L’Empire des tsars et les Russes/Tome 1/Avant-propos de la troisième édition


AVANT-PROPOS


DE LA TROISIÈME ÉDITION


Ce premier volume est consacré à ce qui change le moins dans un pays, à l’homme et au sol, à l’étude de ses divers facteurs nationaux et de ses différents éléments sociaux. Quelques années ne sauraient beaucoup modifier la structure sociale d’un État tel que la Russie. L’empereur Alexandre III a continué la liquidation du servage ; on peut dire qu’il l’a définitivement achevée. Les inquiétudes, soulevées en Europe par d’autres, n’ont point distrait le tsar de cette noble tâche. Il semble avoir surtout à cœur le bien-être des deux grandes classes rurales presque également affectées par l’émancipation : la noblesse et les paysans. Il a cherché à relever la fortune avec l’ascendant de la noblesse territoriale, en même temps qu’il s’efforçait d’alléger les charges du moujik. Cela, il a dû le faire avec un budget obéré, en face d’une Europe en armes. Ni la gêne des finances impériales, ni le souci des intérêts militaires de l’Empire n’ont empêché Alexandre III de modifier l’assiette de l’impôt. Grâce à sa prudence et à son esprit d’économie, les finances de l’État en ont été affermies, au lieu d’en être ébranlées. Les redevances de rachat, qui pèsent si lourdement sur les campagnes, ont pu être diminuées. Les paysans de la couronne ont, comme les anciens serfs, reçu la propriété de leurs champs. L’abolition de la capitation a été le couronnement de la suppression du servage. Si l’empereur n’a pu faire davantage pour le peuple, la faute en est surtout à l’histoire et à la géographie, — à l’histoire qui a légué à la Russie les charges des guerres du passé ; à la géographie qui, en la liant à l’Europe, l’expose aux guerres de l’avenir. Pour que l’affranchissement du peuple produise tous ses effets, et que les ressources du vaste empire deviennent proportionnelles à ses dimensions, la Russie a surtout besoin de paix. L’empereur Alexandre III l’a compris. En assurant la paix à la Russie, puisse-t-il longtemps l’assurer à l’Europe !

Janvier 1890.