L’Au delà et les forces inconnues/Opinion de M. Cesare Lombroso

Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 267-273).


OPINION DE M. CESARE LOMBROSO


Les faits du spiritisme sont vrais, mais les conclusions des spirites fausses. — Il n’y a pas d’esprits, il y a maladie nerveuse.


L’étonnement fut grand dans le monde scientifique européen, lorsque, récemment, le bruit se répandit que M. Cesare Lombroso, professeur à l’Université de Turin et matérialiste avéré, venait de passer au clan des spirites. Quoi ! l’auteur de l’Homme criminel, de Génie et Folie, où les plus hautes manifestations de l’esprit humain sont réduites à de simples anomalies cérébrales, se serait converti aux apparitions et aux tables tournantes !

La chose est vraie, mais à demi.

M. Lombroso assista, chez le chevalier Ciolfi, à Naples, aux expériences du médium Eusapia Paladino. Ces expériences, qui ont impressionné M. Sully-Prudhomme en France, ont changé totalement, quant aux faits, l’opinion du savant italien.

Il admet, désormais, la force dite médianimique, les phénomènes de lévitation, c’est-à-dire la possibilité pour le corps humain de s’élever du sol gr&ce à une mystérieuse énergie psychique, les matérialisations ou apparitions de fautâmes quasi-matériels, évoqués par des opérateurs qui prêtent leurs fluides à une courte mais tangible illusion, l’écriture automatique, le dédoublement de la personnalité, etc…



Jusqu’à présent, dans tous ses ouvrages, M. Lombroso n’avait cessé d’accabler les spirites des plus violentes injures. Maintenant, il tente une réhabilitation.

« J’ai grandement honte, écrit-il, et je regrette beaucoup (io somo molto vergognato e dolente) d’avoirsi opiniâtrement combattu les « phénomènes spirités », je dis les phénomènes, car je ne suis pas d’accord avec les théories. Mais les faits existent et je me vante d’être l’esclave des faits (dei fatti mi vanto di essere schiavo) ».

Puis, M. Lombroso s’avise d’une explication scientifique. Elle correspond à peu près à celle qu’avait déjà donnée M. de Hartmann, le successeur en Allemagne de Schopenhauer. Pour eux deux, l’excitation particulière de certains centres nerveux au détriment d’autres centres paralysés, permet un dégagement d’énergies, et ces énergies faites extérieures, sont cérébralisées, deviennent intelligentes sous l’influence inconsciente des cerveaux des assistants.

Le monde savant ne tarda pas à s’émouvoir. Le premier qui s’opposa aux théories de M. Lombroso fut l’éminent élève de M. Krafft-Ebing, le docteur Albert Moll de Berlin, le même docteur Moll qui fut poursuivi à cause de son ouvrage sur les Perversions du sens génital.

Je me suis adressé directement à M. Lombroso, qui a bien voulu répondre par écrit aux quelques questions que je lui ai posées :

— Votre science a dû vous fournir Une explication des phénomènes surprenants auxquels vous avez assisté ?

— Aucun de ces faits — il faut pourtant les admettre, parce qu’on ne peut nier des faits qu’on a vus — n’est de nature à faire supposer pour les expliquer un monde différent du noire. Il n’y a pas d’esprits ; il y a maladie nerveuse. Madame Eusapia est névropathe ; elle reçut dans son enfance un coup au pariétal gauche, dont il lui reste un trou assez profond pour qu’on puisse y enfoncer le doigt ; depuis, elle subit des accès d’épilepsie, de catalepsie, d’hystérie, qui se produisent au moment où ont lieu les prodiges. C’étaient des névropathes aussi, ces médiums admirables tels que Home, Slade, etc. Eh bien ! je ne vois rien d’inadmissible à ce que les hystériques et les hypnotiques provoquent en eux et hors d’eux un déplacement des forces psychiques, pouvant remuer, à distance et sans contact matériel, la matière. Ainsi, un médium est capable de soulever une table, de frapper, de toucher quelqu’un, de le caresser, tout en restant lui-même immobile.



— Les miracles vous semblent donc tout simples ?

— Bien des choses que nous avions cru fausses sur les miracles sont vraies, et le spiritisme nous en a donné la preuve.

— Et les expériences de Crookes, l’apparition de Katie King, de cette femme mystérieuse qui, raconte-t-il, sortait, fantomale, du sein de mademoiselle Cook endormie ?

— Ces expériences doivent être exactes ; j’ai émis une théorie identique à celle de Crookes, sans connaître la sienne. Cependant lui, comme moi, il a été accusé de supercherie. C’est l’explication la plus naturelle pour les âmes lasses, elle répond le mieux aux besoins de la multitude qui se croit ainsi dispensée de réfléchir.

— Jusqu’ici vous ne m’avez parlé que de faits ; que pensez-vous des théories édifiées sur ces prodiges, c’est-à-dire du mysticisme ?

— Le mysticisme, tel qu’il est conçu dans ces derniers temps, est une « pose » et une « bêtise », œuvre d’impuissants, de « mattoïdes », de gens qui n’ont pas les idées nettes, et se rattachent au passé qui est toujours l’asile des faibles.

— Quel est l’état du mysticisme, en Italie, dans les académies scientifiques ?

— Les académies ne valent guère la peine qu’on s’en occupe, ce sont des fossiles.



Et voilà comment les exercices d’une simple paysanne napolitaine ignorante — que les uns disent sorcière, les autres prestidigitatrice — sont en train de modifier les certitudes de savants modernes.

Le cas de M. Lombroso n’est pas isolé.

Eusapia a ébranlé les convictions d’Ockorowicz, du docteur Charles Richet, de Camille Flammarion, et j’avoue, pour ma part, avoir gardé des prodiges auxquels j’ai assisté dans son atmosphère une impression de trouble, presque d’angoisse, comme si j’avais pris part à quelque moderne sabbat.