prés les coupes odorantes,
Éloignez chaque jour par votre seul regard
Les nuages chargés des ondes dévorantes.

« Ces lourds nuages noirs sur nous amoncelés
Chassez-les, ô Seigneur, comme de mauvais anges,
Pour qu’à nos chariots les grands bœufs accouplés
Puissent rentrer les foins sous les toits de nos granges.

« Seigneur, écoutez-nous, Seigneur, exaucez-nous ;
Ayez pitié, Seigneur, soyez-nous favorable,
Faites les blés féconds, les fruits juteux et doux,
Et gardez de la mort les troupeaux dans l’étable. »

Tous en se relevant graves et recueillis
Sentent passer sur eux un souffle tutélaire,
Et la procession déroule ses longs plis
À travers les chemins de calvaire en calvaire.


À travers les chemins qui sillonnent les champs,
Comme des rubans blancs sur des étoffes claires,
C’est la procession qui passe avec des chants
Et de longs chuchotis d’Avé sur les rosaires.