L’Aviation militaire/Note n°6

Berger-Levrault (p. 53-58).

NOTE No 6

LES ÉCOLES D’AVIATION ET D’AVIONNERIE[1]


Les armées de terre et de mer ne pourraient être créées, ni même subsister, sans le concours des écoles d’application qui leur sont spéciales. L’armée aviatrice, autant et plus que les premières, parce qu’elle aurait été à organiser de toutes pièces, demandait son école d’aviation pour la formation des officiers et son école d’avionnerie, d’où seraient sortis les ingénieurs.

Déjà, à l’époque, beaucoup de jeunes officiers de toutes armes, surtout du génie, se seraient voués à l’étude de la nouvelle arme, bien décidés à en faire leur carrière ; seraient entrés encore à ces deux écoles un grand nombre de « bons sortants » de Polytechnique, de Centrale, de Saint-Cyr, même de Marine et autres écoles supérieures ; en outre, l’admission par voie de concours aurait amené une foule de jeunes gens qu’on aurait répartis, selon leurs aptitudes, entre l’École des aviateurs et celle des avionneurs, imitant en cela ce qui se passe dans la marine, où les uns naviguent et les autres construisent.

Ces écoles auraient été sous la dépendance du ministre de la guerre ; mais notre conviction était qu’elles n’y seraient pas restées longtemps, parce que l’importance de la nouvelle arme se serait accrue tellement vite, qu’elle aurait nécessité un ministère spécial et que la création d’un ministère de l’aviation militaire serait devenue certaine.

La direction de l’enseignement aurait pu être confiée à un général, avec des premiers professeurs, choisis parmi les plus spécialisés dans l’aérostation, l’aérodynamique, la météorologie, etc., et qui auraient bien voulu faire le sacrifice des théories anciennes pour adopter les sciences nouvelles qui intéressent l’aviation, les enseigner et même en étendre les limites. Ceux-là, nous savions où les trouver. L’école, évidemment, aurait eu ses difficultés du début ; mais nous serions vite parvenu, avec les professeurs fondateurs et l’apport de notre expérience acquise, à en instruire de nouveaux et de plus jeunes, lesquels en auraient formé d’autres. L’enseignement, ainsi organisé, aurait fonctionné et serait arrivé rapidement à produire de bons élèves.

Nous ne nous y trompions pas, c’est uniquement avec cet élément jeune, ayant une vocation bien arrêtée, très instruit, agile et d’une bravoure à toute épreuve, que nous aurions formé le corps des officiers aviateurs. Les officiers ingénieurs, de caractère plus pondéré, n’auraient pas été astreints à ce choix, où l’âge et les qualités physiques n’étaient plus à considérer. On aurait exigé d’eux une instruction scientifique complète et la connaissance approfondie, théorique et pratique, de toutes les branches de l’avionnerie.

Programme de l’enseignement

école d’aviation

La topographie ;

La météorologie ;

Les voies aériennes ;

Les cartes topo-météorologiques ;

Abrégé d’aérodynamique ;

Le vol des oiseaux ;

Excursions aux pays des grands oiseaux ;

La constitution générale des avions ;

Les aires ; les divers genres ; leur organisation ;

L’artillerie verticale ; défense terrestre contre l’ennemi aérien ;

Les avions, leur conduite, les manœuvres ;

Les écoles de compagnie, de légion ;

La pyrotechnie ;

Les munitions : torpilles, grenades, etc. ;

Le pointage aérien : sa théorie, son application ;

Formation des armées aviatrices ;

Le commandement : en chef, en sous-ordre ;

La stratégie : air, terre, mer ;

La tactique : air, terre, mer ;

Les thèmes : air, terre, mer ;

Les signaux : théorie et pratique ;

Les administrations ; économie, etc., etc.

école d’avionnerie

Théorie générale de la résistance de l’air ; démonstrations expérimentales ;

Aérodynamique spéciale aux appareils volants ; théorie et expérimentation ;

Étude de la courbe spirale de sustentation des diverses espèces de grands oiseaux ;

Anatomie ; conformation des ailes des grands oiseaux ;

Voyages scientifiques ; étude sur place du vol des oiseaux de grande envergure ;

Topo-météorologie ; voies aériennes ; travail du courant ascensionnel oblique ; manières d’y avier ;

Mathématiques spéciales à l’avionnerie ; calculs algébriques et graphiques combinés ;

Résistance des matériaux ; étude de leurs propriétés élastiques ; leur utilisation en avionnerie ;

Études et projets en général ;

Établissement de la courbe de sustentation pour les avions ;

Structure des avions ; membrures ; voilures ;

Mécanismes spéciaux au fonctionnement des ailes et du corps ;

Mécanisme de la force motrice ; machines et tracteurs ;

Modes de fabrication ; fibrages ; métalliques ;

Armement des avions ; déclanchement des munitions ;

Signaux ; éclairage, etc.

Ce programme était celui que nous avions prévu ; par la suite il se serait modifié, surtout étendu, au fur et à mesure de l’apparition des nouvelles découvertes qui seraient venues enrichir le domaine des sciences aviatrices.

(Dans les pages tristes de La Première Étape de l’aviation militaire en France, on trouvera combien nous avions à cœur la fondation de ces institutions dont l’embryon existait réellement et sérieusement dans notre laboratoire. Lorsque nous écrivions cela en décembre 1906, le principal auteur responsable de leur abandon existait encore, maintenant il n’est plus, et nous nous abstiendrons d’attaquer sa mémoire.

Ah ! qu’elles seraient grandes et prospères aujourd’hui ces deux écoles ! que de héros et de savants en seraient sortis pour la défense de la patrie !)

Arsenaux pour l’avionnerie et les munitions

Après les écoles, l’urgence se tournait vers les arsenaux. Il les fallait vastes et bien répartis sur le territoire national, édifiés le plus possible dans des situations topographiques bien choisies, pour les mettre à l’abri des surprises aériennes et terrestres ; conséquemment ils auraient dû être protégés par des fortifications.

Là se seraient trouvés les ateliers d’avionnerie où on aurait construit des avions complets ; on y aurait fabriqué aussi le matériel des aires, l’outillage et les instruments spéciaux au service des voies aériennes, les torpilles prêtes à être livrées aux établissements de pyrotechnie, etc. Des magasins à proximité auraient reçu et mis en réserve les produits des ateliers. Sur une aire bien établie on aurait fait les essais et épreuves des avions nouvellement construits.

Budget

Nous fîmes une estimation approximative des frais de premier établissement dont on aurait chargé le budget pour l’organisation de la première armée aviatrice et nous en donnons les principaux articles en chiffres ronds :

millions
500 à 1.00 avions armés, éclaireurs et torpilleurs 100
Munitions 10
100 aires fortifiées permanentes, de campement ou mobiles 30
Bâtiments, casernes, arsenaux, magasins, outillage 25
Installations du service des voies aériennes 5
Écoles d’application et leur matériel d’enseignement 5
Défensive terrestre contre les avions ennemis et son artillerie verticale 10
Marine d’aviation 50
Imprévus 15
Total
250

C’était un gros chiffre !

Ultérieurement, il grossira bien davantage. En regard, la défense nationale aussi est une grosse affaire, puisque d’elle dépend l’existence de la nation !

Nous noterons, par parenthèse, que : 10 cuirassés et 10 croiseurs coûtent chacun de 30 à 50 millions. Soit, pour 20 navires seulement, 800 millions. Cela aussi est un gros chiffre !

Resterait à savoir, après utilisation parfaite des deux armements ci-dessus, lequel ferait pencher la balance en faveur des services rendus ? Les événements seuls pourraient nous le dire ; mais il nous semblerait très dangereux d’attendre leur réponse.

Ces dépenses ne présentaient donc rien d’exagéré comparées à celles absorbées par les départements de la guerre et de la marine ; elles permettaient la création de la première armée aviatrice d’une importance respectable.

Le budget annuel de l’aviation armée, arrivée à son développement complet, n’eût pas été fantastique comme le sont, de nos jours, ceux qui intéressent la défense nationale. Il aurait, au contraire, amené de grandes économies ; pour les rendre plus tangibles, nous supposerons qu’on eût supprimé une grande partie de l’armement existant, devenu inutile, et que le total du budget de l’aviation militaire n’eût été que moitié de ceux de la guerre et de la marine réunis ; on voit de suite que ces économies auraient atteint, peut-être, un demi-milliard.

Mais, sans doute, on n’aurait jamais consenti à diminuer le chiffre du budget actuel, de crainte d’affaiblir la défense nationale ; alors avec l’autre moitié restée disponible, on aurait pu entretenir quatre ou cinq mille avions et tout ce qui devait en dépendre, comme personnel et matériel. Cela eût constitué une force aérienne colossale à laquelle n’aurait pu résister qu’une force ennemie aussi formidable ; mais, à cette époque, notre avance sur les autres puissances, en aviation armée, aurait été telle, qu’une pareille éventualité se serait trouvée impossible.


  1. Cette note, la précédente et quelques-unes de celles qui suivent, furent réunies et revues au commencement de 1900 ; nous espérions que le congrès aéronautique qui allait avoir lieu aurait donné une impulsion à l’aviation, et nous nous proposions de lui présenter ces notes et bien d’autres encore. Mais notre espoir fut déçu. Nous ne lui en présentâmes qu’une seule, générale, peu importante.