L’Empire des tsars et les Russes/Tome 1/Livre 6/Chapitre 1

Hachette (Tome 1p. 330-348).


CHAPITRE I


La noblesse et les paysans, personnifiant les deux Russies, semblent deux peuples superposés l’un à l’autre. — Par son origine et son mode de recrutement, le dvorianstvo russe diffère de toutes les institutions analogues de l’Occident. — Noblesse personnelle et noblesse héréditaire. — Grand nombre des nobles. — Des titres russes. — Les descendants de Rurik et de Guédimine. — Pourquoi cette haute noblesse ne forme-t-elle pas une aristocratie ? — Constitution de la famille russe. Partage égal des biens entre les mâles. Conséquences politiques de ce système. — Tentatives pour acclimater le droit d’aînesse et les majorats.


La rareté des villes, le manque d’industrie et de grand commerce, l’absence de professions libérales ont en Russie retardé jusqu’à nos jours la formation d’une classe moyenne. Ni par le nombre, ni par l’éducation, la bourgeoisie n’a la même importance que dans l’occident de l’Europe. Comme au temps de Pierre le Grand, il reste encore en présence et pour ainsi dire face à face, sans intermédiaire pour les unir ou les séparer, deux classes que, dans leur opposition même, il est difficile d’isoler l’une de l’autre : la noblesse et les paysans, l’ancien seigneur et l’ancien serf. En ces deux hommes, en ces deux classes se personnifient encore aujourd’hui deux Russies : dans la première, la Russie moderne, la Russie européenne de Pierre et des empereurs réformateurs ; dans la seconde, la Russie moscovite, la Russie à demi asiatique ou à demi orientale des vieux tsars.

Entre le noble et le paysan, le servage était, jusqu’au règne d’Alexandre II, une chaîne matérielle : il n’a jamais été un lien moral. Cette chaîne séculaire une fois rompue, l’ancien seigneur et l’ancien serf se sont retrouvés presque aussi rapprochés par la terre et les besoins de la vie rurale, presque aussi séparés par l’esprit, par les tendances et les mœurs. C’est qu’entre l’esclave et le maître la différence n’était pas seulement dans le degré de culture, elle était dans le principe, dans la nature même de la civilisation. Aussi entre l’un et l’autre, après comme avant l’émancipation, l’intervalle reste-t-il si grand qu’aux yeux de l’observateur ils semblent moins former deux classes que deux peuples superposés.

De ces deux hommes, du moujik et de son ancien maître, le premier est entièrement étranger à l’Europe, le second lui est presque familier. La France, l’Allemagne, l’Italie l’ont souvent reçu, il les fréquente comme voyageur, comme homme du monde ou homme de plaisir. L’Occident connaît le noble russe et ignore presque absolument la noblesse de Russie. Sous ce rapport, le premier ordre de la société russe n’est guère mieux connu, guère mieux compris de l’Europe que le paysan lui-même : nous n’en savons ni la fonction dans le passé, ni le rôle dans le présent, et sommes ainsi hors d’état d’en augurer l’avenir ; nous ne savons quelle place la noblesse occupe dans la nation et dans l’État, quelles prérogatives lui concèdent la coutume ou la loi, quelles perspectives lui réserve le développement de la Russie. On parle beaucoup en Europe de démocratie et d’aristocratie ; dans notre France même, rendue plus curieuse de l’étranger, les partis ou les écoles interrogent souvent à ce point de vue les autres nations. On se plaît à chercher, dans des exemples plus ou moins fidèlement présentés, des arguments en faveur de thèses le plus souvent arrêtées d’avance. Quelles leçons la Russie peut-elle, à cel égard, offrir à l’Europe ? De quel côté incline cette société, par tant de traits si dissemblable de la nôtre ? Peut-elle longtemps se retenir sur la pente où se laisse peu à peu glisser tout l’Occident ? Y a-t-il en Russie une force aristocratique capable de devenir un jour un ressort politique, capable d’être un appui pour le trône ou un frein pour le peuple ? De telles questions ont beau paraître prématurées, elles se présentent naturellement à l’esprit inquiet des destinées de l’Europe et de la civilisation.

La noblesse russe (dvorianstvo) n’a ni les mêmes origines ni les mêmes traditions que ce que nous appelons du même nom en Occident. Le dvorianstvo, « la classe cultivée héréditaire », dit un écrivain russe à tendances aristocratiques[1] est une institution spéciale à la Russie, inconnue de l’Europe, unique à sa manière. Deux choses la distinguent particulièrement : c’est d’abord qu’elle n’a jamais été qu’un instrument du pouvoir, n’étant littéralement autre chose que la réunion des hommes au service public ; c’est ensuite que l’entrée en a toujours été ouverte et que, se renouvelant incessamment par un afflux d’en bas, elle s’est gardée de tout penchant exclusif, de tout esprit de caste.

De l’aveu de ses plus sérieux panégyristes, la noblesse russe est ainsi sans analogue en Occident ; quelques-uns disent même volontiers sans antécédent dans l’histoire. Ce n’est qu’en regardant leur patrie à travers l’étranger, ou en se laissant prendre à une ressemblance tout extérieure que certains Russes, élevés à l’européenne et oublieux des traditions nationales, font mine de se draper en lords anglais ou en Herren allemands. Si nous rendons le mot dvorianstvo par les termes de noblesse, nobility, Adel, c’est faute d’équivalent dans les langues comme dans les institutions de l’Occident. Le nom, qui désigne officiellement la première classe de l’État, en indique lui-même l’origine. Le russe dvorianine veut dire homme de cour, on pourrait traduire par courtisan, si le mot dans notre langue n’avait pris un tout autre sens[2]. Il semble que primitivement le dvorianine fut un officier ou dignitaire de la cour moscovite, plus ou moins analogue aux chambellans de l’Occident. Plus tard ce terme fut étendu à tous les gens au service personnel du souverain, ou, ce qui revenait au même, au service de l’État. Le dvorianstvo russe a gardé à travers l’histoire la marque de son origine ; c’est une noblesse de cour, une noblesse de service, qui, de nos jours comme jadis, s’acquiert de droit par le tchine, par un grade ou un rang déterminé dans l’armée ou dans l’administration.

La législation russe distingue deux sortes de noblesse : la noblesse transmissible, héréditaire (potomstvennaïa), et la noblesse personnelle (litchnaïa), qui ne descend point du père aux enfants. Pour nous, ces mots de « noble personnel » semblent une sorte d’antithèse, et l’anoblissement viager une contradiction. Séparée de l’hérédité, la noblesse n’est à nos yeux qu’un non-sens. Une telle institution accuse nettement le caractère particulier de la hiérarchie russe. Le dvorianstvo n’étant que la classe des serviteurs de l’État, il a bien fallu, lors de l’introduction en Russie de la bureaucratie compliquée de l’Occident, distinguer entre les fonctions élevées et les emplois inrérieurs. De là, parmi les gens au service public, la création de deux noblesses. À l’employé subalterne, ce titre de dvorianine personnel assurait les privilèges ou mieux les droits de l’homme libre, dans un pays où le noble ou fonctionnaire avait seul quelques droits reconnus. Aujourd’hui et depuis longtemps déjà, le noble personnel n’a en fait aucun privilège de plus que les marchands et les habitants privilégiés des villes. Ses enfants entrent dans la catégorie des citoyens honoraires ou bourgeois notables héréditaires ; sous ce titre, ils jouissent en réalité d’autant de droits que leur père, dont ils n’ont pas hérité la noblesse. Le dvorianstvo personnel est ainsi devenu un vain titre ; il n’a jamais du reste eu d’importance, la suppression n’en changerait rien à la hiérarchie sociale.


La noblesse héréditaire est la seule digne d’attention, la seule ayant une réelle valeur. Comme la noblesse personnelle, elle est depuis des siècles ouverte à tous. Durant plus de cent ans, pendant le dix-huitième siècle et la première partie du dix-neuvième, de Pierre le Grand à la fin du règne d’Alexandre Ier, la noblesse héréditaire appartint de droit à tout officier de l’armée et à tout employé civil d’un rang équivalent ; elle se gagnait avec la première épaulette, avec le grade d’enseigne, grade inférieur à celui de sous-lieutenant. On comprend ce que devait être une noblesse dont la porte était aussi largement ouverte et le seuil aussi bas. Une qualité ainsi prodiguée ne pouvait manquer de se déprécier et ravaler. Pour en arrêter l’avilissement, l’empereur Alexandre Ier en 1822, son frère Nicolas en 1845, l’empereur Alexandre II en 1854, ont successivement relevé de plusieurs degrés le seuil de la noblesse héréditaire. Sous Alexandre II, elle ne donnait plus accès qu’aux colonels ou aux fonctionnaires civils décorés du titre de conseiller d’État actuel (4e classe). Sous Alexandre III, le dvorianstvo a enfin réussi à faire supprimer l’anoblissement par le grade et le service. Outre la grande porte du tchine, la noblesse héréditaire avait des portes de côté : c’étaient les décorations, certains ordres impériaux anoblissaient de droit. Le souverain a toujours la faculté, dont il use peu, de conférer la noblesse par gratification (jalovanié).

Le premier effet d’un tel système, c’est naturellement le grand nombre des nobles, et par suite, le peu d’aisance, le peu d’éducation, le peu de considération de beaucoup d’entre eux. Dans la seule Russie d’Europe, les statistiques donnent, pour le dvorianstvo héréditaire, environ 600 000 âmes, pour la noblesse personnelle et les petits employés, au moins 350 000[3]. Il y aurait là de quoi recruter une armée entièrement composée de nobles. En Angleterre, en Allemagne même, dans tous les pays où la noblesse a conservé un prestige politique ou seulement un lustre de vanité, le nombre des hommes qui en sont revêtus est beaucoup moindre. En Russie, la multitude des nobles fait qu’on en trouve partout, à tous les degrés de l’échelle sociale, dont ils sembleraient devoir occuper le faîte. C’est dans le sein du dvorianstvo, plutôt que dans la classe officielle des bourgeois, qu’il faut encore aujourd’hui chercher l’équivalent de notre bourgeoisie. « Qu’est-ce que votre noblesse ? demandait un de mes compagnons de voyage, à la table d’un juge de paix des bords du Volga ? — La noblesse, répondit le maître de maison, ce sont nos convives, c’est nous tous ici ». C’est là une réponse qu’on pourrait faire souvent en Russie et partout où se montrent des Russes à l’étranger. Les nobles, c’est tout ce qui n’est pas paysan, marchand ou prêtre, tous les gens que l’on rencontre dans le monde, tous les hommes de quelque éducation à la ville et à la campagne. À cet égard on pourrait encore presque dire : en Russie, la noblesse, c’est tout le monde.

Du fond obscur de cette plèbe nobiliaire se détachent naturellement un certain nombre de familles, les unes entourées d’une illustration qui se perd dans les ténèbres de l’ancienne Moscovie, les autres plus ou moins récemment mises en lumière par l’éclat des services. De telles familles, de telles maisons existent en Russie comme dans la plupart des pays qui ont derrière eux une longue histoire. La langue russe a même pour les désigner un mot qui lui est particulier, le mot de znat, La znat (du verbe znat, connaître) c’est, sans distinction de titre ou d’antiquité de race, les familles connues ou illustres ayant gardé jusqu’à nos jours un haut rang dans l’État ou la société. Dans cette haute noblesse, ou plus justement dans cette couche sociale supérieure, s’il y a des familles titrées d’origine ancienne ou récente, il y a aussi des familles sans titres, dont la noblesse et l’illustration remontent aux temps des vieux tsars. Cette noblesse de titre ou de nom sera probablement la seule à survivre à l’effacement progressif du dvorianstvo ; le reste n’a, ni dans la forme du nom, ni dans les souvenirs du pays, rien qui le puisse longtemps distinguer de la masse de la nation[4]. Le commun des nobles demeure privé de tout signe extérieur, sans rien qui dénonce aux yeux sa qualité, sans autre titre qu’une inscription dans les registres de la noblesse de sa province.

Il y a aujourd’hui en Russie plusieurs sortes de titres et comme une hiérarchie nobiliaire ; mais ce n’est là qu’une importation de l’Occident, un récent emprunt à l’étranger. Chez les Moscovites comme chez les autres Slaves, toutes ces dénominations de duc, comte, baron, étaient inconnues, par la raison que chez eux il n’y avait jamais eu de féodalité, jamais de duchés ou de comtés, vassaux les uns les autres ou vassaux du pouvoir central. L’ancienne Russie ignorait toutes ces gradations de titres : à vrai dire, elle ignorait même les qualifications héréditaires ; par là encore le dvorianstvo russe différait entièrement des noblesses de l’Occident. Il n’y avait qu’une exception, et cette exception confirmait la règle : c’était en faveur des membres de la famille souveraine, en faveur des branches collatérales de la dynastie régnante.

Les descendants des kniazes, des princes apanagés, ont continué à porter le titre de prince après la réunion de leurs principautés au domaine de Moscou. Toutes les autres dignités ou distinctions, la qualité de boyar en particulier, étaient viagères et accordées directement par le souverain. Ce n’est qu’en se rapprochant de l’Europe et en s’annexant des provinces longtemps soumises à l’influence germanique, que la Russie s’appropria quelques-unes des dénominations nobiliaires issues de la féodalité. Elle eut ainsi des comtes et plus tard des barons ; mais, pour ces qualifications, il lui fallut emprunter des noms étrangers[5]. À l’imitation des monarques de l’Occident, Pierre le Grand et ses successeurs se mirent à conférer des titres héréditaires. Ces distinctions du reste n’ont pas été aussi prodiguées qu’ailleurs ; si l’on met de côté le grand nombre de familles portant des titres d’origine étrangère, elle sont même demeurées relativement rares. Une centaine de comtes[6], une quinzaine de princes et un peu plus de barons, ces derniers pour la plupart gens de finance, tel est à peu près le chiffre des titres créés par diplôme impérial. Tous sont naturellement de date plus ou moins récente, peu remontent à un siècle. De même que les dorures trop neuves, la plupart gardent le poli luisant de la nouveauté ; comme ils manquent de l’éclat sombre et mat de l’antiquité, les familles qui en sont décorées n’en peuvent toujours tirer grand prestige. L’origine de leur fortune est trop connue, et en Russie, comme dans les autres cours de l’Europe, la faveur ou l’intrigue ont trop souvent usurpé ces récompenses honorifiques. Puis, à côté même des familles titrées, il en subsiste de plus anciennes dont le nom est assez illustre pour n’avoir pas besoin d’être ainsi relevé. Les Narychkine, par exemple, sont demeurés sans titre et semblent tenir à honneur de n’en point porter.

Une chose frappe dans la haute noblesse russe, dans la znat pétersbourgeoise en particulier, c’est le grand nombre des familles d’origine étrangère. Une moitié peut-être de cette aristocratie de cour provient du dehors ; elle est de sang tatare, géorgien, grec, valaque, lithuanien, polonais, suédois, allemand, parfois même de sang anglais ou français. Toutes les tribus soumises au sceptre des tsars, tous les peuples voisins de l’empire ont apporté leur contingent au dvorianstvo. Par ses origines comme par ses mœurs, par sa composition comme par son éducation, la classe la plus élevée est ainsi la moins nationale ; de là, pour elle, une autre cause de faiblesse, une autre raison de son peu d’ascendant.

Entre toutes ces familles, étrangères de provenance ou décorées de titres dont le temps n’a pas rehaussé l’éclat, les vieux kniazes, les princes qui descendent en ligne directe des souverains russes, paraissent devoir occuper une place à part. Il semble que dans l’État, fondé et si longtemps régi par leurs ancêtres, ces héritiers de la dynastie de Rurik offrent un élément aristocratique indigène, auquel une illustration séculaire assure un rôle considérable. Aucune aristocratie de l’Europe n’a une plus haute ou plus lointaine noblesse. « En Russie, disait un jour M. de Talleyrand, tout le monde est prince. » Cette opinion du ministre de Napoléon est encore fort répandue en occident. Rien cependant n’est plus faux. Après l’afflux de tant d’étrangers, après tant d’anoblissements de toute sorte, le nombre des familles princières russes ne dépasse guère, dans cet immense empire, le chiffre de soixante, et encore plus de la moitié provient-elle d’une seule souche, de Rurik[7]. Les petits États du pape étaient peut-être aussi riches en maisons princières.

De cette noblesse de kniazes, les descendants des anciens souverains et des chefs locaux de la Russie forment encore aujourd’hui environ les deux tiers. Près de quarante de ces familles de princes remontent à Rurik, le fondateur de l’empire russe, et à saint Vladimir, l’apôtre de la Russie ; ce sont les agnats des vieux tsars moscovites, et ainsi les représentants de la dynastie qui régna du neuvième siècle à la fin du seizième. Cette féconde maison de Rurik, probablement la race souveraine la plus nombreuse que mentionne l’histoire, comptait, il y a un siècle ou deux, près de deux cents branches diverses[8]. Beaucoup n’ont plus de rejetons vivants ; quelques-unes, telles que les Talichtchef, ont abandonné ou perdu le titre de kniaz. Un autre groupe, composé de quatre familles russes et de quatre polonaises, provient d’une tige non moins illustre, et aux yeux des Russes, presque aussi nationale : ce sont les descendants de Guédimine et de l’ancienne maison souveraine de Lithuanie, connue en Europe sous le nom de Jagellons, et qui, avant de monter sur le trône de Pologne, régnait sur toute la Russie occidentale. De Rurik et de la première dynastie russe sont issus les Dolgorouki, les Bariatinski, les Obolenski, les Gortchakof ; de Guédimine et de la dynastie lithuanienne, les Khovanski, les Galitsyne, les Kourakine, les Troubestkoï en Russie, les Czartoryski et les Sanguszko en Pologne. À cette double descendance des anciens souverains nationaux s’ajoutaient sept ou huit familles, sorties d’anciens chefs tatars, tcherkesses ou géorgiens, admis jadis au nombre des kniazes russes, et dont la plupart, comme les Tcherkasski, les Mechtcherski, les Bagration, portent également des noms historiques[9].

Un simple dénombrement montre que ces kniazes russes ne le cèdent à aucune noblesse de l’Europe en antiquité ou en illustration : aujourd’hui encore ils ne le céderaient à aucune en hommes distingués. Et néanmoins, dans toutes ces maisons de sang presque royal, à côté desquelles se placent encore d’anciennes familles de boyars, dans toute cette haute noblesse nationale, il n’y a pas les éléments d’une aristocratie politique, il n’y a pas de quoi faire, par exemple, une chambre des pairs, une chambre de boyars héréditaire. Cette sorte d’incapacité aristocratique a une double raison : elle tient à la constitution historique de la société russe, elle tient aussi et avant tout à la constitution même de la famille russe.

Dans la famille du dvorianine et du kniaze comme dans celle du marchand ou du mougik, règne l’égalité des enfants, égalité de droits, égalité de titres. Avec ce principe démocratique, auquel la noblesse russe est toujours demeurée fidèle, les germes d’aristocratie tombés çà et là sur le sol ne pouvaient lever. Dans ces maisons princiëres du sang de Rurik et de Guédimine, comme chez la commune noblesse, il n’y a point d’aîné, point de chef de famille pourvu de droits particuliers. La fortune du père se partage également entre les fils, le titre paternel passe à tous indistinctement, et, comme c’est le seul bien qui ne soit pas réduit par des partages successifs, c’est souvent le seul héritage qui leur reste de leurs ancêtres. De là fréquemment l’avilissement d’un titre qui, tout en appartenant à peu de familles, peut appartenir à la fois à beaucoup d’individus. À force de se ramifler, plusieurs de ces familles princières, et parfois les plus illustres, ont formé comme un buisson touffu dont les branches enchevêtrées s’étouffent et se cachent les unes les autres.

Quelques-unes de ces maisons de kniazes, dont l’unité et la fortune ne sont maintenues ni par le droit d’aînesse ni par l’entrée des cadets dans l’Église, sont aujourd’hui de vraies tribus, de vrais clans n’ayant d’autre lien qu’un même nom. On compte, par exemple, trois ou quatre cents Galitsyne des deux sexes, et par suite plus d’une centaine de princes de ce nom, autant que de mâles. Dans ces nombreuses familles issues d’un même tronc, à côté des branches qui se déploient au soleil, florissantes et pleines de sève, il y a naturellement des rameaux privés d’air et dépouillés de feuilles. Au seizième siècle déjà, lorsque régnait encore la dynastie de Rurik, d’où la plupart sont sortis, Fletcher remarquait que beaucoup de kniazes n’avaient d’autre héritage que leur titre, sans rien pour le soutenir. « Il y en a tant dans cette position, écrivait l’envoyé de l’aristocratique Angleterre, que ces titres ne valent pas cher. Aussi voit-on des princes trop heureux de servir un homme de rien pour un salaire de 5 ou 6 roubles par an[10]. » Les siècles et la multiplication de certaines familles n’ont pas beaucoup amélioré cette situation. Aujourd’hui encore, on voit en Russie des rejetons de Rurik ou de Guédimine dans les emplois les plus modestes. À Pétersbourg, j’en ai vu un diriger l’orchestre d’un café-concert ; en Italie, j’ai rencontré, sur des théâtres de second ou de troisième ordre, des princesses russes chantant sous des noms d’emprunt, et j’ai entendu dire qu’il y avait eu des princes cochers de fiacre et des princesses femmes de chambre. Haxthausen raconte que, dans certain village, des paysans qui se prétendaient d’origine princière s’étaient réservé le droit de porter, comme signe distinctif, un bonnet rouge. De tels faits expliquent comment plusieurs des familles issues de Rurik ont laissé tomber leur titre de prince. Avec une telle division, un tel émiettement des familles et des fortunes, il ne saurait y avoir dans la haute noblesse ni esprit de famille ni esprit de corps.

Veut-on savoir si un pays incline à l’aristocratie, il faut d’abord interroger la législation ou la coutume qui règle la distribution de la richesse. Selon une remarque de Tocqueville, ce sont les lois sur les successions qui, en concentrant, en groupant autour de quelques têtes la propriété et bientôt après le pouvoir, font en quelque sorte jaillir du sol l’aristocratie ; ce sont elles aussi qui, en divisant, fractionnant, disséminant les biens et la puissance, préparent la démocratie. Or, dans la noblesse russe, a toujours prévalu la coutume du partage égal des biens entre les fils, cette loi niveleuse « qui, passant et repassant sans cesse sur le sol, renverse sur son chemin les murs des demeures et détruit les clôtures des champs ». Si en Russie la loi du partage égal n’a point encore morcelé et effacé tous les grands domaines, réduit et détruit toutes les grandes existences, c’est que, jusqu’à nos jours, la Russie est demeurée dans des conditions économiques exceptionnelles. C’était d’abord l’immensité du territoire, puis le rapide accroissement de la valeur des terres, grâce à l’ouverture de nouveaux débouches ; c’était ensuite le servage et le droit exclusif de la noblesse à la propriété des biens habités par des serfs. En mainte région de l’empire, le revenu des terres a longtemps augmenté si promptement, avec la population ou les moyens de communication, que souvent les propriétés doublaient, triplaient, parfois même décuplaient de valeur en vingt ou trente ans. De cette façon, il n’était nullement impossible qu’après s’être partagé l’héritage paternel, deux ou trois fils se trouvassent aussi riches que l’était leur père à leur âge. Les grandes fortunes ont, en apparence au moins, encore une autre raison : c’est que le partage n’a lieu qu’entre les enfants mâles.

Les fils, chargés de perpétuer la famille, s’en divisent les biens. Aux filles qui ont des frères vivants, la législation n’accorde qu’une part minime, un quatorzième de l’héritage paternel, des immeubles du moins. Souvent elles ne reçoivent que leur dot. Selon l’esprit des civilisations anciennes, une fille mariée et dotée est pour ainsi dire retranchée de la famille. Une fois coupé, dit un adage populaire, le morceau de pain n’appartient plus à la miche. Il est vrai que la dot, donnée aux filles, dépasse parfois la part qui leur serait légalement attribuée ; j’ai même connu des familles où les sœurs avaient reçu un lot égal ou supérieur au lot de leurs frères. Cette législation n’a pas du reste pour point de départ le dédain du sexe féminin ; la loi russe, si avare pour les filles, est à certains égards plus libérale pour la femme que notre loi française qui, dans les successions, fait d’elle l’égale de l’homme[11]. Si le code n’attribue à la fille qu’une faible part des biens de son père, la législation réserve à la femme, du vivant même de son mari, la libre jouissance et administration de ses propres biens. La femme mariée n’est jamais, comme chez nous, une mineure sous la tutelle du mari, et, d’une manière générale, l’on peut dire qu’au point de vue de l’émancipation ou de l’indépendance des femmes, aucune société de l’Europe n’est plus avancée ni plus libérale que les hautes classes de cette Russie, dont les lois sont pour elles si peu généreuses.

Le mode de succession, qui consacre l’inégalité de l’homme et de la femme, compte encore aujourd’hui des partisans dans les pays où règne le Code Napoléon. En France même, ce régime a les sympathies des esprits inquiets des progrès de la démocratie, il a les préférences avouées de toute une école de publicistes contemporains. À défaut du droit d’aînesse, le privilège d’un sexe sur l’autre leur paraît une garantie sociale, une mesure protectrice de la transmission des fortunes et de la perpétuité des familles ; cette opinion ne semble pas toujours confirmée par l’exemple de la noblesse russe. La plupart des défauts, reprochés au partage égal entre tous les enfants, se retrouvent dans le partage restreint aux mâles. À ne considérer que les classes et non les individus, l’un et l’autre régime ont, sous le rapport économique comme sous le rapport politique, des effets analogues, presque identiques ; il n’y a de sérieuse différence qu’au point de vue moral, au point de vue du mariage et de la situation de la femme. Là où la loi reconnaît à tous les enfants un droit égal à la succession paternelle, la part diminuée des fils est recomplétée par le mariage ; la femme restitue en moyenne au mari ce que la sœur enlève au frère. Des deux modes de partage, le plus favorable à l’aristocratie ou au maintien des grandes situations, au maintien des influences traditionnelles, n’est pas toujours celui qui fractionne le moins les biens. Si le partage entre les mâles seuls divise moins les terres et les fortunes, le partage entre tous les enfants offre plus de facilité de les reconstituer ou de les arrondir par des alliances. Avant la Révolution déjà, la noblesse française, bien que protégée par le droit d’aînesse, avait souvent recours à ce moyen de fumer ses terres. Les aristocraties de nom ou de tradition en ont bien plus besoin, aujourd’hui que l’induslrie, la banque, le commerce sont devenus presque les uniques facteurs de la richesse, qu’entre l’opulence des nouvelles familles et les besoins des anciennes il n’y a d’autre passage et, pour ainsi dire, d’autre pont que le droit de succession des filles. Avec le régime opposé toute la richesse et l’influence risquent de passer à une bourgeoisie de parvenus.

Le partage exclusif entre les mâles a en outre, au point de vue conservateur, un inconvénient spécial, fort sensible en Russie : il dérange l’équilibre des fortunes et la position relative des familles plus rapidement, plus fortuitement que le partage entre tous les enfants. Deux pères, possédant le même avoir et ayant le même nombre d’enfants, laissent leurs descendants mâles dans une situation fort inégale, selon que, parmi leurs héritiers, prédomine le sexe privilégié ou le sexe exclu du partage. En résumé, la coutume russe ne semble pas plus propice au maintien des influences aristocratiques que notre coutume française, en apparence plus démocratique. Avec la faveur que rencontre en Russie la cause de l’indépendance des femmes, il se pourrait du reste que, dans un temps plus ou moins éloigné, la législation ou les mœurs renonçassent à priver de l’héritage paternel les enfants qui sont naturellement les moins capables de faire fortune, et que dans le Nord comme en France triomphât l’égalité des sexes.

Du jour où il s’est rapproché des noblesses occidentales, le dvorianstvo russe a compris qu’avec le droit national et le partage égal des biens, il ne pouvait y avoir de véritable aristocratie. Aussi certains des héritiers des kniazes et des boyars ont-ils tenté d’implanter dans leur patrie la coutume étrangère des majorats. Chose singulière, c’est un des princes les moins enclins aux penchants aristocratiques, c’est Pierre le Grand qui le premier introduisit les majorats dans la législation russe. Était-ce simplement pour imiter l’Occident et mieux assimiler la Moscovie à l’Europe ? Était-ce vraiment pour créer entre le peuple et le trône une haute et influente noblesse ? De telles vues se concilieraient mal avec la conduite du souverain qui fit dépendre tout rang dans l’État du grade dans le service. Le plus vraisemblable, c’est qu’à l’aide de cet emprunt à l’Europe, le réformateur voulut assurer à la Russie, alors à peine ouverte à la civilisation, une classe riche et instruite, et par suite européenne et civilisée. Tels que les établit Pierre Alexéléievitch, les majorats étaient du reste aussi manifestement outrés que manifestement opposés aux mœurs nationales. Pour avoir quelques chances de vie, l’institution nouvelle dut commencer par être abolie et transformée. D’après l’oukaze de 1714, tous les biens immobiliers de la noblesse étaient assujettis au régime des majorats, ou plus exactement devaient passer à un seul héritier (édinonastédie). La fortune mobilière, alors presque nulle en Russie, restait seule à la libre disposition du dvorianine pendant sa vie, et était seule, après sa mort, partagée entre ses enfants.

Ce système différait des majorats de l’Occident par un autre point essentiel. Au lieu d’assurer l’héritage paternel à l’aîné des fils, Pierre le Grand accordait au père la faculté de désigner parmi ses enfants son unique héritier. Avec ces majorats sans droit d’aînesse, s’introduisait dans la famille une sorte d’autocratie : le droit de succession privée semblait calqué sur le droit de succession au trône, qu’en défiance ou en souvenir de son fils Alexis Pierre avait voulu laisser au choix du souverain. Un tel régime ne pouvait guère avoir de plus heureuses conséquences dans la vie domestique que dans la vie publique. Il est à remarquer qu’en abandonnant au père de famille le choix d’un héritier privilégié, le système inauguré par Pierre le Grand n’était pas sans analogie avec la réforme du Code civil réclamée chez nous sous le nom de liberté testamentaire[12]. En Russie, l’expérience n’a pas été favorable à cette sorte de primogéniture artificielle, dépendant de l’arbitraire paternel et non plus du hasard de la naissance. L’oukaze de Pierre fut abrogé dès 1730, après avoir été pour les familles, durant sa courte existence, un principe de jalousie et de division. L’ancienne coutume nationale du partage égal fut restaurée, et, lorsqu’on les autorisa de nouveau, les majorats, créés en faveur d’un des fils, durent, comme en Angleterre ou en Allemagne, passer d’ainé en aîné.

Dans ces nouvelles conditions, les majorats[13] ne sont pas encore parvenus à se répandre chez la noblesse russe. En dépit de la faveur qu’ils semblent rencontrer dans quelques hautes régions sociales, le nombre en demeure jusqu’ici peu considérable. Un oukaze de l’empereur Nicolas, daté de 1845, a eu beau accorder à tout sujet noble le droit de fonder un ou plusieurs majorats : c’est là une prérogative dont la noblesse s’est peu servie. La valeur élevée, que la loi exigeait des biens érigés en majorat, n’explique qu’en partie celle abstention. D’après l’oukaze de 1845, il fallait une terre libre de toute hypothèque, peuplée d’au moins deux mille paysans ou rapportant un revenu annuel d’au moins 12 000 roubles. L’institution ainsi réglementée n’est qu’à la portée des grandes fortunes ; mais, pour avoir quelque efficacité politique, un majorat doit toujours être considérable ; autrement ce n’est pour la société qu’une inutile et encombrante mainmorte. Le principal obstacle à la diffusion des majorats, et par leur moyen à l’établissement d’un droit d’aînesse, ce sont les mœurs, c’est la tradition nationale et les instincts démocratiques de la nation. L’esprit russe se montre à cet égard fort différent de l’esprit polonais comme de l’esprit allemand, qui, dans les provinces baltiques de la Russie, a jusqu’ici fait prévaloir ses penchants aristocratiques. Il est des partisans théoriques du droit d’aînesse qui, de peur de jeter la discorde parmi leurs enfants, n’osent choisir entre eux un héritier privilégié. Je connais un grand propriétaire, fort épris des institutions anglaises, qui, ayant trois fils et n’en voulant léser aucun, a constitué un majorât pour chacun des trois.

Malgré de tels exemples et les encouragements d’un certain monde, le majorat est demeuré en Russie une plante exotique, qui ne semble point appelée à une rapide propagation[14]. Telle qu’elle existe aujourd’hui, chez un nombre limité de familles dont les autres ne reconnaissent pas la supériorité, cette institution étrangère ne peut avoir les effets politiques, qui en d’autres pays en font la raison d’être. Il n’en subsiste guère que les inconvénients économiques et moraux, une partie de la fortune publique enlevée à la circulation, et l’opulence de quelques privilégiés mise artificiellement à l’abri du châtiment naturel de l’inconduite ou du vice. Privé, dans le plus grand nombre de ses membres, de toute protection légale contre la concurrence des autres classes, n’ayant pour rempart ni majorats ni droit d’ainesse, le dvorianstvo russe ne peut, par la concentration de la fortune et la perpétuité de la propriété, s’assurer l’autorité et l’indépendance héréditaires qui constituent les véritables aristocraties[15].



  1. Le général Fadéief, Tchem nam byi, Saint-Pétersb., 1875.
  2. Dvorianine, pluriel dvoriané, de dvor (cour), mot russe qui a presque tous les sens de son équivalent français et quelques autres en outre. Ainsi s’explique comment le mot, qui désigne la noblesse, a le même radical que dvornik, portier, et dvorosyi, lequel désignait les serfs attachés au service de la maison du maître. Peut-être pourrait-on du reste découvrir une analogie entre la position des dvorianes ou nobles vis-à-vis du tsar et celle des dvorovyé tsoudi ou serfs domestiques vis-à-vis de leur seigneur.
  3. Statistitcheskii Vrémennik, 1871, 1873, 1879.
  4. Beaucoup de Russes font à l’étranger précéder leur nom du de français ou du von allemand ; il n’y a rien d’équivalent dans leur langue nationale. Les noms russes affectent souvent, il est vrai, la forme d’un génitif pluriel ou plutôt d’un adjectif nominal (Davydof de David, Sémenof de Semen, Simon) ; mais, loin d’être particuliers à la noblesse, de tels noms se rencontrent également chez les prêtres, les marchands, les anciens serfs. S’il existe de ce côté une sorte de distinction nobiliaire, ce n’est point dans les noms de famille, c’est dans la terminaison vitch, que les Russes ont l’habitude d’ajouter au prénom de leur père quand ils en font suivre le leur, comme par exemple Alexandre Pétrovitch. Dans l’ancienne Moscovie, cette désinence aujourd’hui bannie n’appartenais qu’aux hommes d’un certain rang. Une seule famille de marchands, qui formait à elle seule une sorte de classe privilégiée, la famille Strogonof, y avait droit. Encore aujourd’hui, pour les gens du peuple, on emploie en ce sens la terminaison of au lieu de vitch : ainsi Ivan Pétrof ; Alexis Ivanof. De là sans doute l’origine de tant de noms en of.
  5. Ainsi graf, comte. Le vieux titre de kniaz, prince, est seul slave et national. Je ne sais pourquoi nous traduisons par grand-duc et non grand-prince, l’ancien titre de veliki kniaz, jadis porté par les souverains de Kief, de Vladimir, de Moscou, et aujourd’hui attribué aux membres de la famille impériale.
  6. D’après une feuille russe, les Olgoloski (Échos, oct. 1879), il y aurait eu, de Doris Chérémélief en 1706 an général Totleben en 1879, 157 créations de comtes russes ; mais beaucoup n’ont pas laissé de postérité. L’empereur Alexandre II en a seul créé plus de vingt.
  7. Nous ne parlons ici que des familles proprement russes et non des familles originaires des dépendances de l’empire, du Caucase particulièrement, où la Géorgie a fourni à la noblesse un nombreux contingent de princes.
  8. En Occident, la diminution et la rapide disparition des anciennes familles semblent une sorte de loi, établie par l’histoire et les statistiques. En Angleterre, par exemple, la plupart des titres de lords ont dû être plusieurs fois relevés ; bien peu sont dans la même maison depuis plus d’un siècle ou deux. La multiplication de la race de Rurik et de Guédimine mérite d’autant plus d’être signalée qu’elle s’est faite sous le régime du partage des biens, qui d’ordinaire passe pour peu favorable à la reproduction des familles d’un certain rang.
  9. Sur la généalogie et l’histoire de toutes ces familles russes, on peut consulter le prince Pierre Dolgoroukof, Notice sur les principales familles de la Russie (1858) et le docteur allemand A. Kleinschmidt, Russlands Geschichte und Politik dargestellt in der Geschichte des russischen hohen Adels (Cassel, 1877).
  10. Fletcher, Russe Commonwealth, IX.
  11. Un de nos anciens compatriotes alsaciens, aujourd’hui professeur à Lausanne, M. E. Lehr, nous a donné en 1877 une intéressante étude sur le Droit civil russe. On doit noter que l’empereur Alexandre III a, en 1882-83, chargé une commission de rédiger on projet de nouveau code civil, mieux adapté aux conditions de la vie moderne.
  12. L’analogie n’est que dans le libre choix de l’héritier : car Pierre Ier, interdisant le partage, refusait an père de famille le droit de distribuer sa fortune entre ses enfants ou entre des étrangers.
  13. En russe sapovédnyia iméniya ou biens défendus.
  14. Dans la Russie proprement dite, il n’y avait pas récemment, assure-t-on, 40 majorats. (M. Lioubanski, Iouriditcheskiia Monografii i Isledovonlia, t. IV, 1878, p. 13-18.) Dans les anciennes provinces polonaises, le gouvernement a lui même fondé, à l’aide des biens de la couronne ou de biens confisqués, de petits majorats de 2000 à 3000 roubles de revenu. Il y a là, manifestement, moins une intention aristocratique qu’un expédient politique. Le but est, en empêchant la vente des terres concédées à des Russes, de maintenir dans ces provinces un élément russe.
  15. On a, sous Alexandre III, proposé différents systèmes pour empêcher l’appauvrissement de la noblesse et l’émiettement de ses terres. Les uns ont demandé que les majorats fussent mis à la portée de toutes les fortunes ; les autres, que la loi s’opposât à l’extrême morcellement en créant des biens normaux indivisibles, Voy. p. ex. N. Baratynski : Nedelimye dvorianskié outchastki, 1888. M. Pobédonostsef, Rouskii Vestnik, sept 1889, a conseillé d’adopter le homestead américain, de permettre aux propriétaires de toutes classes de rendre les biens d’une certaine importance indivisibles et insaisissables en les faisant inscrire sur un registre spécial.