L’Avenir (Verhaeren)

Les Flammes hautesMercure de France (p. 11-14).


L’AVENIR


I

Mon cœur qui choit, mais se relève
S’est élancé d’un bond puissant
Vers un futur éblouissant
Tel que le veut créer mon rêve.

Je sais ce qu’il m’en faut bannir :
Bonheur trop sûr ; clarté trop forte ;
Mais doute, excès, périls, qu’importe,
J’ai la ferveur de l’avenir.


Depuis qu’on ne croit plus en somme
Qu’au gré des saints, qu’au nom des dieux
Se fait le sort impérieux,
Les siècles sont aux mains des hommes.

C’est eux qui éclairent demain
Avec les feux et les lumières
Qu’après les affres de la guerre
Gardent encor leurs cœurs humains

Leurs cris, leurs vouloirs et leurs actes
Ébauchent tous, par le menu,
Ce vaste et tragique inconnu
Plein de ténèbre encor compacte,

Mais qui groupe si bien les vœux
Autour de son puissant mystère
Que vers lui montent les prières
Que leurs pères jetaient aux dieux.


II

Non ce n’est plus sur une grève
Tel Paradis hospitalier
Au repos lourd et régulier
Que l’avenir est pour mon rêve.

Mais bien l’intrépide cité
Où toute âme se ravitaille
Dans son incessante bataille
D’un haut désir d’intensité,

Où surabonde le génie
Qui vole à l’univers distrait
Les plus profonds de ses secrets
Et son aveugle hégémonie,


Où tout vieux texte est refondu
Au feu de plus strictes études,
Où tout est force et promptitude
Autour des dangers suspendus,

Où le penseur ligue et entraîne
D’autres esprits en son élan
Dès qu’il hausse de plan en plan
Vers la règle, l’entente humaine.

Si bien que l’homme est maître enfin
Et de lui-même et de la terre
Et que son front autoritaire
Masque le front du vieux destin.