Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/2

AVERTISSEMENT.

La maniere ſinguliere dont le Comte de Champagne punit les voleries & l’inſolent orgüeil d’Artaut, auroit de la peine à ſe faire croire, ſi l’on n’avoit pour garand de ce fait hiſtorique un Auteur tel que le Sire de Joinville.

C’eſt dans ſes Mémoires de la Vie de Saint Louis que cet Hiſtorien auſſi exact que ſincere parle de l’avanture d’Artaut telle qu’on la rapporte ici. On peut voir ſon dixiéme Chapitre au ſujet de l’accommodement que fit S. Loüis entre la Reine de Chypre & Thibaut Comte de Champagne. Joinville y ſait l’éloge de Henry ſurnommé le Large, ayeul de Thibaut, & raconte par occaſion le Don que Henry fit de la perſonne d’Artaut à un Gentilhomme qui venoit implorer la libéralité de ce Comte généreux ; trait fort ſingulier, par lequel le Souverain humilia ce Bourgeois ſuperbe, mais le rendit en même-tems plus célébre qu’il ne l’auroit été par tous ſes treſors.

Du reſte on ne s’eſt pas piqué dans cette Nouvelle hiſtorique de marquer exactement, la ſomme à laquelle le Gentilhomme taxa Artaut ; elle étoit très-conſidérable en ce temps-là, & paroîtroit des plus médiocres en celui-ci. Il ſuffit que ce fut la punition de ce riche & avare Champenois, qui a laiſsé ſon nom à Nogent l’Artaut.

L’AVARE PUNI

OU
LE DON GÉNÉREUX
DU COMTE
DE CHAMPAGNE.
NOUVELLE HISTORIQUE
EN VERS.
À Madame SOLU.

Gracieuse Solu, charmante & chere Amie,
     Avec la plus ſincere ardeur,
   Mon amitié pour vous eſt ſi bien affermie
 Juſque dans le fond de mon cœur,
Qu’une amitié ſi tendre & ſi fidelle
Oſe aſpirer à vous rendre immortelle.

Votre eſprit, vos vertus, vos rares qualitez
Me rediſent cent fois que vous le méritez.
Que n’ai-je une plume plus belle !
Que n’ai-je plus reçu de faveurs d’Apollon,
Pour éterniſer votre nom !
Chez nos derniers neveux il eſt digne de vivre ;
Mon zele au moins que j’aime à ſuivre,
Le place, illuſtre Amie, à la tête d’un Livre
Où je cherche à mettre en leur jour
Défauts & vertus tour à tour,
Et qui par tout vivement blâme
Un vice que hait tant votre belle & grande ame.

Dans les divers, déreglemens
Dont l’eſprit humain eſt capable,
À mon gré l’Avarice eſt le moins pardonnable,
Le plus propre à porter aux grands égaremens.
Un Avare eſt toujours d’une humeur âcre & noire,
De ſon eſprit gâté le bon ſens eſt banni ;
Ces Vers contiennent une Hiſtoire
Où l’on voit ce défaut sévérement puni.
Puiſſiez-vous approuver les leçons de morale
Qu’en badinant ma Muſe étale.
peu de fiction entre dans mon projet,
Joinville, qui d’un Roy tout rempli d’un ſaint zele
Nous traça l’hiſtoire ſidelle,
Dans ſes naïfs écrits m’a fourni mon ſujet.

Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/8 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/9 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/10 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/11 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/12 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/13 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/14 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/15 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/16 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/17 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/18 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/19 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/20 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/21 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/22 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/23 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/24

Je vous accepterois volontiers pour époux
Mais fans cela, point de nouvelle :
Me donner votre foi ? c’est pure bagatelle ;
Je ne voudrais pas l'accepter.
Elle se tut ; puis dit ; Que venez-vous conter ì
Et bien, oui, plus que vous je l'aime,
Il est riche, & posé, sage dans ses discours :
Ses honneurs croissent tous les jours,
Et je ne feindrai pas de vous dire à vous-même,
Qu’en dépit de son âge il auroit mes amours,
S’il m’offroit, comme vous, une bonne promesse
Qui me prouvât bien fa tendresse.
Elle se tut encor pendant quelque moment,
Et puis reprit fort brusquement :
Je ris de tels discours : hé bien, bien ! s’il est chiche,
Il deviendra toujours de plus riche en plus riche.
Je le repete encor : Que mon sort seroit doux,
Si du Seigneur Artaut j’avois sçû gagner l'âme’
Jusqu’à me voir un jour sa femme !
Que je serois heureuse avec un tel époux !
Artaut presque tout pâmé d’aise
Sentit l’amour plus chaud que braise
Brûler son cœur pour cet Objet charmant.
Elle (prenant toujours un ton plus véhément)
Poursuivit : Soit ; je vous pardonne
Une entreprise si friponne,
Si vous voulez, mais promptement,
Sortir d’ici si finement,
Que vous ne puissiez être apperçu de personne.
Lors marchant avec bruit, on se mit en devoir
D’ouvrir porte & fenêtre, afin, dit-on, de voir.

Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/26 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/27 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/28 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/29 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/30 Page:L’Héritier de Villandon - L’Avare puni, 1734.djvu/31

  On fait des vœux pour leur félicité,
Et du Prince eu tous lieux on vante la largesse.
    Ernoux est comblé d’allégresse,
    La Suivante en a plus encor
D’épouser un Crésus, qui malgré la ressource
    Qu’on vient de puiſer en sa bourse,
  N’en a pas moins plus qu’il ne lui faut d’or.
  Le seul Artaut accablé de tristesse,
    Outré, déſeſpéré, confus
  De voir ſes tours & ſes vols superflus,
Tombe après son hymen en ſi grande détreſſe,
En telle déplaiſance & tel abattement,
    Qu’il s’en va dans le monument,
    Et laiſſe veuve la Soubrette,
Qui dans le fond du cœur sent un plaisir bien doux
    D’être riche, & si-tôt défaite
    De ſon diſgracieux Epoux.
    Tel fut le deſtin d’un Avare,
    Qui débauché, fourbe, barbare,
Ne ſongea qu’à remplir ſes injuſtes déſirs
  Par la richeſſe & les brutaux plaiſirs.
Quand du vice l’on ſuit les ſentiers pleins de fange,
De nos forfaits Dieu tot ou tard ſe vange.


APPROBATION.

Je ſouſſigné Maître ès Arts en l’Univerſité de Paris, ai lu par ordre de Monſieur le Lieutenant Général de Police un Manuſcrit intitulé : L’Avare puni, &c. dont on peut permettre l’impreſſion. À Paris, ce 21. Septembre 1729.

PASSART.

PERMISSION.

Veu l’Approbation, permis d’imprimer. Le 21. Septembre 1729.

HERAULT.

Regiſtré ſur le Livre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris, Numero 1864 conformément aux Reglemens, & notamment à l’Arreſt de la Cour du Parlement du 3 Decembre 1705 À Paris, le trente Septembre 1729.

P. A. LE MERGIER, Syndic.