Éditions de la « Mode nationale » (p. 70-79).

CHAPITRE VIII

Dire que Mlle Elvire Bergemont, après cette avalanche d’un genre si particulier, fut anéantie de stupéfaction ou d’émotion serait exagéré. Les divers incidents qui avaient marqué les apparitions de l’avion inconnu au-dessus de Pourville l’avaient petit à petit accoutumée à ne s’étonner de rien. Elle avait, la première fois, manifesté une indi­gnation sincère, puis, à mesure que les événements s’étaient déroulés, sa véhémence s’était accrue jusqu’au moment où elle avait atteint son apogée. Mais, elle avait fini par se blaser sans même s’en rendre compte, elle avait si fré­quemment parlé soit à son père, à son oncle, soit à Jean-Louis Vernal et en dernier lieu à Flossie, qu’elle avait dit tout ce qu’il était possible de dire. La nouvelle incartade de l’énigmatique aviateur ne pouvait donc amener de sa part que la répétition à peu près identique des mots déjà prononcés. Elle fut plutôt consternée : quelques hausse­ments d’épaules, un murmure certainement plein de répro­bation furent les seuls symptômes de sa colère intérieure, colère qui avait perdu de son intensité. Mais, sa mine plus piteuse que furibonde était si plaisante aux yeux de Flossie devant les petits parachutes et leur singulier bagage que l’Anglaise ne put retenir son hilarité.

— Je t’assure, Elvire, que tu es impayable ! lui dit-elle. Tu parais ne pas savoir s’il convient d’être fâchée ou amusée de cette débauche d’aérostats.

Elvire esquissa un geste de lassitude.

— Ah ! j’avoue que je ne sais plus à quel saint me vouer ! De la part d’un pareil adversaire, je dois m’attendre à tout.

Flossie opina :

— Il est de fait que ce jeune homme, car, ce ne peut être qu’un jeune homme, et très bien de sa personne, j’en jurerais, m’a tout l’air de posséder une invention fertile ! Énumérons un peu les modes d’envoi auxquels il a recouru jusqu’ici pour te témoigner sa sollicitude.

Et, comptant sur ses doigts, la railleuse tante d’Elvire poursuivit :

— Le cône de plomb, l’étui métallique et les parachutes. C’est déjà un joli petit matériel et, pour peu que ton avia­teur persévère dans ses intentions, tu pourras, darling, te constituer une dot en ouvrant un magasin de curiosités célestes.

— Ah ! oui, tu peux bien plaisanter, fit Elvire avec accablement. N’empêche que me voilà à la merci de ce per­sonnage et que mon repos est à jamais compromis. Tiens ! il y a des moments où je me demande si je ne ferais pas mieux de quitter Pourville !

— La fuite ! déclara Flossie, n’a jamais fait qu’aggraver les choses. Du reste, je ne vois pas pourquoi tu battrais en retraite… Ta position n’a rien de déprimant, elle est même assez flatteuse !

— Flatteuse !

— Mais oui ! je le répète : si, comme je le crois, cet aviateur est d’aimable tournure, il te faut l’attendre de pied ferme. Tu penses bien qu’il se fatiguera vite de son incognito.

— Qui sait ! Il y a des farceurs infatigables.

Flossie, excédée, frappa ses mains l’une contre l’autre.

— Mais ce n’est pas un farceur, you stupid girl, c’est un amoureux ! Un farceur ne procède pas avec cette délica­tesse et cette recherche dans l’hommage ! Non, non, c’est un amoureux et de très bonne race, j’en fais volontiers le pari.

— Amoureux ou farceur, que m’importe !

— Mais il importe beaucoup, my dearl ! Il est toujours très intéressant d’inspirer de l’amour à un homme intré­pide… Peut-être celui-ci t’apporte-t-il le bonheur sur les ailes de son biplan.

Elvire, à ces mots, leva la tête et regarda fixement Flossie avec une nuance de reproche. Elvire était surprise de trouver dans les paroles de sa jeune tante un tel laisser-aller, puisqu’elle lui avait fait la confidence de ses secrètes fiançailles. Elle oubliait qu’une Anglaise professe au plus haut point la religion du flirt et que tous les fiancés du monde ne l’empêcheront jamais d’accueillir les galante­ries et d’y répondre. Au surplus, Flossie était fort intui­tive, elle le prouva en ajoutant :

— Tu peux très bien aimer ton artiste sans pour cela renoncer à avoir ce que le firmament te réserve !

Mais le sang des Bergemont coulait dans les veines d’Elvire, le sang d’une race honnête, pondérée, bourgeoise, qui ne pactisa jamais avec les erreurs de conscience. Encore que Flossie fût une parente et la plus affectueuse des amies, Elvire ne se déroba pas un instant à ce qu’elle considérait, vis-à-vis d’elle, comme un élémentaire devoir de probité.

— À Dieu ne plaise, prononça-t-elle nettement, que je prenne mes engagements assez à la légère pour accorder mon attention à un autre homme que Jean-Louis ! Je sais qu’il m’aime et qu’il m’attendra aussi longtemps que papa demeurera inflexible. Á sa confiance, je dois répondre par une confiance égale.

— Parfaitement, nous sommes d’accord, fit l’Anglaise, mais ce n’est pas rassurant, my darling. Si j’osais te parler sans détours…

— Mais je te supplie de le faire !

— Eh bien, je préférerais trouver chez M. Vernal un peu moins de résignation, un peu plus d’enthousiasme. Dame, écoute donc… Il te sait convoitée par un coureur d’espace, et il n’en éprouve, semble-t-il, aucune inquié­tude ! Moi, à sa place…

— Oui, on dit ça !… Mais si tu étais à sa place, ma petite tante Flossie…

Celle-ci serra les poings, tapa du pied et s’écria d’un ton héroïque :

— Je t’enlèverais un beau soir, de façon à te compro­mettre irrémédiablement, d’obliger ton père à consentir au mariage et de retirer tout espoir à mon concurrent ailé ! Trois bénéfices pour un seul acte d’énergie, je crois que ça en vaut la peine !

— Je n’aime pas les solutions violentes, dit Elvire. Mais elle avait articulé ces mots sans conviction. Certes, elle préférait que tout s’arrangeât d’une manière placide et néanmoins, la profession de foi qu’elle venait d’entendre flattait assez, au fond d’elle-même, le désir d’en finir. En outre, ce geste délibéré eût été à ses yeux une preuve éclatante de l’amour de Jean-Louis. Toutefois, elle ne voulait pas se ranger à l’avis de sa tante pour préserver le jeune peintre de la moindre critique. Désirant ne pas poursuivre une controverse délicate, elle se rapprocha de la fenêtre — car cette conversation entre elle et Flossie avait lieu dans sa chambre — et, comme elle jetait un regard distrait au dehors, elle aperçut, juste en face de la villa, Jean-Louis Vernal qui paraissait attendre d’être remarqué.

— Mais c’est lui ! s’exclama-t-elle, en lui faisant signe d’entrer.

Jean-Louis, visiblement, hésitait : Flossie s’en étonna :

— Quelle drôle d’idée de monter ainsi la garde au lieu de sonner tout bonnement.

— Il ne faut pas oublier, expliqua Elvire, que Jean-Louis, bien que nos relations avec lui n’aient pas été rompues, ne se sent pas très à son aise chez nous. Aussi se borne-t-il à une courte visite de temps en temps, le soir, à l’heure familiale… Veux-tu que nous descendions ? Il doit avoir quelque chose à me dire !

— Allons ! acquiesça Flossie.

Une minute après, toutes deux rejoignaient le peintre et s’éloignaient avec lui d’un pas de promenade.

— Alors, une nouvelle démonstration s’est produite ? commença Jean-Louis : il n’est question que de para­chutes, de missives cachetées… que sais-je ! On ne parle que de cela !

En quelques phrases, Elvire le mit au courant, puis Flossie, légèrement agacée par le calme du jeune homme, hasarda cette observation.

— Un fait pareil équivaut, à votre égard, à une véritable déclaration de guerre, à mon avis. De deux choses l’une : ou bien l’aviateur ignore — et c’est très probable — que le cœur d’Elvire n’est pas libre, et, dans ce cas, il convient de tout mettre en œuvre pour le lui apprendre. Ou bien il le sait… et j’estime qu’il vous provoque !

— Soit, mais il ne risque guère, répondit Jean-Louis. Comment voulez-vous que je lui en demande raison ?

— Ah ! je ne sais, dit l’Anglaise, mais enfin vous ne comptez pas supporter indéfiniment ses bravades !

— Reconnaissez que la partie n’est pas égale… Je n’ai même pas la ressource de lui lancer un défi, de lui crier ce que je pense de son manège… Il ne m’entendrait pas, voyons !

Flossie parut indignée de le voir si calme, si philosophe. Elle insista, espérant le piquer au jeu :

— Oui, vous avez raison, la partie n’est pas égale… D’un côté un aviateur entreprenant, courageux, à qui le communiqué de M. Bergemont aux journaux n’a fait que donner un peu plus d’audace…

— Singulière idée, entre nous, de publier cette histoire dans les journaux, interrompit le peintre.

— Oui, mais c’est fait, n’en parlons plus… Et, de l’autre côté, vous-même qui avez pour vous la garantie d’une présence permanente, mais, qui, en revanche, permettez-moi de vous le dire, n’avez plus le prestige du mystère !

— Peste ! voilà une condamnation en bonne forme ! pro­nonça Jean-Louis avec un sourire railleur qui eut pour résultat d’exaspérer Flossie.

— Félicitez-vous, reprit-elle, qu’Elvire ne soit pas roma­nesque… sans quoi l’inconnu pourrait très bien vous… comment dit-on en français ?… vous damer le pion ! Cette attaque brusquée ne fut pas du goût d’Elvire. Elle déclara, un peu froissée :

— Je t’en prie, Flossie, ne me prête pas, même par hypothèse, une irrésolution que je ne saurais avoir. Je per­siste à considérer l’aviateur qui me harcèle comme un indiscret, un plaisantin détestable. Nous sommes, Jean-Louis l’a fort bien dit, dans l’incapacité absolue de le rap­peler à l’ordre, nous ne pouvons que ronger notre frein… il n’y a rien à faire !

— Pourtant, Elvire, fit Jean-Louis, Mademoiselle votre tante vient de parler avec une telle vivacité que je suis fondé à éprouver quelque crainte. Se pourrait-il que l’aviateur inconnu vous eût touché par son empressement ?

Il aurait dû poser cette question avec une certaine appré­hension, un certain trouble, puisqu’il s’agissait de son bon­heur. Mais non, sa voix restait posée, son regard tran­quille, voire malicieux. Flossie en fit soudain la remarque.

— Jean-Louis, dit Elvire avec force, je vous jure que les déclarations de ce despotique visiteur me contrarient au plus haut point. Je veux, d’ailleurs, vous rassurer plei­nement, mon ami : vous savez que mon père a juré de me donner un aviateur pour mari… Eh bien, moi, je fais à mon tour le serment de ne jamais épouser un aviateur !

— Ah ! Merci, Elvire ! s’écria le peintre, je sais que je peux avoir foi en vous… Je suis rassuré ! quoi qu’il arrive !

Cette explosion de contentement eut pour conséquence de déterminer chez Flossie une vive surprise. Elle ne put s’empêcher de penser : « Il ne lui en faut pas beaucoup à ce garçon pour se sentir délivré de souci ! Un autre à sa place conserverait un peu d’inquiétude ! Doit-on déduire qu’il n’aime pas profondément Elvire ou qu’il appartient à la catégorie des optimistes que rien n’émeut ! À le voir cependant, il paraît déterminé, énergique… Vraiment, il me semble que, devant la rivalité qui se présente à lui, ce fiancé aurait intérêt à témoigner un peu plus de vigi­lance ! »

Ce petit monologue intérieur amena Flossie à concevoir quelque doute sur l’état d’esprit de Jean-Louis Vernal. Se refusant à admettre, de la part d’un amoureux, une telle mansuétude, elle se demanda, d’une manière encore con­fuse, si le peintre, pour être à ce point placide, n’avait pas des raisons supérieures de l’être et si, dans toute cette mésaventure, bien loin d’en être la dupe, ce n’était pas lui qui dupait les autres.

Mais, elle eut soin de garder pour elle ce mouvement de défiance, car elle préférait, avant de s’y abandonner, acquérir par sa propre expérience, et grâce à la suite des événements, une réelle conviction. Elle feignit donc de prendre pour argent comptant la déclaration de l’artiste et négligea momentanément de faire partager à Elvire le vague soupçon qui s’élevait en elle. D’ailleurs, ce terme de soupçon eût mal traduit son sentiment secret ; c’était plu­tôt une espèce de trouble, d’hésitation, difficilement expri­mables et qui avaient besoin d’un contrôle. Bref, elle dis­simula ses pensées dans un sourire tout à fait amical, comme si elle approuvait Jean-Louis d’afficher une telle résignation.

Mais elle avait son idée…

Il fut aisé de se rendre compte que le moyen employé par Félix Bergemont pour imposer silence à l’aviateur inconnu avait de beaucoup dépassé le but qu’il essayait d’atteindre. Comme Bergemont aîné lui en avait donné la quasi-assurance, ce maudit aviateur, apparemment sti­mulé par l’entrefilet paru dans les feuilles locales, ne tarda pas à démontrer qu’il n’était pas si facile à intimider. Quarante-huit heures ne s’étaient pas écoulées qu’il reve­nait à la charge, lançant par-dessus bord, en mer cette fois, mais pas très loin au rivage, une bouée analogue à celles dont on fait usage sur les paquebots et qui, à la place où figure généralement le nom du navire, portait un nouvel hommage à Elvire, rédigé en ces termes :

L’Aviateur inconnu aime Elvire Bergemont.

Puis, les choses allèrent leur train : la semaine apporta encore des témoignages de cette assiduité sous des formes diverses, tant et si bien que Mlle Bergemont devint le point de mire, non seulement des oisifs de Pourville, mais aussi des habitants de la région environnante et que l’on vint de Dieppe même en pèlerinage, afin de contempler les traits d’une personne adulée avec tant de ferveur. Il s’ensuivit nécessairement un surcroît de malaise à la villa et le mal­heureux Bergemont cadet, responsable de cette recrudes­cence, ne cessa plus n’être en butte aux goguenardises de l’oncle Tristan.

— Ah ! tu as fait un beau coup ! lui disait celui-ci. Pourquoi diable ne m’as-tu pas consulté avant de te lancer à l’aveuglette ainsi que tu l’as fait ! Tiens ! tu me rappelles le fameux Érostrate.

Le pauvre Félix tendit le dos ; il redoutait les comparai­sons lettrées de son frère, toujours habile à souligner ses maladresses.

— Qu’est-ce que c’est encore que cet Érostrate ? bougonna-t-il.

Belle occasion pour Tristan de se lancer dans une petite dissertation ; il n’y manqua pas.

— Érostrate, qui brûlait du désir de faire parler de soi et d’immortaliser son nom par quelque action extraordi­naire, ne trouva rien de mieux, un jour, que de mettre le feu au temple de Diane, qui était l’une des sept merveilles du monde. Quand il eut accompli cet odieux forfait, le Sénat promulgua une loi qui défendait à tous les Grecs de prononcer le mot d’Érostrate. Mais, étant donné que jadis, tout comme aujourd’hui, on faisait juste le contraire ce que la loi voulait, chacun s’empressa de parler d’Érostrate qui, de la sorte, passa à la postérité.

Bergemont cadet réfléchit une minute, puis avec beau­coup de bon sens, répondit :

— Je ne vois pas du tout en quoi cet incendie se rapporte à mes propres actions ? Je n’ai rien brûlé, mon ami.

L’oncle Tristan haussa les épaules et, d’un aîr non dénué de mépris :

— Je m’aperçois une fois de plus de ton inexpérience à dégager les symboles d’un récit ! J’ai voulu te démontrer qu’en cherchant à obtenir le silence, tu as obtenu le tumulte ! Non, certes, tu n’as rien brûlé, sinon toi-même !

— Eh bien ! mon cher, prononça le père d’Elvire, sans se courroucer comme il le faisait d’ordinaire, je suis bien fâché de te dire que ta narration ne cadre pas le moins du monde avec les faits. Si, quelquefois, j’en conviens volon­tiers, tu mets dans le mille, aujourd’hui, en revanche, tu m’as tout l’air de te fourvoyer.

Elvire et Flossie, témoins de cette passe d’armes, riaient de bon cœur, en remarquant le léger embarras de Berge­mont aîné. Elles aussi trouvaient que l’exemple d’Érostrate était assez mal choisi et s’amusaient grandement des efforts que déployait l’oncle pour justifier sa citation. Par malheur, son frère, heureux de triompher du perpétuel ergoteur, ne lâchait pas prise.

— Tu as gaffé, mon bon ami, lui répétait-il, ton iné­puisable mémoire t’a trahi ! Ton Érostrate, avec son temple, ne tient pas debout ! Allons ! conviens-en de bonne grâce. Reconnais que tu t’es mis le doigt dans l’œil !

Après quelques brocards de ce genre, Bergemont aîné, très froissé dans son amour-propre d’avoir essuyé un échec, cessa de soutenir une cause décidément mauvaise et sortit en claquant la porte.

Le soir qui suivit, Elvire retrouva Jean-Louis à l’angle de la grille de la villa. Bien que l’existence de la famille Bergemont, naguère si paisible, eût été marquée depuis près d’un mois par bien des vicissitudes, la jeune fille n’avait jamais négligé de se rendre à son observatoire nocturne. Lors de l’arrivée de sa tante Flossie, une cer­taine perturbation l’avait empêchée d’abord d’y être assi­due mais, peu à peu, elle était parvenue à recouvrer sa liberté en faveur de son ami le plus cher. Et parce que Flossie, avec son ferme jugement britannique, l’avait fortement engagée, à maintes reprises, à compter sur le dévouement de Jean-Louis pour sortir de l’embarras où elle se trouvait, Elvire, dans les derniers temps, ne ménageait point les allusions. Ainsi, revenant toujours à ce perfide aviateur, elle demandait : — N’êtes-vous pas d’avis que cette situation ne peut se prolonger ? Et qu’il faut que nous trouvions, l’un ou l’autre, un moyen quelconque d’y apporter un terme.

— Assurément, ma chérie, répondait Vernal. Mais comment ?

— Je ne sais pas ! Je m’épuise à m’interroger moi-même. Mais vous, Jean-Louis, qu’est-ce que vous me conseillez ?

— Je vous conseille, répliquait Jean-Louis, de ne pas attacher trop d’importance à des exhibitions qui…

— Il ne s’agit pas d’exhibitions ! Je m’en moque des exhibitions ! Ce qui m’irrite, ce qui me déprime, ce sont ces lettres qui me tombent du ciel au su et au vu de tout le monde ! Je suis ridiculisée, ne comprenez-vous pas ?

— Oh ! ridiculisée !…

— Mais si, mais si… et je m’étonne un peu, je l’avoue, que nous n’en éprouviez pas du mécontentement.

Et toujours lorsque l’entretien arrivait au tournant dangereux, — car il ne se passait guère de soir sans qu’Elvire révélât sa détresse, — Jean-Louis Vernal, de sa voix la plus douce, et la plus convaincante, murmurait :

— Elvire bien-aimée, je vous conjure de traiter la croi­sade de l’Aviateur inconnu comme une bagatelle. Je vous supplie de vous réfugier dans notre amour, de ne songer qu’à notre avenir et de vous répéter le serment que vous avez prononcé : « Je jure de ne jamais épouser un aviateur ! »

— Et cela vous suffit ! s’étonna la jeune fille.

— Mais oui, parce que j’ai confiance en vous, une con­fiance aveugle.

— Vous avez raison… toutefois, j’aimerais que votre imagination nous fournît quelque chose, de moins… patient !

— Voilà que vous me reprochez la patience, et cependant c’est la patience que vous a prêchée votre tante, à peine arrivée ! Non, non, croyez-moi, Elvire, tout cela se terminera de la façon la plus satisfaisante, je vous le promets. Comme dans les contes, nous serons heureux et nous aurons beaucoup d’enfants !

Jean-Louis, bien entendu, s’empressait d’accompagner ces paroles apaisantes de baisers aussi doux que le permettaient les barreaux de la grille et, finalement, Elvire s’en retournait à peu près consolée, en souhaitant que la nuit se passât sans aviateur.

— Je t’assure, disait-elle à Flossie, que le bruit de cet odieux moteur me paraîtrait moins insupportable, si Jean-Louis était près de moi… je me sentirais moins isolée, mieux protégée…

Cette doléance ne fut pas perdue, Flossie ne tarda pas à en donner la preuve, d’abord pour satisfaire son impres­sionnable nièce, et ensuite pour vérifier le doute qui n’avait point abandonné son esprit… Car elle avait son idée !…