L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème du Nain Allvis

anonyme
Traduction par Mlle  Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 168-175).


V

LE POÈME DU NAIN ALLVIS.




allvis.

1. La mariée se hâte avec moi pour arriver en ma demeure et prendre place sur les larges sièges. Nous allons vite ; mais à la maison notre repos ne sera point troublé.

thor.

2. Quel est ce petit être ? pourquoi ton nez est-il si pâle ? aurais-tu été cette nuit parmi les morts ? Tu me parais avoir la forme des Thussars, et ne point être fait pour cette fiancée.

allvis.

3. Je me nomme Allvis, j’habite sous terre, ma demeure est sous les pierres. Je suis venu faire une visite à Thor : parole donnée ne doit point être retirée.

thor.

4. Elle le sera. Je dispose de la fiancée, puisque je suis son père. Je n’étais point au logis quand on t’a fait une promesse ; pas un des dieux, excepté moi, ne pouvait te donner cette parole.

allvis.

5. Quel est cet homme, qui prétend avoir seul le droit de disposer de la jeune fille aux joues brûlantes ? On t’a sans doute offert de l’hydromel dans la coupe faite avec la défense des bœufs. D’où viennent les anneaux d’or suspendus autour de toi ?

thor.

6. Je me nomme Vingthor, et suis fils de Sidskægg. J’ai voyagé au loin. Tu ne posséderas pas cette jeune fille contre ma volonté, tu n’auras pas cette épouse.

allvis.

7. Je ne tarderai pas à obtenir ton consentement ; il me mettra en possession de ce don précieux. Je ne voudrais pas être privé de la jeune fille éclatante de blancheur.

thor.

8. Son amour ne te sera point refusé, hôte savant, si tu peux répondre aux questions que je t’adresserai sur tous les mondes.

allvis.

9. Puisque tu désires connaître la capacité d’un nain, mets-moi à l’épreuve, Vingthor. J’ai parcouru les neuf mondes, et sais bien des choses.

thor.

10. Dis-moi, Allvis, car tu connais, je crois, tout ce qui concerne l’origine des races humaines, quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, à la terre déployée devant les fils des hommes ?

allvis.

11. On l’appelle terre parmi les hommes, et région chez les Ases ; les Vanes la nomment chemin, et les géants la verdoyante ; les Alfes l’appellent la féconde, et les dieux augustes gravier.

thor.

12. Dis-moi, Allvis, car tu connais, je crois, tout ce qui concerne les races humaines, quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, au ciel que nous connaissons tous ?

allvis.

13. Les hommes l’appellent ciel, et les dieux abri ; c’est la demeure des vents chez les Vanes, le monde supérieur chez les géants, le beau juchoir chez les Alfes, et la salle de Regnig chez les Nains.

thor.

14. Dis-moi, Allvis, etc., comment nomme-t-on la lune, que les hommes voient de chacun des mondes ?

allvis.

15. Elle porte le nom de lune parmi les hommes, et de globe parmi les dieux. Dans la demeure de Hel, on l’appelle une roue qui se hâte, la préférée chez les géants, la brillante chez les Nains, et le régulateur des années chez les Alfes.

thor.

16. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on au soleil, que les hommes voient de chacun des mondes ?

allvis.

17. Les hommes l’appellent soleil, et les dieux étoile. Les Nains l’appellent la compagne des jeux de Dvalinn, et les Alfes le globe brillant ; chez les géants, c’est le tison éternel, et chez les Ases la lumière du monde.

thor.

18. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, aux nuages mêlés de grêle ?

allvis.

19. On les nomme nuées chez les hommes, espoir de pluie chez les Ases, nacelle des vents chez les Vanes, espoir de neige chez les géants, la force du vent chez les Alfes, et chez Hel le casque de l’invisible.

thor.

20. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, au vent, qui cause de si grands ravages ?

allvis.

21. On l’appelle vent parmi les hommes, le vagabond parmi les dieux, le bruyant parmi les puissances augustes, le pleureur parmi les géants, le voyageur mugissant parmi les Alfes, et le siffleur dans l’habitation de Hel.

thor.

22. Dis-moi, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, au calme qui nous repose ?

allvis.

23. Son nom, parmi les hommes, est le calme, parmi les dieux gîte, la fuite du vent chez les Vanes, la chaleur chez les géants, la dérive du jour chez les Alfes, et l’essence du jour chez les Nains.

thor.

24. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, à la mer sur laquelle les hommes naviguent ?

allvis.

25. Les hommes l’appellent Océan, mais les Ases surface unie ; c’est le flot chez les Vanes, la demeure des anguilles chez les géants, l’appui des eaux chez les Alfes, le gouffre de la mer chez les Nains.

thor.

26. Dis-moi, Allvis, car tu connais, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, au feu qui brûle ?

allvis.

27. Chez les hommes on l’appelle feu, mais étincelle chez les Ases, onde chez les Vanes, avaleur chez les géants, le consumant chez les Nains, et le dévastateur dans l’habitation de Hel.

thor.

28. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, aux arbres qui croissent sur la terre ?

allvis.

29. Arbre est le nom adopté par les hommes ; mais, chez les dieux, c’est la chevelure des champs. Chez Hel, on le nomme jonc des montagnes, le combustible chez les géants, les jolis bras parmi les Alfes, et gaule chez les Vanes.

thor.

30. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, à la Nuit, la fille de Nœrve ?

allvis.

31. Les hommes l’appellent nuit, et les dieux la bienveillante : les saintes puissances lui donnent le nom de larve ; chez les géants, c’est le flambeau éteint, chez les Alfes le plaisir du sommeil, et chez les Nains la mère des songes.

thor.

32. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, au blé semé par les fils des hommes ?

allvis.

33. Les hommes l’appellent blé, et les dieux graminées. Les Vanes le nomment plante, les géants aliment, les Alfes drèche ; et dans la demeure de Hel, c’est la plante renversée.

thor.

34. Dis-moi, Allvis, etc., quel nom donne-t-on, dans chacun des mondes, à la bière forte que boivent les hommes ?

allvis.

35. Les hommes l’appellent œl, et les dieux breuvage ; c’est du moût chez les Vanes, une décoction limpide chez les géants, de l’hydromel dans l’habitation de Hel, et de la bière chez les fils de Suttung.

thor.

36. Jamais je n’ai trouvé autant de dénominations antiques réunies dans la mémoire d’un homme. Nain, je t’annonce que tu as été trompé avec beaucoup d’artifice ; tu es surpris par le jour, le soleil luit déjà dans la salle.