L’Astronomie au Mont-Blanc

L’Astronomie au Mont-Blanc
Revue des Deux Mondes5e période, tome 37 (p. 876-892).
L’ASTRONOMIE AU MONT-BLANC

Quo non ascendam ? C’est cette devise intrépide que semble avoir adoptée le doyen des astronomes français, puisque, insoucieux des dangers et des fatigues, il s’obstine à créer un observatoire au milieu des neiges éternelles, sur la plus haute cime de notre continent. À cette entreprise, M. Janssen était préparé de longue main, par d’autres ascensions, par les études qu’il avait faites (autrefois, en 1864, au sommet du Faulhorn, pour trancher la question des raies d’origine, terrestre dans le spectre solaire ; par les recherches exécutées en 1867 sur l’Etna pour la constatation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars ; par l’expédition de 1868, pendant laquelle il passa un hiver dans l’Himalaya, occupé à des études de spectroscopie solaire et stellaire, et celle de 1871 aux Nilgherries, qui lui permit de constater l’existence de l’atmosphère coronale du soleil. Notons encore le séjour que M. Janssen a fait, en 1887, à l’observatoire du Pic du Midi, enfin ses ascensions successives au Mont-Blanc, pour résoudre la question de la présence de l’oxygène dans le soleil. C’est à la suite de ces ascensions que fut décidée l’érection d’un observatoire astronomique au sommet du Mont-Blanc.


I

Il est à peine besoin d’expliquer pourquoi les astronomes, de nos jours, recherchent les hautes régions pour y établir leurs instrumens. Quand on vient de passer quelques mois sous un ciel brumeux qui arrête la lumière du jour et rend toute observation impossible, on comprend l’utilité d’une station qui domine les nuages. Mais, en supposant même le ciel parfaitement serein, l’atmosphère est encore un obstacle sérieux, espèce de voile translucide et trompeur, interposé entre l’observateur et l’univers, et ce voile est terriblement épais au niveau de la mer. Il déforme et dénature les images des objets.

Il y a d’abord la réfraction, qui fausse la position des astres d’autant plus qu’ils se trouvent plus près de l’horizon, où sont massées les couches d’air les plus denses.

Un autre inconvénient, plus grave au point de vue de l’astronomie physique, c’est que l’atmosphère diffuse la lumière, de sorte qu’un faisceau de rayons qui la traverse illumine l’air dans toutes les directions. C’est cette illumination du fond qui est le grand obstacle quand il s’agit d’explorer le bord ou les environs du disque solaire, et qui a si longtemps empêché l’observation des protubérances, en dehors des rares occasions fournies par les éclipses totales. S’il est possible de les voir aujourd’hui en plein jour, c’est que, grâce à M. Janssen, on sait s’affranchir de l’illumination par l’emploi du spectroscope, qui étale et affaiblit la lumière du fond, tout en laissant intacte la lumière monochromatique des protubérances.

Parmi les effets qui sont dus à la présence de l’atmosphère, il faut encore mentionner l’absorption qu’elle exerce sur les radiations émanées du soleil ou d’un astre quelconque ; elle en retient une notable partie, et, comme l’absorption n’est pas la même pour les divers élémens d’un faisceau lumineux, il en résulte que la composition du faisceau peut se trouver profondément altérée. Il faut donc admettre que les radiations qui arrivent jusqu’à nous sont, non seulement affaiblies par leur passage à travers l’atmosphère, mais encore dénaturées, modifiées dans leur composition. C’est pour cette raison que le soleil paraît rouge lorsqu’il approche de l’horizon. C’est aussi la cause de l’apparition d’une foule de lacunes ou raies noires dans le spectre solaire, raies dont l’origine terrestre est attestée par leurs variations.

Les effets nuisibles que nous venons d’énumérer s’atténuent beaucoup lorsque l’observateur peut se transporter à une altitude de quelques milliers de mètres. Au sommet du Mont-Blanc (à 4 810 mètres au-dessus du niveau de la mer), le baromètre marque encore 425 millimètres , d’où il suit que le poids de la couche atmosphérique superposée est encore un peu plus de la moitié de celui de l’atmosphère entière. Sur les plus hautes cimes de l’Himalaya (8 800 mètres), la pression n’est plus guère que le tiers de ce qu’elle est dans les plaines, au niveau de la mer, où chaque mètre carré supporte un poids de 10 000 kilogrammes. On voit qu’il est possible, en choisissant des stations très élevées, de s’affranchir en partie des entraves que la présence de l’atmosphère met aux recherches des astronomes et des physiciens. Le succès qui a couronné les tentatives déjà faites dans cette voie a encouragé ceux qui hésitaient encore devant les sacrifices que comportent ces ascensions pénibles et coûteuses, et l’on voit maintenant se multiplier les observatoires de montagne, pourvus de grands instrumens.

Le plus célèbre de ces établissemens est le magnifique observatoire Lick, établi au sommet du mont Hamilton, en Californie, à 1 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans un site admirable. D’après le rapport de son premier directeur, E.-S. Holden, les nuits sont continuellement sereines pendant six ou sept mois de l’année, et l’on peut profiter encore de la moitié du temps qui reste. On sait que cet observatoire a été construit à l’aide d’un legs de 700 000 dollars (3 500 000 francs) offert en 1874 par un riche fabricant de San Francisco, James Lick, qui consentit à faire ce sacrifice en faveur de l’astronomie après qu’on l’eut dissuadé de faire construire une pyramide qui devait lui servir de tombeau. La somme paraissait importante, mais elle n’aurait pas suffi à assurer l’avenir de cette fondation, si les autorités locales ne lui étaient pas venues en aide. On mit à la disposition de l’observatoire Lick une étendue de terrain de plus de 600 hectares ; le comté de Santa-Clara dépensa 400 000 francs pour la construction d’une route de 50 kilomètres depuis San José jusqu’au sommet de la montagne, l’Université de Californie promit une subvention annuelle de 100 000 francs. C’est grâce à ces libéralités que l’observatoire Lick, complètement achevé en 1888, et pourvu de bons instrumens, parmi lesquels il faut citer la grande lunette de 36 pouces, a })u commencer la série de travaux qui lui ont valu une si haute réputation parmi les astronomes.

On a trouvé, toutefois, que, pour les recherches solaires, il convenait de choisir une station plus élevée, et, en 1904, George E. Hale, l’ancien directeur de l’observatoire Yerkes, alla fonder un observatoire spécialement consacré au soleil sur le mont Wilson, à l’altitude de 1 800 mètres. Des expériences préliminaires avaient démontré que la pureté du ciel, dans cette partie de la Californie, ne laissait rien à désirer, et l’Institution Carnegie se chargea immédiatement de faire les frais de la nouvelle fondation ; elle y a déjà consacré plus de 1 500 000 francs. C’est, à l’heure qu’il est, le mieux outillé des observatoires solaires.

La station d’Arequipa (Pérou), où le célèbre établissement de Harvard-Collège a une succursale depuis 1890, se trouve à 3 kilomètres de la ville, à l’altitude de 2 457 mètres. L’observatoire de M, Percival Lowell, à Flagstaff (Arizona), est situé à 2 210 mètres. Sous ces climats très secs, un ciel pur et un air calme favorisent l’éclat et la fixité des images.

Les Américains ont d’ailleurs un grand nombre de hautes stations, favorables aux observations astronomiques ; mais ce sont généralement des stations météorologiques, qui ne sont occupées par des astronomes que d’une manière temporaire, notamment lorsqu’il s’agit d’observer une éclipse. Citons seulement la station de Pike’s Peak (Colorado), dont l’altitude atteint 4 300 mètres, et qui servit d’observatoire à Langley, à l’occasion de l’éclipsé de 1878 ; puis, le mont Washington (1 938 m.), le mont Mitchell (2 040 m.), le mont Whitney (4 460 m.), etc.

Il va sans dire que la météorologie tire, elle aussi, le plus grand profit de l’usage des hautes stations. Il existe aujourd’hui de nombreuses stations de ce genre dans les Alpes, dans le Caucase, dans l’Himalaya, dont l’altitude varie entre 2 000 mètres et 2 500 mètres. En France, le Bureau central météorologique dispose à présent des stations suivantes : Servance (1 216 m.), Briançon (1 298 m.), Puy de Dôme (1 467 m.), mont Aigoual (1 554 m.), mont Ventoux (1 900 m.), mont Mounier (2 740 m.). Pic du Midi (2 839 m.). La station du mont Mounier est aussi utilisée pour des observations astronomiques. A en croire MM. Baillaud et H. Bourget, le Pic du Midi, qui d’ailleurs possède quelques instrumens, pourrait également devenir une excellente station pour nos astronomes. Il faut ajouter à cette liste l’observatoire que M. J. Vallot a fait construire à ses frais au Mont-Blanc, sur le rocher des Bosses-du-Dromadaire, situé à l’altitude de 4 350 mètres. Etabli en 1890, déplacé et agrandi en 1898, il a déjà rendu de sérieux services, que l’Académie des sciences, en 1897, a tenu à reconnaître par le grand prix des Sciences physiques. Les résultats des travaux de M. Vallot et de ses collaborateurs ont été publiés par lui dans les Annales de l’Observatoire météorologique, physique et glaciaire du Mont-Blanc qui forment six volumes in-4o. Mais nous n’avons, pour le moment, à nous occuper que d’astronomie, et nous devons revenir à M. Janssen.

Sa première ascension au Mont-Blanc, qui eut lieu au mois d’octobre 1888, ne fut poussée que jusqu’à la cabane des Grands-Mulets, placée à une altitude d’environ 3 000 mètres sur des rochers qu’on rencontre au-dessus de la jonction de deux glaciers, celui des Bossons et celui de Tacconaz. À cette époque de l’année, le refuge était déjà abandonné, et il était tombé récemment une grande quantité de neige qui avait effacé les sentiers, masquait les crevasses, et rendait la marche extrêmement difficile. M. Janssen dut se faire précéder par une escouade de guides, chargés de reconnaître la route que l’on suivrait le lendemain, et se faire porter, une bonne partie du chemin, dans une sorte de chaise combinée à cet effet. C’est une échelle, longue de 4 mètres, dont les extrémités reposent sur les épaules de quatre ou six porteurs ; le voyageur est placé entre deux échelons, au centre, sur un siège de sangle, suspendu par des courroies de manière que les montans ne lui touchent pas les aisselles et que ses bras restent libres. Dans les endroits où il est nécessaire de marcher, il peut mettre pied à terre et s’appuyer sur les montans pendant la marche. Si l’on rencontre une crevasse, l’échelle peut être posée dessus pour en faciliter le passage. Au besoin même, cette échelle peut se transformer en brancard, porté à bout de bras.

Malgré tout, on mit treize heures pour parvenir au chalet des Grands-Mulets par une route qui, dans la belle saison, est parcourue en quatre heures, et on y arriva courbatu. Aussi, lorsque, deux ans plus tard, M. Janssen se décida à tenter l’ascension du sommet, dut-il écarter toute pensée d’ascension à pied, et se préoccuper de trouver un véhicule approprié. Ce véhicule fut un traîneau, confectionné à l’observatoire de Meudon et d’une forme semblable à celle des traîneaux lapons ; mais, pour plus de sécurité, on avait ajouté, dans les deux tiers de sa longueur et vers la tête, une main courante solidement fixée, qui devait servir à le redresser au besoin. Une longue échelle de corde, à échelons de bois, permettait aux hommes de s’attacher au traîneau sur deux files. Le véhicule était prêt ; mais il fallait faire accepter aux guides ce mode insolite de transport, et ce ne fut pas une petite affaire. On parvint cependant à les convaincre, et l’expédition fut décidée. Le 17 août 1890, à sept heures du matin, M. Janssen partait de Chamonix en compagnie de M. Durier, avec vingt-deux guides ou porteurs, et se trouvait au chalet de Pierre-Pointue vers dix heures. Du chalet aux Grands-Mulets, on employa la chaise-échelle, et à cinq heures et demie la caravane arrivait à l’étape. Le lendemain, on quitte les Grands-Mulets à cinq heures du matin, avec le traîneau remorqué par douze guides, et l’escalade recommence, périlleuse et pénible. En vue de parer au danger d’une chute, deux guides toujours grimpent en avant, enfoncent dans la neige et la glace un piolet jusqu’à la tête, et enroulent autour du manche deux tours d’une longue corde dont ils tiennent fortement l’extrémité. Au fur et à mesure que le traîneau s’élève, ils tirent la corde à eux, de manière qu’elle reste toujours tendue. En cas d’accident, cette corde aurait retenu le traîneau et ceux qui le guidaient. Vers une heure de l’après-midi, on était à la cabane des Bosses, que M. Vallot venait de faire construire.

On devait y passer la nuit et repartir le lendemain ; mais, dans la soirée, le temps se gâta tout à coup, et, la nuit, la tourmente fut terrible. C’était le contre-coup du cyclone du 19 août. Il fallut patienter trois jours, et M, Janssen eut le temps de faire des réflexions sur l’utilité qu’aurait un observatoire météorologique bien aménagé et bien outillé, pourvu d’appareils enregistreurs à longue marche, dans ces hautes régions, où les perturbations atmosphériques se font encore sentir avec une sauvage violence. Enfin, le 22, le temps s’étant amélioré, M. Janssen put songer à faire l’ascension du sommet, avec les douze hommes qui lui restaient, sous les ordres de leur chef Frédéric Payot, car les autres avaient demandé à redescendre. Grâce à l’énergie indomptable de cette troupe de fidèles, le traîneau finit par être hissé jusqu’au sommet, et après quelques heures consacrées à de rapides observations, par un temps admirable, il fallut se résoudre à commencer la descente ; à deux heures, on était de retour à l’établissement des Bosses, et le soir, on était aux Grands-Mulets pour le dîner. Le lendemain, départ pour Chamonix, où l’on arriva vers sept heures du soir.

M. Janssen a raconté, avec beaucoup de charme, les péripéties de ces ascensions et de celles qu’il fit encore les années suivantes, dans des lectures académiques et dans une série de notices qui ont paru dans les volumes successifs de l’Annuaire du Bureau des Longitudes ; nous, pouvons nous dispenser d’y insister. Ces expéditions devaient aboutir, comme nous le verrons, à la création d’un observatoire ; mais elles ont fourni, en même temps, l’occasion d’une foule d’observations précieuses, relatives principalement au spectre solaire et à la constitution du soleil.

L’une des questions qui préoccupaient M. Janssen était celle de l’existence de l’oxygène dans l’atmosphère solaire ; question importante entre toutes, en raison du rôle que joue cet élément dans les phénomènes géologiques, chimiques et biologiques. Quelques spectroscopistes, trop pressés, avaient d’abord affirmé que l’oxygène existe dans le soleil ; mais cette assertion avait rencontré des contradicteurs. M. Janssen avait à cœur de la contrôler. Ses expériences et celles de M. Egoroff nous ont appris que l’action de l’oxygène sur la lumière se traduit par l’apparition, dans le spectre, de certains groupes de raies fines (les groupes A, B, α) et de bandes obscures qui ne se montrent que si l’absorption est très forte. Ces bandes n’existant pas dans le spectre solaire dès que l’astre est un peu élevé, il était logique de les attribuer à l’action de l’atmosphère terrestre. Mais les raies fines persistent quand le soleil s’approche du zénith, et la question de leur origine est beaucoup plus difficile à trancher.

On peut d’abord songer à les faire naître artificiellement dans le spectre de la lumière électrique, par l’interposition d’une couche absorbante, équivalente à notre atmosphère ; c’est l’expérience que M. Janssen a tentée en 1889, en observant, à Meudon, le spectre de la lumière électrique installée au sommet de la tour Eiffel. La distance est de 7 700 mètres ; les rayons avaient donc traversé une couche de densité uniforme, à très peu près équivalente à la couche, de densité variable, que traversent des rayons venus du zénith. Or le spectre montra les raies fines de l’oxygène avec leur intensité normale ; c’était la preuve de leur origine tellurique. Pour obtenir aussi les bandes obscures, il aurait fallu une distance beaucoup plus grande.

Une autre preuve de l’origine terrestre des raies. A, B du spectre solaire serait fournie par une diminution graduelle de leur intensité, constatée pendant une ascension aérostatique ou pendant une ascension au Mont-Blanc. C’était là le but principal des premières expéditions de M. Janssen. Il a pu, en effet, avec les spectroscopes qu’il avait emportés, constater d’une manière indubitable la diminution de l’intensité du groupe B avec l’élévation de la station ; mais la hauteur du Mont-Blanc ne suffit pas pour éteindre toutes les raies de l’oxygène. M. le comte de La Baume-Pluvinel a confirmé ce résultat en photographiant le groupe B du spectre solaire à Chamonix et au sommet du Mont-Blanc, au mois de septembre 1898. Mais la persistance des raies en question s’explique aisément, puisque, d’après les expériences de laboratoire de M. Janssen, une colonne d’oxygène de 120 mètres de longueur, à la pression normale, suffit pour produire une absorption qui donne naissance aux raies B, et que, d’autre part, la couche atmosphérique qui pèse sur le Mont-Blanc équivaut encore à une colonne d’oxygène de 900 mètres, soit sept fois la longueur indispensable pour obtenir les raies. Il faudrait évidemment, pour voir disparaître complètement ces raies si persistantes, s’élever beaucoup plus haut, à des altitudes de 15 ou 20 kilomètres. Des ballons-sondes, munis de spectrographes automatiques, fourniront peut-être un jour la solution du problème. Il ne faut pas, d’ailleurs, oublier que l’étude des raies de l’oxygène est rendue assez difficile par la présence des raies de la vapeur d’eau, qui s’y mêlent toujours. Enfin, la visibilité persistante des raies peut s’expliquer en partie par l’intensité plus grande de la lumière, soumise à une absorption moins forte.

Malgré ces difficultés qui subsistent toujours, et qui appellent de nouvelles recherches, la concordance des preuves partielles que nous possédons déjà permet d’affirmer que les raies du spectre solaire qui caractérisent l’oxygène proviennent de l’atmosphère terrestre, et que l’oxygène, tel que nous le connaissons, n’existe pas dans le soleil. Cela n’empêche nullement d’admettre que ce corps s’y trouve sous une autre forme, plus simple, peut-être à l’état de dissociation.


II

Pour mener à bien de semblables recherches, il ne faut pas compter sur des ascensions, même répétées ; il est indispensable de disposer d’un observatoire permanent, pourvu d’un certain nombre d’instrumens, et permettant un séjour plus ou moins prolongé. C’est ce que M. Janssen fit comprendre dans le rapport qu’il lut à l’Académie des sciences sur son expédition de 1890, et son appel fut entendu. M. Bischoffsheim, que la mort a enlevé il y a quelques mois à la science qu’il aimait, offrit immédiatement 150 000 francs ; le prince Roland Bonaparte souscrivit pour 100 000 francs, le baron Alphonse de Rothschild pour 20 000 francs ; M. Janssen s’était inscrit pour 10 000 francs comme promoteur. Ainsi, dès le début, le sort du nouvel observatoire pouvait être considéré comme assuré. Peu après, les coopérateurs de l’entreprise se constituèrent en une société qui comprenait : MM. Léon Say, président d’honneur ; Janssen, président ; Bischoffsheim, secrétaire ; Ed. Delessert, trésorier ; prince Roland Bonaparte, baron A. de Rothschild, comte Greffulhe, membres. Léon Say, qui s’y intéressait beaucoup, se faisait fort d’obtenir une subvention annuelle de l’État.

Les études préliminaires, relatives à l’établissement de l’observatoire, furent commencées au mois d’août 1891. Il s’agissait tout d’abord de se rendre compte de l’épaisseur de la calotte de glace qui couvre le sommet du Mont-Blanc. M. Eiffel avait promis de faire exécuter, à ses frais, les sondages nécessaires, et il en avait chargé un ingénieur suisse, M. Imfeld.

Le sommet du Mont-Blanc est formé par une arête de rochers très étroite et de plus de 100 mètres de long, orientée de l’Ouest à l’Est. Cette arête, terminée probablement en aiguilles, a été empâtée par la neige, et il s’est formé une croûte qui doit être bien plus épaisse du côté Nord que du côté Sud, où elle est exposée à des vents moins froids. Deux galeries horizontales, chacune de 23 mètres de longueur, creusées à 12 mètres environ au-dessous de la crête, n’ont pas rencontré de rocher ; on n’a trouvé que de la neige durcie. Il est donc probable que la croûte glacée qui recouvre la tête du Mont-Blanc a plus de 12 mètres d’épaisseur, et M. Janssen a tout de suite songé à une solution du problème dans des conditions toutes nouvelles, qui consistait dans l’établissement d’une construction assise sur la neige dure et permanente qui forme la cime du Mont-Blanc.

Les récits des ascensions du siècle dernier prouvent que l’aspect des petits rochers situés près du sommet n’a pas beaucoup changé, et l’on peut en conclure que la configuration du sommet et de sa calotte neigeuse ne subit que des changemens insignifians et surtout très lents. Il s’ensuit qu’une construction, agencée de façon à former un tout rigide, et munie d’engins spéciaux pour rectifier sa position dès qu’elle serait dérangée, pouvait y être placée en toute sécurité, et devait jouir d’une stabilité relative. Il restait encore à savoir si la couche de neige du sommet pouvait offrir une résistance suffisante pour y asseoir un édifice. M. Janssen jugea nécessaire de s’en assurer par des expériences directes.

Pendant l’hiver, on avait élevé, dans une des cours de l’Observatoire de Meudon, un monticule de neige de la hauteur d’un premier étage ; la neige avait été tassée à la pelle, au fur et à mesure de la mise en place, et avait acquis la densité de celle du Mont-Blanc. Sur le sommet, bien nivelé, on se mit à entasser des disques de plomb du poids de 30 kilogrammes. Quand la colonne comprit douze disques, d’un poids total de 360 kilogrammes, on les enleva peu à peu, et l’on constata qu’ils n’avaient fait qu’une empreinte de 7 à 8 millimètres. Le résultat dépassait l’attente, car la pression exercée sur la neige représentait près de 4 000 kilogrammes par mètre carré. Une construction, mesurant 10 mètres sur 5 mètres à la base, pouvait donc peser 200 000 kilogrammes, sans qu’on eût à craindre qu’elle s’enfonçât dans la neige durcie au-delà de quelques centimètres. Des plans rigides, placés en dessous, sur lesquels s’appuieraient des vis formant vérins, devaient offrir la résistance nécessaire pour relever la construction en cas de besoin et pour la remettre d’aplomb. Pour la mettre aussi à l’abri des tourmentes, il convenait de lui donner la forme d’une pyramide tronquée, et d’enfouir dans la neige tout l’étage inférieur, de manière à donner à l’édifice une assise large et solide.

Ce projet ayant été approuvé par M. Vaudremer, l’éminent architecte membre de l’Académie des Beaux-Arts, la construction fut commencée d’après les plans dressés sous sa direction. Elle est à deux étages, avec terrasse et balcon. La base de la pyramide mesure 10 mètres sur 5 mètres. Les pièces du sous-sol qui forme l’étage inférieur sont éclairées par des baies larges et basses, émergeant de la neige. Un escalier en spirale dessert les deux étages et la terrasse, qu’il dépasse de quelques mètres pour supporter une plate-forme, destinée aux observations météorologiques. Des parois doubles protègent les habitans contre le froid ; le sous-sol a aussi un double plancher qui le sépare de la neige. La construction, toute en bois, recouverte de toile fut exécutée à Meudon, puis démontée et transportée à Chamonix. Le poids total des matériaux s’élevait à 15 tonnes, et représentait 700 à 800 charges de porteurs. Par mesure de prudence, on divisa la route en quatre sections, avec étapes aux Grands-Mulets (3 000 mètres) et au Grand-Rocher-Rouge (4 500 mètres). La première section, qui comprenait la route de Chamonix à l’entrée du glacier, permettait encore l’usage de mulets. La deuxième, qui aboutissait aux Grands-Mulets, où se trouve une auberge appartenant à la commune, s’enfonçait en plein glacier, et le transport ne pouvait être effectué qu’à dos d’hommes. On avait construit, à la station des Grands-Mulets, une cabane de dépôt et de refuge pour les porteurs. Le trajet de cette station à celle du Rocher-Rouge, qui n’est qu’à 300 mètres du sommet, formait la troisième section. On avait eu soin de construire à cette dernière station une cabane d’habitation où les charpentiers et autres travailleurs pouvaient passer la nuit et se mettre à l’abri en cas de mauvais temps.

Tout l’été de 1892 fut employé à la construction de l’observatoire, à son transport à Chamonix, à l’organisation des étapes et des transports ; mais il fallut encore la campagne de 1893 pour terminer ces transports, qui, soit dit en passant, ont coûté 40 000 francs. Un accident avait même failli tout compromettre : un dépôt de matériaux, placé au Rocher-Rouge, avait disparu au printemps ; on finit par le retrouver sous une couche de neige de 8 ou 9 mètres.

Pendant quelques mois, ce grand glacier du Mont-Blanc, dont les ressauts figurent comme les marches d’un escalier gigantesque, offrait donc l’aspect d’un chantier où se succédaient les files de porteurs ou d’ouvriers manœuvrant des treuils, disposés de distance en distance pour faire franchir aux pièces les plus lourdes les grandes pentes, d’un accès si dangereux. Enfin, les matériaux étaient en place, et les charpentiers de Meudon pouvaient commencer à monter l’édifice. Favorisés par une quinzaine de jours d’un temps absolument calme, ils purent terminer leur ouvrage le 8 septembre, et M. Janssen, impatient de le voir de près, résolut d’entreprendre une nouvelle ascension, en se servant, cette fois, des treuils pour hisser son traîneau. Il arriva au sommet le 11, dans l’après-midi, et y resta quatre jours, occupé surtout d’observations du spectre solaire, à l’aide d’un beau spectroscope à réseau, de Rowland.

M. Janssen put entreprendre une nouvelle ascension en 1895 ; elle avait pour but principal de constater que toutes les pièces de la grande lunette de 0m, 33 d’ouverture, destinée à l’Observatoire, y étaient parvenues en bon état, et pourraient y passer l’hiver sans danger. La lunette en question devait être montée en sidérostat polaire. La lunette, dont l’axe coïncide avec l’axe du monde, reçoit alors les rayons réfléchis par un miroir. (Le miroir, de 0m, 60 de diamètre, avait été offert par les frères Henry, ainsi que l’objectif.) Tous les mouvemens sont commandés du poste où se tient l’observateur, qui dès lors n’a pas besoin de se déplacer et peut se tenir dans une pièce close et bien chauffée. Ce bel instrument, dont le mécanisme est dû à M. Gautier, a pu être monté, non sans difficulté, dans le courant de l’année 1896.

Il s’agissait aussi d’inspecter le météorographe enregistreur, qui avait été installé en 1894, et qui s’était arrêté. Cet appareil, construit par M. Jules Richard, est actionné par un poids de 90 kilos qui descend de 5 à 6 mètres en huit mois et donne le mouvement à une pendule qui le transmet aux organes des enregistreurs ; on obtient ainsi l’enregistrement continu de la pression barométrique, de la température, de l’humidité, de la vitesse et de la direction du vent. Il fut constaté que l’appareil manquait de stabilité, et on parvint à le remettre en marche en lui donnant un support indépendant du plancher. Mais cet instrument n’a jamais pu fonctionner très régulièrement. Un autre météorographe, qui doit marcher huit mois sans être remonté, a été installé à la station des Grands-Mulets.

Il faut dire ici que la question des météorographes à très longue marche, propres à être placés dans une station de montagne pour y remplacer l’observateur pendant la mauvaise saison, est très délicate et appelle de nouveaux essais. M. Janssen s’en est beaucoup préoccupé, et a proposé une solution nouvelle, qui consiste à emprunter la rotation et la chute du cylindre enregistreur à son propre poids ; le résultat s’obtient à l’aide d’une vis à pas très allongé qui porte un écrou relié au cylindre. M. Poncet, professeur d’horlogerie à l’école de Cluses, s’est chargé de construire un météorographe de ce genre. Jusqu’ici, autant que je sache, la durée de la marche de ces sortes d’enregistreurs n’a pas dépassé huit ou neuf mois.

Lors de cette dernière visite, M. Janssen a encore cherché à se renseigner sur les mouvemens que l’édifice avait pu éprouver depuis son établissement. Il a constaté qu’il y avait eu un léger mouvement d’abaissement vers Chamonix ; mais, d’après l’un des entrepreneurs de la construction, ce mouvement aurait eu lieu de 1893 à 1894, et se serait arrêté depuis. On ne parait pas avoir remarqué, dans la suite, de tassemens très sensibles ; on avait, du reste, les moyens d’y porter remède et de redresser la construction. Les craintes et les doutes manifestés par les alpinistes à cet égard n’étaient donc guère fondés. Le dernier rapport de l’architecte Baudouin, qui a visité l’observatoire le 9 juillet 1906, constate qu’il est enneigé du côté du Sud, mais en bon état ; le nivellement de la plate-forme a montré que, depuis 1904, il y a eu des variations de quelques centimètres, qui n’ont amené aucun désordre dans la construction, si bien que le plancher de la salle d’observation, redressé en 1904, est toujours parfaitement plan. Il est donc permis de croire que la question des constructions sur la neige des hautes cimes est en bonne voie de solution.


III

Depuis sa dernière ascension, chaque année M. Janssen retourne à Chamonix pour diriger les travaux que de jeunes savans viennent exécuter à la station des Grands-Mulets et au sommet du Mont-Blanc. Aujourd’hui que l’observatoire est devenu confortable, on peut y faire des séjours prolongés, de huit et même de quinze jours. Les sujets de recherches ne manquent pas : l’étude des planètes Vénus et Mercure, celle du spectre solaire et des spectres stellaires, ou encore celle des radiations calorifiques et chimiques des corps célestes, peuvent tenter les astronomes ; mais la météorologie et la physiologie offrent également des problèmes curieux que l’on peut chercher à résoudre par l’emploi des hautes stations. M. Janssen a souvent communiqué à l’Académie des sciences des notes résumant les résultats obtenus dans ces conditions.

Citons, en premier lieu, les recherches sur la radiation calorifique du soleil, auxquelles a donné lieu l’établissement de l’observatoire astronomique du Mont-Blanc. On sait que le but principal de ces recherches, qui s’exécutent à l’aide d’instrumens qu’on appelle actinomètres ou actinographes, est toujours la détermination de la constante solaire (c’est le nombre qui exprime, en calories par minute et par centimètre carré, la puissance du rayonnement solaire avant son entrée dans l’atmosphère terrestre). Les traités de physique un peu anciens assignent à cette constante des valeurs inférieures à 2 calories, qui datent de Pouillet et de son pyrhéliomètre. Mais, peu à peu, on a été amené à augmenter ce nombre. M. Violle, ayant fait, au mois d’août 1875, l’ascension du glacier des Bossons et du Mont-Blanc, a trouvé 2 cal. 54. M. Crova, le savant physicien de Montpellier, a trouvé 2 cal. 83, au mont Ventoux. En 1881, Langley, ayant opéré au sommet du mont Whitney, à une altitude de 4 460 mètres, tire de ses expériences un nombre qui dépasse 3 calories ; Savélieff, à Kief, trouve 3,5, et Knut Angström (qui avait gravi le pic de Ténériffe) propose d’adopter 4 calories.

Ces discordances tiennent, d’une part, à la diversité des procédés d’observation, et de l’autre, aux circonstances atmosphériques, toujours si variables, aux causes de trouble dues à la présence de la vapeur d’eau, des poussières minérales, des poussières de neige, soulevées par les vents. Ces impuretés, souvent invisibles, résident dans les parties basses de l’atmosphère ; elles forment ce qu’on a pu appeler la vase atmosphérique ; et, comme elles sont une cause d’absorption énergique qui affaiblit l’intensité des rayons, on recherche, pour y échapper, les hautes régions, par un temps calme et froid.

En 1896, MM. Crova et Houdaille ont tenté quelques expériences à Chamonix (altitude 1 050 mètres), et aux Grands-Mulets (3 020 mètres). Ces expériences ont été reprises, l’année suivante, par un jeune Russe attaché à l’observatoire de Meudon, M. Hansky. Ce dernier put observer successivement au Brévent, aux Grands-Mulets, puis au sommet du Mont-Blanc, en faisant usage des appareils de M. Crova, et en se laissant guider par ses conseils ; la discussion de ses expériences lui donna, pour la constante solaire, le nombre 3,4. Il a pu répéter ces observations en 1898, 1900 et 1904, et il s’est arrêté au nombre 3,3, comme représentant la valeur la plus probable de la constante solaire Il pense qu’elle est certainement comprise entre 3,0 et 3,5, et, en tout cas, supérieure à 2,5, nombre que Langley a obtenu, en dernier lieu, avec son bolomètre. On voit que les physiciens ne sont pas encore d’accord sur la vraie valeur de la constante solaire, — si constante il y a, car, après tout, rien ne prouve que la radiation solaire ne varie pas. Il serait assurément intéressant d’étudier, d’une manière analogue, la radiation chimique du soleil, et de recourir aussi à la photométrie ; il s’ouvre là un vaste champ de recherches.

Nous avons déjà parlé assez longuement des études spectroscopiques de M. Janssen, relatives à la question de l’oxygène solaire, et de la confirmation de ses résultats par les expériences de M, de La Baume-Pluvinel. Ajoutons qu’en 1899 de nouvelles expériences de photographie spectrale ont été entreprises par M. Tikhoff, élève astronome de Meudon, tant à l’Observatoire de Meudon qu’à Chamonix et au sommet du Mont-Blanc. Il convient aussi de mentionner ici le travail exécuté en 1902 par M. Aubert, avec un spectroscope à prismes et lentilles de quartz, en vue d’étudier les modifications que l’altitude et la rareté de l’air apportent à la richesse des rayons violets et ultra-violets du spectre (travail déjà commencé par Cornu).

En 1895 et 1896, l’un des plus habiles astronomes de l’Observatoire de Paris, M. Bigourdan, avait tenté, avec l’appareil Defforges, de mesurer l’intensité de la pesanteur au sommet du Mont-Blanc et en différens points du massif ; mais ces expériences avaient été contrariées par le mauvais temps. Elles furent reprises en 1898 par M. Hansky, avec l’appareil de Sterneck, qui est très commode pour obtenir des déterminations relatives. M. Hansky a pu opérer, dans de bonnes conditions, d’abord à Meudon, puis au sommet du Mont-Blanc, aux Grands-Mulets, au Brévent et à Chamonix.

En 1900, M. Hansky est encore venu de Russie pour continuer au Mont-Blanc ses observations actinométriques. Il est monté au sommet le 23 juillet et le 1er septembre, et y est resté chaque fois six jours. Le 4 septembre, il eut l’occasion d’observer le lever du soleil et de voir le fameux rayon vert. « L’atmosphère était transparente, l’horizon d’une netteté extraordinaire ; on voyait distinctement des montagnes éloignées de plus de 100 kilomètres. Au moment du lever, je fus frappé par une lumière verte très vive, très pure, d’une durée d’une demi-seconde environ. Le soleil apparut ensuite, brillant et tout jaune, sans aucune teinte rouge. Les observations hygrométriques montraient que l’atmosphère n’avait presque pas de vapeur d’eau, contenait peu de particules solides... « On sait que ce phénomène, qu’on observe parfois en pleine mer, s’explique par la dispersion des rayons lumineux qui rasent l’horizon par un temps sec et dégagé de brumes, où l’intensité de la partie verte du spectre n’est pas affaiblie par l’absorption. La veille, M. Hansky avait pu observer l’occultation de Saturne par la lune et constater l’absence de tout ligament entre la planète et le disque lunaire, grâce à la parfaite netteté des images. Il faut mentionner aussi une intéressante observation de la lumière zodiacale que M. Hansky a faite en septembre 1904 au Mont-Blanc, où il a pu distinguer des détails difficilement visibles dans les conditions ordinaires. Il a aussi tenté de photographier la couronne solaire, mais le résultat n’a pas été satisfaisant ; c’est une expérience à recommencer.

Signalons enfin une étude, entreprise l’été dernier, par MM. Ch. Féry et G. Millochau, en vue de déterminer la valeur de l’émission calorifique de diverses régions du disque solaire. On a fait usage du télescope pyrométrique de M. Féry. C’est un tube dont on peut faire varier l’ouverture, et qui renferme un miroir en verre argenté, un couple thermo-électrique placé au foyer, et un prisme qui renvoie les rayons venus du miroir dans un oculaire ; la pile est reliée à un galvanomètre. Les observations ont été faites au Mont-Blanc, à Chamonix et à Meudon.

Ces exemples prouvent que l’observatoire perché au haut du Mont-Blanc offre aux astronomes toutes facilités pour des recherches très variées et, en même temps, très spéciales et très délicates. Mais le domaine des recherches s’est peu à peu étendu, de manière à comprendre aussi la météorologie et la physiologie. Seulement, ces recherches doivent être exécutées pendant les mois d’été, car les hivers sont généralement trop rigoureux. En 1901, M. Nordmann a relevé, sur un thermomètre Tonnelot à minima, 45° au-dessous de zéro.

Parmi les expériences de toute nature qui ont eu lieu, depuis quelques années, au Mont-Blanc, il convient de citer, comme particulièrement importantes, celles qui ont été poursuivies, en 1899 et 1900, avec l’appui de l’administration des télégraphes, sur le pouvoir isolant de la glace. Elles ont été faites avec des fils de fer galvanisé, posés à même sur le glacier, à quelques mètres l’un de l’autre. Commencées par MM. Cauro et Lespieau, elles furent continuées par M. Lespieau seul, après l’accident mortel arrivé à M. Cauro, qui fit une terrible chute dans un sentier de la montagne de la Côte. Ces expériences ont démontré qu’une ligne télégraphique d’une grande longueur, de 10 kilomètres par exemple, peut être établie, à fil nu, sur les glaciers, et fournir un bon service. Ce résultat est fort intéressant pour la télégraphie en haute montagne. On avait déjà fait, il est vrai, des essais de communication par fils nus posés sur la neige, mais il s’agissait toujours de faibles distances.

M. Maurice de Thierry a poursuivi, de 1894 à 1899, des expériences de dosage de l’ozone atmosphérique, de l’ammoniac, du gaz carbonique, à diverses altitudes. M. Le Cadet, en 1902, a étudié l’électricité atmosphérique au sommet du Mont-Blanc. De son côté, M. Nordmann avait entrepris la recherche d’ondes électro-magnétiques, émanées du soleil ; le résultat a été négatif.

Contentons-nous de mentionner encore les études spectroscopiques du sang, commencées par le docteur Hénocque en 1902, et continuées, après sa mort, par M. Raoul Bayeux ; les observations de MM. Guillemard et Moog sur l’hyperglobulie des altitudes ; enfin, l’étude bactériologique des neiges du Mont-Blanc, inaugurée en 1900 par le docteur Binot, de l’Institut Pasteur. M. Binot a trouvé, dans les différentes parties du glacier, des flores microbiennes très variées dont on était loin de soupçonner l’existence, et dont l’étude ultérieure promet d’être féconde en résultats curieux. Il convient d’ajouter que des expériences actinométriques et des recherches physiologiques de diverse nature (notamment sur la respiration à ces hautes altitudes) ont été entreprises aussi par M. J. Vallot et par les nombreux savans, français ou étrangers, auxquels il a offert l’hospitalité de son observatoire des Bosses. MM. Joseph et Henri Vallot préparent maintenant la publication d’une carte du massif du Mont-Blanc.

J’ai dû me borner ici à considérer, pour ainsi dire, à vol d’oiseau les manifestations si diverses de l’activité intellectuelle, suscitées par la création d’un observatoire au sommet du Mont-Blanc. Il serait assurément à désirer qu’il fût complété, développé et mis à même de rendre tous les services que nous promet cette station unique. Serait-il donc impossible de frayer une route pour en faciliter l’accès, en attendant qu’une ligne de ballons dirigeables soit établie entre Chamonix et la cime du Mont-Blanc ?


R. RADAU.