L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème de Vegtam

anonyme
Traduction par Mlle Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 228-231).


XII

LE POÈME DE VEGTAM




1. Tous les Ases et toutes les Asesses sont réunis en assemblée : ces puissantes divinités délibèrent pour savoir d’où vient que Balder a des songes fatigants.

2. Le sommeil de ce dieu était fort pénible : il avait altéré son bonheur. Les géants interrogeaient l’avenir, afin de découvrir si c’était un présage annonçant des infortunes.

3. Les devins disaient dans, leurs réponses, que le fils d’Odin, le plus brave de tous les Ases, était un lâche. Frigg, Odin et le reste des dieux en prirent de l’inquiétude, et s’arrêtèrent à cette résolution :

4. D’envoyer vers toutes choses pour leur demander la paix et la promesse de ne pas nuire à Balder. Toute la création fit serment de le ménager, et Frigg recueillit ces promesses.

5. Le Père des prédestinés craint un oubli ; il convoque les Ases, demande une résolution : on parle beaucoup dans cette assemblée.

6. Odin, le dominateur des peuples, se lève ; il pose la selle sur Sleipner, et chevauche ensuite vers Niflhem ; il y rencontre le chien venu de l’abîme.

7. Sa poitrine était sanglante, son gosier avide de meurtre, et sa mâchoire inférieure aboyait contre le Père des chants magiques ; il ouvrait une grande gueule, et poussait de longs hurlements.

8. Odin avança : le chemin qui descendait de la terre retentit, et le père des Ases arriva dans la demeure de Hel. Il se dirigea vers la porte de l’orient, où était le tombeau de Vola.

9. Odin chanta devant cette tombe l’évocation des morts, regarda le nord et traça des runes ; il demanda une réponse. Vola se leva enfin, et chanta ces paroles de la mort :

10. « Quel est, parmi les hommes, cet homme qui m’est inconnu et répand la tristesse dans mon esprit ? J’étais enveloppée de neige, battue par la pluie, mouchetée par la rosée ; j’étais morte depuis longtemps. » —

11. On. me nomme Vegtam, et je suis le fils de Valtam. Parle-moi de l’abîme, et je te parlerai de la terre. Pour qui ces bancs sont-ils parsemés d’anneaux d’or ? Pour qui ces lits sont-ils couverts de draps d’or ?

12. « L’hydromel a été préparé pour Balder, un bouclier le recouvre ; mais les fils des Ases n’ont pas d’intelligence : j’ai parlé contre mon gré ; maintenant il faut me taire. » —

13. Parle encore, Vola ! Il est des choses que je veux savoir, et je t’interrogerai jusqu’à ce que tu les aies dites. Quel sera le meurtrier de Balder ? Qui ôtera la vie au fils d’Odin ?

14. « Hœder conduira ici son célèbre frère ; il sera le meurtrier de Balder, il ôtera la vie au fils d’Odin. J’ai parlé contre mon gré, maintenant je dois me taire. » —

15. Parle encore, Vola ! Il est des choses que je veux savoir, et je t’interrogerai jusqu’à ce que tu les aies dites. Qui tirera une cruelle vengeance de Hœder ? Qui portera le meurtrier de Balder sur le bûcher ?

16. « Dans les salles de l’ouest, Rinda donnera le jour à un fils ; âgé d’une nuit, il tuera le fils d’Odin ; il ne lavera pas ses mains, ne peignera pas ses cheveux, qu’il n’ait porté sur le bûcher le meurtrier de Balder. J’ai parlé contre mon gré, maintenant il faut me taire. » —

17. Parle encore, Vola ! Il est des choses que je veux savoir, et je t’interrogerai jusqu’à ce que tu les aies dites. Quelles sont les vierges qui se plaisent dans les larmes et jettent leurs voiles au ciel ? Dis-moi encore cette unique chose ; tu ne dormiras pas auparavant.

18. « Tu n’es point Vegtam, comme je l’ai cru ; tu es Odin le chef des peuples. » —

19. Tu n’es pas Vola, tu n’es pas une savante femme, mais trois fois la mère des Thursars.

20. « Retourne chez toi, Odin, et sois généreux. Les hommes ne viendront plus me trouver avant le temps où Loke brisera ses liens, avant le moment de la mort des dieux. »