L’Avenir de la Marine française - Le décuirassement, la guerre de course, la réduction du personnel

L’Avenir de la Marine française - Le décuirassement, la guerre de course, la réduction du personnel
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 4 (p. 175-196).
L’AVENIR DE LA MARINE FRANÇAISE




LE DÉCUIRASSEMENT, LA GUERRE DE COURSE, LA RÉDUCTION DU PERSONNEL.




I. La Marine d’aujourd’hui, la guerre d’Italie et les institutions nécessaires, par M. le vice-amiral Jurien de La Gravière, 1873. — II. La Question du décuirassement, par M. le vice-amiral Touchard, 1872. — III. La Marine cuirassée, par M. P. Dislère, 1873. — IV. The naval Prospects of France, — the american Navy, Colburn’s Magazine, 1872.




C’est une vérité aujourd’hui banale que la France est le pays où la routine conserve l’empire le plus durable, où les idées justes et nouvelles ont le plus de peine à se faire jour. Ce défaut est d’autant plus sensible en ce qui touche notre marine de guerre que nous sommes généralement ignorans des choses de la mer, et que le public manque des informations les plus nécessaires pour raisonner sainement sur un sujet dont il ne peut apprécier que l’ensemble, dont il ne comprend que les généralités. L’opinion en est encore aux idées qui prévalaient en 1861, quand l’Angleterre, comme le dit un écrivain de ce pays[1], « s’éveillant à la réalité, constata qu’elle était dépassée par son ancienne rivale, et se mit résolument à l’œuvre, appliquant ses immenses ressources à la création de cette flotte cuirassée aujourd’hui sans pareille dans le monde. » Le rôle que nos marins ont si dignement rempli dans la dernière guerre, à Paris comme dans toutes nos armées de province, leur élan, leur courage, leur discipline, n’ont pas peu contribué à fortifier la haute idée que l’on s’est faite de la supériorité de notre marine, et certes nulle confiance ne serait mieux méritée, si l’élan, le courage, la discipline, étaient sur mer les seuls gages de la victoire, si le temps n’avait marché, bouleversant toutes les conditions économiques et pratiques de la guerre maritime comme de la puissance navale des nations européennes.

D’autres causes d’un autre ordre ont concouru d’ailleurs à inspirer cette sécurité, peut-être dangereuse, aux esprits, si peu nombreux parmi nous, qui se préoccupent de ces questions. Un écrivain éminent et certes des plus autorisés, l’amiral Jurien de La Gravière, exposait ici même[2], au lendemain de la guerre de 1870, ce qu’il considérait comme les « institutions nécessaires » qu’il fallait sauver pour sauver la marine : c’était d’abord l’inscription maritime, ensuite l’ensemble de nos écoles de spécialités, enfin l’escadre d’évolution. Ces institutions ont été sauvées, la marine est donc intacte aux yeux de ceux qui ne peuvent que de loin en suivre les transformations incessantes. Il y a plus. « À moins que la fortune ne nous donne l’Angleterre pour ennemie, ajoutait le même écrivain, nous devons nous proposer de faire sur mer la grande guerre. Contre l’Angleterre elle-même, ce genre d’opérations nous serait commandé le jour où de nouvelles complications viendraient modifier nos alliances. Je me place toujours sur ce terrain quand je veux étudier un plan de conservation pour notre flotte. » L’opinion publique est d’autant mieux fondée à compter sur notre marine que ces conseils venus de haut expriment et résument les principes qui continuent à régler notre établissement naval, que rien en apparence n’a été changé dans l’objectif de notre puissance maritime, et que dès lors cette puissance semble aujourd’hui, comme en 1861, sinon pouvoir rivaliser avec celle de l’Angleterre, du moins n’avoir pas à compter avec les marines secondaires. Si le respect envers les personnes avec lesquelles on diffère d’opinion s’affirme surtout par la libre défense de ce qu’on croit la vérité, il nous sera permis de discuter la justesse de ces assertions : ni le maintien des institutions que l’amiral appelle nécessaires ne peut suffire à sauver notre marine, ni le terrain où il se place n’est celui de la réalité, — non-seulement de la réalité de notre situation telle qu’elle ressort inexorablement de nos désastres, mais de la réalité créée par la raison même des choses de la mer, telle que l’établissent les inventions et les transformations récentes.


I.

L’Angleterre vit au milieu de l’Océan et n’est vulnérable que par l’Océan, elle n’est la première nation du monde que par son commerce maritime et ses immenses possessions coloniales, éparses dans l’univers entier ; de là un triple but assigné à sa marine de guerre. Murailles de bois ou murailles de fer, c’est derrière ses vaisseaux qu’elle se sent à l’abri, qu’elle défie toutes les colères et toutes les ambitions ; c’est par eux qu’elle protège ces innombrables navires marchands dont les incessans voyages entretiennent son activité féconde, sa richesse sans égale ; c’est par eux enfin qu’elle complète la défense de ces colonies, plus vastes que des royaumes, dont l’ensemble constitue l’empire britannique. Pour ce triple but, il lui faut la souveraineté incontestée de la mer, et, pour conserver cette souveraineté, une marine égale en puissance effective à celle de toutes les nations qui pourraient un jour se coaliser contre elle. Ce résultat a été dès longtemps atteint et assuré jusqu’à ce jour dans les anciennes conditions du passé immédiat de la guerre maritime, — à quel prix ? par une persévérance et une volonté énergique qu’aucun essai infructueux n’a découragées, aucune dépense effrayées. Qu’en 1861, qu’avant même la dernière guerre, dans la plénitude de nos ressources financières, dans l’exaltation patriotique causée par la supériorité éphémère de notre escadre de combat, la France ait cru pouvoir maintenir cette supériorité, ou tout au moins l’égalité de sa marine avec celle de son antique rivale, c’était là un rêve que la réalité devait bientôt faire évanouir ; mais combien plus inexorable contre une semblable chimère est la réalité d’aujourd’hui ! La création d’une marine cuirassée, d’une marine où chaque navire que l’on met en chantier doit dépasser en force de résistance, en force agressive, ceux qui l’ont précédé, cette création, incessante par cela même, est avant tout l’œuvre de la richesse nationale. Cela seul explique comment depuis 1870 non-seulement l’Angleterre a pu nous dépasser, mais encore que l’avance qu’elle a prise et qu’elle veut garder ne sera jamais regagnée ; par cela seul, on pressent que ce n’est point sur le terrain de la grande guerre, de la guerre avec l’Angleterre, que nous devons nous placer pour arrêter les bases de notre flotte. L’objectif que nous avions pu nous donner autrefois nous a échappé sans retour ; mais peut-être faut-il nous féliciter d’avoir dû renoncer à cette lutte impossible.

« L’heure est venue pour nous plus encore que pour l’Angleterre, disait, il y a deux ans, M. le vice-amiral Touchard ; il s’agit de savoir si nous allons continuer à construire des navires de 9,000 à 10,000 tonneaux de déplacement, des navires de 98 mètres de longueur, — de savoir si nous allons consacrer à chacun d’eux de 10 à 11 millions, et livrer à l’inconnu de la guerre sous-marine ces coûteux engins que la torpille pourra détruire d’un seul coup, — ou bien si, désertant cette voie ruineuse, il ne serait pas à la fois plus sage et plus prudent de renoncer à une protection inefficace et partant dangereuse. Cette question, beaucoup de bons esprits en France et hors de France l’ont résolue par le décuirassement. Le décuirassement apparaît aujourd’hui comme la conséquence inévitable de la puissance croissante du canon. Peut-être, avant que les navires en cours de construction ne soient achevés, cette conséquence va-t-elle s’imposer par l’initiative des autres puissances maritimes, ou d’une seule d’entre elles, et dès lors n’y aurait-il pas pour la France honneur et profit à fournir ici l’exemple d’une initiative hardie que la prudence et l’économie conseillent, comme elle a fourni un exemple moins conforme à son génie et à ses traditions militaires, l’exemple du cuirassement[3] ? »

Quoi qu’il en soit de la justesse de ces prévisions, la question reste encore pendante, et nulle nation européenne n’a pris les devans dans cette voie ; mais nous allons voir qu’au-delà de l’Atlantique une nation dont l’esprit pratique et le génie profond n’ont rien à envier aux peuples de l’ancien monde n’a pas suivi leur exemple, n’a point partagé leur entraînement, n’a jamais eu en un mot de flotte de combat cuirassée proprement dite, et a pris ainsi et peut revendiquer à juste titre pour sienne l’initiative que proposait à la France, comme conforme à son génie et à ses traditions militaires, le commandant actuel de notre escadre cuirassée. Il y a plus, cette abstention a été strictement pratiquée par la nation dont nous parlons malgré les plaintes en apparence les mieux fondées, les conseils et les réclamations en apparence les plus sages et les plus légitimes de ses hommes de mer les plus expérimentés, et alors que sa marine de commerce, c’est-à-dire l’ensemble des intérêts nationaux engagés sur l’Océan, est la seconde du monde, et ne le cède en importance qu’à celle de l’Angleterre. Cette nation, on le devine, c’est la république des États-Unis. Donné par un peuple aussi jaloux de sa grandeur qu’habile à développer les élémens sur lesquels elle se fonde, un tel exemple peut avoir une influence décisive dans la question qui à tant de titres intéresse l’avenir des marines européennes ; mais avant de rechercher les motifs d’une abstention, d’une réserve si extraordinaire, il convient d’établir qu’elle est bien la conséquence d’un parti-pris, d’un système mûrement arrêté.

« En cas de guerre avec une nation maritime, écrivait en 1868 le secrétaire de l’amirauté américaine {secretary of the navy) dans son rapport annuel, nos combats seront à la mer et non sur terre. Aucune nation européenne ne peut transporter sur nos rivages une force assez considérable pour être une menace pour nous ; mais, cela fût-il tenté, la flotte ennemie rencontrerait sur l’Océan nos propres navires, qui suffiraient pour l’arrêter, si notre puissance navale est maintenue sur le pied convenable et tel que l’exige la prudence. » En 1869, précisant davantage, il ajoutait : « En cas d’une guerre maritime, nos croiseurs seraient sacrifiés sans utilité ou obligés de chercher leur salut dans le port et d’abandonner la mer, laissant nos navires marchands exposés à toutes les chances de la guerre sans autre protection que celle de nos côtes et de nos monitors. En conséquence, je propose avec instance la construction de croiseurs blindés capables de faire de longues croisières, de protéger notre commerce et d’assurer le triomphe de notre politique. » Ces recommandations pressantes restèrent sans effet, bien que l’illustre amiral Porter, un des héros de la guerre de la sécession, les appuyât de toute son autorité. « Si la guerre venait à nous être imposée, écrivait-il en 1870 alors qu’apparaissaient les graves perspectives de la question de l’Alabama, il est triste pour ceux qui auraient à y prendre part d’en contempler les résultats probables ; mais, quelque humiliant qu’il soit d’être obligé d’avouer notre faiblesse, mieux vaut encore certainement le faire aujourd’hui que le jour où il serait trop tard, et lorsque nous aurions subi les plus grands et les plus irréparables désastres. » Aujourd’hui, comme en 1870, la constitution de la marine militaire des États-Unis pourrait justifier les mêmes défiances et les mêmes plaintes. Tous les navires qui composent ses stations navales sont des navires sans cuirasse ; seuls quelques monitors incapables de s’éloigner des côtes, impuissans à lutter contre les cuirassés de haut-bord de France et d’Angleterre, font exception dans cette marine. C’est pourtant dans de pareilles conditions que le cabinet de Washington aborda sans hésitation et poursuivit avec une calme et énergique persévérance la solution du différend relatif à l’Alabama, solution si grosse de menaces de guerre avec la plus puissante des nations maritimes. Peut-on voir dès lors dans le système mis en pratique par ce gouvernement, dans la composition normale de la flotte nationale, autre chose que le résultat d’idées longuement méditées, la conséquence de principes fixes adoptés après de mûres réflexions ? La justesse de ces idées, la vérité de ces principes, ont reçu leur sanction du temps et des événemens accomplis.

À l’époque de la marine à voile, époque si rapprochée de nous par les années, si éloignée par les incessantes transformations des élémens qui constituent la puissance sur mer des nations européennes, la suprématie maritime, conséquence assurée d’une ou deux grandes victoires où sombrait pour longtemps la marine vaincue, donnait à la marine victorieuse la souveraineté des mers dans la plus complète expression du mot. Les souvenirs du premier empire sont encore vivans dans les esprits. Nos côtes étroitement bloquées de Cadix à Anvers, de Gibraltar à Naples, sans cesse menacées du débarquement d’une armée d’invasion, comme celle qui, jetée soudainement à Walcheren, inspira de si justes craintes à l’empereur, alors engagé avec toutes ses forces au cœur de l’Autriche, — les escadres anglaises promenant seules sur l’Océan leur pavillon victorieux et balayant devant elles ce qu’un de nos amiraux appelait si justement « de la poussière navale, » c’est-à-dire nos corsaires intrépides, nos croiseurs isolés, prisonniers désignés d’avance pour les pontons de Plymouth et de Southampton, — nos colonies, séparées du monde entier, abandonnées à elles-mêmes, sans secours possible, tombant l’une après l’autre sous des attaques répétées, et destinées plus tard à payer la rançon de la paix, — enfin comme résultat d’un tel état de choses, l’Angleterre monopolisant le commerce du monde, jetant les bases de sa puissance actuelle, de sa prospérité sans égale, — telles furent à cette époque les conséquences de nos défaites à Aboukir et à Trafalgar. L’application de la vapeur comme force motrice des navires de guerre, — celle de l’hélice comme propulseur, — la création des chemins de fer, reliant en un tout compacte les provinces les plus éloignées d’un même pays, les progrès incessans de la mécanique, ceux de l’artillerie, les perfectionnemens que chaque jour apporte à l’emploi des torpilles, en bouleversant les conditions normales de la guerre maritime, en ont complètement aussi modifié les résultats. Ces résultats, si décisifs autrefois, seraient si amoindris que peut-être se réduiraient-ils à une gloire stérile, achetée au prix d’énormes dépenses et par l’effusion du sang le plus précieux.

Que le blocus strict, effectif de tous les points d’un littoral aussi étendu que celui de la France par exemple, soit désormais impossible, — que toujours des croiseurs à marche supérieure, commandés par des capitaines véritablement hommes de mer, puissent franchir les lignes de blocus les plus resserrées, et en mer libre défier toute poursuite, c’est ce que les incidens des dernières guerres maritimes ont mis en pleine lumière, sans qu’il soit besoin d’entrer dans des considérations techniques. Les souvenirs de l’Alabama et de tous les blockade-runners qui pendant la longue durée de la guerre de la sécession américaine se sont joués de l’active surveillance d’une des premières marines du monde attestent cette impuissance actuelle des flottes de blocus. Les effets désastreux qu’eut pour le commerce des États-Unis la menace suspendue sur chacun de leurs navires marchands par l’impunité des corsaires confédérés, la violation des règles les plus claires, les mieux consacrées du droit international, devant laquelle n’hésitèrent pas les commandans des croiseurs fédéraux pour capturer quelques-uns de leurs adversaires, suffiraient pour établir et l’impuissance d’une marine maîtresse de la mer à protéger le commerce national, et la gravité des risques auxquels cette impuissance livre aujourd’hui un des élémens les plus essentiels de la richesse, de la prospérité des nations modernes. Néanmoins peut-être convient-il d’insister et de rappeler d’autres faits qui, plus récens et nous touchant directement, pèseront d’un plus grand poids sur les esprits qu’ont pu égarer certaines critiques, que l’ignorance seule fait excuser, contre nos escadres pendant la dernière guerre.

On sait quelle fut, au début de cette guerre, l’attitude des deux marines que la déclaration des hostilités mettait en présence. Tandis que notre escadre de la Méditerranée prolongeait sa croisière dans ces parages, et, surveillant le détroit de Gibraltar, protégeait contre une attaque possible des croiseurs ennemis les navires de transport affectés au rapatriement d’une partie de l’armée d’Afrique, une escadre nouvelle s’armait dans nos ports de la Manche avec une rapidité merveilleuse, et en quelques jours apparaissait sur les rivages de la Baltique et de la Mer du Nord. L’escadre prussienne, elle, désertant l’Océan, se hâtait vers ses ports de refuge, et, s’y renfermant pour toute la durée de la guerre, recourait pour sa propre défense, pour celle des arsenaux, que ses canons ne couvraient qu’imparfaitement, à tous les moyens que les progrès de la science ont multipliés en les perfectionnant. Les passes intérieures furent semées de torpilles, les bouées et les balises qui en signalent les amers furent déplacées et arrachées, les phares éteints et toutes communications avec nos escadres rigoureusement prévenues. Ces résolutions, que justifiait l’infériorité numérique de la marine allemande, ces précautions, habiles autant que prudentes, réduisaient notre flotte à un blocus ingrat, sans gloire bruyante, mais plein de périls dans ces parages et à cette saison de l’année, et qui exigeait les qualités les plus rares et les plus précieuses d’habileté professionnelle, d’énergie, de persévérance. N’en ressortait-il pas du moins, et de la façon la plus évidente, que l’ennemi nous abandonnait sans conteste l’empire de la mer ?

Cependant sur terre les désastres succédaient aux désastres ; mais la France luttait toujours et trouvait comme par miracle de nouvelles ressources pour armer plus de 600,000 hommes. Dans le dénûment le plus complet de nos arsenaux, dans la pénurie presque aussi grande des magasins et de l’industrie privée, où prenait-elle des armes, des canons ? qui lui fournissait les élémens multiples de ses incessans efforts ? de quel prix les payait-elle ? Chose étrange, dans cette crise où tout semblait devoir nous manquer, telle fut la sécurité de notre commerce maritime que partout, dans tous les ports, nos navires marchands poursuivaient leurs opérations sans que les frets d’assurance fussent sensiblement accrus, et que, grâce à cette sécurité, l’Angleterre, les États-Unis, le monde entier concourait à cette œuvre de la défense nationale, d’où la France a pu sortir matériellement amoindrie, mais par laquelle elle a sauvé le bien suprême, l’honneur.

Soudain un cri d’alarme retentit qui vient troubler cette sécurité, dissiper cette confiance, alors peut-être une de nos plus grandes forces : un croiseur allemand a surpris à quelques lieues d’un de nos ports de guerre un petit navire de l’état qui de Rochefort se rendait à Bordeaux ; ce croiseur s’est montré à l’embouchure de la Gironde et y a signalé son passage par d’autres prises. Que font donc nos bâtimens de guerre, et nos escadres ont-elles levé le blocus des côtes ennemies ? — Nos croiseurs étaient toujours à leurs postes, sur toutes les grandes routes de l’Océan ; le blocus des côtes allemandes était aussi serré, aussi effectif qu’aux premiers jours ; seulement l’audace, la confiance, avaient chez quelques-uns de nos adversaires remplacé la réserve, la défiance, que tous avaient jusqu’alors montrées, et l’Augusta parcourait librement l’Océan. Que l’habileté, l’expérience de son capitaine, fussent à la hauteur de la résolution qui semblait l’inspirer, qu’à l’exemple du capitaine Semmes il prît hardiment la haute mer, et l’Augusta devenait pour nous ce que fut l’Alabama pour le commerce des États-Unis. Une dernière faveur de la fortune pour notre marine militaire permit à deux de nos croiseurs de surprendre et de bloquer l’Augusta dans le port neutre de Vigo jusqu’à la conclusion de la paix ; mais l’exemple était donné, et il aurait été suivi, si la guerre s’était prolongée, car désormais la preuve était faite de l’impuissance de notre marine à maintenir le blocus des côtes allemandes.

Depuis cette époque, les vitesses obtenues même sur les plus petits navires ont encore grandi : de simples yachts de plaisance ont filé plus de 16 nœuds. Ces vitesses, mises au service de l’audace et de l’habileté, ne triompheront-elles pas encore plus facilement que par le passé de la surveillance d’une escadre ennemie ? Une tempête forçant cette escadre à prendre le large, une journée de brume, une nuit sombre, ce serait assez, quand bien même les exigences qui forcent les navires de blocus, pour prolonger leur croisière, pour ménager leur charbon et leurs machines, à rester sous petite vitesse, ne permettraient pas aux blockade-runners de réussir en plein jour et devant les croiseurs ennemis.

Si ces considérations ou plutôt les faits que nous avons rappelés font regarder comme justes les conclusions que nous en avons tirées, en démontrant l’impuissance d’une marine victorieuse à maintenir effectif le blocus des rivages ennemis, et par suite à protéger le commerce national contre des corsaires que leur rapidité fait insaisissables, on est conduit à prévoir les changemens que cette double impuissance entraîne avec elle dans les résultats positifs d’une victoire navale, quelque complète qu’on la suppose. En tout cas, ces considérations, ces faits, nous paraissent justifier le système adopté par les États-Unis pour la constitution de leur marine de guerre malgré des plaintes et des réclamations à première vue si légitimées ; on s’explique aussi comment le cabinet de Washington, en apparence désarmé, n’a point hésité à poursuivre la revendication de ses droits dans cette affaire de l’Alabama, d’où à chaque instant pouvait surgir la guerre contre l’Angleterre. Les États-Unis n’ont pas de colonies, et la seule raison d’être de leur marine est la protection de leur commerce. Les conséquences inévitables de cette guerre étaient la ruine certaine de leur marine marchande, de leur marine militaire, si elle eût entrepris de la défendre : ils le savaient sans nul doute ; mais n’étaient-ils pas assurés également de frapper de mort, par leurs croiseurs, par leurs corsaires, par leurs alabamas, le commerce maritime de l’Angleterre ? Et alors de quel côté étaient les plus grands risques ? À cette terrible partie de la guerre, laquelle des deux nations mettait le plus gros enjeu ? Les États-Unis d’Amérique peuvent vivre de leur vie propre, continentale pour ainsi dire ; l’Angleterre n’existe, n’est elle-même, que par son industrie et ses relations extérieures : aussi, sans méconnaître que le sentiment de la justice et du droit ait puissamment agi sur les ministres anglais à cette époque, il est permis de croire que la prévision des périls suprêmes où une telle guerre aurait jeté leur patrie n’a pas peu contribué à incliner leur volonté vers une solution pacifique, quelque sacrifice qu’elle imposât à l’orgueil national.

La France n’étant pas, comme l’Angleterre, une nation dont l’existence même est liée à sa suprématie maritime, ses colonies d’outre-mer étant sans importance et ses intérêts maritimes commerciaux bien inférieurs à ceux des États-Unis, il semble dès maintenant possible d’affirmer que la véritable sagesse aussi bien que l’intelligente prévision de l’avenir réservé à la marine cuirassée, tel qu’il apparaît aux meilleurs esprits, aurait dû nous conduire dans le passé et devrait nous décider dès maintenant à prendre exemple, pour l’établissement de notre flotte de guerre, sur les États-Unis d’Amérique, au lieu de poursuivre, comme nous l’avons fait jusqu’en 1870, comme on conseille encore de le faire aujourd’hui, une ruineuse et chimérique rivalité avec l’Angleterre. Néanmoins, comme la protection directe de notre commerce est un des motifs les moins importans entre ceux qui ont fait prévaloir le système actuel, il convient de montrer par une rapide analyse que les mêmes causes qui ont si profondément modifié les conséquences de la victoire en ce qui touche la protection du commerce maritime ont eu, à d’autres points de vue regardés comme essentiels à la grandeur de la France, des résultats absolument identiques.

La part si considérable que la marine prit aux opérations de la guerre d’Orient, dont on peut dire qu’elle a seule assuré le succès, le débarquement à Eupatoria des armées alliées, la guerre de Chine et plus tard celle du Mexique ont consacré parmi nous l’opinion que la flotte serait en toute guerre l’auxiliaire précieux et indispensable de nos forces de terre en leur donnant une mobilité plus grande, en créant aux armées principales des diversions efficaces par le débarquement sur les rivages ennemis de corps expéditionnaires aux points vulnérables de leurs frontières, là où, l’attaque ne pouvant être prévue, la défense ne pouvait être préparée. Qu’un moment cette opinion ait été fondée, on le nierait difficilement ; mais pour combien de temps le fut-elle ? En tout cas, elle ne l’est plus aujourd’hui.

Quelles que soient les difficultés de transporter un corps de 30,000 hommes avec sa cavalerie et ses impédimenta à une distance un peu considérable, c’est une opération qu’une marine comme la nôtre pourra toujours exécuter en mer libre ; cependant, s’il est vrai que les blocus ne peuvent plus aujourd’hui être regardés comme effectifs, cette opération ne serait pas exempte, comme on se plaît à le croire, de risques sérieux, les croiseurs ennemis pouvant profiter de la nuit pour se glisser dans les rangs de la flotte de transport et y causer, grâce à la vapeur et à l’éperon, les désordres les plus graves. Mais comment s’opérera le débarquement en présence d’un ennemi préparé à cette éventualité, qu’il serait puéril d’espérer surprendre, et qui, ce que ne firent pas les Russes à Eupatoria, voudrait l’empêcher ? Supposons néanmoins que cette opération si grosse de périls et de dangers se soit heureusement effectuée, de quelle importance est à présent, avec les armées telles qu’elles sont partout constituées, un corps de 30,000 hommes, isolé, sans point d’appui, sans base d’opération, que le moindre échec accule au rivage et qui ne peut compter pour ses approvisionnemens et son ravitaillement que sur le concours incertain de sa flotte de transport ? Au moment où éclata la guerre de 1870, l’envoi d’un corps expéditionnaire sur les côtes allemandes se préparait dans nos ports du nord ; le général Trochu devait en prendre le commandement. Des difficultés que tout le monde connaît à l’heure présente, que l’ennemi alors connaissait mieux que nous, empêchèrent la réalisation de ce projet. Qu’il eût été exécuté, que le corps d’armée, et en l’appelant ainsi nous en exagérons l’importance, eût été jeté sur les rivages de la Baltique à 300 lieues du théâtre véritable de la guerre, de quel poids eût-il pesé sur l’issue de la lutte, quelle diversion appréciable eût-il créée en faveur de nos armées du Rhin ? Jusqu’au jour où le sort se fut prononcé à Sedan et à Metz, l’armée allemande qui devait le combattre resta prête sous les ordres du général Von Falkenstein, supérieure en nombre, disposant des chemins de fer et de toutes les ressources du pays. Quelles qu’eussent été l’habileté du chef et la bravoure des soldats, les destinées du corps expéditionnaire étaient écrites. C’est que dans les choses de la guerre, comme dans toutes celles de ce monde, les idées les plus justes ne le sont que d’une façon relative, et que ce qui est possible aujourd’hui cesse de l’être le lendemain. Ainsi s’est évanouie à plus d’un point de vue l’importance de la suprématie maritime dans une guerre continentale : quelques années ont suffi pour cela, pleines, il est vrai, d’inventions nouvelles, de perfectionnemens inattendus ; mais ces inventions se renouvellent, ces perfectionnemens se continuent chaque jour et permettent d’affirmer que, s’il y a quinze ans la France avait raison de compter sur sa flotte de transport, l’opinion publique reviendrait aujourd’hui à la réalité en ne la faisant plus entrer dans l’évaluation de notre puissance militaire.

Sans pousser plus loin cet examen, il en ressort que la souveraineté de la mer n’assure plus à une nation les immenses avantages qui en étaient jadis les conséquences logiques. Nous avons essayé de montrer à l’œuvre les causes qui ont produit ces modifications profondes. Là ne s’est pas bornée l’action de ces causes. Si les résultats de la guerre maritime ont complètement changé, les opérations de cette guerre elles-mêmes ne seront-elles pas dirigées par d’autres idées, d’autres principes, d’autres règles ? Y aura-t-il encore de ces grandes rencontres, cherchées, voulues, de deux flottes, « confiantes toutes deux dans la victoire, » rencontres décisives où dans une journée suprême se jouaient les destinées de deux grandes nations ?


II.

Depuis le jour où la Gloire, première application de la cuirasse aux navires de combat, flotta sur l’Océan, toutes les marines du monde, excepté celle des États-Unis, sont entrées dans une voie de transformations incessantes. La puissance destructive du canon luttant avec supériorité contre la puissance défensive des plaques de blindage, il s’ensuit fatalement que le type de navire de l’avenir immédiat d’aujourd’hui peut être remplacé demain par un type supérieur, supérieur à la fois par la force de son artillerie et par la résistance de ses murailles, et que la lutte continuera ainsi jusqu’au jour où les ingénieurs constructeurs avoueront que leur science est vaincue, qu’ils ne peuvent produire un navire dont l’armure résiste à la dernière création de leurs émules, les ingénieurs artilleurs. On a dit que ce jour était arrivé, — nous le croyons, nous l’affirmons avec ceux qui l’affirment, — qu’importe ? Rien n’est encore changé, et le canon reste l’arbitre de la lutte ; est-il aussi l’instrument le plus efficace de combat ? Non. Comme les antiques galères d’Actium, chaque vaisseau porte à sa proue un lourd éperon de bronze, et tout engagement sur mer débutera par une rencontre à l’éperon. Est-ce tout ? Demain, chaque vaisseau aura pour frapper son adversaire, pour se défendre, un engin nouveau, la torpille, arme terrible qui frappera non plus en pleine lumière, en pleine cuirasse, mais, invisible, sous les flots, dans les œuvres vives, au cœur même des combattans, et alors que sera une bataille navale ? qui peut le dire ? Sans doute, après la première rencontre à l’éperon, une passe d’armes, une mêlée générale, comme l’imagination se représente les tournois du moyen âge, mais avec des proportions gigantesques, et où l’éperon remplacera la lance du chevalier, le canon monstrueux la masse d’armes, où la torpille sera le poignard de miséricorde qui donnera le coup de grâce et enverra le vaincu aux abîmes de l’océan, — mêlée confuse où chaque combattant, chaque navire vaudra par lui-même, par sa vitesse, par sa puissance d’évolution, par son armure, par ses canons, par le sang-froid et le coup d’œil de son capitaine, mais dans laquelle l’inconnu du choc, l’inconnu du tir, l’inconnu des torpilles, l’élément matériel en un mot annule d’avance les combinaisons les plus savantes, le génie même de l’amiral. On doute qu’il en soit ainsi ? voici ce qu’écrivent ceux qui ont consacré leurs veilles patientes à dégager tous les inconnus de la formule mystérieuse. « La tactique navale est-elle une science aujourd’hui, mérite-t-elle ce nom ? se demande le lieutenant Semechkin, l’aide-de-camp, le collaborateur dévoué de l’amiral russe Boutakof ; c’est une science parce qu’il faut l’étudier, mais cette science n’est pas en rapport avec les idées que ce mot réveille ; elle ne quittera jamais son caractère spéculatif, et ne ressemblera jamais à ces rameaux du savoir humain qui sont fondés sur des principes arides et des règles bien déterminées[4]. » L’amiral Bourgois, dans un de ses plus savans mémoires, est conduit à étudier la bataille de Lissa ; voici le jugement qu’il formule. « Nous n’ajouterons rien à ce qui a été dit sur la faute commise par l’escadre italienne en se formant en ligne pour combattre et sur le mérite de l’ordre des Autrichiens ; mais nous dirons avec une entière conviction qu’aucune de ces circonstances ni même le signal hardi de courir sus à l’ennemi et de le couler bas n’a exercé d’influence décisive appréciable sur le résultat de la journée. Cette escadre n’a-t-elle pas en effet traversé la ligne italienne sans lui causer aucun dommage, et tout vestige des ordres antérieurs n’était-il pas détruit lorsque s’est produit l’événement décisif, la grande expérience du choc dont le succès constitue presque toute la victoire de Lissa, et qui a immortalisé le nom de Tegethoff ? Comme Nelson à Trafalgar, celui-ci a triomphé bien plus par l’audace énergique du capitaine que par les savantes combinaisons du tacticien. Nul n’oserait compter dans les combats nouveaux sur le hasard heureux qui livra le Re d’Italia sans direction et peut-être sans vitesse au coup assuré du Max ; mais nous avons cherché à montrer dans ce mémoire que l’habileté et le coup d’œil du capitaine, aidés par la connaissance précise des mouvemens de son navire et des défauts de son adversaire, peuvent, en créant des circonstances non moins favorables, lui procurer l’occasion d’un aussi beau succès[5]. » Dans le travail d’un de nos officiers de marine qui cherche les règles nouvelles de la tactique navale, on relève des aveux tout à fait semblables[6]. Pour lui, entre deux bâtimens ayant des vitesses à peu près égales, l’issue de la lutte dépendra surtout du sang-froid et de l’habileté des capitaines. Dans le cas d’un combat d’escadre, dit le même auteur, « on ne saurait, au sujet de l’ordre qui semblera le plus propre à donner et à recevoir le choc, poser aucune règle absolue, car un amiral devra toujours s’inspirer des exigences du moment et subordonner la formation de ses vaisseaux aux manœuvres et à la nature de l’ordre adopté par ceux qu’il doit combattre. » Ainsi absence de règles fixes, l’énergique audace du capitaine assurant le triomphe bien plus que les savantes combinaisons du tacticien, tout vestige des ordres antérieurs disparaissant dans la mêlée après le premier choc, — un hasard heureux devenant l’événement décisif de la journée, — l’audace, le sang-froid, le coup d’œil du capitaine, c’est-à-dire des qualités morales, ce qui est le moins fixe, le plus ondoyant, le moins appréciable, l’imprévu enfin, — tels sont bien les derniers mots aujourd’hui de la tactique navale, de cette science qui avait naguère ses principes, et par suite ses règles déterminées.

Cet inconnu, cet imprévu d’un nouveau genre, s’ajoutant à l’inconnu, à l’imprévu des élémens matériels pour ainsi dire de la lutte, jette-t-il cependant un voile que nulle main ne peut soulever sur les conditions essentielles de la guerre maritime ? Les recherches dont nous avons donné les conclusions ont-elles été stériles ? Une vérité incontestable s’en dégage au contraire, un principe en ressort d’une importance supérieure et qui met en pleine lumière la loi, les conditions normales de la lutte entre deux escadres cuirassées. Ce principe, cette loi, c’est, on le devine, que dans tout engagement de deux flottes cuirassées, composées d’élémens de combat, de vaisseaux de même valeur, la victoire est assurée d’avance à l’escadre supérieure en nombre. En effet, quelles sont, dans ces problèmes indéterminés, les constantes à poser qui permettent de dégager les inconnues, en un mot comment et dans quelles limites ces recherches sont-elles possibles, peuvent-elles conduire à une solution ? Elles ne sont possibles qu’en admettant a priori l’égalité numérique des deux escadres, puis l’égalité comme puissance d’attaque et de défense des navires qui les composent, et qui, après le premier choc, s’engageront deux à deux dans une série de combats singuliers. Cette double hypothèse s’impose comme une nécessité logique et aussi comme une conséquence forcée de l’influence chaque jour plus grande de l’élément matériel sur l’élément scientifique et professionnel, — de la machine en un mot sur le génie de l’amiral, qu’elle annule, sur l’habileté du capitaine, qu’elle amoindrit en réduisant les manœuvres possibles à un petit nombre de lignes mathématiques, sur l’ardeur, la volonté des matelots, devenant de plus en plus les instrumens passifs et inconsciens de la lutte.

Les traditions, l’histoire, comme le bon sens et la raison, n’ont ici qu’un enseignement. En dehors de la supériorité du nombre, à quelles causes assignent-elles le succès de ces engagemens héroïques, dont les conséquences ont pesé souvent d’un poids décisif sur les destinées du monde ? Au génie de l’amiral, trouvant sur le champ de bataille même une inspiration soudaine à l’instant comprise par ses capitaines, pénétrés de son esprit, à la supériorité de leurs manœuvres, à l’expérience pratique des équipages, à leur confiante ardeur excitée par le souvenir d’une longue supériorité sur leurs adversaires. Que sont devenus aujourd’hui tous ces gages assurés autrefois de la victoire ? En supposant qu’ils aient encore une influence positive, pourraient-ils, comme alors, suppléer à l’infériorité du nombre ? La dernière phase de toute bataille navale, la phase décisive, n’est-elle pas à présent cette mêlée où tout vestige des ordres antérieurs aura disparu, où chaque navire vaut par lui-même d’abord, — par sa vitesse, par sa puissance giratoire, par son armure, par ses canons, — puis par son capitaine, mais d’où chaque combattant sortira toujours avec des blessures, avec des avaries plus ou moins graves, assez sérieuses néanmoins pour qu’il ne puisse plus poursuivre la lutte contre de nouveaux adversaires gardés en réserve et frappant alors des coups décisifs ? S’il en est ainsi, à égalité individuelle des navires cuirassés composant deux escadres ennemies, la victoire est assurée, en ne faisant entrer en ligne de compte que les élémens appréciables, à la plus nombreuse de ces escadres.

La première des conclusions auxquelles on est dès lors conduit fixe les règles positives qui doivent présider à l’établissement naval de toute nation européenne. Le but qu’elle poursuit, c’est-à-dire l’ennemi qu’elle se propose spécialement de combattre dans l’avenir, et qu’on pourrait désigner par ces mots « l’ennemi héréditaire, » étant connu, le problème trouve sa solution immédiate, qui peut se formuler ainsi : établir l’égalité du nombre et l’égalité des types des navires de combat avec ceux de cette puissance, créer en plus une réserve dont l’action décidera de la lutte. N’est-ce pas au reste la règle dès longtemps adoptée par toutes les nations qui ont voulu se donner une marine cuirassée, règle adoptée tout d’abord par une instinctive prévoyance plus que par une exacte connaissance de la réalité, telle que devaient la créer en si peu de temps les applications de la science à la guerre maritime, mais qui est une sanction du principe lui-même et la condamnation du système suivi quand notre objectif était la rivalité de notre marine avec celle de l’Angleterre ?

Ce principe reste vrai tant que le navire cuirassé demeure l’élément essentiel de la puissance maritime ; mais, on l’a vu, déjà cette supériorité est révoquée en doute, niée même par les meilleurs esprits[7], qui affirment que son règne est passé et qu’il n’est plus l’instrument le plus formidable de combat ; nous allons plus loin : il n’est plus, il n’a jamais été l’instrument le plus efficace de la guerre maritime.

La guerre est l’appel à la force d’un peuple convaincu de son droit pour le maintien de ce droit, c’est-à-dire la négation la plus absolue de la justice et de la raison humaine ; le but de la guerre est dès lors défaire le plus de mal possible à l’ennemi. Quelles que puissent être les répugnances des esprits illogiques, il n’est pas d’autre droit de la guerre. Ces deux mots « hurlent de se trouver accouplés ensemble, » et une cruelle expérience qu’il ne nous est pas permis d’oublier prouve que ce ne sont en vérité que des mots, et que désormais qui veut la fin doit se résigner à vouloir les moyens.

Au temps où la souveraineté de la mer était un de ces moyens les plus assurés, cette souveraineté était l’objectif que poursuivaient deux nations rivales sur les champs de bataille de l’Océan. Il n’en est plus ainsi de nos jours. Nous avons essayé de faire comprendre que les résultats de cette souveraineté seraient bien amoindris, et qu’il est permis de croire que les victoires les plus décisives ne donneraient à la nation victorieuse qu’une gloire stérile sans avantages positifs, autres que la destruction plus ou moins complète de la flotte vaincue. Il est peu probable dès lors, en supposant même que, par suite d’une égalité presque impossible à réaliser, la victoire semble incertaine entre deux escadres, que ces deux escadres en viennent aux mains dans des rencontres cherchées, voulues, comme au temps de la marine à voile. La guerre d’escadre, la grande guerre tend donc à disparaître dans les marines secondaires, et pour celles que l’infériorité du nombre semble condamner d’avance à une défaite assurée ; avec elle disparaît également l’importance du vaisseau cuirassé, dont le rôle se bornera à concourir avec les béliers, les bateaux-torpilles et les torpilles elles-mêmes à la défense des côtes. Est-ce à dire que le but essentiel de la guerre ne sera pas atteint ?

Les nations modernes ne sont riches et puissantes que par leur industrie et leur commerce. L’Angleterre compte dans sa marine marchande 39,087 navires, jaugeant ensemble 7,185,530 tonnes, la marine des États-Unis est de 16,943 navires portant 2,572,602 tonneaux, celle de l’Allemagne 5,122 navires et 1,035,972 tonneaux, tandis que les marines de France et d’Italie, où la disproportion du chiffre des navires à celui du tonnage prouve l’infériorité de la navigation au long cours, comprennent, la première 15,778 navires avec 1,074,656 tonnes, et la seconde 18,822 navires et 1,013,098 tonnes. On devine quelles richesses se cachent sous ces chiffres, et que, pour les trois premières de ces nations surtout, ruiner leur marine marchande, ce serait les frapper au cœur. Dès lors le but de toute guerre maritime est clairement indiqué, et aussi les instrumens de cette guerre. Ce but, c’est la ruine du commerce ennemi ; la guerre maritime, dont les règles nous apparaissent incertaines, les victoires stériles, devient la guerre de course, et le navire de l’avenir, d’un avenir aussi durable que les bases actuelles de la prospérité, de la richesse, de la grandeur des nations modernes, n’est plus le vaisseau cuirassé, même le plus invulnérable et le plus puissant par son artillerie : c’est le croiseur à marche supérieure, et à la vapeur et à la voile, dont le capitaine, dédaigneux de tout faux point d’honneur, évitant toute rencontre avec un adversaire, même à chances égales, ne poursuit qu’un seul but, la destruction des navires de commerce ennemis.

L’humanité peut protester et crier au retour de la barbarie ; ces protestations porteraient à faux, et d’ailleurs ce n’est point les conséquences de la guerre qu’il faut prévenir, c’est la guerre elle-même. Pour nous, dont la marine marchande, c’est-à-dire le seul enjeu de la guerre, ne vient qu’en quatrième ligne, nous devons d’autant plus nous féliciter de ce retour à la guerre de course qu’impose à toutes les marines la raison même des choses de la mer, que cette guerre est la plus conforme à nos traditions, qu’elle répond le mieux au génie de notre race. Quels noms les marines étrangères, même les plus fières d’un passé glorieux, ont-elles à opposer à ceux des Jean-Bart, des Dugay-Trouin, des Bouvet, des Surcouf, des Duperré, que la course a immortalisés ? S’il est certain que les idées nouvelles ne sont vraies, ne sont fécondes, ne constituent un progrès que lorsque la justice leur donne sa sanction, qui ne voit qu’à notre époque, où la notion du juste semble de plus en plus s’obscurcir, la course, malgré toutes les apparences contraires, malgré des sophismes intéressés peut-être, en laissant aux nations les moins puissantes un moyen de frapper sur l’ennemi les coups les plus terribles, en déplaçant ainsi les bases sur lesquelles repose la force, rendra plus rare désormais l’appel que seraient tentés d’y faire ceux qui croient que la force prime le droit et que le succès justifie tout ? La solution pacifique de la question de l’Alabama est une preuve irrécusable qu’il en est ainsi désormais.


III.

Les idées que nous venons d’exposer ont contre elles le plus grand des désavantages en France, elles contredisent les idées reçues. La constitution normale de notre flotte comprend, telle qu’elle a été réglée au lendemain de la dernière guerre, 16 cuirassés de premier rang, 12 de deuxième rang, 20 cuirassés garde-côtes, et seulement 8 frégates ou corvettes rapides à batterie, 8 corvettes rapides à barbette, non cuirassées. Ces chiffres sont le plus éloquent commentaire de l’importance assignée à la flotte cuirassée, aux opérations de guerre auxquelles seules elle se prête. L’exemple des États-Unis d’Amérique, qui n’ont jamais déserté la voie où nous voudrions voir notre marine entrer plus résolument, celui de l’Angleterre, qui, dans l’universalité des élémens de sa flotte, y marche à grands pas par la construction des croiseurs les plus rapides du monde, enfin les jugemens portés par des esprits d’élite et si compétens d’ailleurs sur la puissance réelle des flottes blindées, doivent-ils modifier bientôt les idées régnantes ? Nous l’espérons sans y croire ; au reste, et quelle que soit l’importance qui s’attache à ces modifications, ce ne sont pas elles qui doivent préoccuper le plus ceux que touchent l’intérêt et l’avenir de notre puissance maritime. Jusqu’à présent, nos recherches n’ont porté que sur un des élémens de notre marine, l’élément matériel : il en est un autre plus précieux qui ne s’improvise pas, dont la création et l’organisation exigent et le temps et les mesures les plus prudentes, et dont on peut dire qu’il est l’âme de notre flotte : cet élément, c’est le personnel de nos officiers. Dans quelles conditions est-il appelé à vivre, à se développer, quel est l’avenir que ces conditions lui imposent ?

Cet élément si essentiel, tel qu’il existe aujourd’hui, est à la hauteur de tout ce que la patrie peut lui demander. Ses preuves, il les a faites il y a moins de trois ans, et nos officiers de tout grade sont sortis à leur honneur de toutes les tâches, si rudes, si difficiles fussent-elles, que leur imposèrent nos malheurs. La France ne l’a pas oublié ; raison de plus pour qu’elle n’oublie pas à quelles conditions elle les retrouvera, tels qu’ils se montrèrent à cette époque à jamais néfaste, le jour où elle fera un nouvel appel, je ne dirai pas à leur patriotisme, à leur abnégation, à leur dévoûment, — ces qualités vivent toujours en eux, — mais à leur science professionnelle, à leur expérience, à leur esprit militaire ; ces conditions dussent-elles exiger les plus pénibles sacrifices, ils sont prêts à les accepter. Lorsqu’à la tribune nationale on a parlé de leur découragement en laissant croire que ce découragement tenait à des ambitions déçues, à des espérances d’avancement devenues irréalisables, on s’est mépris : le découragement pouvait être vrai, mais non le motif qu’on lui assignait. Ce que veulent nos officiers, c’est avant tout ne pas déchoir de leur passé, c’est servir utilement la France, c’est avoir les moyens de répondre à son attente au jour de la lutte, et leur découragement vient de ce que, dans les conditions qui leur sont faites, ces généreuses ambitions leur sont interdites.

L’homme de mer, l’officier de marine, ne se forme qu’à la mer. C’est le principe sur lequel chacun est d’accord, ceux qui affirment que la guerre future sera une guerre d’escadre, ceux qui pensent qu’elle sera une guerre de course. Or, dans l’état actuel de notre marine, s’il est un fait évident, c’est que cette école suprême manque à nos officiers, et que, dans la situation que nous lègue le passé, il n’en peut être autrement. L’annuaire de la marine pour 1873 établit que le personnel de nos officiers se décompose ainsi : 118 capitaines de vaisseau, 264 capitaines de frégate, 721 lieutenans de vaisseau, 507 enseignes. Le même recueil officiel donne la liste des bâtimens à la mer et la composition de leurs états-majors. Ces états-majors dans leur ensemble, en y faisant entrer les vaisseaux-écoles, les emplois aux colonies, comprennent 22 capitaines de vaisseau, 52 capitaines de frégate, 227 lieutenans de vaisseau, 258 enseignes, ce qui donne une proportion d’un cinquième des capitaines de vaisseau et capitaines de frégate, un peu moins d’un tiers des lieutenans et un peu plus de la moitié des enseignes servant hors de France, la durée des commandemens et des embarquemens étant de deux années. En supposant toute justice, il s’ensuit que l’officier supérieur qui vient de quitter la mer doit s’attendre à rester dix ans à terre avant d’être rappelé à un service actif, que les lieutenans de vaisseau et enseignes attendent dans un port ou en congé, les premiers au moins quatre ans, les seconds deux années avant de se retrouver en tête de la liste d’embarquement. Qu’il n’en soit pas tout à fait ainsi dans la pratique pour les lieutenans et enseignes, nous l’admettons en faisant la part du choix ; mais alors la durée est plus grande pour les autres, et il y a compensation sur l’ensemble. Quant aux officiers supérieurs, aux capitaines de vaisseau surtout, qui ne doivent leur grade qu’à leur mérite, puisque l’ancienneté n’y donne aucun droit, et qui par suite sont censés avoir les mêmes titres auprès du ministre, il serait assez difficile de deviner pourquoi les uns seraient préférés aux autres, et le terme de dix années reste bien celui pendant lequel ils sont condamnés à l’inaction ou tout au moins à ne pas reprendre la mer. Qu’un tel état de choses demande un remède énergique et qu’il y aille de la valeur de notre corps d’officiers, c’est ce dont il est impossible de douter ; plus que jamais, à notre époque de transition, le principe est vrai que l’homme de mer ne se forme qu’à la mer. Quel est le remède à ce mal profond ?

Quelles que soient les révolutions imminentes dans notre établissement naval, on peut regarder comme certain que le personnel actuel, calculé pour une époque où l’escadre d’évolutions, une escadre composée d’au moins dix vaisseaux de ligne, était une institution permanente, où chacune de nos stations navales, plus nombreuses qu’aujourd’hui, comportait un plus grand nombre de bâtimens, sera toujours trop considérable en regard des navires que nous entretiendrons à la mer. C’est en effet la conséquence d’une révolution radicale sur laquelle il n’y a plus à revenir, celle qu’a produite la substitution de la marine à vapeur à la marine à voile. Le mal est général et la situation à peu de chose près identique pour toutes les marines qui ont un passé, et notamment pour la marine anglaise. Sir John Elphinston, dans la discussion du budget de la marine en 1873, établissait que, malgré les mesures prises pour diminuer le nombre des officiers en non-activité, la proportion de ces officiers se traduisait par les chiffres de 63 pour 100 pour les capitaines de vaisseau, de 49 pour 100 pour les capitaines de frégate, 33 et 35 pour 100 pour les lieutenans de vaisseau et lieutenans chargés de la route. « Il est certain, répondait le premier lord de l’amirauté, qu’il y a trop d’officiers de marine, et qu’il faut en diminuer le nombre, non par motif d’économie, puisque la pension allouée aux officiers qui se retirent est plus élevée que leur demi-solde, mais dans l’intérêt du service. Il est en effet très fâcheux qu’un grand nombre d’officiers soient laissés en inactivité forcée à une époque où, par suite du développement des applications mécaniques, un officier n’est plus au courant, s’il est resté deux ou trois ans à terre. » Ces paroles montrent que l’amirauté anglaise non-seulement s’est préoccupée du mal, mais encore que, repoussant toute idée d’économie, elle y a cherché un remède dans l’offre d’une pension de retraite supérieure à la solde à terre, assez élevée enfin pour décider les officiers qui surchargent la liste à abandonner volontairement le service actif. Cette mesure, décidée depuis plus de trois ans, a été insuffisante ; appliquée à notre marine, serait-elle plus efficace ? Nous ne le pensons pas. Quels que soient les avantages qui leur seraient offerts, bien peu de nos officiers accepteraient de plein gré ces avantages comme une compensation à l’abandon d’une carrière qu’ils aiment pour les nobles ambitions, les satisfactions élevées qu’elle leur promet.

Cependant le mal presse, et il faut aviser. Transformer, comme on l’a proposé, une partie de nos officiers de marine en commandans des troupes de défense de notre littoral, serait tourner la question et nullement la résoudre, si ces officiers gardaient leurs droits à l’embarquement. Ramener par la voie si lente de l’extinction les cadres, non pas même aux chiffres qui leur ont été fixés en 1871, et qui sont encore trop élevés, mais aux proportions normales, qui, en satisfaisant aux exigences de la guerre, permettraient à nos officiers pendant la paix d’être le plus longtemps possible à la mer, leur seule école, ce serait méconnaître la gravité du mal et lui laisser le temps de produire ses effets les plus désastreux. Nous croirions faire une large part aux exigences de la guerre en supposant qu’elle nécessiterait la présence à la mer de 30 capitaines de vaisseau, de 100 capitaines de frégate, de 4OO lieutenans de vaisseau, de 300 enseignes ; dès lors, en nous reportant à la situation actuelle, le chiffre normal de chacun des cadres semble devoir être : 60 capitaines de vaisseau, 150 capitaines de frégate, 600 lieutenans de vaisseau, 450 enseignes ; ces chiffres impliquent des réductions considérables.

Quand on lit attentivement la discussion du 5 décembre 1872, où la question fut incidemment soumise à l’assemblée nationale, on voit que la discussion a porté avant tout sur la situation financière : la poursuite d’économies insignifiantes a sûrement entraîné la majorité, mais la question n’a pas été traitée à fond. « Si vous voulez conserver notre marine, disait en terminant l’éloquent défenseur du maintien des cadres actuels, consentez, je le veux bien, à quelques réductions sur le matériel, mais, je vous en conjure, ne touchez pas au personnel, car c’est l’âme même de notre puissance. » Oui, sans doute, c’est l’âme de notre marine, et c’est pour cela même qu’il faut que notre personnel ait les moyens de se maintenir à la hauteur de sa tâche, c’est-à-dire de naviguer, de vivre comme autrefois à la mer, et c’est pour cela qu’il est nécessaire de le réduire, puisqu’on ne peut augmenter le nombre des navires composant notre flotte active, que par une singulière inconséquence vous consentez vous-même à diminuer encore. C’est parce que, si ce personnel est trop nombreux, comme le disait avec une fermeté méritoire le vice-amiral Pothuau, « ce personnel, qui a besoin d’être marin et exercé, ne trouvant plus que rarement l’occasion de naviguer, désapprend son métier, » qu’il faut y toucher d’une main ferme autant que juste, et le ramener, si ce n’est par d’autres moyens, par une réduction des cadres, à ses proportions normales, celles qui lui permettront de garder la valeur qu’il a aujourd’hui et qu’il perd chaque jour. Les chiffres que nous avons établis sur des documens officiels, ces dix années d’inaction à laquelle sont aujourd’hui condamnés les cinq sixièmes de nos officiers supérieurs, parlent plus haut que les phrases les plus éloquentes.

Combien plus sage, plus pratique, est la conduite de la chambre anglaise ! Là aussi on se préoccupe de l’économie et surtout du bon emploi des deniers publics, là personne ne s’élève contre cette vérité, « qu’il y a trop d’officiers de marine, qu’il faut en diminuer le nombre à une époque où trois ans passés à terre suffisent pour qu’un officier ne soit plus au courant, » et sans phrases on cherche les moyens d’aviser à une situation dont chacun reconnaît la gravité, mais en restant dans la raison des choses, c’est-à-dire en sauvegardant dans la mesure du possible et les titres acquis des officiers et les intérêts supérieurs de la marine nationale. Il y a là pour nous une leçon et un exemple, et comme le danger qui menace notre marine est plus sérieux que celui de la marine anglaise, — il n’y a qu’à comparer les chiffres que nous avons cités, — comme chez nous la marine n’a pas les racines puissantes qu’elle a chez nos voisins, il faut agir de la même façon, mais avec plus de décision encore. Une seule voie nous paraît sûre : offrir à tous ceux de nos officiers qui se décideraient à prendre leur retraite une pension égale à leur solde à terre, et si, comme en Angleterre, les retraites volontaires ne sont point assez nombreuses pour ramener les cadres à leurs proportions normales, trancher dans le vif, imposer cette retraite aux officiers qu’une raison quelconque fera au chef de l’état le devoir de sacrifier à cette grande chose qu’on oublie trop de nos jours et qui prime tout, l’avenir, le salut de la France.

Ces mesures, dont il nous semble difficile de contester l’urgence, seront-elles prises ? ne paraîtront-elles pas trop radicales, trop absolues, même à ceux qui n’en contesteraient ni la nécessité ni la légitimité ? Les Richelieu à la main de fer, les Colbert à « l’âme de marbre, » marchant impassibles à leur but sans se soucier d’autres considérations que le bien de l’état, sont peut-être impossibles en France à notre époque ; leur volonté puissante se briserait contre l’ignorance servie par le nombre, le véritable souverain, ou contre un faux respect de la justice envers les personnes, thème propice à de brillantes amplifications. Nos capitaines resteront-ils donc, comme par le passé, sans occasion de retremper à la mer leur vieille expérience, nos officiers continueront-ils à user leur jeunesse dans la vie énervante des ports ? Et si l’énergie, le dévoûment, le sacrifice de la vie même, sont inutiles sans cette science qu’ils ne peuvent acquérir ou conserver, le jour où la patrie les rappellerait à sa défense donneront-ils en vain et leur énergie, et leur dévoûment, et leur vie même ?


T. Aube.
  1. The naval Prospects of France, Colburn’s Magazine, septembre 1872.
  2. Voyez la Revue du 15 août 1871.
  3. La Question du décuirassement, par M. le vice-amiral Touchard.
  4. Lecture sur la tactique navale, par le lieutenant Semechkin, traduit du russe par M. de La Planche, capitaine de frégate. — Revue maritime, août 1869.
  5. Amiral Bourgois, Mémoire sur la giration des navires.
  6. De Penfentenyo, Introduction à la tactique navale.
  7. Après l’opinion de M. le vice-amiral Touchard, il nous paraît utile de citer ici les conclusions d’un livre remarquable à plus d’un titre, la Marine cuirassée, par M. Dislère. « Un jour viendra, dit l’auteur, où nos flottes nous seront de nouveau nécessaires, où, laissant de côté des idées de philanthropie qu’on nous a appris à oublier, il faudra lancer sur toutes les mers du globe des croiseurs, nous voudrions pouvoir dire des corsaires, où nos garde-côtes auront à faire respecter nos rivages, et nos escadres de guerre à défier celles de l’ennemi ; mais ce jour-là, nous n’hésitons pas à le dire, ce ne seront pas des navires cuirassés qui soutiendront l’honneur du pavillon national ; c’est cette flotte de l’avenir que, sans tarder, il est nécessaire de songer à constituer. »