L’Australie d’après les récens voyageurs/03

L’Australie d’après les récens voyageurs
Revue des Deux Mondes3e période, tome 23 (p. 866-899).
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L’AUSTRALIE
D’APRES LES RÉCENS VOYAGEURS

III.[1]
LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

I. Australia and New Zealand, by Anthony Trollope, 3 vol. in-8o ; London. — II. New South Wales, the Mother-Colony of the Australias, by G. H. Reid, Sydney 1876. — III. Voyage autour du monde, Australie, par M. le comte de Beauvoir. — IV. Station life in New Zealand, by lady Barker, 1 vol. — V. Station, amusements in New Zealand, by the same. — VI. Les Enfant du capitaine Grant : L’Océan pacifique, par M. Jules verne.


I. — LE PASSÉ DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE. — LA COLONISATION.

Lorsque, après de longues hésitations, le gouvernement anglais se décida à prendre enfin possession des îles connues sous le nom de Nouvelle-Zélande, il les rattacha au gouvernement de la Nouvelle-Galles du sud, et le vocabulaire géographique a confirmé ce caractère d’annexes en les englobant avec les colonies australiennes sous le nom commun aux unes et aux autres d’Australasie. Au premier abord, la Nouvelle-Zélande se présente donc simplement comme un prolongement de l’Australie. Les richesses sont de même nature, les occupations sont les mêmes dans les deux pays. On récolte de l’or dans la province d’Otago et le comté de Westland comme dans Victoria, on élève d’immenses troupeaux de moutons dans les pro, vinces de Canterbury et d’Auckland comme dans la Riverina et les Darling Downs, les mêmes causes de haine divisent sur l’étendue entière des deux îles les squatters et les free selecters en deux classes aussi difficilement conciliâmes qu’elles peuvent l’être dans les diverses colonies australiennes ; enfin la population y jouit librement de sa souveraineté, et ses assemblées y usent du droit de pousser la colonie dans la voie du progrès et de créer une dette publique énorme sans plus de ménagemens que les parlemens d’Adélaïde, de Melbourne ou de Sydney. Cependant, comme il faut, selon le point de la côte où l’on aborde, soit cinq, soit sept jours, pour aller d’un des ports australiens à la Nouvelle-Zélande, une telle distance permet de supposer bien des différences entre des terres aussi largement séparées, et en effet ces différences ont été et sont assez profondément tranchées pour constituer à la Nouvelle-Zélande une histoire à part, lui conserver une originalité marquée, et lui assurer un avenir propre devant lequel pourrait bien pâlir l’étoile jusqu’ici favorable qui préside aux destinées australiennes. Il y a longtemps que l’enlumineur Oderisi exprimait en vers magnifiques dans le Purgatoire de Dante combien rapide est le succès, et comment aucun effort n’est définitif, aussi puissant et heureux qu’il soit. Telle est la loi du progrès même aux antipodes, et c’est pourquoi l’Australie, à peine adulte encore, rencontre déjà une rivale redoutable dans la Nouvelle-Zélande dont les champs d’or sont plus opulens, les terres plus fertiles, les pâturages plus nourris, le climat plus tempéré, les moutons plus prolifiques et la constitution plus républicaine.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont été découvertes par deux fois, à plus d’un siècle de distance, par les mêmes navigateurs et presqu’aux mêmes heures, par Abel Tasman au XVIIe siècle et par Cook dans le dernier tiers du XVIIIe ; mais là s’arrête la ressemblance. On ne saurait trouver deux pays dont l’histoire et la colonisation aient été plus différentes. En 1770, Cook prit également possession de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande au nom de la couronne d’Angleterre, mais tandis que pour l’Australie cette prise de possession fut presque immédiatement suivie d’effet, pour la Nouvelle-Zélande elle attendit à peu près cinquante ans avant de recevoir un commencement d’application. La Nouvelle-Zélande a bien gagné quelque chose, à vrai dire, à cette longue indifférence, car elle lui a dû de n’avoir jamais eu de convicts, et de pouvoir se présenter devant le monde avec une population sans castes de parias ni tache originelle d’aucune sorte. Il est assez, curieux que le gouvernement anglais n’ait à aucun moment songé à faire de la Nouvelle-Zélande une colonie pénitentiaire, ni à l’origine, lorsqu’il était embarrassé pour déterminer l’emplacement des établissemens de cette nature, ni par la suite, lorsque la société australienne grandissante commença à faire entendre ses murmures contre les envois trop multipliés de convicts. Envoyer une population de forçats au milieu d’une population d’anthropophages était pourtant une idée humoristique qui n’eût pas été trop en désaccord avec le génie traditionnel de la vieille Angleterre, et elle aurait certainement souri à cet acre doyen Swift qui proposait si facétieusement des boucheries de viande d’enfans pour diminuer la misère irlandaise et poussait avec une sournoiserie si lugubre le poète Gay à écrire une idylle de Newgate. J’imagine aussi que plus d’un squire anglais du bon vieux temps aurait, over his wine, acclamé de ses rires vigoureux l’original moyen de se débarrasser de la canaille anglaise au profit des estomacs de cannibales ; mais les jours du vieux torysme brutalement conservateur et pur de toute mièvrerie libérale étaient passés sans retour lorsqu’on se) souvint des lies découvertes par Cook. Des humoristes plus humains que le vigoureux misanthrope des Voyages de Gulliver avaient la faveur du public, et le mauvais renom de la Nouvelle-Zélande sauva la future colonie de la flétrissure dont gémit encore l’Australie.

Les colonies pénitentiaires une fois fondées en Australie, survinrent la révolution française et le règne de Napoléon Ier, et les Maoris gagnèrent encore vingt-cinq années d’entière tranquillité et de pratiques anthropophagiques non contrariées aux embarras formidables que ces événemens créèrent à l’Angleterre. Enfin en 1814, lorsqu’il fut à peu près certain que la crise continentale allait trouver une solution, on se souvint de la Nouvelle-Zélande, et ces îles furent déclarées colonie britannique par un acte du gouvernement ; mais cet acte ne fut pas plus suivi d’effets directs que ne l’avait été la prise de possession par Cook, et pendant vingt-six ans encore la Nouvelle-Zélande fut une colonie sans colons. Le gouvernement anglais ne fit rien pour tourner du côté de cette nouvelle annexe de son empire le courant de l’émigration. Cette longue hésitation s’explique par des motifs assez honorables, et l’avenir s’est chargé de montrer qu’elle était légitime. Le Colonial office savait que les Maoris étaient une population guerrière ; il sentait que pour former parmi eux un établissement européen il faudrait de toute nécessité le former à leur détriment, et que la conséquence en serait une guerre d’extermination à toute outrance. Or il lui répugnait précisément d’en arriver à cette guerre d’extermination. Quarante ou cinquante ans plus tôt il n’aurait guère reculé devant une telle extrémité, et il est permis de croire qu’aujourd’hui, après les sanglantes expériences répétées que ses rapports avec les différentes peuplades sauvages l’ont amené à faire, il y mettrait moins de façons ; mais ce courant d’humanité, ou, si l’on préfère, de sentimentalité philanthropique, qui, à la faveur de la paix européenne, fut si puissant sous la restauration et le règne de Louis-Philippe, et qui ne s’est arrêté qu’après avoir obtenu entre autres victoires l’abolition de la traite et celle de l’esclavage, venait alors de naître, et le gouvernement anglais, obligé de compter avec ce courant de l’opinion, préférait s’abstenir, dans la crainte que toute mesure qu’il pourrait prendre ne l’entraînât à des résolutions contraires à ses intentions de bon vouloir et de justice envers les indigènes de la Nouvelle-Zélande. Ce décret de colonisation n’eut donc d’autre résultat pendant de longues années que de permettre à leurs risques et périls les abords de la Nouvelle-Zélande aux Anglais d’espèce aventureuse qui voudraient y aller chercher fortune, renom et même puissance. Des traficans de nature plus ou moins équivoque y vinrent pêcher la baleine ou acheter aux indigènes phormium, peaux de requin et gomme de kauri ; des missionnaires anglicans de zèle excentrique vinrent y distribuer des bibles, et des aventuriers diplomates, autorisés ou non par le Colonial office, y essayer la formation de gouvernemens indigènes dont ils se réservaient d’être les chefs. Ces fréquentations répétées et ces tentatives avortées ne furent cependant pas sans conséquence. Elles finirent par établir un certain commerce régulier avec les Maoris et par leur faire comprendre l’importance du peuple auquel appartenaient les hommes qui trafiquaient avec eux. Sous cette forme première de marchands d’aventure, les Européens leur furent d’ailleurs si sympathiques que non-seulement ils s’abstinrent d’ordinaire de les manger, mais que, les traitant comme des frères, ils associèrent, pour les désigner, leur nom national au mot de pakeha, qui dans leur idiome signifie étranger. Pakehas Maoris est le nom que portent en Nouvelle-Zélande les Européens établis parmi les Maoris, et cette appellation est née de l’époque de rapports irréguliers qui a précédé la colonisation sérieuse.

Cette colonisation, au contraire de celle de l’Australie, fut entièrement l’œuvre de l’initiative sociale qui prit en main l’entreprise, et finit par triompher des scrupules et des résistances du gouvernement anglais. En 1825, une société, la New Zealand company, se forma sous les auspices de lord Durham avec le but avoué d’acheter des terres aux indigènes pour en disposer en faveur de colons anglais. L’association ne put obtenir d’être reconnue par le gouvernement et disparut au bout de quelques années sans avoir rien accompli ; mais elle avait rompu la glace, comme on dit vulgairement, et en 1836 une nouvelle société, la New Zealand association, se forma sous les auspices de M. Francis Baring, futur lord Ashburton. Pas plus que la première, elle ne fut reconnue par le gouvernement, qui vit en elle une société politique beaucoup plus que commerciale. Pendant des années, il s’établit entre le gouvernement anglais et les diverses sociétés qui se succédèrent pour cet objet de la colonisation de la Nouvelle-Zélande un dialogue qu’on peut résumer à peu près en ces termes :

« Nous ne pouvons pas, disait le Colonial office, autoriser une entreprise qui ne pourrait s’effectuer qu’au détriment des Maoris et au mépris des droits qui leur ont été reconnus par la couronne comme possesseurs du sol qu’ils occupent. — Mais comment, répondaient les sociétés colonisatrices, cette entreprise irait-elle à leur détriment, puisque nous nous proposons d’acheter leurs terres et non de les leur prendre ? Si les Maoris sont légitimes possesseurs du sol, ne sont-ils pas libres de le vendre comme nous de l’acheter, et alors en quoi de pareilles transactions sont-elles différentes de celles qui transportent parmi nous la propriété de telles mains dans telles autres ? — Ces transactions sont frappées d’avance d’invalidité, reprenait le Colonial office. Quoique propriétaires du sol, les chefs maoris sont cependant sujets de la couronne. Ils ne peuvent traiter avec vous sans son autorisation d’une part, et tout marché sera nul qu’elle n’aura pas approuvé ; d’autre part, elle n’a pas prévu le cas où les terres cesseraient d’être entre les mains des Maoris, sans cela il est évident qu’elle se les serait attribuées comme elle s’est attribué les terres australiennes, et qu’elle aurait réglé de son propre mouvement ou d’accord avec le parlement les formes sous lesquelles elle pourrait ou devrait s’en dessaisir au profit des particuliers. Ce que vous cherchez équivaut donc à vous substituer aux droits de la couronne et à former une colonie qui ne relèvera en réalité que de vous seuls, sauf le cas où votre entreprise vous créerait des difficultés avec les indigènes. Ce jour-là nous serions certainement appelés à intervenir, soit pour vous prêter main-forte au mépris des engagemens que la couronne a contractés, ce que nous ne voulons pas faire, soit pour vous désavouer, vous nos nationaux, et vous livrer aux représailles que vous auriez méritées, ce que nous ne pourrions pas faire. Aussi, pour nous éviter l’une ou l’autre de ces alternatives, nous vous refusons la charte que vous demandez. »

La ténacité anglaise est connue, et ces refus répétés n’étaient pas pour décourager les promoteurs de cette entreprise. Quelque honnêtes et bien fondés que fussent d’ailleurs les scrupules du gouvernement anglais, il y avait quelque chose de réellement absurde dans l’existence de cette colonie qui était menacée de rester indéfiniment sans colons, parce qu’une poignée de sauvages se trouvaient les premiers occupans d’un sol qu’ils étaient impuissant à cultiver, et les personnages considérables qui avaient formé ces diverses sociétés colonisatrices profitèrent habilement de la fausse position où restait placé le Colonial office. En 1839, nouvelle société, et celle-là définitive, sous les auspices de lord Durham. Parmi ses membres se trouvait un homme d’une activité d’esprit remarquable gai, dans ces années-là, s’était dévoué corps et âme à l’œuvre de la colonisation, non-seulement pour la Nouvelle-Zélande, mais pour les parties encore inoccupées de l’Australie, M. Gibbon Wakefield.

Tête à projets, utopiste pratique, M. Gibbon Wakefield, tel qu’il nous est dépeint par M. Trollope, se présente à nous sous les traits originaux d’un William Penn homme d’affaires. On le rencontrait partout où il y avait une colonie à former, avec un plan tout préparé, qu’il consentait à modifier ou à transformer, pourvu que son idée fixe triomphât, car il paraît avoir été sans scrupules méticuleux sur le choix des alliés et des moyens ; cette affaire de la Nouvelle-Zélande en fut une preuve manifeste. Ce fut lui qui força réellement la main au gouvernement anglais en poussant la compagnie de la Nouvelle-Zélande à se passer de l’autorisation du Colonial office, Malgré la défense de lord John Russell, un navire d’émigrans, appartenant à la compagnie, mit à la voile au mois de juin 183,9 pour la Nouvelle-Zélande, sous la direction du colonel Wakefield, le propre frère de M. Gibbon Wakefield. L’usurpation qu’avait redoutée le Colonial office s’accomplissait donc audacieusement ; la compagnie allait créer une colonie qui ne relèverait en réalité que d’elle seule. Ainsi poussé dans ses derniers retranchemens, le gouvernement anglais se décida enfin à proclamer la Nouvelle-Zélande partie de la Nouvelle-Galles du sud et relevant de son gouvernement, et il envoya sans délai le capitaine Hobson pour y représenter l’autorité légitime sous le titre de lieutenant-gouverneur.

Entre l’arrivée du navire de la New Zealand land company et celle du capitaine Hobson, il s’écoula cependant près de six mois, et les usurpateurs mirent ce temps à profit. Ils se hâtèrent Cacheter aux indigènes, autour de la baie de Wellington, première ville fondée par les colons et future capitale de la Nouvelle-Zélande, d’énormes étendues de terre, moyennant quelques cargaisons de marchandises ridicules, petits miroirs, brosses et pinceaux pour la barbe, cire à cacheter et autres précieuses denrées. Le premier acte du capitaine Hobson en arrivant en Nouvelle-Zélande fut de prendre une mesure qui, sans annuler absolument les marchés conclus par Wakefield et ses compagnons, les soumettait à une vérification prochaine. Il convoqua dans une localité nommée Waitangi une assemblée de quarante-six chefs et de cinq cent douze Maoris notables, et conclut avec eux un traité fameux dans l’histoire de la colonie, car îl est encore aujourd’hui la base du droit public en Nouvelle-Zélande. Par ce traité, les Maoris reconnaissaient la reine d’Angleterre comme leur souveraine, et la reine en retour s’engageait à protéger les tribus, et leur garantissait la possession des terres des deux îles dont elle les reconnaissait légitimes propriétaires. Par suite de ce traité, les marchés conclus antérieurement par les colons avec les chefs indigènes furent soumis à révision, et il fut avéré après enquête que, sur les 45 millions d’acres qu’ils prétendaient avoir acquis, il y en avait plus des trois quarts dont les titres étaient nuls de droit, ces terres ayant été payées de prix dérisoires ou achetées à des vendeurs qui n’avaient nulle autorité pour en disposer. La plupart des terres furent donc rendues aux tribus qui les avaient perdues, et l’on put croire que la jeune colonie fondée sur ces bases de justice pourrait se développer en paix et vivre en bonne intelligence avec les indigènes. Cette illusion fut de courte durée.

On peut s’étonner de voir le gouvernement anglais reconnaître aux Maoris ce droit de propriétaires comme premiers occupans, tandis qu’il ne l’a jamais reconnu aux aborigènes australiens. C’est que les Maoris, tout cannibales qu’ils sont, composent une population des plus braves et des plus intelligentes, tandis que les indigènes australiens composent une population aussi bestiale que peu redoutable, en sorte que cette justice apparente montrée aux Maoris n’a été au fond autre chose que la crainte de la force, ce qui prouve qu’il est bon même pour un sauvage d’avoir les moyens de se faire respecter. Soyez anthropophages, mais forts, et l’un des plus puissans gouvernemens de ce monde vous traitera avec déférence ; soyez inoffensifs, mais stupides et faibles, et vous serez écrasés sans pitié. Voilà qui justifie passablement le mot de l’Écriture : « En vérité, en vérité, je vous le dis, à celui qui a il sera donné par surcroit, et à celui qui n’a pas il sera ôté même ce qu’il a » Plus d’un ministre anglican de ces régions australiennes pourrait prendre, ce nous semble, ce texte pour sujet d’une de ses instructions religieuses.


II. — LES MAORIS.

De toutes les différences qui séparent la Nouvelle-Zélande de l’Australie, les Maoris sont certainement la plus considérable et la plus tranchée. Qu’ils sont une population polynésienne, de race malaise, venue des îles des Navigateurs, ou peut-être même des îles Sandwich, comme leur langage, paraît-il, en porte témoignage, cela est bien connu ; ce qui l’est moins, c’est que leur immigration est de date relativement fort récente. On peut calculer ; dit M. Trollope, par la succession des chefs dont les noms ont été tenus en mémoire par la tradition, qu’elle ne remonte pas plus haut que le commencement du XVe siècle. En un sens cependant, ils peuvent être appelés indigènes, car ils paraissent bien avoir été les premiers habitans de la Nouvelle-Zélande. Ici nous ne sommes plus en présence des stupides aborigènes australiens ; par son intelligence et sa bravoure, cette population maorie peut être regardée comme la première en tête de toutes les races sauvages ; mais cette bravoure qui va comme d’un bond jusqu’à la plus excessive férocité, et cette intelligence qui frise la perversité, communiquent à toutes ses actions quelque chose de véritablement diabolique bien fait pour donner raison à cette opinion de certains vieux théologiens qui voyaient dans les sauvages des sujets et des serfs de Satan. Durant ses excursions dans les régions du nord, on montra à M. Trollope une île placée dans un lac, où, selon la légende locale, une jeune fille maorie, renouvelant l’exploit de Léandre, se rendit jadis à la nage en entendant les sons de la flûte de son amant. C’est une légende toute gracieuse, n’est-il pas vrai, et qui rappelle au souvenir ces filles d’Otahiti venant à la nage, couronnées de fleurs, au-devant des matelots européens ; malheureusement il nous faut ajouter un tout petit détail qui fait, avec le reste de l’histoire, une dissonance lugubre, c’est que cette flûte était formée d’un tibia humain probablement dépouillé de ses chairs enveloppantes pendant un repas de cannibales. Il y a de la poésie dans les mœurs et les actions des Maoris ; mais cette poésie est invariablement marquée d’une teinte sinistre, et la légende que nous venons de rapporter en est une parfaite image. M. Jules Verne, dans une de ces amusantes vulgarisations dramatisées des résultats de la science et des explorations : géographiques modernes dont il est l’ingénieux inventeur, a rendu avec intelligence ce caractère sinistre de la population maorie, et a réussi à en tirer quelques effets de terreur très suffisamment saisissans, même pour un lecteur blasé sur les émotions littéraires.

La coutume de l’anthropophagie est la détestable racine de cette poésie empoisonnée. On sait les scènes effroyables dont ces îles ont été le théâtre depuis deux siècles, et combien les équipages de Tasman et de Cook, et surtout celui de l’infortuné Marion de Frêne, ont eu à payer chèrement leur gloire d’explorateurs. Cette coutume est abominable ; mais, en vérité, nous serions presque tenté de l’excuser tant les conditions particulières dans lesquelles se sont trouvés les Maoris nous en font toucher du doigt la raison d’être naturelle et quasi légitime. La Nouvelle-Zélande se distingue par une absence absolue de faune. Pas d’opossums et de kangourous auxquels on puisse faire la chasse comme en Australie, et sauf une certaine variété de rats dont les naturalistes, paraît-il, nient même le caractère indigène, pas d’autres représentans de la vie animale qu’un certain nombre de genres d’oiseaux. C’est aux oiseaux que ces îles semblent avoir appartenu sans partage jusqu’à l’arrivée des Européens. Jadis, le roi de ces solitudes était une sorte de casoar gigantesque, mesurant douze ou treize pieds de haut, le moa, disparu depuis des siècles, — bien qu’il ne soit pas tout à fait certain que les premiers Maoris n’en aient pas connu et mangé les derniers survivans, — et dont on peut voir le squelette au musée de la ville de Christchurch, dans la province néo-zélandaise de Canterbury. Si les Maoris avaient apporté avec eux cette coutume, un tel pays n’était pas pour la leur faire oublier, et s’ils ne l’avaient pas encore, il était au contraire bien fait pour la créer. C’est Théophile Gautier, je crois, qui s’est amusé à soutenir un jour qu’il n’y avait pas d’animaux féroces, parce que la faim seule était la cause de leur férocité ; on pourrait, sans paradoxe aucun, soutenir la même thèse à propos de l’anthropophagie, qui atteste bien plutôt la faim et la rareté de nourriture, qu’elle n’atteste un instinct pervers inné chez les races sauvages qui la pratiquent. Que pouvaient faire les Maoris sans aucun des animaux qui servent à la nourriture de l’homme, sans autre gibier qu’un gibier ailé, de volume insuffisant, proie précaire qui fuyait devant leurs frondes et leurs flèches, sinon se manger quelque peu entre eux ? On ne peut raisonnablement exiger de sauvages vigoureux et sans vie morale qu’ils pratiquent le régime pythagorique comme des membres américains de la Société des légumistes, et nous avons vu dans une de nos études précédentes que les aborigènes australiens, après une diète exclusivement végétale de quelques mois, revenaient presque invinciblement à l’anthropophagie par le besoin d’une nourriture plus forte.

Pour si exécrable que soit cette coutume, elle est au fond peut-être moins faite pour attrister que certains de nos vices, à nous civilisés, car elle n’est pas un crime volontaire du libre arbitre et ne dénonce que la misère primitive de l’homme ; c’est chose qui intéresse le naturaliste et le physiologiste bien plutôt que le philosophe et le théologien. Est-il bien vrai d’ailleurs qu’elle soit plus loin de nos instincts que de ceux des races sauvages, et ne la voyons-nous pas surgir aussitôt qu’apparaît la nécessité matérielle qui lui a donné naissance, dans les naufrages, dans les sièges, dans les temps de disette ? Pendant la famine qui sévit, il y a quelques années, sur certaines tribus africaines, l’anthropophagie ne se déclara-t-elle pas aussitôt, non par cas exceptionnels, mais comme une sorte de fléau qui s’étendit soudainement sur toute la population ? Nos lecteurs connaissent de longue date les histoires des sièges de Jérusalem par Titus, de Paris par Henri IV, de Sancerre par le maréchal de La Châtre, mais beaucoup d’entre eux ignorent peut-être que pendant les années qui virent l’agonie carlovingienne on étala publiquement, à plusieurs reprises, de la viande humaine au marché de Tournus en Bourgogne, et qu’il y a eu ainsi un jour dans nos annales où l’anthropophagie s’est montrée chez nous, cyniquement, en plein soleil, cherchant à s’établir comme chose de droit. La morale de tout cela, c’est que les civilisés devraient s’abstenir de prendre trop prétexte de leur supériorité pour écraser les races sauvages, car elles sont certainement dans la plupart des cas plus près de nos vertus que nous ne sommes loin de leurs vices.

Lorsqu’une nécessité matérielle s’est prolongée assez longtemps pour engendrer une coutume, il arrive parfois qu’une sorte de progrès diabolique s’en mêlant, il s’y introduit des raffinemens d’une perversité effroyable, et tel est le cas des Maoris qui sont anthropophages, non pas brutalement, mais en gourmets et avec délices. Ils ne mangent la chair de leurs semblables que cuite ou fumée, ils ont leurs délicatesses culinaires particulières, leurs morceaux de choix et de préférence, par exemple, les yeux et le cerveau, ainsi qu’en témoigne ce fragment d’un chant de guerre cité par M. Trollope : « Oh ! mon petit enfant, pourquoi criez-vous, pourquoi pleurez-vous ? Est-ce pour appeler votre nourriture ? La voilà pour vous, c’est la chair d’Hekumanu et de Werata. Quoique je sois rassasié des délicates cervelles de Putu Rikiriki et de Raukauri, cependant telle est ma haine que je veux me gorger encore de celles de Pau, de Ngaraunga, de Pipi, et de ce morceau friand pour moi par-dessus tous les autres, la chair du détesté Teao. » Ce petit fragment, qui ne laisse certes rien à désirer pour la férocité, nous suggère encore une sorte de demi-excuse de l’anthropophagie. Les habitans des îles Sandwich croient que la force de l’ennemi vaincu passe dans son vainqueur ; les Maoris, qu’on dit originaires de ces îles, partagent la même croyance ; seulement cette sorte de transsubstantiation est chez eux aussi matérielle que possible, et c’est la vie même de l’ennemi vaincu qui passe en eux avec son sang et sa chair. Que cette croyance est psychologiquement aussi vraie que profonde, cela, est incontestable, mais qui peut dire jusqu’à quel point elle n’est point fondée matériellement ? Buffon prétend que le loup, bête aussi lâche que féroce, devient réellement intrépide lorsqu’il a une fois tâté de la chair humaine, et que la superstition du loup-garou a eu sa première origine dans les exploits homicides de certains de ces animaux qui s’étaient repus de la grasse chère des champs de bataille. N’est-ce pas exactement le même phénomène qui s’accomplit chez les cannibales, véritables loups-garous de l’humanité, dont la férocité s’accroît avec chacun des horribles repas qu’ils gagnent par le carnage, et n’est-il pas probable, en conséquence, qu’une bonne partie de cette vaillance des Maoris, dont les solides soldats anglais ont eu tant de fois à faire la cruelle expérience, doit être rapportée à l’anthropophagie ? Combien la certitude d’être mangé si l’on est vaincu doit ajouter au sentiment de la conservation personnelle, et combien l’espoir pervers de dévorer son ennemi doit ajouter d’entrain frénétique à la furie du combat ! L’anthropophagie est une dépravation, mais la bravoure est une vertu, même quand elle est la fille d’une telle mère, et cela prouvera, si l’on veut, que Hegel et M. Azaïs ont eu raison l’un et l’autre, quand ils ont avancé, le premier que toute chose appelle et engendre son contraire, et le second qu’il n’est rien qui n’ait sa compensation.

Toute tenace cependant que soit cette coutume par les instincts de férocité qu’elle aiguise et par l’horrible gourmandise qu’elle crée, elle avait diminué sensiblement au contact des Européens, et il était permis d’espérer que la civilisation en viendrait à bout, lorsque la politique des chefs maoris en lutte avec le gouvernement colonial lui a donné une recrudescence malheureuse par suite d’une réaction inventée comme machine de guerre contre les Européens, Nous parlerons dans un instant de cette réaction qui, tout odieuse qu’elle soit, n’est pas sans faire honneur à la sagacité et à l’intelligence de ses promoteurs. Toutefois cette recrudescence s’est bornée aux régions exclusivement occupées par les Maoris qui ont rejeté le gouvernement de la reine pour adopter un roi de leur nationalité, de sorte que l’anthropophagie est ainsi comme emprisonnée et tenue en état de siège ; d’ailleurs la jeune Zélande, c’est-à-dire les chefs plus ou moins entourés par la civilisation et amis plus ou moins sincères du gouvernement anglais, fait volontiers étalage de sa conversion à cet égard. M. Trollope venant à parler de Rauparaha, un terrible chef maori, auteur d’un affreux massacre de colons, nous donne sur ce sauvage et sa descendance les curieux détails suivans. « Ce Rauparaha avait été un grand cannibale et un horrible fléau pour les Maoris de l’île du Milieu, dont il avait dévoré bon nombre ; mais il avait une grande réputation de sagesse, et il sut s’arranger après toutes ses difficultés tant avec les Maoris qu’avec les blancs pour mourir dans son lit à une vieillesse avancée. J’eus le plaisir de me trouver avec son fils à la table du gouverneur, et de jouer avec lui au volant dans la salle de notre hôte. Ce nouveau Rauparaha est aussi un homme puissant parmi les Maoris, et il est en termes très amicaux avec les blancs. On dit de lui qu’il a tué des hommes, mais qu’il n’en a jamais mangé ; on dit de son père qu’il avait tué des hommes, et qu’il les avait mangés, — et il en avait certainement mangé beaucoup ; — mais on dit de son grand-père qu’il avait tué des hommes, qu’il les avait mangés, et qu’ensuite il avait été lui-même tué et mangé comme un vrai guerrier maori du bon vieux temps qu’il était. » Ce sont les trois générations de burgraves de M. Victor Hugo, transportés en Nouvelle-Zélande et transformés de la manière la plus amusante et la plus heureuse.

Outre l’anthropophagie, les Maoris ont un certain nombre de coutumes qui ont étonné tous les voyageurs, mais qui, je le crois bien, sont pour un philosophe plus singulières en apparence qu’en réalité. De ce nombre est la coutume bien connue du tabou. Certains lieux, certaines personnes, certains objets sont tabou, c’est-à-dire qu’il est interdit de toucher aux uns et d’approcher des autres. Les lieux de sépulture, les temples, les prêtres et les chefs, tels ou tels alimens sont tabou. Voilà qui au premier abord paraît fort plaisant, et ressemble aux interdictions dont Sancho Pança eut à souffrir dans son île de Barataria ; il nous semble cependant que sans beaucoup de recherches il serait facile de trouver parmi nous les analogues de cette coutume. Les choses et les personnes tabou, c’est-à-dire sacrées dans un bon ou dans un mauvais sens, sacrées par l’effroi ou par le respect, maudites ou bénies, ont abondé et abondent encore dans nos civilisations. Certains alimens sont tabou ; mais qu’étaient les animaux impurs chez les Juifs, que sont les boissons fermentées chez les musulmans, qu’était-ce que l’interdiction de la viande de cheval par les prêtres chrétiens chez les peuples du nord ? Les églises étaient tabou au premier chef au moyen âge, elles le sont encore à un certain degré. L’excommunication était le tabou porté à sa dernière puissance. Les prêtres dans l’église catholique, par le fait de l’absolue consécration à Dieu, ont un caractère tabou qui écarte d’eux la familiarité, et entoure leurs personnes d’un respect qui, chez le peuple, confine souvent à l’effroi. Les chefs maoris sont tabou, mais il n’y a pas là de quoi beaucoup surprendre les Anglais, dont le souverain est inviolable de par la constitution séculairement respectée qui les régit, et puisque le nom de l’Angleterre se présente sous notre plume, pour combien de choses la société anglaise n’a-t-elle pas multiplié le tabou par cant, pruderie ou vraie vertu ? Si donc cette coutume du tabou est faite pour créer quelque étonnement, c’est de la trouver si conforme aux nôtres propres et à celles de tous les peuples qui nous ont précédés. L’homme est bien décidément le même sous toutes les latitudes, qu’il soit barbu ou à menton glabre, fardé ou tatoué, et la seule chose vraiment comique c’est de le trouver si peu habile à reconnaître sa ressemblance dans les nombreux miroirs que lui présente la nature. De combien de manières ne varions-nous pas le Comment peut-on être Persan ? de Montesquieu, et combien de fois nos jugemens et nos moqueries n’imitent-ils pas ce roi de Pégu, qui, au dire de Chamfort, faillit crever de rire en apprenant que les Vénitiens n’avaient pas de roi et vivaient en république ?

Une autre coutume moins connue et plus originale encore que le tabou s’appelle le muru. Toutes les fois qu’il arrive un malheur ou un accident à un Maori, les parens, voisins, amis et connaissances se rendent par bandes chez cette victime de la destinée ou du hasard, et le punissent de son malheur comme d’une faute amenée par son imprudence, en pillant sa maison et en dévorant le contenu de son garde-manger. D’ordinaire on joint à ce pillage une vigoureuse volée de coups de trique afin d’inculquer à l’infortuné les principes de la sagesse d’une manière sensible ; il est vrai que par manière d’atténuation on autorise la victime à se défendre, ce qui lui permet d’éviter une partie de sa correction, s’il est suffisamment ferré sur les arts de la savate et du bâton. Le muru peut être appliqué plusieurs fois pour le même accident par plusieurs bandes successives, cela dépend de la nature de l’accident. Par exemple, dit M. Trollope, une femme mariée s’enfuit avec un séducteur ; le mari reçoit d’abord la visite de ses parens qui viennent lui offrir leurs complimens de condoléance, et après avoir dévoré tout leur soûl de ses provisions s’en retournent chargés de tout ce qu’ils peuvent emporter, puis celle des parens de sa femme, qui le punissent de ne l’avoir pas mieux surveillée par un second pillage, puis celle des amis du séducteur qui vengent sur les meubles de l’époux la fausse position que s’est créée leur camarade. Innombrables sont les cas ou le muru peut être appliqué. Un enfant tombe dans le feu et se brûle, le père est immédiatement pillé. Un canot chavire, et ceux qui le montaient se sont noyés ou ont failli se noyer, le propriétaire du canot subit la correction vengeresse. Ce qu’il y a de tout à fait curieux c’est que le muru est considéré comme une haute marque d’honneur, qu’il serait honteux d’y échapper, et que le pillage ne rencontre jamais la moindre résistance. Et en effet pourquoi celui qui en est victime résisterait-il ? Pillé aujourd’hui il prendra demain sa revanche sur ses voisins, car il est impossible qu’aucune existence humaine s’écoule sans accidens, et par conséquent il garde toujours l’espérance de se refaire un mobilier à bref délai. Avec un pareil système d’amende, il est clair que la propriété individuelle devient de difficile formation, et que les richesses de la tribu courent peu de risque de s’accumuler dans les mêmes mains. Voilà une manière d’activer la circulation des capitaux à laquelle nos communistes européens n’ont pas encore pensé, et qu’on peut recommander à leurs méditations.

Eh bien ! ici encore il me semble que cette coutume, pour si excentrique qu’elle paraisse, se retrouverait ailleurs que chez les Maoris. En quel lieu du monde le malheureux n’a-t-il pas à payer son malheur ? Demandez aux armées en déroute, dont les traînards isolés sont dépouillés par les paysans, aux naufragés dont le navire échoué est pillé sous leurs yeux par les habitans des côtes, aux maisons en deuil dont les maîtres ne sortent de leur douleur que pour s’apercevoir qu’ils ont été volés pendant qu’ils n’avaient d’âme que pour leur perte, au spéculateur dont le crédit s’ébranle et qui se voit d’autant plus pressé qu’il a plus besoin de liberté. Et les peuples malheureux, de combien de manières n’ont-ils pas à payer leurs revers ? Demandez à la Pologne, à l’Irlande, à l’Italie d’il y a vingt ans. Combien de fois nous appliquons le muru innocemment et sans nous en douter, M. Trollope va lui-même nous en fournir un exemple bien fait pour nous toucher. En parlant du massacre de Wairau commis par ce Rauparaha, nommé dans les pages précédentes, et de l’émotion avec laquelle cette nouvelle fut reçue en Europe, notre auteur écrit les lignes suivantes : « Ce massacre arrêta complètement l’émigration pour la Nouvelle-Zélande, excita la sympathie du public dans diverses régions de la Grande-Bretagne, et à Paris — oh ! infortunée Nouvelle-Zélande ! — une proposition fut faite pour ouvrir une souscription afin de fournir aux malheureux colons les moyens de revenir dans la mère patrie. Dans quels abîmes de misère on peut tomber ! » Est-il bien sûr, je le demande à M. Trollope, qu’il se fut exprimé sur notre compte avec un tel sans-façon si son livre n’avait pas été écrit après nos désastres de 1870-1871 ? Son ironie n’est pas écrasante sans doute, mais la bonne intention y est. M. Trollope nous applique donc le muru à sa manière, et se charge ainsi de nous prouver que cette coutume est bien conforme au fond de la nature humaine.

Il était difficile que, rencontrant devant elle un peuple aussi original et aussi redoutable, la jeune colonie se développât en toute prospérité. Tant qu’ils n’eurent affaire qu’à des marchands et à des aventuriers isolés, les Maoris se montrèrent accommodans et hospitaliers, recevant les pakehas comme des amis, et n’usant de l’anthropophagie qu’avec une louable réserve ; mais lorsque, par suite du traité de Waitangi conclu par le gouverneur Hobson, ils virent les Européens affluer dans leur pays et y prendre résidence fixe, le sentiment de la conservation personnelle s’éveilla chez eux avec une énergie désespérée. Il s’ensuivit une série de guerres fort sérieuses et fort sanglantes, où il fallut à l’Angleterre des armées de 15,000 hommes pour venir à bout d’ennemis dont les forces les plus considérables ne se montèrent jamais à plus de 2,000 ou 3,000 hommes, et ce fait seul suffit pour faire l’éloge de la bravoure maorie. Nous ne pouvons entrer dans le détail de ces longues guerres qui, commencées en 1844, ont continué jusqu’en 1867, et qu’on ne peut dire encore terminées aujourd’hui, bien que les Maoris aient été fort réduits en nombre ; tout ce que nous voulons, c’est nous arrêter particulièrement aux faits qui peuvent mettre la nature du peuple maori en pleine lumière. M. Renan a pu dire un jour, avec un légitime dédain, qu’il ne voyait pas de raison pour qu’un Papou eût une âme immortelle, mais ce dédain ne serait pas à sa place en parlant des Maoris. Ces anthropophages ont une âme, et une âme des plus remarquables, si le courage le plus intrépide, l’entente la plus rapide des moyens stratégiques, et l’intelligence la plus singulière des ressorts de la politique suffisent pour attester qu’on est porteur de l’étincelle divine. Jamais nous n’avons mieux compris le dévoûment des missionnaires qu’en lisant ce que les voyageurs nous rapportent des Maoris, car il y a gloire véritablement à faire entrer dans la vaste humanité quelqu’un de ces héroïques sauvages, et nous concevons qu’on puisse être tenté par cette œuvre, même au risque d’être mangé.

Les hostilités eurent leur origine dans les difficultés relatives aux terres achetées. Le gouverneur Hobson avait réduit les 45 millions d’acres de terres que les colons prétendaient avoir acquis à 282,000, restituant le reste aux indigènes comme ayant été indûment acheté. Les Maoris saisirent très vite ce désir de justice du gouvernement anglais, et surent se servir avec intelligence des moyens qu’il leur offrait pour résister aux envahisseurs. Le gouvernement leur apprenait qu’il y avait des achats légitimes et d’autres qui ne l’étaient pas ; ils cherchèrent donc des raisons qui pussent invalider la majeure partie des transactions, et ils en trouvèrent parfois qui auraient fait honneur à la sagacité d’un jurisconsulte émérite. Sous le gouverneur Fitzroy, successeur d’Hobson, les indigènes de Taranaki, dans l’île du nord, prétendirent que 60,000 acres de terre occupés par les colons sur leur territoire, dans l’établissement dit de New-Plymouth, n’avaient pas été légalement achetés. Enquête faite, il fut d’abord reconnu que les terres ayant été conquises et vendues par le conquérant même, un chef du nom de Te Whero-Whero, plus tard célèbre sous le nom de Potatau comme premier roi de la Nouvelle-Zélande, le marché était valable de par la loi maorie, qui admet le transfert absolu de la propriété au conquérant. Cela est vrai, répondirent les indigènes de Taranaki, mais ce qui n’est pas moins la loi maorie, c’est que la conquête est insuffisante pour ce transfert si elle n’est pas suivie d’une occupation réelle ; or ces terres ont été conquises, mais n’ont jamais été occupées, elles n’ont donc pas été vendues légitimement. Le fait était exact, et le gouverneur Fitzroy réduisit ces 60,000 acres à 3,500, ruinant ainsi la presque totalité des colons qui en cette circonstance pouvaient dire qu’ils s’étaient établis sur ces terres en toute bonne foi. Lorsque les Maoris eurent partie gagnée, ils commencèrent à prendre en mépris le gouvernement qui cédait ainsi à leurs réclamations, appelèrent faiblesse ce qui n’était que prudence et crurent qu’ils pouvaient avec impunité remplacer la subtilité par la violence. Des agens de l’administration coloniale ayant été envoyés dans la région qui est aujourd’hui la province de Marlborough pour lever le plan de la vallée de Wairau, près de la petite ville actuelle de Picton, vallée que les selliers prétendaient avoir été acquise par la New Zealand land company, deux, chefs maoris, Rangihaeta et Rauparaha, se présentèrent pour s’opposer à leur mission. Un combat s’ensuivit dans lequel onze colons furent tués ; neuf autres, faits prisonniers, furent massacrés de sang-froid par Rauparaha. La nouvelle de ce massacre causa une impression de terreur générale d’autant plus forte que les coupables ne furent ni punis, ni même poursuivis, l’administration coloniale se demandant par excès, de scrupule si ces sauvages étaient bien réellement soumis aux lois anglaises. Le sentiment de l’insécurité chez les colons, l’audace agressive croissante chez les Maoris, conduisaient également à la guerre ; elle éclata en 1844, un an après le massacre de Wairau.

Le prétexte en fut honorable pour le patriotisme maori. Depuis la fondation de la colonie des drapeaux aux couleurs de l’Angleterre s’élevaient sur les édifices à l’usage de l’administration coloniale, maisons de douanes et autres, spécialement à Kororeka, près de la baie des îles, point où jusqu’alors les Européens avaient toujours débarqué et qui était le théâtre traditionnel du commerce avec les Maoris. Ces couleurs offusquèrent la vue d’un chef nommé Heke, qui fit jeter bas et brûler le drapeau anglais. L’autorité le rétablit peu après, mais en abolissant par concession la maison de douanes installée à Kororeka ; Heke le fit couper et brûler de nouveau. Replanté une troisième fois, il fut abattu une troisième fois, et ce dernier acte d’agression amena une bataille où Heke eut le dessus et par suite de laquelle les colons furent obligés d’évacuer Kororeka. Les troupes anglaises se mirent à la chasse de Heke et de ses alliés, mais il se trouva que le gibier était plus fort que le chasseur. Plusieurs combats eurent lieu où les Anglais eurent le dessous. Enfin, ayant commis l’imprudence de diviser leurs forces, les Maoris furent vaincus, et comme ils avaient épuisé les ressources qu’ils avaient assemblées pour cette guerre entreprise à la hâte, ils demandèrent la paix et l’obtinrent avec amnistie entière à la fin de 1846. En quoi, je le demande, le patriote européen le plus sensible et le plus fier aurait-il pu se montrer plus délicatement intelligent de la dignité nationale et plus chatouilleux sur le point d’honneur que ce sauvage Heke, brûleur des drapeaux de l’étranger ?

De longues années de paix suivirent, mais cette paix ne fut jamais complète, et, malgré les efforts du gouvernement colonial pour se concilier le bon vouloir des Maoris, des guerres partielles éclatèrent par intervalles, toujours désastreuses pour les forces anglaises. Les indigènes mirent d’ailleurs à profit le temps de cette paix en cherchant et en combinant des moyens de résistance qui donnèrent à l’administration coloniale presque autant de soucis qu’aurait pu lui en donner une guerre franchement déclarée. Les deux principaux de ces moyens d’action valent d’être signalés comme témoignages irrécusables de la sagacité politique des chefs maoris : la ligue de la terre et la création d’une royauté néo-zélandaise. La ligue avait pour objet d’empêcher les terres de tomber entre les mains des colons, et dans ce dessein les chefs maoris employèrent les moyens coercitifs les plus rigoureux envers les tribus disposées à entrer en marché avec une vigueur et une discipline dignes de grévistes européens résolus à interdire tout travail à d’autres conditions que celles par eux imposées. Cette ligue, qui commença en 1848, fut pendant des années la pierre d’achoppement de la colonie, qui ne pouvait se développer, se heurtant sans cesse contre cette résistance habilement organisée. Le second moyen, la création d’une royauté néo-zélandaise, est encore plus remarquable. Jusqu’à la fondation de la colonie, la population maorie avait été gouvernée par une véritable oligarchie dont les membres, divisés d’intérêts comme d’ambitions, se faisaient mutuellement la guerre, et qui, dans les premières luttes, ne purent et ne voulurent pas par conséquent opposer à l’ennemi une force d’ensemble. « Nos ennemis sont forts, se dirent-ils enfin, parce qu’ils ont une souveraine de laquelle tous dépendent et à laquelle tous obéissent ; faisons comme eux, et nous les vaincrons. » Ils créèrent donc un roi à l’imitation de l’Angleterre, et élurent le chef te Whero-Whero sous le nom de Potatau. Depuis cette époque, la Nouvelle-Zélande a été partagée en deux parties tranchées, les tribus dont les chefs ont suivi la faction du roi, les tribus qui ont préféré contracter amitié avec l’Angleterre. Cela était mieux que bien raisonné, il faut en convenir, car cela était vraiment noble et patriotique. Combien dans les vieux états les plus civilisés trouverait-on d’exemples d’oligarchies aussi promptes à sacrifier au bien commun leur pouvoir et leurs intérêts particuliers ?

La guerre ainsi longuement préparée éclata en 1861 dans la province de Taranaki, de l’île du Nord, où nous avons déjà vu les différends entre les Anglais et les Maoris au sujet des terres vendues par droit de conquête. Un natif, dont le nom de Teira a été anglicisé en celui de Taylor, voulut vendre certaines terres par lui possédées, mais le chef de sa tribu, William King, s’y opposa en vertu des interdictions fulminées par la ligue dont nous venons de parler, et il trouva, pour appuyer son opposition, un allié puissant dans le chef de la tribu de Waikato, affublé comme lui d’un nom anglais à l’instar des Peaux-Rouges d’Amérique, William Thompson, Les indigènes furent d’abord battus, et une trêve de deux ans s’ensuivit, pendant laquelle le gouverneur, sir George Grey, assisté de toutes les autorités coloniales, depuis son premier ministre jusqu’à l’évêque anglican, s’efforça d’amener les rebelles à céder les terres en litige ou à soumettre la question à un arbitrage. Les Maoris ne voulurent entendre à aucune proposition, et la guerre recommença ; 15,000 hommes, sous les ordres du général Cameron, entrèrent alors en campagne contre 2,000 Maoris. C’était une terrible inégalité de forces et qui semblerait avoir dû faire pencher tout aussitôt la balance du côté des Anglais. Il n’en fut cependant rien. Les Maoris évitèrent toujours habilement de se présenter devant leurs ennemis en bataille rangée, et s’en tinrent à une guerre défensive où ils combattirent dans des camps retranchés construits en terre qu’ils abandonnaient secrètement lorsqu’ils ne pouvaient plus tenir pour aller plus loin en élever de nouveaux, en sorte que cette campagne ressembla à une guerre contre une succession de gigantesques taupinières homicides. Plusieurs des attaques dirigées contre ces camps retranchés, nommés pahs dans la langue du pays, sont célèbres dans la toute fraîche histoire de la Nouvelle-Zélande, notamment celles du pah de Rangariri et de Gate-pah près de Tauranga. Les récits qui nous sont faits de ces deux affaires rappellent d’une manière fort étroite nos sièges des forteresses africaines de Zaatcha et de Laghouat, et ce n’est certes pas un médiocre éloge à faire des qualités militaires des Maoris que de dire que, pour la ténacité héroïque et l’habileté de la défense, nos Arabes d’Algérie trouveraient en eux de dignes émules.

Durant cette guerre, des tribus entières disparurent, par exemple celle de Waikato, et leurs terres furent confisquées ; mais alors une nouvelle machine de résistance, plus formidable que toutes les autres, se révéla tout à coup chez les Maoris, où quelque homme de génie, appelant la superstition à l’aide de son désespoir patriotique, mit au monde une sorte de religion nouvelle ayant pour but de rappeler les indigènes à leur barbarie traditionnelle jusque dans ses pratiques les plus abominables. — Une partie de notre faiblesse, pensa le sauvage de génie dont le nom ne nous est pas rapporté, vient incontestablement de la trop grande condescendance que nous avons montrée aux coutumes et à la religion des Pakehas. Nous devons être différens d’eux pour les vaincre, nous devons leur inspirer horreur pour leur imposer respect. En adoptant leurs coutumes et leur religion, nous abdiquons notre force sans acquérir la leur, nous cessons d’être ce que nous sommes sans devenir ce qu’ils sont. Que sommes-nous pour eux lorsque nous leur montrons trop de complaisance ? Des apprentis en civilisation dont les tâtonnemens font rire, des inférieurs dont on raille familièrement les gaucheries, des esclaves dont l’origine n’est jamais effacée, toutes variétés d’êtres qu’on ne hait plus, mais qu’on méprise. Eh bien ! que tout ce qui leur était en horreur parmi nous nous soit d’autant plus cher, que tout ce qu’ils condamnaient nous soit d’autant plus sacré. Reprenons avec ferveur les coutumes de nos pères que nous commencions à abdiquer. Nos ennemis nous reprochaient l’anthropophagie, et nous avions presque cessé de la pratiquer, revenons-y avec énergie, et que les banquets de chair humaine soient le défi que notre barbarie jette à leur civilisation. Ils nous ont enseigné que l’union de l’homme et de la femme doit être éternelle, et qu’une femme ne doit appartenir qu’à un seul homme ; revenons à notre ancienne promiscuité, et que toute femme appartienne à tous. — Certes ce sont là d’odieux moyens de défense, mais le sentiment qui les a suscités va droit à son but avec une incontestable justesse, et si tout récemment M. Albert Réville amnistiait ici même le vieil Arverne Critognat d’avoir proposé l’anthropophagie aux Gaulois comme arme de résistance, ne pouvons-nous pas pour la même raison amnistier le patriote maori qui l’a remise en vogue dans la Nouvelle-Zélande ? Si la pensée est profonde, il va sans dire que le culte qui en est résulté est loin de la valoir. C’est une sorte de mormonisme maori dont le Joseph Smith inconnu semble avoir associé certaines légendes bibliques, apprises de la bouche des missionnaires, aux traditions néo-zélandaises, et dont les fidèles sont appelés Hau-Haus, par suite, nous dit M. Trollope, de la répétition fréquente de cette espèce d’aboiement non-seulement pendant les cérémonies religieuses, mais avant les engagemens des batailles et dans les ardeurs des mêlées. Il est probable que nous nous trouvons ici en présence de quelque chef maori initié au christianisme et renégat par patriotisme ; mais, quel qu’il soit, nous ne pouvons assez admirer la politique qui lui a dicté son invention, car c’est celle qu’ont invariablement suivie tous les défenseurs des vieilles religions menacées ou des sociétés chancelantes, celle que nous rencontrions naguère chez le jarl Hakon de Norvège dans sa lutte contre le christianisme, c’est-à-dire le retour violent aux vieilles formes de la religion ou de la société menacée, et la préférence donnée de parti pris aux plus choquantes et aux mieux faites pour effaroucher la raison et l’humanité, afin que le contraste n’en soit que plus profondément tranché et l’hostilité plus irréconciliable. Il va sans dire que cette recrudescence religieuse de l’anthropophagie n’a pas sauvé la barbarie néo-zélandaise, mais elle n’en est pas moins un des incidens les plus curieux et les plus propres à arrêter la réflexion que nous présente l’histoire morale de l’humanité à notre époque.

Il est encore un dernier moyen d’action politique dont les Maoris se servent, comme tous les barbares, avec une finesse consommée, c’est-à-dire la fourberie. Pendant cette guerre de 1861-65, les colons trouvèrent des alliés nombreux parmi les tribus qui n’avaient pas embrassé la faction du roi et la religion des Hau-Haus, mais c’étaient des alliés peu sûrs et dont les manèges souterrains avaient grand besoin d’être surveillés. On en eut la preuve en 1866, lorsque, la paix étant signée et la colonie commençant enfin à respirer, la ville de Napier, dans la province d’Hawke’s-Bay, fut tout à coup attaquée par les indigènes. On chercha d’où pouvait venir cette attaque et l’on découvrit qu’elle devait, selon toute probabilité, être attribuée à l’influence d’un chef maori nommé Te-Kooti, qui s’était donné comme ami des colons anglais et qui sous ce couvert intriguait secrètement avec les Hau-Haus. Ce Te-Kooti fut pris et déporté avec trois cents de ses compagnons les plus influens aux îles de Chatham, dépendance de la Nouvelle-Zélande ; mais en 1868 il parvint à se rendre maître d’un schooner qui était à l’ancre et força le capitaine à le ramener avec ses hommes en Nouvelle-Zélande. Dès qu’on le sut débarqué on se mit à sa poursuite, mais la chasse, après avoir duré quatre ans, de 1868 à 1872, et avoir coûté au trésor colonial la somme énorme d’un demi-million sterling (12,500,000 francs), fut abandonnée comme ne pouvant aboutir, et, lorsque M. Trollope était en Nouvelle-Zélande, on discutait pour savoir s’il ne vaudrait pas mieux proclamer une amnistie générale dans laquelle il serait compris. Ce petit fait suffit pour indiquer quelle terreur véritable les Maoris inspirent aux colons.

D’ordinaire, on le sait, les Anglais ont peu d’indulgence pour les rebelles à leur autorité ; or en Nouvelle-Zélande la rébellion a été presque constante, et cependant on a peu entendu parler d’exécutions, et les plus grands coupables sont morts ou vivent encore au milieu des leurs sans avoir été punis ni quelquefois même poursuivis. Rauparaha, l’auteur du massacre de Wairau, après un exil de quelques années, est mort dans son lit, couvert par une amnistie, et nous venons de voir le cas de Te-Kooti. Le roi Tawkiao, fils et successeur de Potatau, tient encore aujourd’hui sur son territoire des régions du nord, dont l’accès est impossible à tout homme blanc, et le gouvernement colonial, quelque bonne envie qu’il puisse avoir d’en débarrasser la Nouvelle-Zélande, se garde d’aller attaquer dans ses solitudes cette majesté sauvage, mais qui n’a rien de risible ; il craindrait trop de rallumer des cendres mal éteintes et de provoquer un nouvel incendie. Autant qu’elle le peut, l’autorité coloniale substitue à l’emploi de la force les moyens politiques qui peuvent apprivoiser les Maoris et les rendre pacifiques par cupidité et sensualité. Lorsqu’une tribu montre quelque bon vouloir, on enrôle ses hommes, on en forme un corps de milice indigène, on leur distribue des vivres en abondance et une haute paie ; ainsi nourrie et vêtue aux frais de la colonie, la tribu se tient tranquille et rend même parfois quelques services. De ce nombre sont les Arewas, qui ont combattu aux côtés des Anglais pendant les guerres de 1864-65 avec une fidélité soutenue. C’est là ce que les colons appellent la politique de sucre et farine, sugar and flour policy, sobriquet qui qualifie assez bien les moyens par lesquels on cherche à réduire les Maoris en soumission. Cette politique est certainement de beaucoup la plus humaine, sinon la plus prompte en résultats, mais au fond que prouve-t-elle cependant, sinon que le gouvernement le plus rigide et le plus moral peut hésiter devant la force, même lorsqu’elle est révoltante et monstrueuse, à l’instar de cette injuste censure humaine qui, selon la définition du poète latin, accorde amnistie aux corbeaux et trouble la paix des colombes ?

Cette population remarquable n’a jamais été nombreuse ; à l’arrivée des Européens, les navigateurs l’estimèrent à 120,000 âmes ; aujourd’hui, après les guerres intérieures et les guerres coloniales, l’anthropophagie et le libertinage des filles aidant, elle est descendue, paraît-il, au-dessous de 40,000. Lorsqu’elle disparaîtra, et ce jour ne peut tarder, l’humanité aura réellement perdu quelque chose, car nulle parmi les races sauvages ne plaide d’une manière plus convaincante la cause de la noblesse native de l’homme, et ne donne plus entièrement raison à l’opinion des idéalistes sur la valeur morale de notre espèce. C’est justement que M. Trollope les compare aux highlanders de Walter Scott, mais cette comparaison, tout élogieuse qu’elle est, nous semble trop faible encore, et après avoir jeté un dernier regard sur l’ensemble des traits que les voyageurs nous présentent de leur nature, nous nous demandons vraiment en quoi leurs tribus n’auraient pas été dignes de marcher de compagnie avec les hordes d’heureux barbares qui jetèrent les assises de nos modernes civilisations et de partager leur fortune. Les Maoris ne sont ni moins vaillans ni moins fiers que nos barbares, nos barbares ne furent ni moins féroces ni moins fourbes que les Maoris.

Les guerres maories, aussi ruineuses que sanglantes, ont coûté à l’Angleterre plus de 12 millions sterling et sont entrées pour plus d’un quart dans l’énorme dette publique qui pèse aujourd’hui sûr la Nouvelle-Zélande. Par cette cruelle expérience, la jeune colonie a pu comprendre combien légitimes avaient été les longues hésitations du Colonial office, et combien surtout il fut heureux pour elle que le gouvernement anglais ait refusé de laisser à l’initiative privée l’entreprise colonisatrice. Où en serait-elle depuis longtemps, et où aurait-elle trouvé les ressources suffisantes pour payer sa sécurité, si la Grande-Bretagne ne l’avait pas couverte de sa puissante protection dans ces difficiles et dangereux commencemens ?

III. — LE PRESENT DE LA NOUVELLE-ZELANDE. — CARACTERE DEMOCRATIQUE DE LA COLONIE.

Contrairement à ce qui s’est passé en Australie, la démocratie a pris l’ascendant en Nouvelle-Zélande, et selon toute probabilité elle le conservera, car tout concourt à l’envi à le lui assurer, mœurs, lois, constitution, circonstances physiques du sol et du climat.

Elle a eu cet ascendant dès l’origine, mais ce n’est pas, comme on pourrait le croire, parce qu’elle sortit des forces libres des initiatives individuelles. Bien que nous trouvions parmi les rangs de la New Zealand land company des noms comme celui de sir William Molesworth, si connu par sa bienveillance aux intérêts populaires et sa persistance dans les opinions radicales, l’association qui fut mère de la colonie avait simplement en vue de donner du terrain à ceux qui n’en avaient pas sans se proposer d’autre but plus particulièrement démocratique. Beaucoup de ses membres, mais surtout de ses affiliés et de ses partisans, poursuivaient au contraire la réalisation de quelque chose de plus chimérique, mais d’extrêmement noble et touchant, la création de colonies composées d’élémens homogènes qui auraient été au-delà des mers les transplantations de tels ou tels groupes de population de la Grande-Bretagne avec leurs lares et pénates et tout ce qui constituait leurs habitudes d’esprit et de cœur. On rêvait de découper le territoire de la Nouvelle-Zélande en une multitude de petites Pensylvanies de diverses dénominations, les unes composées d’élémens exclusivement anglicans, les autres d’élémens exclusivement presbytériens. De la sorte, l’émigration, pensait-on, perdrait tout redoutable caractère d’exil, car c’était la patrie même que les émigrans emporteraient avec eux, la patrie dans ce qu’elle avait de meilleur et de plus attachant, la patrie sans le voisinage importun ou scandaleux des Amalécites des sectes rivales ou le contact journalier des Philistins de l’incrédulité, et lorsqu’ils chanteraient sur la terre étrangère le Home, sweet home, ce serait en toute vérité, sans mélange de regret amer ou de mélancolique souvenir. L’homme entreprenant que nous avons vu jouer un rôle si décisif dans l’histoire de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, M. Gibbon Wakefield, comprit tout le secours que cette idée pouvait prêter à ses projets, et l’embrassa avec enthousiasme. Il la trouvait seulement trop étroite, et en aurait volontiers étendu l’application non-seulement aux diverses communautés chrétiennes, mais à toutes les autres religions, et aux simples sectes philosophiques. Un instant même, il eut la pensée de créer une colonie exclusivement composée d’israélites anglais, projet dont un juif spirituel fit ingénieusement la critique en disant qu’une telle colonie n’aurait aucune chance de réussir, puisqu’il lui manquerait le voisinage des chrétiens qu’elle pût dépouiller par la magie des lettres de change et autres sortilèges du grimoire commercial. La colonie juive resta à l’état de projet, mais les autres plans de colonies sectaires étaient d’une réalisation plus pratique, et M. Gibbon Wakefield se prêta avec ardeur à leur succès. Il aida à en établir deux, une dans la province d’Otago, exclusivement composée d’Écossais presbytériens, une autre dans ce qui est aujourd’hui la province de Canterbury, exclusivement composée d’anglicans.

Cette conception quelque peu bizarre, d’une ferveur religieuse semi-archaïque, qui faisait des colonies des espèces de musées vivans, ou mieux, des jardins de botanique humaine où l’on pourrait contempler dans tout son épanouissement et pure de tout voisinage étranger telle ou telle variété chrétienne, ne se fit jour que dans les années qui suivirent la fondation de la colonie, aux alentours de 1847 et 1848 ; c’est assez dire qu’elle se trompa de date, et que le courant restreint d’où elle émanait était impuissant à lutter contre le courant plus général qui entraînait les générations de cette période. Le premier triomphe de la démocratie dans la Nouvelle-Zélande a donc été de noyer sous ses flots l’exclusivisme sectaire qui avait donné naissance à ces colonies. Tout caractère presbytérien, au rapport de M. Trollope, a disparu de la province d’Otago, où les fidèles de cette secte ne forment pas plus de la moitié de la population. L’anglicanisme, plus puissant, a mieux réussi à se défendre dans la province de Canterbury, et surtout à conserver à la colonie la tradition de son origine. Les colons fondateurs, dont un petit nombre existent encore, sont toujours respectueusement salués du nom de pèlerins de Canterbury, Canterbury pilgrims, nom qui leur avait été donné au départ d’Angleterre, sans doute par allusion à ces pilgrim fathers qui jetèrent les fondemens de la Nouvelle-Angleterre. La ville de Christchurch (église du Christ) conserve dans son nom d’une manière durable le souvenir des intentions exclusivement religieuses d’où elle est sortie, et ses rues portent les noms des principaux sièges épiscopaux d’Angleterre ; mais ce sont là d’assez chétives victoires et qui sont loin de compenser les défaites plus sérieuses subies par le plan primitif des fondateurs. De même que les presbytériens dans Otago, les anglicans ne composent guère, dans la province de Canterbury, que la moitié de la population, 30,000 sur 62,000, et, scandale humiliant, la cathédrale de Christchurch ne parvient pas à sortir de ses fondemens, jetés depuis vingt ans, et cela par crainte de causer un déplaisir trop violent à la partie non anglicane de la population. Qu’une province particulièrement choisie, il y a trente ans, pour être le bercail réservé des brebis triées de l’anglicanisme, puisse donner un spectacle si peu édifiant, cela suffit pour montrer à quel point d’ascendant y est parvenu l’élément démocratique.

La Nouvelle-Zélande a été vraiment pour l’église anglicane un sujet de grand désappointement. Dès l’origine, elle avait marqué ces îles comme une terre qui devait être exclusivement réservée au dévoûment et aux travaux de ses missionnaires. Opposé en principe à la colonisation, le parti des missionnaires fit tout ce qu’il put pour prolonger les hésitations du Colonial office, et lorsqu’il se trouva battu en compagnie du gouvernement anglais par l’acte décisif de la Société néo-zélandaise, il se rabattit sur l’espoir de posséder au moins dans la nouvelle colonie un territoire où il serait maître absolu. Cette province de Canterbury était la forme nouvelle que l’anglicanisme avait donnée à ses prétentions, et voilà que même cette modeste compensation lui échappe. D’autres déboires l’attendaient sur ce sol nouveau, dont la population débarquée d’hier a porté avec elle les opinions les plus récentes des vieux états d’où elle arrive. En Nouvelle-Zélande, comme en Australie, fleurit dans sa pleine vigueur cette maxime, qu’aucune église ne doit avoir le pas sur une autre. La faveur dont y jouit cette opinion ne vient pas précisément d’antipathie contre le gouvernement ecclésiastique, bien que ce sentiment n’y nuise pas, elle a une cause moins radicale et plus judicieuse qui est l’impossibilité d’accorder une telle suprématie sans blessante partialité, les colons étant de provenances fort diverses, et les églises entre lesquelles ils se partagent s’équilibrant à peu près exactement. Les fidèles de l’église anglicane sont nombreux en Nouvelle-Zélande, cependant ils n’y composent pas plus des deux cinquièmes de la population ; elle se trouve donc par ce fait sur le pied de la plus complète égalité avec les églises catholique et presbytérienne qui se partagent le reste. Il est certain que dans de telles conditions toute suprématie serait une atteinte à la logique ; il n’en est pas moins singulier, étant données sa constitution, son organisation hiérarchique, ses traditions, son union intime avec l’état, de rencontrer cette église réduite à ce point dans des colonies qui, toutes libres qu’elles soient, n’en sont pas moins soumises encore au gouvernement anglais. Sans suprématie, que devient la fière et aristocratique église anglicane ? Par son histoire, elle en a la longue habitude, et par sa hiérarchie elle en a la nécessité. De cette sorte de déchéance résultant des conditions sociales de la colonie naissent quantité de tribulations qui rendent peu enviable la position d’évêque anglican en Nouvelle-Zélande. Le patronage est nul, les honneurs marchandés ou refusés, les titres supprimés, le logement humble et le salaire médiocre. 500 livres sterling (12,500 fr.) composent tous les émolumens d’un évêque néo-zélandais, mince prébende pour un haut dignitaire de cette église si bien rentée dans la mère patrie. ML Trollope déclare qu’il a peine à comprendre comment on peut trouver des évêques pour les colonies australasiennes. On en trouve cependant, et on en trouverait probablement, le salaire fût-il encore moindre, car, en outre du dévoûment religieux qui remplirait quand même ces sièges, il est clair qu’il y a dans les rangs du clergé anglican nombre de clergymen pour qui 500 livres sterling ne sont pas chose indifférente ; seulement il serait assez difficile de les leur donner toujours de la qualité que ces colonies requièrent. Aussi exigeans que parcimonieux sur ce chapitre, les Néo-Zélandais veulent, pour le prix modeste qu’ils y mettent, des évêques de premier choix, rien moins que des gradués d’Oxford ou de Cambridge, d’une piété reconnue, d’une éloquence renommée, de noble parenté et de grosse fortune, et qui, par-dessus le marché, aient l’heur de ne pas leur déplaire par des opinions sentant trop le parti de la higk church, sinon ils le prieraient de se rembarquer, comme il a été fait déjà pour le premier évêque d’Otago. C’est certainement beaucoup demander, et il nous semble que des évêques du caractère de celui de Nelson, dont M. Trollope nous donne la silhouette en passant, francs du collier, d’allures populaires, bons cavaliers, de poignets assez solides pour boxer au besoin avec un cacatoès irrévérencieux, et, à défaut du monseigneur, lui imposer au moins le monsieur, feraient bien mieux l’affaire des colons que des prélats ornés de qualités si précieuses et si difficiles à rencontrer réunies.

En lisant les récits qui nous sont faits tant de l’Australie que de la Nouvelle-Zélande, on ne peut s’empêcher d’être frappé du peu de place que tient la religion dans les préoccupations de ces deux colonies. Ce n’est cependant pas impiété et mauvais vouloir chez leurs habitans, c’est que véritablement toutes les circonstances y sont fatales à l’élément religieux. Nous venons de voir comment l’antipathie d’une suprématie religieuse quelconque est née naturellement des différences d’origine des colons ; de même les distances et la vie au sein des solitudes opposent un obstacle presque invincible à l’observation des devoirs religieux. Les stations sont éloignées les unes des autres, souvent sans voisins, et les nids de cacatoès (c’est le nom qu’on donne en Nouvelle-Zélande aux agglomérations de petits agriculteurs) sont ou trop pauvres pour faire les frais d’un ministre, ou d’un chiffre trop mince pour que la colonie les dote d’une église. De ces difficultés est née une sorte de culte laïque, très acceptable dans la plupart des sectes protestantes, bien qu’il le soit un peu moins dans l’église anglicane. Lorsque la chose est possible, et elle l’est toujours si le squatter est marié, on se réunit à la station une ou deux fois par mois, et l’office religieux est récité par le squatter lui-même faisant fonction de clergyman. De loin en loin, on sollicite une visite pastorale de l’évêque de la province sur tel ou tel point de son diocèse, on porte à la station tous les enfans nés dans les alentours, depuis un certain nombre de mois, pour que le baptême leur soit administré, et l’évêque fait en une seule séance une multitude de jeunes chrétiens à peu près comme nos conseils de révision font des soldats. Cet état de choses, disons-nous, n’est imputable qu’aux circonstances ; il n’en a pas moins un fâcheux résultat, celui de déshabituer le peuple de l’observance régulière des pratiques religieuses, et l’on sait combien chez le peuple, qui n’a pas les ressources des beaux esprits, cette observance se confond avec la religion même, surtout dans une église où le culte liturgique tient une grande place, et l’église anglicane est de ce nombre. C’est en partie sans doute pour obvier à ces difficultés qu’on a multiplié les sièges épiscopaux en Nouvelle-Zélande. Il n’y a pas moins de six évêques anglicans dans cette colonie, et comme les fidèles de l’église anglicane ne forment pas plus des deux cinquièmes de la population, cela donne à peu près 30,000 âmes par chaque diocèse. Ces sièges épiscopaux seraient donc de véritables sinécures si l’étendue des devoirs du pasteur n’était pas plutôt en raison de la dispersion de ses brebis qu’en raison.de leur nombre.

Pure de convicts comme elle l’était, et ne se trouvant rattachée au gouvernement de la mère patrie par aucune institution d’état, la Nouvelle-Zélande a eu le privilège de précéder toutes les autres colonies australiennes dans la jouissance de la liberté constitutionnelle. En 1852, douze ans seulement après la première installation, l’aménagement des affaires de la colonie fut remis aux mains des colons eux-mêmes par le gouverneur sir George Grey, dont le nom reste attaché aux deux événemens les plus importans de la jeune histoire de la Nouvelle-Zélande, l’établissement du régime constitutionnel et l’extinction des guerres maories. Cette constitution, très originale dans ses principales dispositions, suffirait pour assurer un ascendant marqué à la démocratie. Elle est, pour ainsi dire, à double fond et institue deux sortes de gouvernemens, un gouvernement général pour la colonie entière, et autant de gouvernemens particuliers qu’il y a de provinces, Le gouvernement général est semblable à celui qui a été établi dans les colonies australiennes, un gouverneur représentant la reine, un conseil législatif dont les membres sont nommés à vie par la couronne, et une chambre des représentans élue pour cinq ans. Par une disposition caractéristique de l’état de la colonie, les Maoris ont été placés sur le pied d’égalité avec les blancs pour l’exercice des droits politiques. On peut même dire qu’ils ont obtenu des droits plus étendus, car aucun blanc ne peut être élu par les districts maoris, tandis qu’un Maori peut être élu par n’importe quel district. Cette constitution générale n’offre par elle-même rien de particulièrement démocratique ; elle institue un cens électoral assez élevé, et les membres du corps législatif sont nommés à vie par la couronne, tandis que dans la plupart des colonies australiennes le conseil législatif est élu par les habitans, et le suffrage universel prévaut pour l’élection des représentans ; mais la démocratie a élargi ses cadres en exagérant les chiffres des membres de ces assemblées. La Nouvelle-Zélande peut certainement se vanter d’être le pays le plus représenté qu’il y ait au monde. Le conseil-général, qui à l’origine ne se composait que de dix membres, en compte aujourd’hui quarante-cinq ; la chambre des représentans, qui à l’origine ne se composait que de trente-sept membres, en compte aujourd’hui soixante-dix-huit. Voilà bien des législateurs pour une population qui n’atteint pas encore 400,000 âmes, et cependant les gouvernemens provinciaux doublent encore ce nombre.

La Nouvelle-Zélande se compose de trois îles : l’île du Nord, l’île du Milieu et l’île Stuart. En fait, il n’y a que les deux premières qui comptent, l’île Stuart, très petite, étant encore aujourd’hui exclusivement occupée par les Maoris et les populations métisses. Chacune des deux grandes îles est divisée en quatre provinces : Otago, Canterbury, Marlborough et Nelson pour l’île du Milieu, plus le comté de Westland formant une sorte de demi-province ; Hawke’s-Bay, Taranaki, Wellington et Auckland pour l’île du Nord. Chacune de ces provinces a obtenu une législature particulière avec un surintendant tenant lieu de pouvoir exécutif. Ces législatures ne sont point de simples assemblées provinciales ; ce sont de véritables parlemens gérant les finances des provinces et disposant de leurs terres comme ils l’entendent. Autour du gouvernement central siégeant à Wellington gravitent donc, comme autant de satellites autour de leur planète, huit autres gouvernemens tous aussi constitutionnels les uns que les autres. Par une disposition très judicieuse, les surintendans peuvent siéger dans l’assemblée générale, s’ils sont élus comme représentans ; ils y siégeaient tous les huit lorsque M. Trollope visita la colonie, en sorte que les législatures provinciales se trouvaient ainsi reliées au gouvernement central par les représentans les plus autorisés de leurs intérêts. M. Trollope voit justement dans ces législatures provinciales une imitation du système fédératif américain qui institue pour chaque état un gouvernement particulier composé de deux chambres et d’un gouverneur élu ; seulement en Nouvelle-Zélande les conditions dans lesquelles se sont établis ces gouvernemens provinciaux sont à l’inverse des conditions nécessaires en Amérique pour constituer un état régi par un gouvernement séparé. En Amérique, nulle région nouvelle ne peut devenir de territoire état, si elle n’a pas encore atteint le chiffre de 100,000 âmes ; mais en Nouvelle-Zélande on n’a tenu aucun compte de la population, et toute province a obtenu les mêmes avantages que sa voisine, en quelque disproportion que fussent les chiffres de leurs habitans respectifs. La moyenne de la population de ces provinces est d’environ 30,000 âmes, chiffre déjà bien faible ; mais en fait quatre d’entre elles n’ont pas plus de 10 à 12,000 âmes, c’est-à-dire une population fort inférieure à celle de tel ou tel canton de nos départemens. Il semblerait que ce dût être là le dernier mot de la décentralisation politique ; mais tant de législatures ne suffisent pas encore à apaiser l’appétit de représentation des Néo-Zélandais, et chaque district de chacune de ces provinces se constituerait volontiers un gouvernement pour voir à ses affaires de plus près et être plus sûre que ses deniers lui profiteront. La division et la subdivision, l’infini, c’est à cela que tend et arrive naturellement toute démocratie sans contre-poids, qui, n’ayant auprès d’elle aucun élément hostile, n’a pas à chercher d’appui dans le gouvernement central, et la Nouvelle-Zélande ne donne aucun démenti à cette loi historique. Cette colonie, on le voit, a donc eu l’heureuse fortune de réaliser d’emblée ce désir de séparatisme qui dans les colonies australiennes tourmente les habitans des districts trop éloignés de leur métropole pour prendre leur bonne part dans la répartition des dépenses publiques, et si la Riverina ou le district de Rockampton peuvent accuser les parlemens de la Nouvelle-Galles du sud ou de Queensland de favoriser à leur détriment les régions voisines de Sydney ou de Brisbane, les provinces de la Nouvelle-Zélande seraient mal fondées à faire entendre des plaintes semblables au parlement de Wellington.

Ce qui caractérise essentiellement la Nouvelle-Zélande, c’est que rien n’y est en rapport avec le chiffre de la population, ni la représentation nationale, ni le nombre des sièges épiscopaux, ni les dépenses coloniales, ni la prospérité matérielle. Les dettes publiques des colonies australiennes sont fort lourdes, nous l’avons vu ; mais que dites-vous d’un pays dont la colonisation n’a commencé sérieusement qu’après 1840, dont la croissance a été contrariée par des guerres perpétuelles, dont le revenu en 1875 n’atteignait pas 3 millions sterling, qui a trouvé moyen de contracter déjà une dette publique de 17,400,000 livres selon M. Reid, c’est-à-dire 6 millions de plus que la Nouvelle-Galles du sud, 3 millions de plus que Victoria, et six fois la dette publique de l’Australie du sud, dont la population est égale à la sienne ? 4 millions et demi environ, un quart de ce chiffre presque paradoxal, doivent être rapportés aux dépenses des guerres maories, et sont le prix dont la Nouvelle-Zélande a payé son indépendance ; le reste a été employé en travaux d’utilité générale, routes, chemins de fer, lignes télégraphiques, qui ont été exécutés avec une rapidité prodigieuse, mais à grands frais, car on n’a pas eu ici la ressource du travail gratuit des convicts, et il a fallu avoir recours à un travail libre grassement rétribué, tout était à créer, il est vrai, mais on a voulu créer tout à la fois et sans délai, et on y a réussi ; l’avenir se chargera de dire si le peuple de la Nouvelle-Zélande n’a pas trop présumé de ses forces en s’imposant une dette aussi lourde. 17 millions sont un joli denier pour un pays où sur 50,000 habitations 48,000 environ sont construites en bois. On accuse un certain M. Vogel, homme politique entreprenant dont l’influence est grande en Nouvelle-Zélande, d’avoir poussé à outrance dans cette voie des dépenses, sans souci de chercher comment s’établirait plus tard l’équilibre des finances coloniales ; mais que prouve cette influence sinon que le peuple sur lequel elle a eu action était par tempérament disposé à la recevoir ? À cette promptitude impatiente qui cherche à gagner le temps de vitesse, à cette audace à escompter l’avenir pour le créer, vous pouvez deviner aisément une population où l’élément démocratique domine.

Il est vrai que les ressources sont grandes pour faire face à ces dépenses téméraires. La prospérité de la Nouvelle-Zélande est sans exemple dans le monde. Pour nous en rendre compte, il nous suffirait presque de cet extrait d’un rapport fait en 1871 par le gouverneur sir George Bowen sur les progrès accomplis en vingt-trois ans dans la seule province d’Otago. « Je trouve, d’après les statistiques, que dans ce laps de temps la population d’Otago s’est élevée à près de 70,000 habitans, que le revenu public ordinaire et résultant des terres excède 520,000 livres sterling, que le nombre d’acres affermés est au-dessus de 1 million, que le nombre des chevaux excède 20,000, celui du bétail à cornes 110,000, et celui des moutons 4,000,000. » Otago est, il est vrai, la plus riche des huit provinces de la Nouvelle-Zélande, mais les autres ne lui cèdent que de bien peu, s’il faut en croire le tableau que nous présente M. Reid de la prospérité générale de la colonie pour la fin de 1875. 2,377,000 d’acres de terres en culture, 494,000 bêtes à cornes, 99,000 chevaux, 124,000 porcs et 12,000,000 de moutons ; tel est le bilan sommaire des richesses agricoles et pastorales de la colonie. a cette richesse il faut ajouter encore, pour avoir une idée approximative des ressources de la colonie, les produits des mines d’or, peut-être plus opulentes que celles de l’Australie, et qui, bien que d’exploitation récente, — celles d’Otago ne sont exploitées que depuis 1860, et celles d’Auckland, dans le nord, n’ont pas été ouvertes avant 1868, — avaient déjà, produit à la fin de 1871 plus de 25,900,000 livres sterling (647,500,000 francs). La rapidité vertigineuse de cette prospérité a excité, nous dit M. Trollope, la jalousie des Australiens, et il faut convenir que cette jalousie a bien sa raison d’être. Non-seulement la Nouvelle-Zélande se dresse en face de l’Australie comme une concurrente redoutable pour la production de la laine et de l’or, mais elle recrute sa population aux dépens de sa rivale, et lui ferme ainsi les sources de l’avenir. Eblouie par les résultats obtenus en si peu de temps, l’immigration européenne se détourne en effet de plus en plus de l’Australie, et, pis que cela, les colons australiens eux-mêmes, surtout ceux de Queensland, ont dans ces dernières années abandonné leurs établissemens pour aller les recommencer sur nouveaux frais en Nouvelle-Zélande.

Les querelles des squatters et des free selecters sévissent en Nouvelle-Zélande comme en Australie, et avec un degré plus particulier encore peut-être de malignité. Nous avons sur ce point le témoignage difficilement récusable de lady Barker, femme d’un squatter anglais établi pendant plusieurs années dans la province de Canterbury, qui, dans deux aimables petits volumes, nous a raconté par le menu les travaux journaliers et les plaisirs de sa vie pastorale. Selon elle, cette animosité est fertile en résultats des plus fâcheux pour la religion et l’éducation du peuple de la colonie. Nombre de districts pastoraux pourraient être pourvus d’une église et d’une école qui en sont privés parce que les squatters refusent presque invariablement de s’associer aux souscriptions ouvertes à cet effet, ne voulant pas contribuer à une œuvre dont le résultat certain serait d’accroître dans leur voisinage les nids de cacatoès. Ce serait duperie, disent-ils, que de dépenser leur argent pour procurer aux free selecters les avantages de la vie sociale, car ce serait leur donner une prime d’encouragement pour venir par multitudes voler leurs bestiaux et dévaster leurs palissades. D’ailleurs, disait à lady Barker un de ses amis, qu’elle sollicitait pour la création d’une école de hameau, ces largesses, qui créeraient nécessairement une manière de patronage, ne pourraient pas manquer d’être ressenties comme une atteinte à l’égalité par les démocratiques cacatoès, « oiseaux indépendans qui considèrent qu’ils ont laissé derrière eux, dans la vieille patrie, toutes les ladies Bienfaisance avec leurs bons de couvertures et de charbons, et qu’ils sont arrivés dans un pays où Jack vaut son maître. » Sous l’influence de ce sentiment de malveillance, l’instruction populaire reste fort en retard. Les maîtres et maîtresses d’école sont rares en Nouvelle-Zélande, et, lorsqu’il s’en rencontre ils exigent une rémunération en harmonie avec les salaires élevés de la colonie. Le cacatoès ne travaille qu’à gros gages ; pourquoi le maître d’école instruirait-il ses enfans à prix réduits ? L’état de choses que nous décrit lady Barker est celui de 1867-68 ; M. Trollope nous a décrit de son côté celui de 1872-73, et il ne semble pas que la situation eût beaucoup changé entre ces deux dates. Selon ce dernier, la proportion des enfans qui fréquentent l’école n’est que de 1 sur 9 dans l’Ile du Milieu, et seulement de 1 sur 20 dans l’île du Nord, et cette fois voilà des chiffres qui sont en triste désaccord avec ceux que nous présente la prospérité matérielle de la colonie.

Les squatters prospèrent en Nouvelle-Zélande comme en Australie, les douze millions de moutons de la statistique de M. Reid en sont la preuve. En dépit de cette prospérité, il est douteux cependant qu’ils arrivent jamais à la prépondérance sociale, car la nature leur refuse ce qu’elle accorde au contraire à leurs confrères australiens. La Nouvelle-Zélande, c’est l’Australie avec tous ses avantages et sans aucun de ses désavantages. Ce pays connaît la pluie et les douceurs des climats tempérés, les pâturages n’y sont pas frappés de stérilité par la sécheresse, le sol, presque partout propre à l’agriculture, paie largement le travail des cultivateurs. Aussi, malgré les prix élevés auxquels a atteint la terre dans ces conditions favorables, les petits agriculteurs se sont-ils présentés en plus grand nombre qu’en Australie. Sous ces influences bienfaisantes de la nature, il s’est en outre produit un fait qui assure à la démocratie agricole un appui inattendu contre la prépondérance des squatters. On sait que les animaux importés d’Europe en Australie s’y sont multipliés en quelques années avec une rapidité extraordinaire. M. de Beauvoir, et après lui M. Trollope, nous ont raconté par exemple comment le peuple des lapins s’est accru en Tasmanie au point de devenir pour cette colonie un véritable embarras ; mais cette fécondité n’est rien en comparaison de celle de la Nouvelle-Zélande, où elle s’est étendue aux plantes les plus humbles. On y a importé le salubre cresson de fontaine ; il s’y est tellement multiplié qu’il a fallu, nous apprend lady Barker, légiférer contre cette modeste salade ; on y a planté l’ajonc en haies, il a envahi toutes les terres avec une énergie qui fait le désespoir des agriculteurs. De cette extravagance de végétation est née l’idée de transformer le pâturage naturel en prairies à l’européenne par le moyen des gazons anglais. Toutes les conditions de la vie pastorale australasienne ont été bouleversées par cette innovation. Tandis qu’en Australie on calcule qu’il faut environ trois acres pour la nourriture d’un mouton, en Nouvelle-Zélande, grâce à ce système qui concentre la nourriture des animaux sur un moindre espace, on peut nourrir cinq, six et même sept moutons par acre, ce qui permet à l’éleveur, selon ses convenances, soit de diminuer son run, soit d’augmenter dans des proportions énormes le nombre de ses bêtes. Le squatter y double sa richesse, mais le free selecter y crée la sienne, en même temps que le premier perd en privilège tout ce que le second gagne en égalité. Le free selecter trouve que l’agriculture le paie mal de sa peine, ou que la main-d’œuvre dévore ses profits ; qu’est-ce qui l’empêche de semer de gazon son lot de terres, et d’y faire sur une petite échelle l’élevage des moutons ? Les circonstances physiques du sol et du climat permettent donc aux petits en Nouvelle-Zélande ce qu’elles leur interdisent en Australie, et y placent le travail libre sur le pied d’égalité avec le capital. Il y a là pour la démocratie une chance de succès plus sérieuse qu’aucune de celles qu’elle pourrait chercher dans le jeu des institutions politiques.

Les mœurs populaires néo-zélandaises ne sont point pour démentir ce caractère démocratique général. Dans ce pays, comme le disait l’ami de lady Barker, Jack croit valoir son maître, et agit comme s’il le valait. Bien nourri, bien vêtu, grassement payé de son travail, le colon néo-zélandais possède cet aplomb voisin de l’impertinence que donne en tout pays l’indépendance qui résulte d’une poche bien garnie. La familiarité leur tient lieu de politesse, et une cordialité naïve, mais gênante dans sa simplicité, de déférence. Lady Barker nous a raconté les bavardages dont elle fut assourdie pendant tout un long voyage, en présence même de son mari, par le postillon qui la menait ; c’est le ton et le langage d’un cocher de nos pays avec une fille de cuisine sans mièvrerie à l’endroit des mots vulgaires. La même lady Barker fut obligée d’apprendre aux cacatoès qui fréquentaient sa maison le dimanche que l’habitude des pays civilisés était de se découvrir devant les femmes. Du reste il y a de la logique dans cette indépendance. À l’inverse de notre peuple, qui, tout en se prévalant de l’égalité, persiste trop souvent encore à vouloir conserver les privilèges de l’ancienne inégalité, les ouvriers et gens de peine n’acceptent jamais de pourboires, même lorsqu’ils vous ont rendu un service exceptionnel. Ils accepteront volontiers un verre de gin ou de whiskey, mais il faudra que vous alliez le partager avec eux chez le plus prochain publican, et que l’argent soit donné par vous au cabaretier sans passer par leurs mains. Des bateliers qui avaient été obligés d’entrer dans l’eau jusqu’à la ceinture pendant plus d’un demi-mille pour pousser le bateau qui portait M. Trollope reçurent avec répugnance et sans remercîmens la gratification supplémentaire qu’il crut devoir leur donner, et la remirent avec le prix du voyage au patron de la barque. Une fille dont le même voyageur avait par mégarde sali les effets, et qui pleurait à la pensée qu’il lui faudrait les laver une seconde fois, refusa l’argent qui lui était offert comme compensation, en répondant que, bien qu’elle ne fût qu’une pauvre fille irlandaise sans amis, « elle n’était pas si vile que cela. » C’est là une dignité grossière sans doute, cependant c’est une dignité, et qui même se rapproche d’assez près de celle qu’on devrait rencontrer dans tout pays démocratique. Il est vrai que les salaires sont assez élevés en Nouvelle-Zélande pour que les gens du peuple ne soient pas tentés d’y ajouter au détriment de leur fierté. Nous connaissons les salaires australiens, ceux de la Nouvelle-Zélande les dépassent. En Australie, un tondeur gagne par jour de 19 à 20 francs, un mineur gagne par semaine de 50 à 75 francs, et un berger gagne par an de 800 à 1,000 francs. En Nouvelle-Zélande, un tondeur gagne en moyenne 20 francs par jour, un mineur 100 francs par semaine, et un berger 2,000 francs par an ; mais rien n’est à comparer aux salaires des domestiques et surtout des servantes, qui sont le désespoir de toutes les maîtresses de station. Les gages d’une simple fille de service varient entre 700 et 900 francs, et ceux d’une cuisinière entre 900 et 1,000 francs, plus certaines franchises et immunités de genres divers, telles que le droit de suivre une école de chant en ville ou d’aller assister aux courses de chevaux en amazones, ou celui plus précieux de ne savoir faire quoi que ce soit de ce qui concerne leur service, et encore a-t-on grande difficulté à trouver à ce prix des aides féminins, si précieux par leur assiduité et leurs talens. La Nouvelle-Zélande est le paradis des servantes, nous dit M. Trollope et l’expression est vraiment d’une justesse irréprochable, étant donnés les détails qui nous sont fournis tant par lui que par lady Barker.

D’ordinaire une conclusion bien faite sur les sujets analogues à celui qui vient de nous occuper consiste à résumer en quelques traits saillans les faits détaillés de l’analyse, de manière à constituer le présent du pays étudié, et par ce présent à augurer de l’avenir ; mais ici il n’y a point d’avenir à augurer, car les faits interrogés aussi étroitement que possible nous donnent l’assurance qu’il sera semblable au présent. Si la nature nous accordait encore trente ans d’existence, et qu’au bout de ce temps il nous prît fantaisie de recommencer la longue tâche que nous venons d’achever, nous découvririons presque certainement que rien d’essentiel n’aurait changé durant cet intervalle. Au lieu de cinquante millions de moutons, nous en compterions probablement deux cents millions, au lieu de deux millions d’habitans, nous en compterions six ou sept, mais ce serait toujours au fond la même Australie que nous venons d’étudier et de décrire. Les colonies australiennes sont des pays heureux, destinés à l’être longtemps, et qui ne sont point pour démentir l’axiome si connu et si vrai de Montesquieu, que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. En auront-ils jamais une et échapperont-ils jamais à cette phase économique par laquelle ils ont débuté et dans laquelle ils sont obligés de persister pour leur bonheur ? Nous nous permettons parfois d’en douter. En tout cas, on peut tenir pour assuré que l’histoire ne s’y formera qu’avec une extrême lenteur et n’y apparaîtra que dans un avenir si éloigné que nous n’avons pas à en tenir compte. De quelque point de vue que nous envisagions les circonstances propres à ces régions, nous ne parvenons à découvrir dans aucune d’elles l’existence de ces fermens moraux qui font lever la pâte humaine. Leur population laborieuse, émigrée sans haines et passions politiques, n’a porté sur leur sol aucune de ces différences de races et d’origine qui aux États-Unis séparent encore les descendans des émigrans du May flower des descendans des cavaliers de la reine Elisabeth et du roi Jacques, et l’on n’aperçoit aucun de ces germes lie désaccord qui faisaient prophétiser à tout observateur de la grande république américaine la future guerre de sécession longues années avant qu’elle éclatât. Le seul événement considérable que l’on puisse prévoir, c’est la séparation d’avec l’Angleterre, mais, cette séparation peu désirée s’accomplît-elle, qu’elle ne serait pas le point de départ d’une situation nouvelle, et que les colonies resteraient le lendemain ce qu’elles étaient la veille. La démocratie tient une large place dans la plupart de ces colonies, et elle domine même dans quelques-unes ; mais plus on fera intime connaissance avec cette puissance si redoutée, plus on s’apercevra qu’elle n’est au fond dans ce qu’elle a de tout à fait légitime qu’une affaire de commerce et d’industrie, que toute démocratie sérieuse suppose un état social pacifique et ne vise qu’au bonheur matériel, et que par conséquent c’est pour le penseur une question que de savoir si cette démocratie universelle qui s’est répandue sur notre globe ne marque pas plutôt pour l’humanité la fin prochaine de l’histoire qu’elle n’en est la continuation et n’en inaugure un nouveau développement. Ne dirait-on pas en vérité que l’état social de ces colonies a été calqué sur l’inoffensive nature australienne, où les bêtes malfaisantes sont inconnues à l’égal des animaux puissans ? Dans la solitude du bush, que ne visita jamais la forme d’un loup, le berger paît presque sans surveillance ses troupeaux, qui errent librement et en pleine sécurité, sauf par intervalles quelques attaques du sauvage chien dingo, pareil à un aborigène pillard ou à un cacatoès maraudeur, et encore ce dingo, seule terreur, des colons australiens, est-il inconnu à la Nouvelle-Zélande. Cette sécurité du bush est l’image même des colonies australiennes, où manque tout élément de malheur, et qui doivent se résigner pour longtemps à n’occuper le monde que de la monotonie de leur prospérité..


EMILE MONTEGUT.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet et du 1er août.