Élégies (Marceline Desbordes-Valmore, 1860)/L’Attente
L’ATTENTE
Il m’aima. C’est alors que sa voix adorée
M’éveilla tout entière et m’annonça l’amour ?
Comme la vigne aimante en secret attirée
Par l’ormeau caressant, qu’elle embrasse à son tour,
Je l’aimai ! D’un sourire il obtenait mon âme.
Que ses yeux étaient doux ! que j’y lisais d’aveux !
Quand il brûlait mon cœur d’une si tendre flamme,
Comment, sans me parler, me disait-il : « Je veux ! »
Ô toi qui m’enchantais, savais-tu ton empire ?
L’éprouvais-tu, ce mal, ce bien dont je soupire ?
Je le crois : tu parlais comme on parle en aimant,
Quand ta bouche m’apprit je ne sais quel serment :
Qu’importent les serments ? Je n’étais plus moi-même,
J’étais toi. J’écoutais, j’imitais ce que j’aime ;
Mes lèvres, loin de toi, retenaient tes accents,
Et ta voix dans ma voix troublait encor mes sens.
Je ne l’imite plus ; je me tais, et les larmes
De tous mes biens perdus ont expié les charmes.
Attends moi, m’as-tu dit : j’attends, j’attends toujours !
L’été, j’attends de toi la grâce des beaux jours ;
L’hiver aussi, j’attends ! Fixée à ma fenêtre,
Sur le chemin désert je crois te reconnaître ;
Mais les sentiers rompus ont effrayé tes pas :
Quand ton cœur me cherchait, tu ne les voyais pas !
Ainsi le temps prolonge et nourrit ma souffrance :
Hier, c’est le regret ; demain, c’est l’espérance ;
Chaque désir trahi me rend à la douleur,
Et jamais, jamais au bonheur !
Le soir, à l’horizon, où s’égare ma vue,
Tu m’apparais encore, et j’attends malgré moi :
La nuit tombe… ce n’est plus toi ;
Non ! c’est le songe qui me tue.
Il me tue, et je l’aime ! et je veux en gémir !
Mais sur ton cœur jamais ne pourrai-je dormir
De ce sommeil profond qui rafraîchit la vie ?
Le repos sur ton cœur, c’est le ciel que j’envie !
Et le ciel irrité met l’absence entre nous.
Ceux qui le font parler me l’ont dit à moi-même :
Il ne veut pas qu’on aime !
Mon Dieu, je n’ose plus aimer qu’à vos genoux.
Qu’ai-je dit ? Notre amour, c’est le ciel sur la terre.
Il fut, j’en crois mon cœur, effrayé d’un remords,
Comme la vie, involontaire,
Inévitable, hélas ! comme la mort.
J’ai goûté cet amour ; j’en pleure les délices.
Cher amant ! Quand mon sein palpita sous ton sein,
Nos deux âmes étaient complices,
Et tu gardas la mienne, heureuse du larcin.
Oh ! ne me la rends plus ! Que cette âme enchaînée,
Triste et passionnée,
Heureuse de se perdre et d’errer après toi,
Te cherche, te rappelle et t’entraîne vers moi !