L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème de Fjœlsvinn

anonyme
Traduction par Mlle  Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 235-244).


XIV

LE POÈME DE FJŒLSVINN




1. Il vit venir en dehors du château un individu qui arrivait du pays des géants. « Retourne sur tes pas par le chemin humide que tu as suivi, mendiant ! Il n’y a point ici de gîte pour toi. »

2. Quel est ce démon qui s’arrête dans l’avant-cour et se promène autour de la flamme ? Que cherches-tu ? Étranger, que veux-tu savoir ?

l’étranger.

3. Quel est ce démon qui se tient devant le château et n’offre pas l’hospitalité au voyageur ? Tu as vécu sans célébrité : rentre chez toi !

le gardien.

4. Je me nomme Fjœlsvinn, et n’ai point perdu l’esprit. Je ne suis pas libéral de mes vivres, et tu n’entreras de ta vie dans ce château, loup que tu es. Ote-toi du chemin.

l’étranger.

5. S’éloigner, quand les yeux ont été récréés par un objet enchanteur ! Le château me paraît resplendissant de salles d’or ; je me trouverais très-bien ici.

fjœlsvinn.

6. Dis-moi qui t’a engendré, quel est ton père.

l’étranger.

7. Je me nomme Vindkall ; Vôrkall était mon père, et Fjœlkall le père de ce dernier.

8. Maintenant, Fjœlsvinn, réponds à mes questions sur les choses que je désire savoir. Quel est le maître de cette propriété et de ces riches salles ?

fjœlsvinn.

9. Elles appartiennent à Menglœd ; sa mère l’eut de Svafver, fils de Thorin. Menglœd règne ici ; elle possède l’autorité sur cette terre et sur ces salles.

vindkall.

10. Maintenant, réponds, etc. Dis-moi le nom de cette barrière, le plus fâcheux objet que l’on puisse voir chez les dieux.

fjœlsvinn.

11. On l’appelle Thrymgjœll ; elle a été faite par trois jeunes gens que l’éclat du soleil avait éblouis. De fortes chaînes se fixent sur l’étranger qui tente de les soulever.

vindkall.

12. Maintenant, réponds à mes questions sur les choses que je désire savoir. Quel est le nom du plus vaste rempart que l’on ait vu chez les dieux ?

fjœlsvinn.

13. Il se nomme Gastropner ; je l’ai fait avec les membres de Leir-brimer, et lui ai donné des fondations si solides, qu’il durera autant que le monde.

vindkall.

14. Maintenant, réponds, etc. Comment se nomment les chiens créés par les puissants géants pour garder leur pays ?

fjœlsvinn.

15. L’un est appelé Gifer et l’autre Gere, puisque tu veux le savoir. Ils ont onze habitations à garder jusqu’au jour où les puissances seront détruites.

vindkall.

16. Maintenant, réponds, etc. Y a-t-il parmi les hommes un individu qui puisse entrer dans ces demeures pendant le sommeil de ces chiens ?

fjœlsvinn.

17. Le sort leur envoie alternativement le sommeil depuis que cette garde leur a été confiée. L’un dort la nuit, l’autre le jour : personne ne peut donc y pénétrer.

vindkall.

18. Maintenant, réponds, etc. N’est-il aucune sorte de nourriture qu’on puisse leur donner, afin d’entrer tandis qu’ils seraient occupés à la manger ?

fjœlsvinn.

19. Il y a dans les bois de Vidofner deux espèces de gibier, seule nourriture qui puisse les engager à entrer pour manger.

vindkall.

Maintenant, réponds, etc. Quel nom donne-t-on à l’arbre dont les branches s’étendent sur tous les pays ?

fjœlsvinn.

21. On l’appelle l’arbre de Mimer. Peu d’hommes connaissent les racines d’où il sort ; le feu et le fer ne peuvent lui nuire.

vindkall.

22. Maintenant, réponds, etc. Que deviendra cet arbre, ce bel arbre, puisque ni le feu ni le fer ne peuvent lui nuire ?

fjœlsvinn.

23. On doit mettre ses fruits sur le feu pour les femmes malades ; ce qui était à l’intérieur sort promptement : telle est leur vertu sur l’espèce humaine.

vindkall.

24. Maintenant, réponds, etc. Quel nom donne-t-on au coq perché sur cet arbre élevé ? Il est tout resplendissant d’or.

fjœlsvinn.

25. Il s’appelle Vidofner, et se tient dans l’air pur sur les branches de Mimer. Surtur lui occasionnera un chagrin de longue durée.

vindkall.

26. Maintenant, réponds, etc. N’est-il point d’armes qui puissent précipiter Vidofner dans l’abîme ?

fjœlsvinn.

27. Lopter en a fait une appelée Hœvatien, en dessous des portes de la mort. Elle est enchaînée chez Sinmaara ; neuf cadenats très-forts la retiennent.

vindkall.

28. Maintenant, réponds, etc. Reviendra-t-il, celui qui tentera de s’emparer de cette arme ?

fjœlsvinn.

29. Il reviendra, celui qui tentera de s’emparer de cette arme, s’il conduit avec lui ce que peu de gens possèdent, la brillante fille de la terre.

vindkall.

30. Maintenant, réponds, etc. Pourrait-on s’emparer d’un trésor qui réjouirait la cruelle géante ?

fjœlsvinn.

31. Porte à Sin-maara la brillante plume courbée qui se trouve dans le plumage de Vidofner, et elle sera disposée à te donner des armes pour le combat.

vindkall.

32. Maintenant, réponds, etc. Quel nom porte la salle illuminée par la merveilleuse flamme magique ?

fjœlsvinn.

33. Hyrr est son nom ; elle planera longtemps sur la pointe des javelots. Il ne doit être question de cette salle dans le monde que comme d’un simple bruit.

vindkall.

34. Maintenant, réponds, etc. À quelles puissances divines faut-il attribuer l’avant-cour que j’ai vue en arrivant ?

fjœlsvinn.

35. Elle est l’œuvre d’Une et d’Ire, de Barr et d’Ore,de Varr et de Vegdrasil, de Dorre, d’Ure, de Delling, d’Atvard et de Loke, cet alfe rusé.

vindkall.

36. Maintenant, réponds, etc. Quel nom donne-t-on à cette montagne sur laquelle j’ai vu une fiancée lumineuse ?

fjœlsvinn.

37.. C’est la montagne de Hyfina ; elle fut longtemps un objet de joie pour la ruse et la douleur. Chacun y est guéri, même des maladies d’une année, pourvu que Menglœld gravisse cette montagne.

vindkall.

38. Maintenant, réponds, etc. Comment se nomment les jeunes filles qui chantent ensemble avec tant de justesse aux genoux de Menglœd ?

fjœlsvinn.

39. Voici leurs noms : Hlif, Hlif-thursa, Thjodverta, Bjœrt et Blid, Bildur, Frid, Eir et Œrboda.

vindkall.

40. Maintenant, réponds, etc. Sont-elles secourables à ceux qui leur offrent des sacrifices lorsqu’ils ont besoin d’assistance ?

fjœlsvinn.

41. Tous les étés on leur offre des victimes dans des lieux consacrés ; il n’est point de malheurs si grands parmi les hommes auxquels elles ne portent remède.

vindkall.

42. Maintenant, réponds, etc. Est-il un homme qui puisse obtenir le bonheur de dormir dans les bras de Menglœd ?

fjœlsvinn.

43. Le seul homme qui puisse obtenir le bonheur de dormir dans les bras de Menglœd est Svipdag ; cette magnifique fiancée lui a été promise pour épouse.

vindkall.

44. Ouvre la porte bien grande, tu vois Svipdag : hâte-toi de demander à Menglœd si elle consent à ma félicité.

45. Écoute, Menglœd ! un homme est arrivé : va regarder cet hôte. Les chiens se réjouissent, le château est ouvert ; ce doit être Svipdag, assurément.

menglœd.

46. Puissent les corbeaux agiles t’arracher les yeux au gibet élevé, si tu mens, jeune homme, en disant que tu arrives d’un long voyage.

À Svipdag.

47. Où allais-tu ? d’où viens-tu ? Comment les tiens te nomment-ils ? Je veux connaître ton nom et ta race pour savoir si je suis destinée à devenir ton épouse.

vindkall.

48. Je m’appelle Svipdag ; mon père se nommait Solbjart. Le vent m’a chassé en des chemins humides ; personne ne peut résister aux arrêts d’Urd, lors même qu’ils paraissent pénibles.

menglœd.

49. Sois le bienvenu ! Enfin mes souhaits sont accomplis, le baiser doit succéder au salut ! La rencontre inespérée réjouit tous ceux qui s’aiment.

50. Assise sur la montagne, j’ai attendu pendant longtemps ton arrivée. Mon espérance s’est réalisée, tu es revenu dans mes salles.

svipdag.

51. J’avais une grande impatience de te revoir, et tu étais désireuse de mon amour. Il est certain maintenant que nous passerons le temps et l’éternité ensemble.