L’Emploi des mathématiques en économie politique/III

M. Giard & É. Brière (p. 157-256).


TROISIÈME PARTIE

Consistance de l’emploi des mathématiques en économie politique.


Quoi qu’il en soit des diverses considérations que nous avons développées dans la première partie de ce travail, il est incontestable que c’est à l’épreuve que l’on discerne le mieux les bonnes méthodes comme les bons ouvriers. C’est pourquoi, dans cette troisième partie, nous allons essayer de montrer en quoi consiste l’emploi des mathématiques en économie politique et les résultats que cet emploi permet d’obtenir. Mais du fait même de la concision qui fait adopter l’analyse mathématique pour traiter les questions trop complexes pour être abordées par la logique ordinaire, les théories établies par cette voie ne sont généralement pas de nature à être résumées comme des théories littéraires. Aussi, sans viser aucunement à rédiger un « abrégé » d’économie mathématique, laisserons-nous de côté tous les détails — qu’il est toujours loisible de retrouver dans les ouvrages auxquels nous nous référerons — pour nous borner à faire voir, dans les grandes lignes, comment les mathématiques ont permis d’apporter la lumière dans la théorie de l’échange, ainsi que dans sa filiale la théorie de la production, qui constitue la théorie centrale de l’économie pure. L’échange en effet est toujours, en dernière analyse, le seul phénomène objectif, c’est-à-dire susceptible d’être étudié scientifiquement, que l’on rencontre à la base des diverses questions qui font l’objet des quatre vieilles divisions de l’économie politique : la production, la distribution, la circulation et la consommation.

Dans cet exposé schématique nous n’envisagerons d’ailleurs pas de plano l’emploi des mathématiques en économie politique dans toute sa généralité. Nous commencerons par indiquer les solutions de problèmes simplifiés, qui ont été fournies par les fondateurs de l’économie pure ; nous montrerons ensuite comment la généralisation de ces solutions a permis aux économistes mathématiciens contemporains d’élucider progressivement des questions de plus en plus compliquées, conformément à ce que nous avons vu dans la seconde partie. Après avoir rappelé comment Jevons a donné la première expression rigoureuse de la valeur d’échange, nous dirons comment Walras a modifié cette expression de manière à pouvoir l’étendre à un marché quelconque de produits ou de services producteurs ; puis nous mentionnerons comment M. Edgeworth a introduit dans la science la notion d’indépendance des biens économiques ; et enfin nous exposerons comment, après que MM. Irving Fisher et Pareto eurent affranchi l’économie pure de toute hypothèse métaphysique relative à la nature du plaisir, ce dernier est parvenu à établir dans son ensemble la théorie de l’équilibre économique sous les différents régimes que l’on peut envisager. Passant ainsi du simple au composé, nous pourrons rendre plus clairement compte de la structure des théories les plus générales, en montrant les améliorations qu’elles présentent sur celles qui les ont précédées, de même que l’on facilite la description des machines jouissant de tous les perfectionnements dus à l’industrie moderne en la faisant précéder de celle de machines de types primitifs dont l’économie est plus directement saisissable.


CHAPITRE PREMIER

Équilibre de l’échange de deux marchandises entre elles.


§ 1. — La théorie de l’échange de W. St. Jevons.

La « théorie de l’utilité finale » est trop connue aujourd’hui pour qu’il y ait lieu de la reproduire ici. Mais, comme elle est, la plupart du temps, exposée sous une forme purement littéraire, qui ne laisse pas apercevoir nettement la communauté de base des recherches de Jevons et des principaux travaux d’économie politique postérieurs, nous ne croyons pas superflu de rappeler comment cet éminent économiste a été amené à poser, pour la première fois, les conditions de l’équilibre de l’échange de deux marchandises, qui ont constitué, d’après ce que nous avons vu, l’embryon d’où sont sorties, par voie d’extension et de généralisation, les conditions générales de l’équilibre économique dont l’étude fait l’objet de l’économie pure.

Selon la définition de J.-B. Say, l’utilité c’est la faculté qu’ont les choses de pouvoir servir à l’homme[1].

Ce n’est donc pas une qualité absolue, mais une qualité relative qui dépend des besoins de l’homme : « L’utilité ne dénote pas une qualité intrinsèque des choses que nous qualifions d’utiles ; elle exprime seulement leur rapport aux efforts et aux plaisirs de l’humanité » (Senior). Par suite, l’utilité d’une marchandise doit être considérée « comme mesurée ou même tout à fait identique »[2] à ce que la consommation de cette marchandise ajoute au bonheur de celui qui la consomme. Or, au fur et à mesure que se poursuit la consommation d’une quantité de marchandise déterminée, l’intensité de la jouissance produite et réciproquement le degré d’utilité, c’est-à-dire l’utilité « spécifique » de la marchandise considérée, sont des grandeurs variables, qui finissent en général par devenir constamment décroissantes[3], de telle sorte que chaque élément de marchandise successivement consommé est caractérisé par une utilité élémentaire différente de celles des autres éléments. L’utilité totale correspondant à la totalité de la quantité de marchandise envisagée est donc, non pas proportionnelle à cette quantité totale, mais égale à la somme des utilités élémentaires des éléments successivement consommés ou, en d’autres termes, à l’intégrale, entre des limites convenables, du degré d’utilité de la marchandise en question considéré comme fonction de la quantité consommée.

Cela étant, mettons en présence deux échangistes porteurs l’un d’une quantité d’une marchandise (A) et l’autre d’une quantité d’une marchandise (B), marchandises dont les degrés d’utilité sont respectivement représentés par les fonctions et , pour le premier individu, et et pour le second.

Pour que, après échange d’une certaine quantité de la marchandise (A) contre une certaine quantité de la marchandise (B), chacun des échangistes puisse se déclarer satisfait, il faut que l’échange supplémentaire d’un élément de la marchandise (A) contre un élément de la marchandise (B) ne soit pas susceptible de modifier l’utilité totale dont jouit chacun d’eux, c’est-à-dire que l’on ait :


et


ou


ce qui signifie que le rapport d’échange des deux derniers éléments échangés doit être égal, pour chacun des échangistes, au rapport des degrés d’utilité de ces derniers éléments, auxquels Jevons a donné le nom de degrés finals d’utilité (ou, plus simplement, d’utilités finales). Or, comme il ne saurait y avoir simultanément sur un marché régi par la libre concurrence plusieurs rapports d’échange différents pour deux marchandises données, le rapport d’échange des quantités totales est nécessairement ; égal au rapport d’échange des derniers éléments échangés. Il résulte donc des deux relations ci-dessus que les quantités échangées satisfont aux deux équations suivantes :


qui sont précisément l’expression de la proposition qui constitue, d’après Jevons, ainsi que nous l’avons dit (II, II, 2), « la clé de voûte de toute la Théorie de l’Échange et des principaux problèmes de l’Économique », à savoir que « Le rapport d’Échange de deux produits quel conques sera inversement proportionnel au rapport des degrés finals d’utilité des quantités de produits disponibles pour la consommation après que l’échange est achevé. »

Ces équations — qui sont devenues célèbres sous le nom de « équations de Jevons » — étant en nombre égal à celui des inconnues et du problème d’échange envisagé, elles déterminent entièrement ce problème et offrent ainsi, dans un cas particulièrement simple il est vrai, le premier exemple d’une représentation mathématique des conditions d’un équilibre économique.


§ 2. — La théorie de l’échange de L. Walras.

Le principe de cette théorie ayant été exposé par Walras dans un mémoire lu à l’Académie des sciences morales et politiques, aux séances des 16 et 23 août 1873[4], dont il envoya un exemplaire à Jevons, celui-ci adressa en retour au professeur de Lausanne un compte rendu de sa communication au Congrès de Cambridge de la British Association[5], qu’il accompagna des commentaires suivants, dans une lettre en date du 12 mai 1874[6] :

« … Vous trouverez, je pense, que votre théorie coïncide au fond avec la mienne et la confirme, quoique les notations soient choisies d’une autre manière et qu’il y ait des différences de détail. Vous verrez que la théorie tout entière repose sur l’idée (§ 8 du travail) que l’utilité d’une marchandise n’est pas proportionnelle à sa quantité ; ce que vous appelez rareté d’une marchandise apparaît comme étant exactement ce que j’ai appelé d’abord coefficient d’utilité, puis ensuite degré d’utilité, et qui, comme je l’ai expliqué aussi, est réellement le coefficient différentiel [dérivée] de l’utilité considérée comme une fonction de la quantité de marchandise.

La théorie de l’échange est donnée au § 14 de mon travail, et peut être considérée comme étant contenue dans une seule proposition : « Une équation peut ainsi être établie de part et d’autre entre l’utilité obtenue et sacrifiée, à la raison d’échange de la totalité des marchandises, sur les derniers incréments échangés. »

« Maintenant, dans mon livre de 1871[7], je montre pleinement comment cette théorie peut être exprimée en notations. Soient deux personnes A et B, desquelles A détient la quantité a d’une marchandise, et B détient b d’une autre, alors je donne l’équation d’échange dans la forme :

dans laquelle x est la quantité inconnue que A donne à B en échange de y. Il s’ensuit que est équivalent à votre ou , c’est-à-dire au prix courant ou à la raison d’échange. De plus représente le degré d’utilité de la première marchandise restant à A, et représente le degré d’utilité de ce qu’il a reçu de B. D’ailleurs, ces degrés d’utilité sont exactement équivalents à vos raretés, et votre équation a identiquement le même sens que ma propre formule En effet, le sens des termes une fois expliqué, on voit que vôtre proposition : « Les prix courants du prix d’équilibre sont égaux aux rapports des raretés, » coïncide précisément avec ma théorie ».

Or, Walras a reconnu avec la meilleur grâce du monde le bien-fondé des revendications de Jevons : « Il est évident », dit-il[8], « que votre coefficient ou degré d’utilité, qui est « le coefficient différentiel de l’utilité considérée comme une fonction de la quantité des marchandises », est identique à mon intensité d’utilité ou à ma rareté, qui est « la dérivée de l’utilité effective par rapport à la quantité possédée ; » que votre raison d’échange n’est, autre chose que mon prix courant ; « et qu’enfin votre équation d’échange se confond avec « mon équation de satisfaction maximum ».

Il semble donc qu’en nous référant, mutatis mutandis, à notre exposé de la théorie de Jevons, nous n’ayons pas lieu de nous arrêter longuement à l’exposé de celle de Walras telle qu’elle est présentée dans la dernière édition des Éléments, étant donné que « ce volume… est bien l’édition définitive du volume de 1874-1877[9]. J’entends par là que ma doctrine d’aujourd’hui est bien la même que ma doctrine d’alors »[10]. Mais si la « condition de satisfaction maximum w, qui est le point de départ de la théorie de Walras, est rigoureusement identique à l’« équation d’échange » de Jevons, cette relation n’est pas introduite de la même façon par les deux auteurs, qui, en outre, ne l’utilisent pas de la même manière. Or, bien que nous ayons cru devoir exposer d’abord la théorie de Jevons, parce qu’elle offre un réel intérêt historique du fait qu’elle rattache en quelque sorte l’économie mathématique à l’économie littéraire, il n’en est pas moins vrai que c’est uniquement la théorie de Walras qui a donné naissance à l’économie pure. C’est pourquoi, malgré son analogie avec la précédente, nous croyons indispensable d’entrer dans quelques détails au sujet de cette théorie, pour être à même ultérieurement d’en suivre le développement et aussi d’examiner les objections qu’elle a soulevées, objections dont l’importance est accrue par la fécondité même des idées qui les ont provoquées.


Dans le problème de l’échange de deux marchandises entre elles, Walras recourt à la méthode de réduction, la plus compatible avec l’emploi des figures géométriques, « qui, en représentant les grandeurs par des lignes et des surfaces, a l’immense avantage de peindre en quelque sorte l’enchaînement des phénomènes »[11].

Il suppose que sur un marché ne comportant que deux produits et entièrement soustrait aux influences étrangères une certaine quantité d’une marchandise (A) soit à échanger contre une certaine quantité d’une marchandise (B), et que chaque propriétaire de (A), se trouvant dans l’impossibilité de venir en personne, envoie un agent en lui indiquant ses dispositions à l’enchère, c’est-à-dire combien il serait disposé à acheter de (B) et à vendre de (A) à chacun des cours possibles. Les prix de (B) sont évalués en (A) pris comme numéraire, et ceux de (A) en (B), ce qui signifie que si dans un échange on obtient de (A) contre de (B), le prix de (A) en (B) est, et celui de (B) en (A),  ; en d’autres termes, le prix d’une marchandise en une autre est représenté par le rapport inverse des quantités échangées[12]. Ces dispositions à l’enchère, qui pourraient être également fournies sous la forme arithmétique d’un tableau à double entrée ou sous la forme algébrique d’une équation , sont figurées par une courbe de demande dont les abscisses représentent les prix, et les ordonnées les quantités demandées à ces prix. Ces courbes de demande ont en général l’allure indiquée dans la figure 3, le point de rencontre avec l’axe des abscisses pouvant d’ailleurs être rejeté à l’infini, tandis que le point, correspondant à la satiété, qui est situé sur l’axe des ordonnées est toujours à distance finie.

La courbe de demande d’une marchandise (A) en fonction du prix de (A) en (B) une fois connue, il est facile d’en déduire la courbe d’offre de la marchandise (B). En effet, à un prix déterminé, l’offre de (B) est, par définition, égale à la demande de la marchandise (A) multipliée par le prix de (A) en (B),


Si donc l’équation de la courbe de demande de (A) est :


celle de la courbe d’offre de (B) sera :


ou bien, les prix des deux marchandises étant réciproques entre eux,


Il résulte d’ailleurs de la forme générale des courbes de demande précédemment indiquée que les courbes d’offre, dont le point de départ est à l’origine quand le point de rencontre avec l’axe des abscisses de la courbe de demande corrélative est à l’infini, offrent habituellement les dispositions représentées sur la figure 4.

Dès lors on a immédiatement la solution du problème suivant, qui est le problème fondamental au point de vue de l’échange de deux marchandises entre elles :

Étant donné deux marchandises (A) et (B) et les courbes de demande de ces deux marchandises l’une en l’autre, déterminer les prix respectifs d’équilibre.

En effet, un prix d’équilibre étant celui qui correspond au cas où la demande totale et l’offre totale de chacune des deux marchandises sont égales, on voit que pour déterminer un tel prix, il suffit de mesurer l’abscisse du point d’intersection de la courbe de demande totale et de la courbe d’offre totale, que l’on obtient en ajoutant respectivement les ordonnées des courbes individuelles de demande et d’offre. Il convient néanmoins d’observer que, en réalité, la solution du problème ne se présente pas toujours sous un aspect aussi simple que celui que nous venons d’envisager, car il arrive fréquemment que la courbe de demande totale et la courbe d’offre totale présentent, non pas un, mais plusieurs points d’intersection correspondant à des positions d’équilibre alternativement stables ou instables. Ces deux courbes peuvent effectivement offrir dans le voisinage d’un point d’intersection l’une des deux dispositions indiquées sur les figures 5 et 6 :

Or, il suffit d’examiner ces deux figures pour se rendre compte que, dans le premier cas, l’équilibre légèrement troublé tend à se rétablir, tandis que dans le second il se détruit complètement. En général les points d’intersection ne sont d’ailleurs pas en nombre supérieur à trois, deux d’entre eux correspondant à des positions d’équilibre stable, et le troisième à une position d’équilibre instable séparant les deux positions d’équilibre stable[13].

Quoi qu’il en soit, après avoir ainsi établi comment les prix résultent des courbes de demande, qui ne sont en réalité que des données auxiliaires, L. Walras reprend, en quelque sorte en sous œuvre, son étude pour rechercher le substratum hédonique de ces courbes de demande.

Pour que dans l’échange précédemment étudié les divers trafiquants réalisent le maximum de satisfaction possible, il faut que pour chacun d’eux la somme des utilités totales (Walras dit utilités effectives), relatives à chacune des marchandises soit maximum. Cela étant, Walras pose en principe que l’intensité du dernier besoin satisfait par la consommation du dernier élément d’une quantité de marchandise donnée est une fonction décroissante de cette quantité, ce qui revient à admettre, avec Jevons, que l’utilité du dernier élément consommé, c’est-à-dire l’utilité finale (qu’il désigne sous le nom de rareté) de la marchandise considérée est une fonction décroissante de cette même quantité. Il est dès lors à peu près évident que le maximum d’utilité totale a lieu pour chaque échangiste lorsque le rapport des derniers besoins satisfaits ou le rapport des utilités finales est égal au prix. Tant en effet que cette égalité n’est pas atteinte, il y a avantage pour l’échangiste à vendre de la marchandise dont l’utilité finale est moindre que le produit de son prix par l’utilité finale de l’autre, pour acheter celle dont l’utilité finale est plus grande que le produit de son prix par l’utilité finale de la première. Analytiquement, en désignant par le prix de (A) en (B), et par et les utilités finales (raretés) des marchandises (A) et (B) pour l’échangiste (I), la condition de satisfaction maximum que nous venons d’exposer, et dont Walras donne deux démonstrations qui semblent tout au moins superflues, s’exprime par la relation


qui peut s’écrire en remplaçant et par les valeurs correspondantes des fonctions d’utilité et et en désignant par la quantité de marchandise (B) dont dispose au début l’individu considéré :

[14]


ou encore, en vertu de l’égalité :



Or cette dernière équation donne en fonction de . Si on la suppose résolue par rapport à la première de ces variables, elle prend la forme :


c’est-à-dire qu’elle fournit l’équation de la courbe de demande de (A) en (B) pour l’échangiste (I). On voit ainsi que les courbes de demande pour deux marchandises (A) et (B) résultent de l’utilité de chacune de ces deux marchandises pour chacun des échangistes et de la quantité de chacune d’elles possédée par chacun d’eux. Les fonctions d’utilité, ou les courbes qui les représentent, sont donc, en dernière analyse, les seuls éléments qui sont nécessaires à la détermination des prix d’équilibre.

Il sortirait du cadre de notre travail d’entrer dans les détails de constructions géométriques et de discuter les divers cas qui peuvent se produire.

Pour en terminer avec la Théorie de l’échange de deux marchandises entre elles, nous nous bornerons à dire quelques mots de la 10e leçon des Éléments, intitulée « de la rareté ou de la cause de la valeur d’échange », qui a donné lieu à bien des critiques. Dans cette leçon, après avoir rappelé la définition qu’il avait donnée de la rareté au début de l’ouvrage, à savoir que les choses rares sont celles qui sont utiles (ent. propres à un usage quelconque même nuisible) et limitées en quantités, puis montré que cette définition est compatible avec celle qui consiste à désigner sous ce nom l’intensité du dernier besoin satisfait par la consommation d’un bien ou, ce qui revient au même, l’utilité finale de ce bien, Walras énonce[15] cette proposition quelque peu surprenante : « Il est certain que la rareté est la cause de la valeur d’échange ». Or on ne comprend guère, à première vue, que le professeur de Lausanne — qui est justement celui qui a le plus concouru à dissiper les idées erronées des anciens économistes, qui voulaient voir des rapports de cause à effet là où il n’y a que des rapports d’interdépendance — prétende lui-même avoir découvert la cause de la valeur, d’autant plus qu’il déclare explicitement par ailleurs[16] que « théoriquement toutes les inconnues du problème économique dépendent de toutes les équations de l’équilibre économique. » Pour s’expliquer une telle contradiction, il faut admettre, avec M. Pareto[17], « que Walras s’est laissé tromper par les notations accessoires du mot rareté. Dans ses formules, comme il l’accorde lui-même, c’est le Grenznutzen des Allemands, le final degree of utility des Anglais, ou bien notre ophélimité élémentaire ; mais dans le texte, de-ci, de-là, il s’y ajoute de façon peu précise, cette idée que la marchandise est rare pour les besoins à satisfaire, par suite des obstacles à surmonter pour l’obtenir. On entrevoit aussi vaguement une notion des obstacles[18], et cette proposition que « la rareté est la cause de la valeur d’échange » en devient moins inexacte. La faute de ces confusions n’est pas à ce savant éminent ; elle appartient entièrement au mode de raisonnement en usage dans la science économique ; mode de raisonnement que les travaux de M. Walras ont précisément contribué à rectifier ».

Ayant ainsi terminé l’exposé des conceptions de Walras dans le cas particulièrement simple que nous venons d’envisager, nous croyons opportun, avant de montrer comment le professeur de Lausanne a généralisé les principes que nous venons de rencontrer, d’examiner au préalable quelques polémiques qui se sont élevées à leur sujet. C’est ce que nous allons faire dans le paragraphe suivant.


§ 3. — Une objection de principe à la théorie de l’échange de Walras.

D’après ce que nous venons de voir, Walras a fait reposer toute sa théorie sur l’existence d’une « courbe d’utilité » ou « courbe de rareté », dont la notion procède directement de ce fait expérimental que le plaisir procuré par la consommation d’un produit donné décroît en fonction de la quantité déjà consommée, et ce de moins en moins rapidement au fur et à mesure que cette quantité augmente. Si le professeur de Lausanne, se contentant d’une représentation en quelque sorte schématique de ce phénomène, s’en était tenu à une conception générale de la courbe d’utilité, il n’y aurait rien à objecter ; mais il a cru devoir apporter plus de précision dans son exposé de la question. « Cette analyse », dit-il[19], « est incomplète, et, au premier abord, il semble qu’il soit impossible de la pousser plus loin, à cause de ce fait que l’utilité absolue d’intensité [point de vue subjectif] nous échappe parce qu’elle n’est ni avec le temps ni avec l’espace dans un rapport direct et mesurable comme l’utilité d’extension [point de vue objectif] et comme la quantité possédée. Eh bien ! cette difficulté n’est pas insurmontable. Supposons que ce rapport existe, et nous allons pouvoir nous rendre un compte exact et mathématique de l’influence respective de l’utilité d’extension, de l’utilité d’intensité et de la quantité possédée sur les prix ».

« Je suppose donc qu’il existe un étalon de mesure de l’intensité des besoins ou de l’utilité intensive, commun non seulement aux unités similaires d’une même espèce de la richesse mais aux unités différentes des espèces diverses de la richesse. »

En raisonnant ainsi, l’auteur a attribué à « la courbe de rareté » la signification d’une représentation quantitative des variations de l’utilité (ou de la satisfaction) en fonction des quantités consommées. Or, il faut reconnaître, avec certains critiques et à la suite du professeur Irving Fisher, qui semble être le premier à en avoir suggéré l’observation[20], qu’il est purement gratuit de considérer l’utilité (ou la satisfaction) comme une grandeur mesurable. En effet, s’il est certain que la satisfaction est une grandeur, puisque l’expérience journalière nous montre qu’elle est susceptible de plus ou de moins, il n’en est pas moins vrai qu’en l’état actuel de la science on n’a pas encore réussi à montrer qu’on peut la mesurer et encore moins à trouver comment on pourrait s’y prendre pour le faire.

Rien ne saurait donc justifier l’hypothèse de Walras, et l’œuvre du savant professeur de Lausanne présente ainsi un point faible. Mais il ne faut pas exagérer l’importance de l’objection que nous venons de signaler, car, bien qu’elle semble toucher à une question de principe, elle ne porte en réalité que sur le mode d’exposition. Ce point faible n’aurait constitué un défaut fondamental que si l’auteur des Principes s’était proposé de résoudre un problème pratique tel que le suivant :

Étant donné deux marchandises et leurs courbes d’utilité (ou les équations de ces dernières) pour chaque échangiste, ainsi que les quantités possédées par chacun d’eux, déterminer les courbes de demande (ou leurs équations).

Or, telle n’a pas été l’intention de Walras, ainsi qu’il a pris le soin de le spécifier lui-même[21] : « Ce serait nous faire une objection bien mal fondée que de nous parler de la difficulté d’établir les courbes d’échange ou leurs équations. L’avantage qu’il pourrait y avoir, dans certains cas, à dresser en totalité ou en partie la courbe de demande ou d’offre d’une marchandise déterminée, et la possibilité ou l’impossibilité de le faire, est une question que nous réservons tout entière. Pour le moment, nous étudions le problème de l’échange en général, et la conception pure et simple des courbes d’échange qui nous est à la fois suffisante et indispensable ». Qu’importe dès lors, au point de vue de la substance même de la doctrine, que la satisfaction ne constitue pas une grandeur mesurable ! Une grandeur non-mesurable n’est nullement par cela seul exclue de toute spéculation mathématique, ainsi que Henri Poincaré l’expose nettement dans une lettre qu’il écrivit à Walras à propos de la question qui nous occupe[22] : « La température par exemple (au moins jusqu’à l’avènement de la thermodynamique qui a donné un sens au mot température absolue)[23], était une grandeur non-mesurable. C’est arbitrairement qu’on la définissait et la mesurait par la dilatation du mercure. On aurait pu tout aussi légitimement la définir par la dilatation de tout autre corps et la mesurer par une fonction quelconque de cette dilatation pourvu que cette fonction fût constamment croissante. « De même ici, vous pouvez définir la satisfaction par une fonction arbitraire, pourvu que cette fonction croisse toujours en même temps que la satisfaction qu’elle représente ». Ainsi donc, il importe fort peu, au point de vue exclusivement théorique, que le plaisir ne soit pas une grandeur mesurable et que par conséquent les courbes d’utilité ne soient pas déterminables mathématiquement, pourvu, ce qui se produit en fait, que l’on soit suffisamment renseigné sur la forme de ces courbes pour être à même de discuter les résultats susceptibles d’en être déduits. Par suite, la seule chose que l’on puisse être fondé à reprocher à Walras, c’est l’introduction dans son exposé d’une hypothèse douteuse dont il aurait-pu se dispenser sans faire subir de modifications essentielles à sa théorie, comme l’a récemment montré M. Antonio Osorio[24]. Du reste, rien ne s’oppose tout au moins dans une première approximation — à ce que l’on considère l’hypothèse de Walras comme un postulatum[25], qui se trouve justifié par ses conséquences, car, conformément à ce que nous avons dit, M. Irving Fisher a obtenu, à l’abri de toute objection, des résultats concordants avec ceux du professeur de Lausanne, et M. Pareto est arrivé, ainsi que nous le verrons, avec un point de départ tout différent, à des conclusions foncièrement identiques. On peut donc dire, avec M. Osorio, que la vieille méthode de Jevons et de Walras est encore debout.


§. 4. — Quelques critiques formulées par Joseph Bertrand[26].

Parmi les critiques soulevées par les théories de Walras, les plus fameuses sont, sans conteste, celles que formula Joseph Bertrand, car elles n’ont pas tardé à servir de leit-motiv à tous ceux qui, pour jeter le discrédit sur l’économie mathématique, qu’ils n’étaient pas susceptibles d’apprécier, n’ont trouvé rien de mieux que d’étayer leurs prétentions du nom d’un mathématicien illustre, dont les objections sont au demeurant d’ordre presque exclusivement économique et en quelque sorte étrangères aux mathématiques, ce qui donne toute liberté de les censurer à loisir sans s’exposer à être pour cela taxé de présomption.

Les critiques formulées par Bertrand peuvent être divisées en deux catégories comprenant, d’une part, celles qui portent sur la détermination du prix d’équilibre en tant qu’abscisse du point d’intersection d’une courbe de demande totale et d’une courbe d’offre totale, d’autre part, celles qui sont relatives à la théorie de l’utilité.

Les premières sont absolument dénuées de fondement, car leur auteur n’a été conduit à les présenter que parce qu’il s’est placé à un point de vue entièrement différent de celui de Walras. Non seulement il a substitué des questions pratiques, basées sur des hypothèses plus ou moins réalisables, au problème d’économie pure dont Walras avait, comme s’il se fût agi de mécanique rationnelle, le droit d’assujettir la solution à telles conditions qu’il jugeait convenables, mais encore et surtout il a envisagé des questions de dynamique, tandis que le professeur de Lausanne s’était borne à étudier le problème économique dans le voisinage de ses positions d’équilibre.

C’est ainsi qu’il commence l’exposé de ses objections en prenant en considération le cas où la demande excéderait l’offre, ou inversement, alors que sur le marché théorique il ne saurait y avoir lieu de se préoccuper d’un tel état de choses, étant donné que le libre jeu de la hausse et de la baisse doit nécessairement avoir pour conséquence d’y amener l’égalité entre ces deux quantités[27]. C’est ainsi qu’ensuite il s’attache à faire ressortir que les courbes d’offre et de demande sont susceptibles de déformations au cours d’un même marché, et qu’il ajoute, craignant de n’avoir pas mis suffisamment en évidence ce fait et l’importance qu’il lui attribue : « Un dernier argument, s’il subsistait des doutes, les fera disparaître complètement. Supposons que, d’après les intentions connues des acheteurs et des vendeurs, le cours d’équilibre calculé une heure avant l’ouverture du marché, à l’aide du théorème discuté, soit 25 francs l’hectolitre. [Bertrand suppose que les deux marchandises échangées sont de l’argent et du blé.] Un nouvel acheteur se présente : au-dessous de 25 francs il veut acheter sans limite, et ne rien prendre ni a ce cours ni a fortiori au-dessus. Sa présence, si on en croit la règle de M. Walras, n’exercerait aucune influence ; elle relève en effet jusqu’à l’infini la courbe des demandes pour les points dont l’abscisse est inférieure à 25, sans la changer en rien pour les autres ; l’intersection, dont on a fait dépendre le résultat, restera la même et correspondra toujours à l’abscisse 25. Peut-on admettre une telle conclusion ? Le cours de 25 francs, en supposant qu’il tende à s’établir, ne sera ni le seul, ni le premier ; les prix oscilleront autour de lui ; chaque fois qu’ils lui seront inférieurs, l’acheteur nouveau se présentera, et ceux qui lui vendront, ayant écoulé tout ou partie de leur marchandise, n’offriront plus au cours de 25 francs ce qu’ils avaient offert au début… » Et tout cela sans s’apercevoir qu’il a ainsi simplement découvert que, en général, la statique n’est pas appropriée à la solution de problèmes de dynamique. « Les objections de J. Bertrand », fait observer judicieusement M. Pareto[28], « s’appliquent mot à mot à la détermination de l’équilibre mécanique. Un point matériel est posé sur un plan ; des forces lui sont appliquées, dont la résultante, normale au plan, presse le point contre ce plan. La statique nous dit qu’il demeurera en équilibre. Ce n’est pas vrai, répondrons-nous avec J. Bertrand. Supposons qu’on ait pratiqué une coupure dans le plan à une très petite distance du point (c’est l’acheteur qui achète sans limite au-dessous de 25 francs, et qui n’achète rien au-dessus). L’équilibre du point ne s’établira pas immédiatement ; il oscillera autour de sa position d’équilibre, et quand il arrivera à la coupure (quand les prix seront inférieurs à 25 francs) il quittera le plan, et l’équilibre sur ce plan n’aura plus lieu. Ce qu’il y a de vrai dans les observations de Bertrand, autant pour l’économie pure que pour la mécanique rationnelle, c’est qu’on ne peut pas transporter ipso facto aux cas pratiques les résultats de ces théories ».

Quant aux critiques qui sont relatives à la théorie de l’utilité, il est à peine besoin de s’y arrêter, car Bertrand est tombé à leur propos dans de graves erreurs matérielles, qui ne peuvent s’expliquer de la part d’un mathématicien aussi éminent que par une connaissance extrêmement superficielle de l’œuvre de Walras. Il commence en effet par déclarer que, d’après Walras, lorsque la quantité d’une marchandise possédée par un individu passe de à , l’avantage qui en résulte pour lui est représenté par , étant une fonction qui varie d’un individu à l’autre, et il ajoute : « Si l’on nomme le prix de chaque unité achetée ou vendue, il est clair qu’en payant l’accroissement , qui, pour lui, représente une satisfaction mesurée par , celui dont nous parlons fera une bonne affaire, si est , et une mauvaise si est que  ; il devra acheter ou vendre une certaine quantité de la marchandise qu’il possède selon que l’une ou l’autre de ces conditions sera remplie, et cesser ses achats ou ses ventes quand on aura . Si est la racine de cette équation, est ce que M. Walras nomme la rareté de la marchandise pour la personne considérée. » Or, il résulte à l’évidence de la simple lecture du début de la Théorie mathématique de la richesse sociale, que Walras n’a jamais professé une telle hérésie, et que c’est au contraire la valeur finale de la fonction , qu’il désigne sous le nom de rareté, cependant que l’équation d’équilibre de Bertrand est une pure fantaisie qui ne peut s’expliquer qu’en supposant qu’il s’est cru autorisé à considérer comme constante l’utilité de la monnaie, ce qui ne saurait être admis.

Quant à la dernière critique de Bertrand, à savoir que si la considération de l’utilité des marchandises peut servir à expliquer la demande des produits par les consommateurs, elle ne peut pas servir à expliquer leur demande par les commerçants qui n’en ont pas besoin pour leur usage personnel, elle disparaît instantanément dès que l’on prend en considération toute l’œuvre de Walras, au lieu de se borner à n’examiner que sa théorie de l’échange[29].

Telles sont les plus importantes critiques adressées aux éléments mêmes de la théorie de Walras ; nous en examinerons plus loin d’autres qui portent sur l’ensemble de cette théorie.


CHAPITRE II

Théorie générale, d’après Walras, de l’équilibre économique.


§ 1. — L’échange.

Après avoir étudié la théorie de l’échange de deux marchandises entre elles, en supposant, ainsi que nous l’avons fait précédemment, que chaque échangiste n’était porteur que d’une seule marchandise, Walras a cru, vraisemblablement dans un but didactique, devoir prendre en considération un certain nombre d’autres cas particuliers avant d’aborder la théorie générale. Mais comme l’analyse de l’œuvre du professeur de Lausanne dans tous ses détails nous entraînerait trop loin, et que nous désirons simplement en indiquer les grandes lignes, nous nous abstiendrons de nous arrêter à ces cas spéciaux, pour exposer immédiatement la solution du problème le plus général. Nous ne continuerons d’ailleurs pas à suivre dans cet exposé l’ordre choisi par Walras dans ses Éléments, parce qu’il nous semble préférable, pour un exposé synthétique, de procéder dans l’ordre inverse, qui est du reste celui que le professeur de Lausanne adopta dans le mémoire[30] qu’il communiqua en décembre 1875 à la Société vaudoise des sciences naturelles (de Lausanne), sans doute parce que se croyant alors[31] obligé de renoncer à la représentation géométrique des dispositions à l’enchère de chaque échangiste, dès que le nombre des marchandises est supérieur à trois, il estima la méthode de déduction plus appropriée à un exposé algébrique que la méthode de réduction.

Considérons donc échangistes sur un marché régi par la libre concurrence absolue comportant produits et proposons-nous de déterminer les conditions susceptibles d’assurer à chacun de ces individus le maximum de satisfaction possible, en fonction de l’utilité de chacune de ces marchandises pour chacun des échangistes et des quantités primitivement possédées par chacun d’eux.

Supposons que tous Les prix soient évalués en fonction d’une seule marchandise , par exemple, choisie comme numéraire, ce qui ne restreint en aucune mesure la généralité de la question étant donné que sur un marché en état d’équilibre, le prix de l’une des marchandises en l’une quelconque des autres est unique et égal au rapport des prix de ces deux marchandises en une troisième. Pour qu’un échangiste , porteur à l’ouverture du marché des quantités de , de ,… réalise le maximum de satisfaction possible en faisant varier ces quantités respectivement de (positifs ou négatifs suivant qu’il s’agit d’achats ou de ventes), il faut évidemment, comme dans le cas de deux marchandises, que les prix soient proportionnels aux raretés, c’est-à-dire que l’on ait :

(I)
en désignant par les fonctions d’utilité des marchandises pour l’individu (I).

Les quantités demandées ou offertes par chaque échangiste tel que (I) doivent d’ailleurs être liées par une relation de la forme :

(II)


étant donné qu’un échangiste ne peut demander de certaines marchandises qu’à la condition d’offrir de certaines autres en quantités équivalentes et réciproquement.

D’autre part, les quantités des marchandises étant invariables, pour que l’équilibre puisse s’établir, il faut que pour chacune d’elles les demandes et les offres individuelles se balancent exactement, c’est-à-dire que la somme de ces demandes et de ces offres soit nulle, que l’on ait :

(III)

Cela étant, Walras, qui avait uniquement en vue la détermination des prix d’équilibre, s’est attaché à faire ressortir que, dans le cas général, comme dans le cas particulier précédemment envisagé, ces prix sont la conséquence des dispositions à l’enchère de tous les échangistes, dispositions qui résultent elles-mêmes de l’utilité des diverses marchandises pour chacun de ceux-ci et de la quantité de ces marchandises possédées par chacun d’eux. En effet, d’après ce que nous venons de voir, on dispose pour chaque individu tel que (I) de équations (les équations du système (I) et l’équation (II)) d’où l’on peut tirer les valeurs des quantités demandées ou offertes) par l’individu considéré en fonction des prix, id est les équations de demande (ou d’offre) partielle qui, dans le cas particulier où le nombre des marchandises se réduit à deux, sont représentées par les courbes de demande (ou d’offre) partielle. Or, ces dispositions à l’enchère une fois connues, il suffit de remplacer dans les relations du système (III) (dont seulement sont indépendantes car la est la conséquence des autres et des diverses équations analogues à l’équation (III).) les lettres par leurs expressions en fonction des prix précédemment déterminés pour obtenir équations d’où l’on puisse déduire les prix.

Sans entrer dans des détails de calcul, il est d’ailleurs évident a priori que les trois systèmes d’équations analogues aux équations (I), (II) et (III) déterminent l’équilibre de l’échange d’un nombre quelconque de marchandises entre elles, puisqu’ils comportent un nombre d’équations égal à celui des inconnues. Aussi, eu égard à l’importance primordiale des problèmes d’échange, ces systèmes d’équations peuvent-ils être considérés comme fondamentaux en économie pure.


Après avoir développé la solution théorique du problème de l’échange, le professeur de Lausanne, sous l’influence de ses tendances pratiques, s’est attaché à montrer que le jeu de l’offre et de la demande, qui conduit à la détermination des cours sur un marché réel, constitue un véritable mode de résolution par tâtonnements des équations précédentes.

Mais quelque intérêt qu’il puisse y avoir à faire voir que, malgré leur apparente abstraction, les théories mathématiques sont souvent très voisines de la pratique, nous n’aurions pas cru devoir nous arrêter à cette question, qui ne présente au point de vue de la science pure qu’une importance subsidiaire, si elle n’avait donné lieu à des controverses que nous ne saurions passer sous silence. Elle constitue en effet un des principaux chefs de la polémique, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler, qui s’est élevée entre M. Edgeworth et M. Bortkeviteh à la suite de la publication par le premier, dans la revue anglaise Nature[32], d’une analyse critique de la deuxième édition des Eléments, intitulée The mathematical theory of political economy.

Dans cette étude M. Edgeworth déclarait que « après tout ce n’est pas une très bonne idée », que de prétendre établir une corrélation entre la résolution des équations de l’échange et le barguignage (higgling) qui aboutit sur un marché à la détermination des prix, parce que « comme Jevons le montre lui-même, les équations de l’échange ont un caractère non pas dynamique, mais statique ». M. Bortkevitch lui répondit[33] que le mode de résolution des équations d’équilibre étudié par Walras est absolument conforme à l’idée que Jevons s’est faite[34] de la nature de ces équations, attendu que Walras a envisagé le problème de l’échange au point de vue purement statique, en ce sens qu’il suppose que les quantités de produits possédées sont des quantités constantes et que les courbes de rareté ne varient pas, et qu’il maintient ces suppositions en traitant de la résolution des équations de l’échange par la hausse ou par la baisse des prix. Eh bien ! il est facile de se rendre compte, en examinant la question sans parti pris, que les deux auteurs ont également raison. Il est incontestable que Walras s’est placé à un point de vue exclusivement statique pour poser les équations de l’équilibre ; mais il semble que ce fait vient précisément justifier la critique de M. Edgeworth. En effet, dès l’instant où les équations de Walras sont uniquement l’expression des conditions qui se trouvent satisfaites quand l’équilibre est réalisé, abstraction faite des circonstances susceptibles d’aboutir à cet équilibre, les variations — des inconnues — au jeu desquelles fait appel la méthode de résolution par tâtonnements ne peuvent guère être considérées que comme des variations virtuelles sans lien nécessaire avec la réalité. On peut donc dire avec M. Edgeworth que si la méthode préconisée par Walras fournit bien un moyen de parvenir à l’équilibre, elle n’indique pas nécessairement, — ainsi que l’a montré le professeur d’Oxford[35] — le moyen qui permet effectivement à l’équilibre de s’établir. Cette observation purement théorique n’a d’ailleurs qu’une portée pratique extrêmement limitée, car, comme la fait observer à juste titre M. Pareto[36], le moyen indiqué par Walras représente incontestablement « la partie principale du phénomène économique ».

Cette question ne présente du reste pas un intérêt capital. On conçoit bien en effet que le professeur de Lausanne, qui se proposait de déterminer des prix d’équilibre et subséquemment des quantités de produits échangées, ait envisagé la résolution du système résultant de la mise en équation du problème. Mais, au point de vue de la science pure, il n’y a pas lieu de se préoccuper de cette résolution, étant donné que ce qui constitue l’importance fondamentale des équations de Walras c’est qu’elles représentent les conditions générales de l’équilibre de l’échange, en fonction des diverses variables dont il dépend, sans qu’il y ait lieu de considérer comme inconnues telles ou telles de ces variables.


§ 2. — La production.

Jusqu’à présent nous avons considéré les quantités échangées comme des données, mais il est clair qu’en réalité ce sont des variables de même que tous les facteurs de l’équilibre économique, il convient donc maintenant d’examiner quelles sont les liaisons préexistant entre ces quantités. Cet examen fait l’objet de la IVe section des Éléments intitulée « Théorie de la production ».

L’étude de la production repose en dernière analyse sur la conception du rôle de l’entrepreneur. Or, ce rôle a souvent prêté à des confusions résultant de ce fait que l’on a toujours tendance, même lorsqu’on se place à un point de vue purement spéculatif, à prendre en considération des phénomènes concrets, et que dans la réalité l’entrepreneur, le directeur de l’entreprise et le capitaliste se confondent fréquemment en un seul et même individu. Aussi est-il indispensable pour élaborer correctement la théorie de la production, de se faire une idée exacte de la fonction d’entrepreneur, abstraction faite de l’individu qui la remplit. Eh bien ! le professeur Walras a compris l’un des premiers[37] que cette fonction consiste essentiellement à acheter les moyens de productions et à vendre les produits fabriqués : « L’entrepreneur est donc le personnage (individu ou société) qui achète des matières premières à d’autres entrepreneurs, puis loue moyennant un fermage la terre du propriétaire foncier, moyennant un salaire les facultés personnelles du travailleur, moyennant un intérêt le capital du capitaliste, et, finalement, ayant appliqué des services producteurs aux matières premières, vend à son compte les produits obtenus »[38]. Il lui a été dès lors très facile de déterminer les conditions de l’équilibre de la production en distinguant nettement, d’une part, le marché des moyens de production, et, d’autre part, le marché des produits fabriqués.

Soit en effet (T), … (P), … (K), … les différents services producteurs (rente des terres, travail des personnes, profit des capitaux), que nous supposerons être au nombre de n, et (A), (B), (C)… les produits, que nous supposerons au nombre de m.

En conservant les mêmes notations que dans la théorie de l’échange et en désignant en outre par u, … V, … w,… les quantités de services producteurs qui entrent enjeu, la condition de satisfaction maximum se traduit pour chaque individu (I), ainsi que nous l’avons vu précédemment, par les relations :

(I)

D’autre part, pour que l’individu considéré puisse équilibrer son budget, il faut que ses recettes balancent ses dépenses, c’est-à-dire que l’on ait :

(II)

Cela étant, si sont les coefficients de fabrication, c’est-à-dire les quantités respectives de chacun des services producteurs (T), … (P), … (K), … qui entrent dans la confection d’une unité de chacun des produits (A), (B), (C)…, pour que l’équilibre s’établisse sur le marché des services, il faut que les quantités de services producteurs employées soient égales aux quantités offertes, d’où les équations :

(III)


et pour que l’équilibre s’établisse sur le marché des produits, il faut que les prix de vente des produits soient égaux à leur prix de revient en services producteurs, c’est-à-dire que l’on ait :

(IV)


Il suffit maintenant de compter, d’une part, le nombre des inconnues, et, d’autre part, celui des relations auxquelles elles doivent satisfaire, pour se rendre compte que le problème de la production est entièrement déterminé par les relations précédentes. En effet, en supposant que le nombre des individus tels que (I), qui opèrent sur le marché soit égal à N, les inconnues — qui comprennent les Nm quantités de produits, les Nn quantités de services et les prix — sont au nombre de . Or, d’après ce que nous venons de voir, ces inconnues sont assujetties à vérifier équations (I), N équations (II), n équations (III), et enfin m équations (IV), soit en tout équations qui se réduisent en réalité à , car l’une quelconque des relations (II) est la conséquence des autres et des systèmes (III) et (IV). Le nombre des équations est donc bien égal à celui des inconnues[39].

La théorie de l’équilibre de la production, dont nous venons d’indiquer les grandes lignes, a soulevé de nombreuses critiques. Il serait oiseux d’essayer de les passer toutes en revue, mais en outre de celle, due au processeur Edgeworth, que nous avons déjà eu (II), III, 2) l’occasion d’examiner, il en est une autre dont il nous faut dire quelques mots parce qu’elle a été souvent reproduite[40] et qu’elle peut sembler être fondée à un lecteur non prévenu.

Bien que nous n’ayons pas insisté sur ce fait dans notre exposé, on peut dire que la théorie de la production, due à l’éminent professeur de Lausanne, repose tout entière sur cette hypothèse que l’entrepreneur ne réalise ni gain ni perte (son salaire comme directeur de l’entreprise étant compris dans les frais de production). Or, il est incontestable que cette hypothèse paraît quelque peu paradoxale, et par suite de nature à vicier radicalement toute la théorie. Eh bien ! non seulement elle est justifiable au point de vue purement théorique, mais encore elle est beaucoup plus voisine de la vérité qu’on ne se l’imagine a priori.

Si, en effet, il est incontestable que les entrepreneurs s’efforcent de revendre les produits à un prix supérieur au prix de revient, il n’en est pas moins vrai que la concurrence tend sans cesse à ramener le prix de vente au voisinage du prix de revient. On voit donc que l’égalité des prix de revient et de vente constitue la position limite autour de laquelle oscille l’équilibre de la production. Or, étant donné que Walras s’est placé à un point de vue exclusivement statique pour étudier les conditions de l’équilibre économique, il est bien légitime qu’il n’ait pris en considération que le phénomène moyen sans se préoccuper de ses modifications accidentelles. D’ailleurs les oscillations autour de cette position moyenne sont d’une amplitude suffisamment petite, pour que l’erreur commise en les négligeant ne créa pas ipso facto un fossé infranchissable entre la théorie et la réalité. L’expérience montre en effet que le seul revenu normal de l’entrepreneur est celui qu’il touche à titre de travailleur (comme directeur de son entreprise) ou comme capitaliste, et que le surplus, le profit, n’est qu’une bonne fortune accidentelle[41]. M. Pareto a mis nettement ce fait en évidence en montrant qu’en tenant compte de toutes les circonstances accidentelles (risques, etc.), les dividendes des sociétés anonymes se capitalisent finalement à un taux à peu près équivalent à celui des valeurs à revenu fixe.

Il y a cependant deux sources de profits susceptibles d’être permanents dont on ne saurait nier l’existence. La première consiste en ce que certains entrepreneurs jouissent d’une situation privilégiée qui leur permet de produire à des conditions plus avantageuses que leurs concurrents, sans que leur production soit suffisante pour alimenter le marché, de telle sorte que ces concurrents peuvent subsister à leur côté. Dans cette occurrence, en effet, le prix de vente, qui est nécessairement égal au prix de revient le plus élevé, laisse un bénéfice supplémentaire aux entrepreneurs les plus avantagés. La seconde source de profits permanents — sensiblement de même nature que la première tout en différant notamment en ce que tous les entrepreneurs peuvent en jouir simultanément — découle de ce que, en général, les frais de production ne sont pas proportionnels aux quantités produites et que néanmoins les diverses unités produites sont vendues à un même prix : le prix de revient des unités dont le coût de production est le plus élevé, Walras n’ignorait pas l’existence de ces deux sources de bénéfice. S’il n’en a pas fait état, c’est sans doute que, d’une part, la jouissance d’une situation privilégiée à quelque titre que ce soit constitue un monopole complètement incompatible avec le régime de libre concurrence absolue qu’il entendait exclusivement étudier, et que, d’autre part, il s’est cru autorisé à considérer les coefficients de fabrication non comme des variables, mais comme des constantes[42]. Les conditions restrictives dans lesquelles s’est placé le professeur de Lausanne sont d’ailleurs parfaitement acceptables en tant que première approximation, étant donné que les bénéfices différentiels[43], analogues à la rente de la terre, tels que ceux que nous venons de signaler, n’agissent pas directement sur la détermination des prix, ainsi que le reconnaît (il est curieux de le remarquer) l’un de ceux-là mêmes qui ont fait un grief à Walras de n’avoir pas tenu compte de la réalisation de ces bénéfices[44].



Telle est la consistance générale de la théorie de l’échange et de la production due à Walras. Après avoir exposé cette théorie, le savant professeur de Lausanne a complété son étude scientifique de l’équilibre économique en traitant le problème de la capitalisation. Mais, ainsi que nous l’avons dit, au point de vue strictement mathématique, la détermination de l’équilibre de la capitalisation ne diffère pas de celle de l’équilibre de la production, qui englobe d’ailleurs l’équilibre de l’échange. Les équations des quatre groupes que nous avons rencontrés en dernier lieu représentent donc les conditions générales de l’équilibre économique sous le régime de propriété privée et de libre concurrence absolue envisagé par l’auteur des Éléments y aussi ont-elles reçu le nom de « Equations de Walras ».


CHAPITRE III

Appareil imaginé par le professeur Irving Fisher.


Ainsi que nous l’avons indiqué dans la première partie de ce travail, le professeur Irving Fisher a imaginé un dispositif qui permet de mettre en évidence l’interdépendance des phénomènes économiques, en montrant le processus de la réalisation de l’équilibre de l’échange sur un marché. L’appareil, dont nous allons donner la description, a été établi en supposant, pour plus de simplicité, le marché limité à trois individus et à trois biens, mais nous verrons que les principes sur lesquels repose sa construction sont absolument généraux.

Cet appareil, représenté en perspective sur la figure 7, se compose essentiellement d’une grande cuve remplie d’eau sur laquelle flottent, comme des bateaux sur un bassin, des récipients auxquels le professeur de Yale a donné le nom de citernes d’utilité. Ces récipients (fig. 8) en forme de prisme droit, sont divisés en deux compartiments. L’un de ces compartiments est entièrement rigide et d’une largeur égale à l’unité. L’autre au contraire a des parois latérales mobiles « à soufflet », de telle sorte que l’on peut en faire varier la capacité à volonté, comme s’il s’agissait d’un accordéon

Ces deux compartiments présentent d’ailleurs un profil commun déterminé de telle sorte que la différence de cote entre le bord supérieur du compartiment rigide et le niveau auquel le liquide s’arrête dans ce compartiment représente le degré final d’utilité



d’autant d’unités du produit considéré qu’il y a d’unités de volume de liquide dans ce même compartiment. Il est du reste bien facile de calculer les coordonnées X, Y de ce profil en fonction de l’abscisse x de la courbe d’utilité du produit en question. On voit tout d’abord immédiatement que :


D’autre part, le compartiment rigide ayant l’unité pour épaisseur, le volume d’une tranche infinitésimale horizontale de ce compartiment est numériquement égal à la surface de la portion correspondante de sa paroi mixtiligne, on a donc :


ou :

c’est-à-dire :

L’appareil comporte 9 citernes de ce type, soit une par produit pour chaque individu, disposées de telle manière que les trois citernes d’une même file (telles que IA, IIA, IIIA), dont les compartiments antérieurs rigides communiquent entre eux et avec une pompe (A), correspondent à un même produit (A), et que les trois citernes d’une même rangée (telles que IA, IB, IC), dont les compartiments postérieurs extensibles communiquent entre eux et avec une pompe (I), correspondent à un même individu (I). Ces diverses citernes sont assujetties, par des dispositifs télescopiques, invisibles sur la figure, à ne se déplacer que dans le sens vertical cependant que leurs mouvements sont solidaires du jeu d’un système de leviers dont nous allons montrer la consistance.

Cet ensemble de leviers comporte :

En premier lieu, des leviers obliques (F 12, etc., fig. 9)pouvant se mouvoir librement dans un plan vertical, rattachés, au moyen de pivots à coulisse, aux bords supérieurs des citernes et dont les extrémités inférieures sont fixées, par l’intermédiaire de charnières placées au niveau de l’eau, à des flotteurs F disposés de manière à ne pouvoir se déplacer que parallèlement à eux-mêmes dans une direction latérale.

En second lieu, des leviers horizontaux (F 34, etc., fig. 10) placés sur la surface de l’eau, reliés, d’une part, au moyen de pivots ordinaires, aux flotteurs F, et, d’autre part, au moyen de pivots à coulisse, à des règles R, parallèles aux supports F, et flottantes également ; ces règles commandent, par l’intermédiaire de petites tiges verticales, l’extension des soufflets, de telle sorte


que les parois mobiles des trois citernes d’une même file

subissent simultanément des déplacements de même amplitude. Les leviers horizontaux sont disposés de manière à être normaux aux règles R et aux flotteurs F lorsque les divers soufflets sont fermés.

L’appareil étant ainsi constitué, introduisons, à l’aide des pompes correspondantes, dans les compartiments antérieurs (rigides) des citernes de chaque file, autant d’unités de volume d’eau qu’il y a d’unités du produit correspondant sur le marché, et, dans les compartiments postérieurs (extensibles) des citernes de chaque rangée, autant d’unités de volume d’eau que l’individu correspondant possède d’unités de monnaie[45] destinées à ses acquisitions.

L’ensemble du système prendra automatiquement une position d’équilibre stable, dont la simple observation permettra d’obtenir les valeurs des inconnues des équations de l’échange, c’est-à-dire les quantités de chaque produit acquises par chaque individu et les prix de chacun de ces produits. Ces quantités sont effectivement représentées respectivement par les volumes d’eau inclus dans les compartiments rigides des diverses citernes et par les écartements, communs aux trois citernes de chaque file, des compartiments extensibles. Que les quantités de produit ainsi déterminées satisfassent au groupe III (conservation de la matière) des équations de Walras (Cf. II, 1), cela résulte immédiatement de ce fait que le volume d’eau total contenu dans les diverses citernes d’une même file est évidemment invariable. Il suffit donc de se rendre compte que ces quantités de produit et les prix correspondant aux écartements des compartiments extensibles satisfont également aux autres groupes d’équations. A cet effet, on observera d’abord que lorsque l’équilibre est établi, le niveau de l’eau dans les divers compartiments des citernes est le même que le niveau de l’eau de la cuve, sauf la petite dénivellation pouvant provenir de la différence entre le poids de la citerne et celui du volume d’eau déplacé par ses parois. L’existence d’un niveau commun à ces divers récipients provient de ce fait que les citernes étant libres de se déplacer dans le sens vertical, les compartiments rigides prennent une position telle, que la poussée qu’ils subissent soit équilibrée par leur propre poids, cependant que les parois mobiles des compartiments extensibles se placent aux distances des parois fixes qu’il convient pour que les pressions qui s’exercent sur les faces extérieures de ces compartiments soient contrebalancées par celles qui se produisent sur leurs faces intérieures. Or, si le niveau de l’eau €st uniforme dans tout l’appareil, il est, en particulier, identique dans les deux compartiments d’une même citerne. Dès lors, l’épaisseur du compartiment rigide étant égale à l’unité, on voit que la dépense afférente à l’acquisition — au prix figuré par l’écartement du compartiment extensible adjacent — de la quantité de marchandise correspondant au volume d’eau inclus dans le compartiment rigide, est représentée par le volume d’eau contenu dans le compartiment extensible. Par suite, il résulte, de même que ci-dessus, de l’invariabilité du volume total d’eau renfermé dans les divers compartiments extensibles d’une même rangée, que les équations du budget (groupe II des équations de Walras) sont également vérifiées. Et il ne reste plus alors qu’à constater la proportionnalité des prix aux utilités marginales (groupe I des équations de Walras), c’est-à-dire des hauteurs des parties émergentes des citernes et de » écartements des compartiments mobiles correspondants. Or, cette proportionnalité est en quelque sorte évidente, car il ressort immédiatement de la considération des triangles semblables des figures 9 et 10, que ces hauteurs et ces écartements sont les uns et les autres proportionnels aux distances des règles R aux flotteurs F. Il est essentiel de remarquer que la position d’équilibre de l’appareil est d’ailleurs parfaitement déterminée en fonction des données. En effet, les citernes ne peuvent subir que des déplacements verticaux, les règles R (et les parois mobiles des citernes) que des déplacements longitudinaux, les flotteurs F que des déplacements transversaux. Par suite, il suffit, pour immobiliser l’ensemble de l’appareil supposé placé dans une position d’équilibre stable, de rendre invariables : 1o les hauteurs des sommets des trois couples de leviers transversaux ; 2o la distance séparant de la paroi postérieure de la cuve l’extrémité de l’une quelconque des trois règles R, qui sont solidaires ; 3o les distances entre les faces longitudinales des flotteurs F et les parois latérales de la cuve.

L’appareil, dont nous venons d’indiquer dans les grandes lignes la constitution et le fonctionnement, est complété, en vue des déterminations quantitatives, par des échelles graduées devant lesquelles se déplacent des index (Voir fig. 7).

Tout d’abord, à chacune des pompes correspond une échelle, telle que A oui, sur laquelle un index solidaire du piston indique le volume d’eau refoulé dans les compartiments correspondants des citernes.

D’autre part, les déplacements de chacune des règles R, c’est-à-dire les prix, sont enregistrés, par l’intermédiaire d’un fil et d’une poulie, sur des graduations désignées par les lettres .

Enfin, trois échelles , permettent de repérer pour chaque individu, la valeur commune des rapports entre l’utilité marginale et le prix des divers produits, c’est-à-dire la valeur de l’utilité marginale correspondant, pour l’individu considéré, à la quantité de monnaie dont il dispose. La commande des index se déplaçant devant ces échelles est relativement très simple. A la partie postérieure mobile de chacune des citernes de la file de droite, est fixée une traverse dont l’extrémité peut glisser dans une fente pratiquée dans une tige de bois placée contre la paroi externe de la cuve (fig. 7).


Cette tige — que l’on aperçoit à travers la fenêtre ménagée pour livrer passage à la traverse — pivote autour d’un point fixe correspondant à la position qu’occuperait l’extrémité de la traverse si la cuve était complètement immergée et le compartiment extensible entièrement fermé. Par suite (fig. 11), quand la citerne émerge d’une certaine hauteur (utilité marginale) et que le compartiment extensible présente une certaine ouverture (prix, la tige fait avec la position horizontale — qu’elle occuperait si la citerne était immergée jusqu’à l’ouverture — un angle dont la tangente trigonométrique est égale à la quantité qu’il s’agit de mesurer. Il suffit donc de transmettre les variations de cette tangente à l’index correspondant à l’aide d’un fil dont le guidage vertical est assuré au moyen de glissières. Toutes ces dispositions de détail n’ont d’ailleurs, cela se conçoit, rien d’absolu. C’est ainsi que M. Irving Fisher lui-même fit exécuter un appareil légèrement différent de celui que nous venons de décrire, et dont la figure 12 est la reproduction d’une photographie que nous devons à la bienveillance du professeur de Yale.

Quoi qu’il en soit, « l’appareil de Fisher est », ainsi que nous l’avons dit, « tout autre chose qu’une simple curiosité scientifique. Non seulement il place sous les yeux un marché tel que la théorie en suppose, en montrant à l’évidence la mutuelle dépendance des divers éléments qui déterminent les raisons d’échange lorsqu’on limite le problème en considérant ces éléments comme donnés, — c’est-à-dire lorsqu’on limite le problème à l’étude de la consommation indépendamment des causes qui déterminent la quantité produite de chaque bien et les revenus individuels — mais encore il constitue un véritable instrument d’investigation, qui permet l’étude de nombre de phénomènes compliqués, déjà difficiles à suivre par ceux qui ont à leur disposition le puissant appareil de l’analyse mathématique, et à peu près impossibles à suivre avec une précision même très relative par ceux qui ne veulent pas recourir à l’analyse mathématique. »

« Quelques exemples de recherches pour lesquelles l’appareil est d’un grand secours ont été cités par Fisher lui-même… D’autres plus complexes peuvent être imaginés par le lecteur, en songeant qu’il suffit d’augmenter ou de diminuer la pression exercée par un ou plusieurs pistons pour composer les données du problème, et pour déduire de la lecture de quelques index quels sont les effets de telles variations soit sur les prix, soit sur la distribution des différents biens entre les divers individus, soit sur le degré final d’utilité de la monnaie à l’égard de chacun d’eux. D’ailleurs il n’est pas difficile de concevoir comment il serait possible, avec des connaissances mécaniques très élémentaires, de disposer l’appareil de telle sorte que les données ou les inconnues satisfassent à telles relations que l’on voudrait — de même qu’en analyse on les soumet à des équations de condition — et comment, par suite, on pourrait, en étudiant les effets de leurs variations, jeter la lumière sur des problèmes de plus en plus complexes. Et il n’est pas trop hardi de prévoir que les recherches dans cette voie faisant épi… on pourra, en mettant en communication deux appareils différents, parvenir à rendre tangible à ceux qui ne veulent pas entendre raison la fausseté de certaines théories sur le commerce international »[46].

Ajoutons, pour terminer, qu’après avoir présenté l’appareil précédent, M. Irving Fischer a montré qu’il était également possible de recourir à des dispositifs mécaniques pour représenter l’équilibre de la production.


CHAPITRE IV

Étude de l’équilibre économique en tenant compte de la mutuelle dépendance des biens.


§ 1. — La mutuelle dépendance des biens.

D’après ce que nous venons de voir, Jevons et Walras ont admis que l’utilité de chaque produit ne dépend que de la quantité de ce produit. Or, ce n’est là qu’une hypothèse simplificatrice qui permet d’ailleurs d’obtenir en général des résultats d’une suffisante approximation. En réalité, un grand nombre de biens sont interdépendants, ainsi que les économistes littéraires l’ont reconnu depuis longtemps, soit parce que réunis ils donnent plus de plaisir qu’isolés (biens complémentaires), soit parce qu’ils peuvent se substituer les uns aux autres pour la consommation (biens concurrents). L’utilité finale d’un bien n’est donc pas fonction uniquement de la quantité de ce bien, elle dépend également des quantités des autres biens et l’on peut par suite se proposer de déterminer des « conditions de satisfaction maximum » plus complètes que celles que nous avons rencontrées précédemment.


§ 2. — Les courbes d’indifférence et la courbe de contrat du professeur F.-Y. Edgeworth.

Étant donné un individu dont l’intérêt dépend de deux variables et — par exemple la quantité du quid et celle du pro quo dans l’échange — les considérations précédentes ont amené le professeur Edgeworth à représenter par l’utilité totale P correspondant aux valeurs et des variables, au lieu de la représenter, comme le faisait Jevons, par . Dès lors, on voit que cet individu n’aura pas intérêt à passer d’une combinaison à la combinaison si :

(I)


puisqu’il n’en résultera pour lui aucune modification de l’utilité totale. Par suite, un groupe déterminé de valeurs de et de correspond à une position où l’équilibre est réalisable s’il satisfait à l’équation précédente.

Introduisons maintenant un second individu dont l’intérêt n est également une fonction de et de , . Pour qu’une transaction entre ces deux individus soit acceptable, il faut évidemment que et satisfassent simultanément à l’équation ci-dessus :

(I)


et à l’équation analogue relative au second individu :

(II)


c’est-à-dire que l’on ait :


(III)

Cette relation (III) constitue donc, dans l’hypothèse envisagée, la « condition de satisfaction maximum ». Du reste, dans le cas particulier de l’échange de deux produits dont les utilités sont considérées comme indépendantes, cette condition se réduit à l’équation de Jevons :


ou


car on a alors :


et


La courbe représentée par le déterminant (III) ci-dessus étant le lieu des points où les transactions entre les deux individus considérés sont possibles, M. Edgeworth lui a donné le nom de courbe de contrat[47]. Il est d’ailleurs possible de parvenir à la notion de courbe de contrat par une voie légèrement différente de celle que nous avons suivie. On peut en effet considérer la relation (I) comme l’équation différentielle de la « famille » des courbes représentatives des valeurs conjuguées de et de , qui laissent identique à elle-même la situation du premier individu, et que, pour cette raison, le professeur d’Oxford a désignées sous le nom de courbes d’indifférence[48] ou de satisfaction constante[49]. Chacune de ces courbes correspond à une quantité de plaisir P déterminée par la forme de la fonction F.



On voit donc (fig. 13) qu’en chaque point il y a une ligne de force ou de préférence normale à la courbe d’indifférence passant par ce point, suivant laquelle on peut dire, d’une façon elliptique, que l’individu a le plus grand intérêt à essayer de se déplacer, tandis qu’il lui importe peu de se mouvoir ou non perpendiculairement à cette direction, le long d’une ligne d’indifférence. Les mêmes considérations sont évidemment applicables au second individu. Or, une position d’équilibre des transactions entre les deux individus est nécessairement telle que l’un d’eux ne puisse pas accroître la quantité de plaisir dont il jouit sans diminuer celle de l’autre. Par suite, pour qu’un point corresponde à une position d’équilibre, il faut qu’en ce point la ligne d’indifférence du premier individu coïncide avec celle du second (et que leurs lignes de préférence non seulement coïncident, mais encore soient dirigées en sens inverse), c’est-à-dire que ce point doit être un point de contact d’une courbe d’indifférence du premier individu avec une courbe d’indifférence du second, d’où la condition :


Nous retrouvons ainsi la courbe de contrat comme lieu des points de contact des deux familles de courbes d’indifférence.

Remarquons en passant qu’au lieu de regarder l’équation


comme l’équation d’une famille de courbes, on peut la considérer comme l’équation d’une surface, colline du plaisir, telle que la cote P de l’un de ses points au-dessus du plan des (soit le plan du papier) soit égale à l’utilité (totale) ou, ce qui revient au même, au plaisir correspondant à la combinaison . Dès lors, les lignes de niveau de cette surface sont des lignes d’égale utilité — de satisfaction constante, — de telle sorte que sa représentation topographique est fournie par l’ensemble des lignes d’indifférence, précédemment prises en considération, en assimilant à des cotes les quantités de plaisir qui les caractérisent. Cela étant, en disant, pour abréger, qu’un individu occupe sur la colline du plaisir la position () lorsqu’il jouit de la combinaison correspondant à ce point, il est clair que cet individu doit, en vue d’améliorer sa situation, chercher à élever sa position le plus possible sur cette colline en s’efforçant de suivre une ligne de plus grande pente[50]. Or, une ligne de plus grande pente ayant précisément pour projection une ligne de préférence, on se rend ainsi un compte exact de ce que nous avons précédemment exposé.


§ 3. — Généralisation de la théorie précédente. — Les idées du professeur Irving Fisher.

Ainsi que nous l’avons signalé dans la seconde partie de ce travail, dix ans après la publication des Mathematical Psychics, qu’il ne connaissait pas, le professeur Irving Fisher a eu aussi recours à la conception de la ligne d’indifférence. Mais il s’est placé à un point de vue légèrement différent, ce qui lui a permis de généraliser ses conclusions, tandis que M. Edgeworth s’était, après avoir étudié le cas que nous venons d’examiner, borné à esquisser l’application de sa théorie au cas où trois individus sont en présence et à indiquer seulement la possibilité de l’étendre à un marché moins restreint en ayant recours à la notion d’hyperespace[51].

Au lieu d’étudier de prime abord l’équilibre d’un marché, fut-il limité à deux individus, le professeur de Yale commence par examiner un problème d’économie individuelle.

Imaginons un individu en présence d’une quantité de numéraire déterminée avec laquelle il lui est loisible de se procurer une certaine quantité de deux produits (A) et (B), dans la proportion qui lui semblera la plus avantageuse, et proposons-nous de déterminer à quelle combinaison il s’arrêtera[52].

Si nous traçons deux axes et , et que nous portions sur , en , une longueur représentant la quantité de produit (A) que cet individu obtiendrait s’il n’achetait que de ce produit, puis sur , en , une longueur représentant la quantité de produit (B) qu’il obtiendrait dans les mêmes conditions, il est clair — en admettant, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, que les prix sont constants pour les portions successives d’un même produit — que les diverses combinaisons qui lui sont offertes, étant données ses ressources, sont représentées par les différents point de la droite AB. On voit donc que si l’on a tracé d’autre part les courbes d’indifférence de cet individu pour les deux produits (A) et (B), le point d’équilibre cherché sera sur le point de contact M de la droite AB avec l’une de ces courbes, puisque, en deçà comme au delà de M, l’individu jouirait d’une quantité de plaisir moindre qu’en M.

La position de satisfaction maximum d’un premier individu ainsi déterminée, introduisons un second individu, et désignons par OA' et OB' les segments analogues à OA et OB et par M' le point correspondant au point M. Les segments OA et OA' étant proportionnels au prix de (A) (en admettant qu’il n’y ait sur le marché qu’un seul prix pour chaque article) et les segments OB et OB' au prix de (B), on a :


Par suite les droites AB et A'B' (fig. 15) sont parallèles,



(Fig. 15).


c’est-à-dire que la courbe d’indifférence relative au premier individu passant par et la courbe d’indiffépence du second individu passant par ont des tangentes et, par suite, des normales parallèles. M. Irving Fisher a donné à ces normales — que nous avons précédemment appelées, avec le professeur F.-Y. Edgeworth, des lignes de préférence — le nom de directions maxima. On peut donc dire que pour que deux individus en présence de deux produits puissent participer à un même équilibre économique, il faut que leurs directions maxima soient parallèles.

Nous ne nous sommes implicitement préoccupé dans ce qui précède que des consommateurs, mais les mêmes considérations sont applicables à des producteurs, pour lesquels il y a également des courbes d’indifférence, encore qu’elles n’aient pas la même allure générale que celles des consommateurs[53]. D’ailleurs, de même que pour la consommation, on rencontre, au point de vue de la production, des biens concurrents et des biens complémentaires, tels que les « produits secondaires ».

Quoiqu’il en soit, il n’y a évidemment aucune différence essentielle entre la conclusion à laquelle nous venons de parvenir et celle à laquelle était précédemment arrivé M. Edgeworth (Cf. sup. § 2) dans le cas particulier que nous avons examiné, mais la voie suivie par le professeur de Yale offre l’avantage de permettre une généralisation facile, car la condition de parallélisme des directions maxima subsiste quel que soit le nombre des individus, ainsi que cela résulte immédiatement de l’exposé précédent, et aussi quel que soit le nombre des produits.

En effet, si au lieu de limiter le marché à deux produits (A) et (B), nous en ajoutons un troisième (C), et que nous tracions trois axes rectangulaires , les points A, B et C étant respectivement déterminés de la même manière que les points A et B l’ont été dans le premier cas, les nécessités afférentes aux ressources de l’individu l’obligeront à se maintenir dans le plan ABC (Partial income plane). Or, dans le cas où l’individu a le choix entre trois produits, les courbes d’indifférence devenant des surfaces d’indifférence, le point correspondant à la combinaison optima est le point de contact de ce plan avec une surface d’indifférence, et la direction maximum la normale à cette surface en ce point. Par suite, les divers plans, tels que ABC, étant, pour les mêmes raisons que ci-dessus, parallèles entre eux, les directions maxima sont encore parallèles entre elles.

Plus généralement, si le marché comporte m produits, chaque point d’équilibre individuel est, dans l’hyperespace à m dimensions, un point de contact d’une « variété D linéaire (flat) — analogue à un plan — correspondant aux ressources de l’individu considéré (Partial income flat) avec une variété d’indifférence du même individu. Et l’on voit, de la même manière que précédemment, que les directions maxima, normales aux variétés d’indifférence relatives aux différents individus, sont toujours parallèles entre elles[54].

Or, les composantes suivant les axes de coordonnées d’une direction maximum sont les utilités finales des divers produits (A), (B),… pour l’individu (I) considéré. La condition de parallélisme des directions maxima relatives aux différents individus se traduit analytiquement par les relations :


Et on a ainsi équations qu’il suffit de substituer au groupe I des équations de Walras (Cf. supra II) pour obtenir, en tenant compte de l’interdépendance des biens, les équations générales de l’équilibre économique sous un régime de libre concurrence, car il est évident que les autres relations qui conditionnent cet équilibre ne subissent aucune modification. — Nous allons néanmoins revenir sur ces autres relations, pour indiquer l’expression élégante, en connexion directe avec l’exposé géométrique précédent, que M. Irving Fisher leur a donnée en faisant appel à la théorie des quaternions.


§ 4. — Expression générale des conditions de l’équilibre économique sous un régime de libre concurrence en tenant compte de l’interdépendance des biens.

Considérons un marché comprenant produits (A), (B),… (M), individus tout à la fois consommateurs et producteurs, conformément à la réalité. Il est bien entendu que regardant comme positives les quantités consommées et comme négatives les quantités produites, on ne doit, pour chaque individu, faire état que de sa consommation nette, lorsqu’il est en même temps consommateur et producteur de la même marchandise.

Pour que l’équilibre s’établisse sur ce marché, il faut :

1o Que, conformément à ce que nous avons vu, les directions maxima relatives aux différents individus soient identiques aussi bien pour la production que pour la consommation ;

2o Que les revenus et les dépenses de chaque individu se balancent exactement, c’est-à-dire que les diverses variétés linéaires correspondant aux budgets individuels (Total income and expenditure flats) passent par l’origine (ces diverses variétés devant déjà avoir (1o) la même orientation, on voit qu’elles se confondront) ;

3o Que la quantité produite de chaque marchandise soit égale à la quantité consommée, c’est-à-dire que l’origine soit le centre de gravité des points d’équilibre individuels — points d’utilité maximum — I, II, … N.

Cela étant, désignons par I, III, … N les vecteurs des points I, II, … N ; par , etc., l’utilité totale correspondant aux points I, II, etc. ; et par etc., les vecteurs représentant en grandeur et direction le taux maximum d’accroissement de l’utilité en chacun de ces points, c’est-à-dire les directions maxima. Les conditions d’équilibre précédemment exprimées se traduisent alors par les relations suivantes :

(1)
(2)
(3)


auxquelles il faut ajouter les équations indiquant dans chaque cas la distribution de l’utilité :

(4)

On peut[55] immédiatement déduire des relations précédentes les équations canoniques de l’équilibre économique telles que nous les avons rencontrées jusqu’à présent. Or, il est essentiel de remarquer, ainsi que le fait observer le professeur Irving Fisher, que pour établir ces relations on ne fait entrer en ligne de compte que les directions maxima tangentes aux lignes de préférence normales aux lieux (courbes, surfaces, variétés) d’indifférence. Ainsi, les conditions générales de l’équilibre économique ne dépendent que de ces lignes de préférence, et elles sont absolument indépendantes de la quantité d’utilité résultant d’une combinaison quelconque, id est de densité[56] de l’utilité au point (du plan, de l’espace ou de l’hyperespace) correspondant à cette combinaison. Dès lors, puisqu’il suffit en chaque point de connaître les directions maxima sans avoir à faire état des quantités d’utilité totale — dont l’intégration est d’ailleurs impossible en général — on voit, conformément à ne que nous avons annoncé (II, III, 4), qu’il n’y a pas lieu de se préoccuper de la définition du rapport de deux utilités (Définition III du passage cité). Nous aurons d’ailleurs l’occasion de revenir dans le chapitre suivant sur ces considérations, qui ont eu une très grande influence sur l’évolution de l’économie pure.


CHAPITRE V

Les derniers travaux de M. Vilfredo Pareto.


§ 1. — Les indices de l’ophélimité.

M. Vilfredo Pareto a repris la notion d’indifférence sur laquelle nous venons de nous étendre assez longuement, mais observant que pour déterminer l’équilibre économique, il n’est nullement besoin de mesurer le plaisir (ou l’utilité), qu’il suffit d’en repérer les divers degrés au moyen d’indices[57], il est parvenu, ainsi que nous l’avons indiqué (II, III, 5), à établir sur cette base une théorie de l’équilibre économique entièrement débarrassée de toute hypothèse métaphysique sur la nature de l’utilité et, par là, entièrement à l’abri de la critique formulée par M. Irving Fisher.

Dans cette théorie, au lieu de partir de la notion d’utilité, d’ophélimité suivant son expression, pour en déduire celle de ligne d’indifférence, l’éminent professeur de Lausanne, renversant le problème, considère les lignes d’indifférence comme des données de fait pouvant être obtenues expérimentalement par « la détermination des quantités de biens qui constituent des combinaisons indifférentes pour l’individu ». Puis, pour distinguer les diverses lignes d’indifférence qui dès lors ne correspondent plus à des quantités de plaisir déterminées, il les affecte d’indices satisfaisant aux conditions suivantes :

1o Deux combinaisons entre lesquelles le choix est indifférent doivent avoir le même indice ;

2o De deux combinaisons, celle qui est préférée à l’autre doit avoir un indice plus élevé ;

3o Enfin, mais ce n’est pas indispensable, parmi les systèmes d’indices, en nombre infini, que l’on peut avoir, il convient de retenir seulement ceux qui jouissent de la propriété suivante : que si en passant de la combinaison I à la combinaison II, l’homme éprouve plus de plaisir qu’en passant de la combinaison II à la combinaison III, la différence des indices de I et II soit plus grande que celle des indices de II et de III.

Ainsi, ces indices ne sont nullement des cotes, ils sont absolument arbitraires, d’où il résulte qu’il y a une infinité de collines des indices du plaisir, tandis que la colline du plaisir dont nous avons parlé ci-dessus était unique, et que, par suite, pour représenter une certaine combinaison (x, y) par un point d’une colline des indices du plaisir, il faut commencer par faire choix d’un système d’indices déterminé ; mais quel que soit le système choisi, pourvu qu’il satisfasse aux conditions précédentes, l’individu éprouve un plaisir d’autant plus grand que le point figuratif de la combinaison dont il jouit est situé à une plus grande hauteur sur la colline correspondant à ce système, et de deux combinaisons il préfère toujours celle qui est représentée par le point le plus élevé de cette colline.

Cela étant, si l’on désigne sous le nom de sentier ou de chemin le lieu géométrique des points figuratifs des diverses combinaisons dont jouit successivement un individu, on voit que cet individu s’arrêtera, c’est-à-dire qu’il sera parvenu à une position d’équilibre lorsque le sentier qu’il parcourt aura atteint soit un point terminal que les « obstacles » (II, III, 5) rendent infranchissable, soit un point de tangence avec une ligne d’indifférence, à partir duquel, ce sentier cessant de monter pour commencer à descendre, il serait contraire aux intérêts de l’individu de continuer à le suivre. Et dès lors on conçoit immédiatement que par la seule considération des lignes d’indifférence telles que nous venons de les définir, on peut obtenir les éléments de la détermination d’équilibres économiques.

Voici d’ailleurs, à titre d’exemple, comment on peut déterminer l’équilibre de l’échange de deux marchandises entre elles.

Considérons un individu possédant une certaine quantité représentée par le segment Om (fig. 16) d’une marchandise (A) dont il est disposé à échanger une partie ou même la totalité contre de la marchandise (B), et traçons les lignes d’indifférence de ces deux marchandises pour cet individu.

En admettant que l’échange de la marchandise (A) contre de la marchandise (B) se fasse à prix constant, l’individu considéré, pour transformer de l’(A) en (B), se déplacera le long d’un sentier rectiligne issu du point m et s’arrêtera au point de contact c de ce sentier avec une ligne d’indifférence, et, par suite, la position d’équilibre de cet individu se trouvera, quand l’échange sera terminé, sur le lieu des points de contact des tangentes issues de m aux diverses lignes d’indifférence, auquel M. Pareto a donné le nom de ligne des échanges[58]. Or il en va évidemment de même pour l’individu qui fait la contre-partie. Il apparaît donc que pour trouver la position d’équilibre de l’échange des marchandises (A) et (B) entre ces individus, il suffit de déterminer le point d’intersection de leurs lignes des échanges.

L’équilibre économique est considéré par M. Pareto, ainsi que nous l’avons déjà dit, comme naissant du contraste des goûts et des obstacles. Or, nous n’avons indiqué jusqu’à présent que la manière de parvenir à la connaissance de l’équilibre des goûts d’un individu ou d’une collectivité, — cet équilibre se trouvant réalisé sur la ligne des échanges — et s’il nous a été possible de déterminer entièrement l’équilibre du marché particulièrement simple que nous avons envisagé, c’est que le seul obstacle rencontré par chaque individu était constitué par la satisfaction des goûts de l’autre.

Pour être à même d’étudier l’équilibre économique dans toute sa généralité, à l’aide de procédés analogues aux précédents, il nous faudrait donc maintenant nous préoccuper de la détermination de l’équilibre des obstacles, ce qui nous amènerait à parler des lignes d’indifférence des obstacles, qui présentent de grandes analogies avec les lignes d’indifférence des goûts tout en s’en distinguant cependant très nettement[59]. Mais nous ne nous engagerons pas dans cette voie, parce que, si tant est qu’il soit possible de résumer une œuvre aussi concise que celle de M. Pareto, cela nous obligerait à entrer dans des détails qui nous feraient sortir des limites que nous nous sommes fixées, puisque cette étude n’a nullement pour objet de faire un exposé des théories des économistes mathématiciens, mais seulement d’essayer de donner une idée générale de l’application des mathématiques à l’économie politique en en montrant les évolutions successives.

D’ailleurs, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le noter, les procédés graphiques ne constituent pas essentiellement des procédés mathématiques, et, dans le cas actuel, nous saurions d’autant moins les considérer comme tels, que M. Pareto s’est assujetti à reléguer dans un Appendice toute la partie purement mathématique de son œuvre, dont l’ensemble, rédigé à un point de vue exclusivement objectif, n’en reste pas moins imprégné d’un esprit hautement scientifique. En outre, les procédés graphiques ne sont guère appropriés aux généralisations, et, eu égard au haut degré d’abstraction des conceptions qui la constituent dans ce qu’elle a de plus rigoureux, la théorie la plus récente du savant professeur de Lausanne — telle qu’elle est exposée notamment dans l’Encyclopédie — n’est, dans toute sa généralité, guère accessible qu’au moyen de l’analyse mathématique. C’est pourquoi nous nous bornerons aux quelques notions précédentes, qui nous sont seules nécessaires pour l’exposition des paragraphes suivants que nous allons consacrer à l’étude strictement analytique de l’équilibre économique.


§ 2. — Les fondements de la théorie de l’équilibre économique de M. V. Pareto.

Soit, en désignant par I l’indice de la ligne correspondant à la combinaison (x, y),


l’équation d’une famille de lignes d’indifférence, telles que nous les avons définies au paragraphe précédent, et plus généralement, les mêmes considérations s’appliquant évidemment à un nombre quelconque de variables,

(1)


l’équation d’une famille de « variétés » d’indifférence définies de la même façon. Tout système d’indices pouvant être substitué au système représenté par l’équation[60] est compris dans l’équation :

(2)


(F étant une fonction arbitraire dont le choix est néanmoins un peu restreint par la condition que à l’accroissement positif d’une variable indépendante corresponde un accroissement également positif de l’indice 1) et cette équation se réduit par différentiation à l’équation :


ou bien, en posant  :

(3)


qui est la seule à laquelle M. Pareto ait fait appel pour établir sa théorie de l’équilibre économique.

Or, on pourrait obtenir directement par l’expérience, théoriquement du moins, une relation équivalente à cette équation (3). Il suffirait de rechercher de quelle quantité positive il faut augmenter x pour compenser la diminution représentée par la quantité négative (c’est-à-dire pour qu’il soit indifférent de jouir de l’une ou de l’autre des deux combinaisons (x, y, z…) et ), puis de rechercher quel correspond à et ainsi de suite, et enfin de sommer les résultats obtenus, ce qui conduirait, en posant , à une relation de la forme.


d’où, à la limite :

(4)

L’équation (3) et, par suite, une théorie de l’équilibre économique établie à partir de cette équation peuvent donc être considérées comme tout à fait indépendantes de la notion d’ophélimité et même de celle d’indice d’ophélimité. Et l’on voit ainsi comment M. Pareto, se dégageant graduellement des anciennes conceptions métaphysiques de l’économie politique, est parvenu à asseoir sa théorie sur des données purement positives, dont la détermination n’implique que la comparaison de certaines quantités de marchandises ou de biens économiques[61].


La théorie de l’équilibre économique de M. Pareto ne dépendant, comme nous venons de le dire, que de l’équation (3) ou, plutôt, de l’équation (4) obtenue expérimentalement, nous pourrions en aborder immédiatement l’exposé ; mais, afin de la rattacher aussi étroitement que possible à celles que nous avons rencontrées précédemment, nous ne croyons pas inutile de faire une digression pour montrer la corrélation entre l’équation (4) et les données auxquelles nous avons fait appel antérieurement.

Lorsque l’équation (4) correspond à un cycle fermée c’est-à-dire lorsque le degré de jouissance de l’individu ne dépend que des coordonnées de son point figuratif, ce qui se produit, d’une part, quand l’ordre des consommations est indifférent (Cf. II, III, 5), et, d’autre part, quand ne l’étant pas, il est fixé à l’avance (ce qui a toujours lieu en pratique), cette équation a un facteur intégrant et alors elle est équivalente à l’équation (3).

Soit : son intégrale.

« En restreignant un peu [comme ci-dessus] la forme arbitraire de F, on peut faire en sorte que la fonction [F] jouisse des propriétés suivantes : si l’on fait croître d’une quantité positive dy une des variables indépendantes y, et que l’on considère la différentielle d F résultant de cet accroissement, l’individu se mouvra dans le sens des y positifs [id est agira de manière à faire croître y], si d F est positive ; il se mouvra en sens contraire si d F est négative ; il s’arrêtera si d F = 0. La fonction F est ainsi un indice des mouvements de l’individu »[62]. Aussi M. Pareto désigne-t-il cette fonction sous le nom de fonction indice[63], tout en faisant observer qu’au point de vue exclusivement mathématique on pourrait se passer de donner un nom aux fonctions indices et les désigner simplement parla lettre I sans chercher dans quel rapport la quantité I se trouve avec les faits de l’expérience. Mais quelles que soient les restrictions apportées au choix de F, il n’en reste pas moins que la détermination des fonctions indices à partir des conditions de l’équilibre n’est pas univoque. On voit donc qu’en général I ne peut pas être pris comme mesure de l’ophélimité (abstraction faite de l’unité de mesure), en ce sens qu’à une ophélimité déterminée ne correspondrait qu’une valeur de I, et que, par suite, cette quantité n’est qu’un indice de l’ophélimité.

Il y a cependant un cas où la correspondance entre la fonction indice et l’ophélimité est univoque : c’est celui où les consommations sont indépendantes ; et alors la fonction F représente ce que M. Pareto désigne sous le nom d’ophélimité totale, tandis qu’il appelle les dérivées partielles de cette fonction les ophélimités élémentaires des divers biens envisagés. Or, cette ophélimité totale n’est pas autre chose que l’utilité totale de Jevons ou l’utilité effective de Walras, et les ophélimités élémentaires correspondent exactement aux utilités finales et aux raretés des mêmes auteurs. Nous retrouvons donc ainsi la fonction d’utilité tant critiquée, qui était à la base des travaux des premiers économistes mathématiciens, sous la forme d’une fonction-indice dont M. Pareto a réussi à faire abstraction dans toute son étude de l’équilibre économique, de telle sorte qu’il a pu dire de l’œuvre de ses prédécesseurs : « Il y a dans cette théorie quelque chose de superflu pour le but que nous nous proposons : la détermination de l’équilibre économique ; et ce quelque chose est précisément ce qu’il y a de douteux dans la théorie »[64][65].


§ 3. — Les liaisons économiques.

Nous venons de voir quelle est en dernière analyse pour chaque individu l’équation à laquelle doivent satisfaire les variables économiques, pour que cet individu ne cherche pas à modifier les valeurs prises par ces variables, c’est-à-dire pour qu’il se considère comme réalisant le maximum de bonheur compatible avec les circonstances. Mais les équations de satisfaction maximum ne conditionnent pas à elles seules l’équilibre économique : les variables économiques ne sont pas des variables indépendantes, elles sont assujetties à certaines relations qui constituent les liaisons de mutuelle dépendance du système économique auquel appartient l’individu considéré. Il nous faut donc dire quelques mots de ces liaisons auxquelles M. Pareto, se plaçant à un point de vue moins abstrait, moins purement mathématique, si l’on peut dire, avait primitivement donné le nom d’équations des obstacles parce qu’elles constituent effectivement l’expression des circonstances (dont nous parlions tout à l’heure) auxquelles l’individu est obligé de se plier quand il s’efforce de satisfaire ses goûts.

Les liaisons sont de deux genres nettement différents.

Les liaisons du premier genre sont les plus faciles à observer, et, comme telles, elles ont été connues de tout temps par les économistes littéraires. Ce sont celles qui se traduisent par les équations auxquelles doivent satisfaire les valeurs prises par les variables au point d’équilibre, étant donnés les goûts des personnes avec lesquelles on contracte, les obstacles créés par l’organisation sociale, et enfin les nécessités afférentes à toutes les transformations : transformations matérielles proprement dites, transformations dans l’espace (transports), transformations dans le temps (mises en réserves et emprunts). Elles comprennent notamment toutes les relations qui résultent des conditions imposées à un système économique isolé — et l’on peut toujours regarder comme isolé le système que l’on étudie en tenant compte par ailleurs des échanges qui se produisent entre la collectivité considérée et les autres collectivités — par le grand principe de la conservation de la matière, telles que la condition de l’équilibre des budgets individuels et celle de la compensation des quantités de chaque marchandise offertes et demandées sur le marché de l’échange (Voir ci-dessus III, II, 1).

Les liaisons du second genre n’ont au contraire été prises en considération que récemment, par les fondateurs de l’économie pure. « L’origine de cette théorie », dit M. Pareto[66], « peut se voir dans le fameux problème du basket de A. Marshall[67] » ; ce problème a été étudié aussi par F.-Y. Edgeworth[68]. Mais ces auteurs ne paraissent pas s’être rendu compte de la généralité et de l’importance de la question. F.-Y. Edgeworth dit même en note : « Molte sottigliezze che sono necessarie per rifinire logicamente (le dottrine economiche) nella loro forma più generale ed astratta, hanno una ristrettissima portata pratica ». Aussi a-t-il été réservé au savant professeur de Lausanne de faire, pour la première fois, l’étude des liaisons de ce genre, et il en a donné la définition suivante : « Elles sont données par des équations se rapportant au chemin suivi pour passer de la position initiale à la position d’équilibre, c’est-à-dire par les opérations de la transformation de certaines quantités en certaines autres »[69]. Il faut donc entendre par liaisons du second genre toutes celles qui sont l’expression de restrictions au libre jeu de l’activité individuelle, restrictions dont on rencontre un exemple typique lorsqu’on se trouve en présence d’un échangiste contraint d’acquérir à un prix unique la totalité d’une quantité de marchandise dont les diverses portions ne présentent pas pour lui la même utilité. C’est là, il est vrai, une indication un peu vague ; mais « il est tout aussi impossible d’énumérer toutes les liaisons des systèmes économiques, qu’il le serait d’énumérer toutes celles des systèmes mécaniques »[70], de telle sorte que ce n’est qu’à propos des cas concrets que nous allons rencontrer par la suite qu’il nous sera permis de préciser les notions précédentes.

Ayant successivement rappelé, comme nous venons de le faire, d’une part, à quelles conditions les goûts d’individus constituant un groupement économique peuvent être satisfaits, et, d’autre part, par quelles espèces de relations sont rattachés les uns aux autres les différents facteurs d’un système économique, nous sommes désormais en possession des divers éléments qui concourent à la formation de l’équilibre économique, tel qu’il « résulte de l’opposition qui existe entre les goûts des hommes et les obstacles à leur satisfaction »[71]. Nous allons donc pouvoir indiquer maintenant comment se présentent, sur les bases établies par M. Pareto, la théorie de l’équilibre de l’échange ainsi que la théorie de l’équilibre de l’échange et de la production — qui n’est autre chose que la théorie générale de l’équilibre économique — sous les différents régimes qui correspondent aux trois types de phénomènes que nous avons définis dans la seconde partie (II, 111, 5).


§ 4. — Détermination de l’équilibre de l’échange.


Type I
(Libre concurrence).


Considérons un marché composé de individus en présence de m biens (X), (Y), (Z), … et désignons par la quantité d’une marchandise quelconque (Y), dont est porteur à l’ouverture du marché un individu également quelconque (I).

Lorsque les goûts de l’individu (I), sont satisfaits dans la mesure où le permettent les liaisons, les quantités des divers biens dont il dispose vérifient, d’après ce que nous avons vu au paragraphe 3, une relation telle que :

D’un autre côté, les seules liaisons qui rattachent les unes aux autres les variables du système économique que nous envisageons, sont les liaisons du premier genre qui correspondent, d’une part, aux nécessités afférentes à l’équilibre des budgets individuels, et, d’autre part, à l’impossibilité de modifier la quantité totale de chaque marchandise (Voir III, II, 1).

Or, en introduisant les prix à titre de variables auxiliaires[72] et en désignant conformément à la définition de Walras, par le prix de (Y) en (X), la relation précédente peut être remplacée au point d’équilibre par les équations ci-après :

(A)

et les liaisons se traduisent par des équations des deux types suivants :

(B)

et


(C)

L’ensemble des trois systèmes d’équations analogues aux équations (A), à l’équation (B) et à l’équation (C) doit donc constituer en dernière analyse les conditions générales de l’équilibre de l’échange sur le marché considéré. Et effectivement, en remarquant que les équations (B) sont au nombre de seulement, car la est la conséquence des autres et des équations (C), on voit que l’on dispose de :

soit au total, équations, pour calculer :

prix
et
quantités


soit en tout, inconnues, de telle sorte que le problème est parfaitement déterminé.

C’est du reste là une conclusion bien facile à prévoir car, si la méthode suivie par M. Pareto diffère complètement de celle de Walras, sur laquelle elle offre le double avantage d’être bien plus générale et de n’introduire aucun élément métaphysique, il n’en reste pas moins que les trois systèmes d’équations auxquels nous venons de parvenir sont foncièrement identiques aux trois premiers groupes des « équations de Walras » ce qui est, comme nous avons déjà eu l’occasion de le noter, la meilleure preuve de l’exactitude des résultats obtenus par les deux professeurs de Lausanne.

Dans ce qui précède, nous avons implicitement supposé que le prix des diverses portions de chaque bien successivement échangées était constant, c’est-à-dire que nous avons établi entre les quantités des différents biens des liaisons, du second genre de la forme (dont l’équation du budget (B)) est d’ailleurs la conséquence, ce qui montre qu’un groupe de liaisons du premier genre peut se déduire des liaisons du second genre). Mais si cette hypothèse, dont Walras ne s’est pas écarté, est le plus souvent conforme à la réalité, il y a cependant certains phénomènes, tels que les opérations de spéculation, dans l’étude desquels on ne saurait faire abstraction des variations des prix. Aussi, tout en estimant qu’il n’y a pas lieu, pour le moment du moins, d’aborder l’étude du cas général où les prix dépendraient de toutes les variables, M. Pareto a-t-il jugé à propos de prendre en considération le cas particulier où le prix de chaque bien est fonction de la quantité de ce bien sur laquelle porte la transaction. Et voici, à titre d’indication, un exemple permettant de se rendre compte des modifications à faire subir aux équations de l’échange pour tenir compte de la substitution de liaisons de la forme aux liaisons de la forme  :

Imaginons que sur un marché analogue à celui que nous venons d’envisager, tout en n’étant plus néanmoins entièrement du type I, le vendeur du bien (Y) (ou un groupement des vendeurs du bien (Y)) ait établi pour chaque client (I) un prix variable avec la quantité acquise par ce client, et supposons que ce vendeur, n’usant pas du bien (Y) pour la satisfaction de ses goûts personnels, désire en céder la quantité totale dont il dispose.

Pour adapter à ces nouvelles données les équations de l’échange telles que nous les avons précédemment formulées, il suffira de supprimer parmi les équations (A) l’équation en relative au vendeur du bien (Y) et de faire subir aux équations (B) les changements résultant de ce fait, que le prix de la quantité totale du bien (Y) acquise par chaque individu (I), au lieu d’être représenté par le produit du prix unitaire de (Y) par cette quantité est égal à l’intégrale de ce prix unitaire prise entre les limites et .

En représentant par des lettres sans indice inférieur les quantités se rapportant au vendeur du bien (Y), et en affectant de l’indice supérieur les prix d’équilibre, les conditions de l’équilibre sur le marché que nous considérons maintenant seront donc représentées par les trois systèmes d’équations suivants :


(A’)


(B’)

(C)


auxquels il convient d’ajouter les relations :


Type II
(Monopole exercé dans l’intérêt de certains individus).


Lorsqu’un individu jouit du monopole de la vente d’un bien quelconque, il fait en général complètement abstraction de l’ophélimité de ce bien, pour ne se préoccuper que de tirer de l’exercice de son monopole le plus gros produit possible soit en numéraire, soit en ophélimité. On voit donc que si, sur le marché que nous avons pris en considération au début de ce paragraphe, certains biens viennent à être monopolisés par certains individus, il faut faire subir aux équations de l’équilibre de l’échange sur ce marché une double modification par suppression des équations du système (A) relatives à ces individus, et par adjonction des relations exprimant les conditions d’obtention des résultats visés par les monopoleurs.

Eh bien ! nous allons examiner maintenant ce qu’il advient de cette double modification dans les principaux cas de monopole qu’il semble y avoir lieu d’envisager.


(α). — Monopole d’un individu et d’un ou de plusieurs biens.

Supposons que l’individu jouisse du monopole de la vente du bien (Y). L’équation en du système (A) supprimée, il reste équations qui permettent de déterminer des variables en fonction de la ième, par exemple, et dès lors pour exprimer que le monopoleur entend profiter de son monopole soit pour réaliser la plus grande somme de numéraire possible, soit pour obtenir le maximum d’ophélimité, il suffit d’écrire que la dérivée par rapport à de l’expression de l’une ou l’autre de ces grandeurs est nulle.

Soit :


et


les deux équations que l’on peut obtenir ainsi. En remplaçant l’équation manquante du système (A) par l’une ou l’autre de ces deux équations, on rétablira l’égalité entre le nombre des équations et celui des inconnues, et, par suite, on disposera d’un ensemble de relations déterminant parfaitement l’équilibre de l’échange dans les conditions envisagées.

Dans le cas où l’individu, outre le monopole du bien (Y), posséderait également celui d’un autre bien, (Z), on serait évidemment conduit à des résultats analogues aux précédents.


(β). — Monopole de deux individus et d’un seul bien.

Si deux individus, les individus et pour préciser, jouissaient du monopole de la vente d’un même bien (Y), les équations en et du système (A) disparaîtraient, et il resterait autres équations qui permettraient, théoriquement tout au moins, d’exprimer toutes les inconnues en fonction de deux variables auxiliaires, et . représentant par exemple les quantités de numéraire obtenues par ces deux individus ou bien les indices d’ophélimité des combinaisons réalisées par eux. On pourrait donc en particulier établir entre le prix du bien (Y) et les variables et une équation de la forme :

dételle sorte que pour que et soient maxima simultanément, il faudrait, en désignant par le résultat de l’élimination de entre la fonction F et sa dérivée par rapport à , que l’on ait tout à la fois :

Or, trois équations telles que celles-ci sont en général incompatibles. L’hypothèse envisagée est par conséquent irréalisable : deux individus ne peuvent pas indépendamment l’un de l’autre monopoliser un seul et même bien[73].


(γ). — Monopole de plusieurs individus et de plusieurs biens.

Imaginons la présence sur le marché de plusieurs monopoleurs exerçant, nécessairement d’après ce que nous venons de voir, leurs monopoles sur des biens différents. Après suppression des équations du système (A) relatives à ces monopoleurs et aux biens monopolisés, les équations subsistantes permettent de considérer les diverses variables comme des fonctions des prix de ces biens, et dès lors l’introduction des conditions de satisfaction des monopoleurs a pour effet, comme dans le premier cas que nous avons examiné, de rétablir l’égalité entre le nombre des équations et celui des inconnues. La double modification des équations de l’échange, que nous avons indiquée au début, conduit donc dans les cas qui peuvent se présenter à la détermination de l’équilibre économique sur un marché où certains trafiquants agissent selon le type II.


Type III
(Monopole exercé dans l'intérêt de la collectivité).

Les phénomènes du type III étant ceux qui correspondraient à l’organisation collectiviste de la société, ¦c’est bien plutôt a l’occasion de la détermination de l’équilibre de la production qu’à celle de l’équilibre de l’échange qu’il y a lieu de les prendre en considération. Aussi M. Pareto en a-t-il rejeté l’étude à la suite de l’exposé de sa théorie de l’équilibre de la production, dont nous allons par suite nous occuper immédiatement.


§ 5. — Détermination de l'équilibre de la production.

De même que Walras distinguait sur le marché de la production, d’un côté, le marché des services et, de l’autre, le marché des produits, M. Pareto considère l’équilibre de la production comme le résultat de la superposition de l’équilibre des consommateurs — qui sont aussi les fournisseurs des entreprises — d’une part, et de l’équilibre des entreprises, d’autre part. Nous allons donc tout d’abord examiner rapidement les conditions de ces deux équilibres, et ensuite nous indiquerons comment s’établissent les relations entre les entreprises et les consommateurs sous les différents régimes économiques.

Équilibre des consommateurs. — Cet équilibre ne diffère de celui de l’échange que par ce seul fait que la quantité totale de chaque bien apportée sur le marché, au lieu d’être une constante, est maintenant une variable dont la détermination doit assurer la jonction des deux équilibres dont l’ensemble constitue celui de la production. Pour obtenir les conditions de l’équilibre des consommateurs, il suffit donc de reprendre les équations (A) et (B) telles que nous les avons précédemment établies et de remplacer les équations (C) (qui auraient pu s’écrire en posant par des équations de la forme :

()
,


X étant une variable dépendant des autres équations de l’équilibre.

Équilibre des entreprises. — L’équilibre des entreprises c’est l’équilibre des transformations de la production ; aussi, avant de chercher à déterminer les conditions de cet équilibre, y a-t-il lieu de commencer par examiner le mode d’intervention des deux sortes d’éléments dont les variations influent le plus directement sur la ligne de conduite des producteurs : les coefficients de production ou de fabrication (Cf. III, II, 2) et les coûts de production.

Coefficients de fabrication, — En désignant par A’, B’, C’,… les quantités des biens (A), (B), (C),… à partir desquels sont fabriqués les produits (X), (Y), (Z),… et par les coefficients de fabrication de ces produits, les conditions techniques de la fabrication donnent naissance à des liaisons du second genre des types suivants :

Or, si l’on admet, conformément à la réalité, que les quantités de matières premières ou de services producteurs qui entrent dans la fabrication d’un produit sont indépendantes du chemin suivi pour parvenir au point envisagé, les équations ci-dessus sont intégrables et peuvent être remplacées par des relations en termes finis entre les valeurs prises par les variables en ce point (ce qui fournit un nouvel exemple de la possibilité de déduire un groupe de liaisons du premier genre d’un groupe de liaisons du second genre). Les conditions techniques de la fabrication peuvent donc être considérées en dernière analyse comme se traduisant par des équations telles que celles-ci :


représentant les frais généraux et étant des fonctions qui ne sauraient être déterminées a priori (car les coefficients de fabrication ne sont pas tous des constantes, ainsi que l’avait admis Walras[74] : il en est qui varient avec les quantités de produits tandis que d’autres forment des groupes tels que dans chacun de ces groupes, les variations de certains de ces coefficients sont compensées parcelles des autres) mais dont les formes peuvent cependant être précisées. Et c’est ainsi que dans les cas où ne sont fonction que de de et ainsi de suite, les quantités X, Y, Z, des produits (X), (Y), (Z),… que l’on peut obtenir en employant des quantités A’, B’, C’,… des biens (A), (B), (C),… satisfont à des équations telles que :

Coûts de production. — Si (X), (Y), (Z),… sont des marchandises dont les productions sont indépendantes[75], et que l’on désigne par les prix de revient de ces marchandises et par les prix courants des biens (A), (B), (C),… le coût de production est :


celui de  :


et ainsi de suite.

En supposant que les équations précédentes soient intégrables — ce qui implique que le résultat auquel on arrive soit indépendant de l’ordre, de la disposition des fabrications — et en admettant en outre que les prix des biens (A), (B), (C),… soient constants, les coûts de production de quantités X, Y, Z,… des produits (X), (Y), (Z),… sont donc fournis, dans l’hypothèse déjà envisagée où chaque coefficient de fabrication ne dépend que de la quantité du produit auquel il se rapporte, par des équations de la forme :


etc., représentant les frais généraux indépendants de et satisfaisant par suite à l’égalité :

Équilibre des entreprises. — Nous venons d’indiquer successivement les expressions des deux sortes de liaisons qui s’imposent aux entrepreneurs, tant du fait des nécessités techniques que du fait des nécessités financières. Or, pour que l’équilibre des entreprises s’établisse, il faut évidemment que la somme des coûts de production des produits obtenus soit égale à l’ensemble des dépenses de production. Pour achever la détermination de cet équilibre il suffit donc d’ajouter aux équations précédemment établies la relation :


Équilibre de la production.


Type I
(Libre concurrence).

Les phénomènes du type I, lorsqu’il s’agit de la production, sont caractérisés par l’égalité du coût de production et du prix de vente de chaque marchandise, non seulement pour la totalité de cette marchandise, conformément à ce que nous avons vu à propos de la théorie de la production de Walras, mais aussi pour la dernière portion qui en est produite quand on arrive au point d’équilibre. Mais dès l’instant où l’on considère les prix comme constants, ainsi que nous l’avons fait jusqu’ici, ces deux égalités sont incompatibles, à moins que l’on ne suppose qu’il n’y ait pas de frais généraux, auquel cas la première entraîne la seconde (ce qui explique que Walras n’ait pas eu à se préoccuper de cette dernière). Aussi admettons-nous dans ce qui suit cette absence de frais généraux, en nous bornant, pour ne pas être entraîné trop loin, à faire observer que dans le cas où elle ne serait pas réalisée on se trouverait en présence de phénomènes de rente.

Dans ces conditions on dispose donc pour établir la jonction entre l’équilibre des consommateurs et celui des entreprises des équations suivantes :

(D)


d’où l’on déduit en ajoutant membre à membre :

Mais si l’on suppose que les entreprises produisent exactement les quantités de (X), (Y), (Z),… qu’elles livrent aux consommateurs et que l’on désigne par A, B, C,… les quantités de matières premières ou de services producteurs qui leur sont fournies, l’équilibre des budgets des consommateurs, qui sont aussi les fournisseurs des entreprises, implique que l’on ait :

et d’autre part la condition d’équilibre des entreprises se traduit, comme nous l’avons vu, par la relation :

de telle sorte que l’égalité ci-dessus entraîne la suivante :

Or, étant donné que les quantités A, B, C,… pourraient être plus grandes que les quantités A', B', C',… mais ne sauraient être plus petites, l’égalité précédente est équivalente aux équations

(E)

Ce sont donc ces dernières équations[76] qui constituent en définitive les points de soudure entre le système des équations qui représentent les conditions de l’équilibre des consommateurs, et le système des équations qui représentent les conditions de l’équilibre des entreprises, et, par suite, il ne nous reste plus, pour en terminer avec la question de la détermination de l’équilibre de la production sous le régime de la libre concurrence, qu’à montrer que le nombre des variables dont dépend cet équilibre est égal à celui des équations qui composent les deux systèmes ainsi réunis.

Eh bien ! supposons que le marché comprenne individus, n biens économiques (A), (B), (C),… et m produits (X), (Y), (Z),…

L’équilibre des consommateurs fournit (Cf. ci-dessus §4).


soit au total équations, et les inconnues qui figurent dans ces équations sont au nombre de puisque aux inconnues que nous avons rencontrées dans la théorie de l’échange il faut ajouter les n quantités A, B, C,… et les m quantités X, Y, Z,…[77].

Or, on a par ailleurs n équations (D) exprimant, pour chacun des n produits, l’égalité du coût de production et du prix de vente et m équations (E) exprimant, pour chacun des m matières premières ou services producteurs, l’égalité des quantités demandées pour les transformations et des quantités effectivement transformées, et ces m + n équations n’introduisent pas de nouvelles inconnues, les quantités étant fournies par les équations de fabrication. Il semblerait donc que le nombre des équations soit en définitive supérieur à celui des inconnues. Mais en réalité il n’en est rien, car les équations (E) dérivant de la relation :


qui est elle-même la conséquence des systèmes (B) et (GC), l’une de ces équations fait double emploi et doit être supprimée, de telle sorte que le nombre des équations est bien égal à celui des inconnues.

Remarquons pour terminer que lorsque les coefficients de fabrication sont constants, les systèmes (D) et (E) prennent respectivement les formes suivantes :

(D')
(E')


et qu’il suffit dès lors de fusionner les systèmes et pour retrouver les résultats auxquels était parvenu Walras en limitant son étude de la production à l’examen de ce cas particulier.


Type II
Monopole exercé dans l’intérêt de certains individus.

En matière de production, les phénomènes du type II se différencient des phénomènes du type I par ce fait que les prix de vente sont supérieurs aux coûts de production au lieu de leur être égaux.

Par conséquent, si l’on suppose que le producteur du produit (Y), par exemple, agisse suivant le type II et que, ce faisant, il réalise un bénéfice dont l’expression en numéraire (X) soit , l’équation


du système (D) devient :



cependant que X doit être remplacé par dans la première équation du système (). Le nombre des variables dont dépend l’équilibre de la production se trouve donc accru d’une unité, et il manque par suite une équation pour assurer la détermination de cet équilibre. Mais pour obtenir cette équation il suffit, après avoir déterminé les diverses variables en fonction de l’une d’elles, d’écrire la condition requise pour que le producteur de (Y) recueille le plus gros bénéfice possible[78] ; et comme cette manière de procéder pour passer de l’étude des phénomènes du type I à celle des phénomènes du type II, quand il s’agit de la production, est identique à celle que nous avons indiquée pour déduire les équations de l’équilibre de l’échange sous un régime de monopoles de celles qui avaient été établies dans le cas de la libre concurrence, nous ne croyons pas qu’il y ait lieu de reprendre ici l’examen des divers cas que nous avons pris en considération à l’occasion de l’échange, ce qui nous conduirait à formuler des conclusions en tous points analogues à celles que nous avons précédemment développées[79].


Type III
(Monopole exercé dans l’intérêt de la collectivité).


Le type de phénomène économique que M. Pareto désigne sous le nom de type III est, ainsi que nous l’avons dit dans la deuxième partie, ce celui auquel on arrive quand on veut organiser tout l’ensemble du phénomène économique, de telle sorte qu’il procure le maximum de bien-être à tous ceux qui y participent », c’est-à-dire celui qui correspondrait à l’organisation collectiviste de la société. Aussi, avant tout autre exposé, le savant professeur de Lausanne a-t-il dû se préoccuper de définir de façon précise ce bien-être[80], et voici en quels termes il le fait : « Il y a deux problèmes à résoudre pour procurer le maximum de bien-être à une collectivité. Il faut d’abord fixer les règles de distribution que l’on juge à propos d’établir. La solution de ce problème est principalement du domaine de la sociologie. Ces régies de distribution étant adoptées, on peut rechercher quelle position donne, toujours en suivant ces règles, le plus grand bien-être possible aux individus de la collectivité. »

« Considérons une position quelconque et supposons qu’on s’en éloigne d’une quantité très petite, compatiblement avec les liaisons. Si, en faisant cela, on augmente le bien-être de tous les individus de la collectivité, il est évident que la nouvelle position est plus avantageuse à chacun d’entre eux ; et vice versa elle l’est moins si on diminue le bien-être de tous les individus. Le bien-être de certains d’entre eux peut d’ailleurs^ demeurer constant sans que ces conclusions changent. Mais si, au contraire, ce petit mouvement fait augmenter le bien-être de certains individus et diminuer celui d’autres, on ne peut plus affirmer qu’il est avantageux à toute collectivité d’effectuer ce mouvement. »

« Ce sont ces considérations qui conduisent à définir comme position de maximum d’ophélimité, celle dont il est impossible de s’éloigner d’une quantité très petite, en sorte que toutes les ophélimités dont jouissent les individus, sauf celles qui demeurent constantes, reçoivent une augmentation ou une diminution. En d’autres termes, les fonctions indices ne doivent pas toutes augmenter, ni toutes diminuer, sauf celles qui demeurent constantes. »

« Soient pour les individus (1)(2)(3), … les fonctions indices totales et les fonctions indices de (X). Considérons l’expression

Si les sont nuls dans toutes les directions, les individus ont de tout à satiété. Sauf ce Cas, qu’il est inutile de considérer, l’expression que l’on vient d’écrire ne peut devenir nulle que si une partie des est positive et une autre partie négative ; par conséquent :


caractérise, selon notre définition, le maximum d’ophélimité pour la collectivité considérée[81] »[82].

En partant de cette définition et en remarquant que représente une quantité de la marchandise (X), d’où il résulte que l’équation


est simplement l’expression de ce fait que pour que la position du maximum d’ophélimité soit atteinte, il faut qu’on ne puisse plus disposer d’un surcroît de marchandise susceptible d’être distribué entre les membres de la collectivité, on conçoit immédiatement que le maximum d’ophélimité doit se trouver réalisé lorsque l’entreprise agit selon le type 1. Et, en effet, pour que soit nul, il faut et il suffit évidemment que, d’une part, la fabrication de chaque produit (Y) ne laisse aucun bénéfice et que, par suite, le prix de vente soit égal au coût de production :


et que d’autre part, cette fabrication ne soit pas susceptible d’en laisser, c’est-à-dire que l’on ait :


ou bien :


ce qui, en supposant que l’on continue la fabrication sur la voie qui a permis d’arriver au point d’équilibre considéré, conduit à la relation :


exprimant l’égalité du prix de vente et du prix de revient de la dernière portion produite. Or, la double égalité du prix de vente et du coût de production, tant pour la totalité de chaque marchandise que pour la dernière portion qui en est produite, est précisément d’après ce que nous avons dit au début de ce paragraphe, la caractéristique des phénomènes du type I. Le maximum d’ophélimité pour une collection tend donc à être réalisé par le régime de la libre concurrence, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’il faille nécessairement considérer ce régime comme préférable à tout autre, car, dans la pratique, les facteurs sociologiques peuvent exercer une influence considérable venant compenser la destruction de richesse inhérente à tout régime de monopole.

Dans ce qui précède nous avons essayé de montrer comment M. Pareto a réussi à faire une œuvre bien plus générale et, par là, bien plus scientifique que celles de ses prédécesseurs en groupant, sous les deux rubriques de liaisons du premier genre et de liaisons du second genre, les innombrables facteurs de l’équilibre économique et en ne faisant dépendre l’étude de cet équilibre que de la seule notion de fonction-indice, tout à la fois si com compréhensive qu’elle subsisterait entièrement si à la théorie mathématique de l’utilitarisme on voulait substituer celle de l’altruisme ou celle de l’ascétisme, et si précise qu’elle permet de rattacher tous les phénomènes économiques à deux types (le type III n’est qu’un genre du type II), parfaitement déterminés par ce fait que pour les phénomènes du type I, les individus acceptant les conditions du marché, les paramètres dont dépendent les fonctions indices sont constants, tandis que pour ceux du type II, au contraire, les trafiquants s’efforçant de modifier ces conditions, les paramètres en question sont variables. Puis nous avons indiqué comment l’auteur du Manuel a établi tout d’abord les conditions de l’équilibre de l’échange, et ensuite celles de l’équilibre de la production sous les divers régimes correspondant aux trois types de phénomènes dont il a donné des définitions mathématiques, c’est-à-dire comment il a procédé à la mise en équation du problème de la détermination de l’équilibre économique, dans les diverses hypothèses scientifiques auxquelles il a jugé à propos de ramener l’étude des cas concrets. Pour achever de mettre en évidence toute l’importance des travaux du savant professeur de Lausanne, il nous faudrait donc faire voir maintenant quelles sont les conséquences qu’il a su déduire des équations qu’il a ainsi obtenues. Nous serions de la sorte amenés à parler notamment de ses découvertes relatives à la loi de l’offre et de la demande, que nous avons rappelées par ailleurs, de ses études sur la question de la stabilité de l’équilibre économique ainsi que sur celle de la variabilité des coefficients de fabrication, dont nous avons simplement signalé l’existence, et surtout de ses belles recherches sur les propriétés de l’équilibre économique et ses rapports avec le maximum d’ophélimité auxquelles se rattache la solution du problème de la détermination du maximum d’ophélimité de la production que nous avons précédemment esquissée. Mais, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, nous n’avons jamais eu l’intention de rédiger un abrégé d’économie politique mathématique, nous avons seulement voulu tenter d’indiquer la mise en œuvre des procédés mathématiques en économie politique ; et d’ailleurs les théories dont nous venons de rappeler les titres sont tout à la fois si abstraites et si concises qu’on ne saurait songer à les résumer, car on ne peut guère exposer avec simplicité des choses complexes. Aussi ne pousserons-nous pas plus loin notre examen des travaux de M. Pareto et, par suite, des théories mathématico-économiques en général, nous bornant pour plus amples détails à renvoyer aux ouvrages du Maître et à ses articles dans le Giornale degli economisti.

  1. Le mot utilité pris dans ce sens — celui que les anciens économistes donnaient à l’expression valeur d’usage — présente l’inconvénient de prêter à confusion, certains biens, l’opium ou la morphine par exemple, pouvant être tout à la fois utiles au point de vue économique et nuisibles au point de vue pratique. Aussi, a-t-on proposé de lui substituer divers néologismes susceptibles, à ce titre, de recevoir telle signification qu’on entende leur donner, et dont deux seulement sont entrés dans le vocabulaire économique : ophélimité, imaginé par M. Pareto, à propos des travaux de qui nous avons déjà eu l’occasion de le citer, et désirabilité, proposé par M. Gide et employé par M. I. Fisher dans ses derniers ouvrages. Il est regrettable que ce dernier vocable n’ait pas été adopté par les auteurs de langue française parce qu’il aurait offert le double avantage de dissiper tout malentendu sur la notion d’utilité économique et de permettre la création, par la simple adjonction du préfixe in, d’une expression adéquate (indésirabilité) à cette utilité négative à laquelle Jevons a donné le nom de disutility, que les traducteurs se sont bornés à franciser ; mais il ne faut cependant pas attacher une importance exagérée à ces questions, car peu importe le mot pourvu que l’on soit fixé sur sa signification, ce qui est évidemment la condition primordiale de toute étude scientifique.
  2. Théorie… [p. 91], ch. iii, p. 105.
  3. On a prétendu rattacher ce fait à la loi de Fechner, dont l’expression la plus élégante consiste à dire que les sensations sont proportionnelles aux logarithmes des excitations, mais il est bien plus simple de le considérer comme résultant directement de l’expérience, plutôt que de le faire dépendre d’une loi également expérimentale, dont l’exactitude est d’ailleurs loin d’être établie.
  4. Ce mémoire a paru dans la livraison de janvier 1874 des Comptes rendus des séances et travaux de cette Compagnie et dans le Journal des Économistes, numéro d’avril 1874. Il a été, en outre, publié par Walras dans sa Théorie mathématique de la richesse sociale, Lausanne, 1883.
  5. Voir ci-dessus II, II, 2.
  6. Cf. Walras, op. cit. ou Journal des Économistes, numéro de juin 1874. (Ces deux ouvrages contiennent la traduction de cette lettre, faite par Walras lui-même ; le texte original, en anglais, figure dans la Mathematische Theorie der Preisbestimmung der wirthschaftlichen Güter de Ludwig von Winterfeld, Stuttgart, 1881.)
  7. Theory of Political Economy.
  8. Lettre à Jevons en date du 23 mai 1874 publiée avec la précédente.
  9. La première édition avait paru en deux fascicules.
  10. Éléments… [p. 106], p. x.
  11. Mémoire cité, Compte rendu, p. 105.
  12. Il est clair que le prix de (A) en (B) devient le prix tout court de (A), au sens vulgaire du mot, lorsque la marchandise (B) est la monnaie.
  13. Cf. Éléments, 7e leç.
  14. Il suffit de remplacer dans cette relation par pour retrouver l’équation de Jevons.
  15. Éléments, 10e leç., §101.
  16. Ibid., 25e leç., § 266.
  17. Manuel… [p. 143], ch. iii, § 227 n.
  18. Cf. II, III, 5.
  19. Éléments, 7e leç., § 74.
  20. Cf. II, III, 4.
  21. Éléments, 6e leç., in fine.
  22. Cf. L. Walras, Économique et Mécanique [p. 6].
  23. Ce n’est qu’en 1848 que la première définition d’une température multiple d’une autre fut donnée par W. Thomson, et ce ne fut que 65 ans plus tard, en octobre 1913, qu’une « Conférence internationale du mètre », siégeant à Paris, songea à l’emploi des températures thermodynamiques comme bases thermométriques.
  24. Théorie mathématique de l’échange, Paris, 1913, ch. viii, § 203.
  25. Cpr. l’axiome beaucoup plus hardi posé par le professeur Edgeworth, p. 127 n.
  26. Journal des savants, numéro de septembre 1883 et aussi Bulletin des sciences mathématiques de la même année.
  27. Cf. L. Walras, Journal des Économistes, numéro d’avril 1885, p. 69 n.
  28. Encyclopédie…, [p. 149], note 54.
  29. Cf. L. Walras, Journal des Économistes, numéro d’avril 1885, p. 69 n.
  30. Publié dans le numéro 76 du Bulletin de cette Société et dans la Théorie mathématique de la richesse sociale [p. 163].
  31. Ce n’est qu’ultérieurement, en 1890-1892, qu’il est parvenu à donner à sa théorie générale la forme géométrique qu’elle revêt dans l’appendice II des Eléments.
  32. Numéro du 5 septembre 1889.
  33. Revue d’Économie politique, numéro de janv.-févr. 1890.
  34. Théorie… [p. 91], ch. iv, pp. 161-162.
  35. Revue d’Économie politique, numéro de janvier 1891.
  36. Cours… [p. 143], t. I, n° 60.
  37. Cf. F.— Y. Edgeworth, numéro du 5 septembre 1889 de la revue anglaise Nature.
  38. Eléments, 19e leç., § 189.
  39. De même que pour les équations de l’échange, Walras a entrepris de mettre en évidence que le marchandage, qui aboutit sur le marché à la fixation des cours, constitue un mode de résolution automatique des équations de la production ; mais nous n’avons pas lieu de revenir sur cette question que nous avons examinée précédemment dans toute sa généralité.
  40. Cf. notam. F.-Y. Edgeworth, Revue anglaise Nature, numéro du 5 septembre 1889 et Revue d’Économie politique, numéro de janvier 1891 ; A. Beaujon, Revue d’Économie politique, numéro de janvier 1890 ; R. Auspitz et R. Lieben, Revue d’Économie politique, numéro de novembre 1890.
  41. Cf. Ch. Gide, Cours… [p. 102], 1. III, part. II, ch. iv, sect. ii.
  42. Cf. Eléments, 20e leç., § 203.
  43. Ces bénéfices différentiels ont reçu de H. v. Mangoldt (Die Lehre vont Unternehmergewinn, Leipzig, 1885), qui semble avoir été le premier à les mettre clairement en évidence, le nom de rente d’entrepreneur (Unternehmerrente) généralement adopté aujourd’hui (cpr. la rente du consommateur, II, II, 3). Certains auteurs néanmoins, à la suite de M. N.-G. Pierson, préfèrent l’expression de prime d’entrepreneur (Ondernemerspremie).
  44. A. Beaujon, loc. cit., p. 37. Il convient d’ailleurs de noter que cet auteur a modifié les données des problèmes étudiés par Walras, en supposant préfixées les dispositions de chaque individu (pp. 18 et s.). Cpr. le cas cité par F.-Y. Edgeworth (Discours [p. 120], note m.).
  45. Il est important de noter que dans toute cette théorie, la monnaie sert uniquement de commune mesure permettant de comparer les valeurs entre elles et qu’elle ne constitue en aucune façon l’un des produits figurant sur le marché.
  46. E. Barone, Giornale degli Economisti, numéro de mai 1894.
  47. Mathematical psychics [p. 119], p. 21. — Il est intéressant de noter que des économistes de l’École autrichienne ont eu recours à des tableaux numériques équivalant à des courbes de contrat rudimentaires (Cf. K. Menger, Grundsätze der Volkswirthschaftlehre, Vienne, 1871, pp. 176-178).
  48. Mathematical psychics [p. 119], pp. 21 et 22.
  49. Discours [p. 120], note l.
  50. Notons à ce propos que, par suite de la décroissance de l’utilité finale en fonction de la quantité considérée, la déclivité de la surface du plaisir va en diminuant de la base au sommet, ce qui vient justifier le nom de colline qui lui a été donné.
  51. Mathematical Psychics [p. 119], p. 27.
  52. L’un des deux biens (A) et (B) pourrait évidemment être pris comme numéraire.
  53. Signalons à ce propos que M. Irving Fisher a étudié dans un certain nombre de cas particuliers la forme des courbes d’indifférence (Mathematical Investigations [p. 136], part. II, ch. i).
  54. Cette conception de l’hyperespace, à laquelle a précisément donné naissance le désir de représenter des fonctions de plus de trois variables, semble quelque peu diabolique ; mais, en réalité, elle ne nous est pas aussi étrangère qu’elle paraît l’être. « This space is simply the « economic world » in which we live. We often speak of spending an income in this or that « direction », to express the relative amounts commodities. When one speaks of the « point » which a consumer or producer reaches, to use of the word is a natural attempt to group in thought different magnitudes. This is accomplished by regarding them as coordinates of a « point » in the « economic world » (I, Fisher, op. cit., part. II, ch. ii, § 6).
  55. Voir op. cit., part. II, ch. ii, § 9, note p. 85.
  56. Voici comment M. Irving Fisher a été conduit à la notion de densité d’utilité. Nous avons vu précédemment (III, IV, 2) que M. Edgeworth a pris en considération une surface, comparable en quelque sorte à la surface limite d’une couche d’utilité, dont les cotes, à partir de chacun des points du plan des x, y, représentent les quantités d’utilité (totale) provenant des combinaisons de deux produits figurées par ces points. Cette conception n’étant guère susceptible de généralisation dans les cas où le nombre des produits est supérieur à deux, le professeur de Yale a imaginé de réduire indéfiniment l’unité de mesure des cotes de la surface dont nous venons de rappeler le mode de génération, de telle sorte qu’aux différents points du plan la couche d’utilité soit caractérisée non plus par son épaisseur, mais par sa densité, à l’instar des quantités d’électricité déposées sur les diverses parties d’un conducteur. Or, il est clair que la notion de densité d’utilité en un point d’un plan peut être immédiatement étendue à l’espace et à l’hyperespare. Les courbes, surfaces, variétés d’indifférence sont les lieux des points où l’utilité a une densité donnée. (Op. cit., part. II, ch. i, § 10.)
  57. Cpr. le passage de la lettre de Henri Poincaré, cité ci-dessus (III, I, 3).
  58. La ligne des échanges ainsi définie n’est autre que la courbe de l’offre de (A) en fonction du prix de (A) en (B), et la courbe de demande de (B) en fonction du prix de (B) en ( A), les prix étant mesurés par les inclinaisons des sentiers aboutissant aux points de la courbe relatifs aux quantités envisagées (de telle sorte que ce mode de représentation ne nécessite qu’une seule courbe là où Walras en emploie deux). C’est là une remarque qui ne laisse pas d’offrir un certain intérêt, car, en rattachant les unes aux autres des études qui, à première vue, paraissent disparates, elle permet de constater les divergences entre les diverses théories ainsi que les points où elles se corroborent mutuellement (Voir V. Pareto, Encyclopédie… [p. 149], §§ 19 et s., et Manuel… [p. 143], ch. iii, §§ 180 et s., et A. Osorio, Théorie… [p. 176], ch. viii).
  59. Cf. Manuel, ch. iii, §§ 77 et s.
  60. Dans ce paragraphe et dans les suivants nous ferons, cela va sans dire, de nombreux emprunts au Manuel… [p. 143], de M. V. Pareto et à son article dans l’Encyclopédie… [p. 149].
  61. « La différence entre la méthode de Walras et la nouvelle méthode de M. Pareto est la même que celle qui existe entre la méthode qui de l’étude de la force, comme cause du mouvement, déduit la théorie de la mécanique pure, et celle qui de l’étude du mouvement en soi, parvient aux mêmes principes fondamentaux indépendamment de l’idée de force. Walras part de l’idée de force, Pareto ne regarde que le mouvement. Les deux savants doivent être dans le vrai puisqu’ils arrivent au même but. » A. Osorio, Théorie… [p. 176], ch. v, § 93.
  62. Encyclopédie, § 3.
  63. Il serait, d’ailleurs possible de partir de ces considérations pour définir fonction-indice toute fonction jouissant des propriétés ci-dessus (Voir V. Pareto, Encyclopédie, § 3, in fine). C’est ainsi qu’une expression (obtenue par un procédé quelconque) du bénéfice d’un négociant ou d’un fabricant, qui s’efforce évidemment de rendre ce bénéfice maximum, pourrait servir de fonction-indice pour connaître le sens dans lequel il agira.
  64. Encyclopédie, § 15.
  65. Avant d’en terminer avec ces considérations générales, il convient de noter qu’au lieu de laisser systématiquement de côté la notion de prix, comme nous l’avons fait jusqu’ici, il est possible au contraire de partir de cette notion pour établir la théorie de l’équilibre économique sur les bases adoptées par M. Pareto. On peut, par exemple, regarder l’équation d’une variété d’indifférence comme le résultat de l’élimination des prix entre des fonctions d’offre et des fonctions de demande, ou bien déduire une équation analogue à l’équation (4) de la considération des quantités de biens échangées à certains prix. Mais, bien que M. Barone se soit engagé avec succès dans cette voie (Cf. Il ministero della produzione nello stato collettivista, dans le Giornale degli economisti, numéros de septembre et d’octobre 1908), il ne semble pas qu’il soit très indiqué de la suivre en l’état actuel de la science.
  66. Encyclopédie, note 34, p. 622.
  67. Principles of economics, 5e éd., Londres, 1907, B. V, ch. iv, § 7 (Principes… [p. 100], 1. V, ch. ii, § 4).
  68. Osservazioni sulla teoria matematica dell’economia con riguardo speciale ai principii di economia di Alfredo Marshall, dans le Giornale degli economisti, numéro de février 1891.
  69. Encyclopédie, § 10.
  70. Encyclopcedie, § 25.
  71. Manuel, ch. iii, § 14.
  72. Toutes les théories de l’économie mathématique peuvent, en effet, être exposées en laissant totalement de côté la notion de prix, ainsi que nous l’avons dit précédemment.
  73. C’est, semble-t-il, démontrer un truisme que d’établir qu’il ne saurait exister deux monopoleurs d’un même bien ; mais, en réalité, ce n’est cependant pas là une démonstration dépourvue d’intérêt, car faute de s’être rendu compte que deux individus ne peuvent pas se comporter simultanément en monopoleurs d’un même bien, certains économistes sont parvenus à cette conclusion que si la vente d’un bien venait à être accaparée par deux individus se concurrençant, le prix de ce bien serait indéterminé.
  74. En réalité, Walras n’a pas considéré les coefficients de fabrication tant comme des constantes que comme des variables indépendantes {Cf. Éléments… [p. 106], 36e leç.), mais si cette manière de voir est fort acceptable comme première approximation, elle n’en est pas moins très éloignée d’une conception rigoureuse de la mutuelle dépendance. (Voir V. Pareto, Revue d’Économie politique, numéro de janvier 1902).
  75. Lorsqu’on se trouve en présence d’un groupe de marchandises dont les productions sont dépendantes, on ne peut évidemment déterminer que le coût de production de l’ensemble de ces marchandises.
  76. Ces équations signifient que les entrepreneurs sont obligés de transformer tout ce qu’ils reçoivent pour assurer la production de ce qu’ils vendent, on voit qu’elles ne sont que l’expression du principe, posé par Walras, d’après lequel les entrepreneurs ne réalisent pas de bénéfices
  77. En toute rigueur, il faudrait faire figurer également au nombre des inconnues ceux des coefficients de fabrication qui forment des groupes dans lesquels les variations des uns sont compensées par celles des autres, mais comme nous ne voulons pas sortir du domaine des généralités, nous nous bornerons à indiquer que ces coefficients sont entièrement déterminés par les conditions auxquelles ils doivent satisfaire pour que les coûts de production soient aussi faibles que possible, ce que les entrepreneurs s’efforcent toujours de réaliser sous un régime de libre concurrence.
  78. Il n’y a pas lieu d’envisager ici, comme nous l’avons fait dans le cas de l’échange, l’éventualité où le producteur de (Y) entendrait user de son monopole pour réaliser, non pas la plus grande quantité de numéraire, mais le maximum d’ophélimité possible, car les entrepreneurs n’ont guère l’habitude de faire leurs comptes en ophélimité.
  79. Bien entendu, à la différence de ce qui a lieu pour les phénomènes du type I (Cf. note p. 248), ce n’est pas par la condition de minimiser les coûts de production, mais parcelle de rendre maxima les différences, telles que entre les prix de vente et les coûts de production, que sont déterminés les coefficients de fabrication lorsqu’il s’agit du phénomène du type II
  80. La notion d’utilité sociale ne jouant aucun rôle dans les parties théoriques de leurs œuvres, Walras et les autres prédécesseurs de M. Pareto, sauf M. Edgeworth (Cf. II, III, 2), n’avaient pas eu lieu de préciser leurs conceptions à ce point de vue. Mais il semble cependant que l’auteur des Éléments était assez disposé à considérer l’utilité totale recueillie par une collectivité dans des circonstances déterminées comme la somme des quantités d’utilité réalisées dans ces circonstances par chacun des individus composant cette collectivité. Or, non seulement l’utilité sociale est souvent en opposition avec les intérêts individuels, mais encore on ne voit pas, même théoriquement, la possibilité d’ajouter des quantités d’utilité obtenues par des individus différents. « L’ophélimité, ou son indice, pour un individu et l’ophélimité, ou son indice, pour un autre individu, sont des quantités hétérogènes. On ne peut ni les sommer ensemble ni les comparer, No bridge, comme disent les anglais. Une somme d’ophéhmité dont jouiraient des individus différents n’existe pas : c’est une expression qui n’a aucun sens. » (Manuel, ch. iv, § 32).
  81. Cette condition du maximum d’ophélimité pour une collectivité coïncide, ainsi qu’il convient, avec celle du maximum d’ophélimité pour un individu, quand la collectivité se réduit à un seul individu (Cf. Manuel, App., § 116).
  82. Encyclopédie, § 28.