L’Art priapique, parodie des deux premiers chants de l’art poétique/01

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ART POÉTIQUE.

CHANT PREMIER.

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur :
S’il ne sent point du ciel l’influence secrète,
Si son astre en naissant ne l’a formé poëte,
Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd et Pégase rétif.
Ô vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer ;
Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtems votre esprit et vos forces.
La nature, fertile en esprits excellens,
Sait entre les auteurs partager les talens :

L’un peut tracer en vers une amoureuse flamme,
L’autre, d’un trait plaisant aiguiser l’épigramme ;
Malherbe d’un héros peut vanter les exploits,
Racan chanter Philis, les bergers et les bois ;
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime
Méconnaît son génie et s’ignore soi-même.
Ainsi tel autrefois qu’on vit avec Faret
Charbonner de ses vers les murs d’un cabaret,
S’en va mal à propos, d’une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime ;
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr :
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit ;
Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée ;

Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès ; laissons à l’Italie
De tous ces faux brillants l’éclatante folie.
Tout doit tendre au bon sens, mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir ;
Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt on se noie :
La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.
Un auteur quelquefois, trop plein de son objet,
Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet.
S’il rencontre un palais, il m’en dépeint la face,
Il me promène après de terrasse en terrasse :
Ici s’offre un perron, là règne un corridor,
Là ce balcon s’enferme en un balustre d’or ;
Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;
« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales. »
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile,
Et ne vous chargez point d’un détail inutile :
Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant,
L’esprit rassasié le rejette à l’instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire :
Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ;
J’évite d’être long, et je deviens obscur.

L’un n’est point trop fardé, mais sa muse est trop nue ;
L’autre a peur de ramper : il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours ?
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.
Heureux qui dans ses vers sait, d’une voix légère,
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d’acheteurs.
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse ;
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté
Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté,
On ne vit plus en vers que pointes triviales,
Le Parnasse parla le langage des halles,
La licence à rimer alors n’eut plus de frein,
Apollon travesti devint un Tabarin.
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes,
Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs,
Et jusqu’à d’Assouci tout trouva des lecteurs.
Mais de ce style enfin la cour désabusée
Dédaigna de ces vers l’extravagance aisée,

Distingua le naïf du plat et du bouffon,
Et laissa la province admirer le Typhon.
Que ce style jamais ne souille votre ouvrage ;
Imitons de Marot l’élégant badinage,
Et laissons le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf.
Mais n’allez point aussi, sur les pas de Brébeuf,
Même en une Pharsale, entasser sur les rives
« De morts et de mourants cent montagnes plaintives. »
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard ;
M’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire ;
Ayez pour la cadence une oreille sévère ;
Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu’une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
Il est un heureux choix de mots harmonieux ;
Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.
Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisait toutes les lois ;
La rime, au bout des mots assemblés sans mesure,
Tenait lieu d’ornement, de nombre et de césure.
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers ;

Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna des triolets, rima des mascarades,
À des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin ;
Mais sa muse, en français parlant grec et latin,
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut ;
Enfin Malherbe vint, et le premier en France
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée ;
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas, aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre,

Et, de vos vains discours prêt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées,
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette ou moins pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Surtout qu’en vos écrits la langue révérée,
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée :
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux ;
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse.
Un style si rapide et qui court en rimant
Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse, et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent
Des traits d’esprit semés de tems en tems pétillent :
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu,
Que le début, la fin répondent au milieu,
Que d’un art délicat les pièces assorties
N’y forment qu’un seul tout de diverses parties,
Que jamais du sujet le discours s’écartant
N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique :
L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer ;
Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur,
Mais sachez de l’ami discerner le flatteur :
Tel vous semble applaudir qui vous raille et vous joue.
Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier,
Chaque vers qu’il entend le fait extasier,
Tout est charmant, divin, aucun mot ne le blesse,
Il trépigne de joie et pleure de tendresse,

Il vous comble partout d’éloges fastueux :
La vérité n’a point cet air impétueux.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible.
Il ne pardonne point les endroits négligés,
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l’ambitieuse emphase ;
Ici le sens le choque, et plus loin c’est la phrase,
Votre construction semble un peu s’obscurcir,
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir.
C’est ainsi que vous parle un ami véritable.
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable,
À les protéger tous se croit intéressé,
Et d’abord prend en main le droit de l’offensé.
De ce vers, direz-vous, l’expression est basse.
— Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d’abord. — Ce mot me semble froid ;
Je le retrancherais. — C’est le plus bel endroit !
— Ce tour ne me plaît pas. — Tout le monde l’admire !
Ainsi toujours constant à ne point se dédire,
Qu’un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C’est un titre chez lui pour ne point l’effacer.
Cependant, à l’entendre, il chérit la critique,
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique,
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N’est rien qu’un piége adroit pour vous les réciter.

Aussitôt il vous quitte, et, content de sa muse,
S’en va chercher ailleurs quelque fat qu’il abuse ;
Car souvent il en trouve : ainsi qu’en sots auteurs
Notre siècle est fertile en sots admirateurs ;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L’ouvrage le plus plat a chez les courtisans
De tout temps rencontré de nouveaux partisans,
Et, pour finir enfin par un trait de satyre,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.



CHANT II.



Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens ;
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son tour simple et naïf n’a rien de fastueux,
Et n’aime point l’orgueil d’un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n’épouvante l’oreille.

Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
Jette là de dépit la flûte et le hautbois,
Et follement pompeux dans sa verve indiscrète,
Au milieu d’une églogue entonne la trompette.
De peur de l’écouter, Pan fuit dans les roseaux,
Et les nymphes, d’effroi, se cachent sous les eaux.
Au contraire, cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village ;
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d’agrément,
Toujours baisent la terre et rampent tristement.
On dirait que Ronsard, sur ses pipeaux rustiques,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l’oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.
Entre ces deux excès la route est difficile ;
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile ;
Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,
Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés ;
Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre,
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers,
Au combat de la flûte animer deux bergers,
Des plaisirs de l’amour vanter la douce amorce,
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d’écorce,
Et par quel art encor l’églogue quelquefois
Rend dignes d’un consul la campagne et les bois.

Telle est de ce poëme et la force et la grâce.
D’un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amans la joie et la tristesse,
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse ;
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C’est peu d’être poëte, il faut être amoureux.
Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée
M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée,
Qui s’affligent par art, et fous de sens rassis,
S’érigent, pour rimer, en amoureux transis.
Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines ;
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller le sens et la raison.
Ce n’était pas jadis sur ce ton ridicule
Qu’Amour dictait les vers que soupirait Tibulle,
Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons,
Il donnait de son art les charmantes leçons.
Il faut que le cœur seul parle dans l’élégie.
L’ode, avec plus d’éclat et non moins d’énergie,
Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.
Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière,

Mène Achille sanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l’Escaut sous le joug de Louis.
Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle s’en va de fleurs dépouiller le rivage :
Elle peint les festins, les danses et les ris ;
Vante un baiser cueilli sur les lèvres d’Iris,
Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu’on le ravisse.
Son style impétueux souvent marche au hasard :
Chez elle un beau désordre est un effet de l’art.
Loin ces rimeurs craintifs dont l’esprit flegmatique
Garde dans ses fureurs un ordre didactique ;
Qui chantant d’un héros les progrès éclatans,
Maigres historiens, suivent l’ordre des tems.
Ils n’osent un moment perdre un sujet de vue,
Pour prendre Dôle, il faut que Lille soit rendue,
Et que leur vers exact ainsi que Mézeray,
Ait fait déjà tomber les remparts de Courtray :
Apollon de son feu leur fut toujours avare.
On dit à ce propos qu’un jour ce dieu bizarre,
Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du sonnet les rigoureuses lois ;
Voulut qu’en deux quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux sons frappât huit fois l’oreille ;
Et qu’ensuite, six vers, artistement rangés,
Fussent en deux tercets par le sens partagés.

Surtout de ce poëme il bannit la licence :
Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.
Du reste, il l’enrichit d’une beauté suprême :
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme.
Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
À peine dans Gombault, Maynard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille ;
Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier,
N’a fait de chez Sercy qu’un saut chez l’épicier.
Pour enfermer son sens dans la borne prescrite,
La mesure est toujours trop grande ou trop petite.
L’épigramme, plus libre en son tour plus borné,
N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.
Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l’Italie en nos vers attirées ;
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
À ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux inonda le Parnasse.
Le madrigal d’abord en fut enveloppé ;
Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé ;
La tragédie en fit ses plus chères délices ;
L’élégie en orna ses douloureux caprices ;

Un héros sur la scène eut soin de s’en parer,
Et sans pointe un amant n’osa plus soupirer.
On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,
Fidèles à la pointe encor plus qu’à leurs belles.
Chaque mot eut toujours deux visages divers.
La prose la reçut aussi bien que les vers,
L’avocat au palais en hérissa son style,
Et le docteur en chaire en sema l’Évangile.
La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
La chassa pour jamais des discours sérieux,
Et, dans tous ses écrits la déclarant infâme,
Par grâce lui laissa l’entrée en l’épigramme,
Pourvu que sa finesse, éclatant à propos,
Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots.
Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.
Toutefois, à la cour les Turlupins restèrent,
Insipides plaisans, bouffons infortunés,
D’un jeu de mots grossier partisans surannés.
Ce n’est pas quelquefois qu’une muse un peu fine
Sur un mot en passant ne joue et ne badine,
Et d’un sens détourné n’abuse avec succès,
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès,
Et n’allez pas toujours, d’une pointe frivole,
Aiguiser par la queue une épigramme folle.
Tout poëme est brillant de sa propre beauté.
Le rondeau, né gaulois, a la naïveté.

La ballade, asservie à ses vieilles maximes,
Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes.
Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour,
Respire la douceur, la tendresse et l’amour.
L’ardeur de se montrer et non pas de médire
Arma la vérité du vers de la satire.
Lucile le premier osa la faire voir,
Aux vices des Romains présenta le miroir,
Vengea l’humble vertu de la richesse altière,
Et l’honnête homme à pied du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjoûment :
On ne fut plus ni fat ni sot impunément,
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure.
Perse en ses vers obscurs, mais serrés et pressans,
Affecta d’enfermer moins de mots que de sens.
Juvénal, élevé dans les cris de l’école,
Poussa jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages, tout pleins d’affreuses vérités,
Étincellent pourtant de sublimes beautés ;
Soit que, sur un écrit arrivé de Caprée,
Il brise de Séjan la statue adorée ;
Soit qu’il fasse au conseil courir les sénateurs,
D’un tyran soupçonneux pâles adulateurs ;
Ou que, poussant à bout la luxure latine,
Aux portefaix de Rome il vende Messaline,

Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
De ces maîtres savans, disciple ingénieux,
Regnier seul parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentaient des lieux que fréquentait l’auteur,
Et si du son hardi de ses rimes cyniques
Il n’alarmait souvent les oreilles pudiques !
Le latin dans les mots brave l’honnêteté,
Mais le lecteur français veut être respecté :
Du moindre sens impur la liberté l’outrage,
Si la pudeur des mots n’en adoucit l’image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.
D’un trait de ce poëme, en bons mots si fertile,
Le Français, né malin, forma le vaudeville,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche, et s’accroît en marchant.
La liberté française en ses vers se déploie :
Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie.
Toutefois, n’allez pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le sujet d’un badinage affreux.
À la fin, tous ces jeux, que l’athéisme élève,
Conduisent tristement le plaisant à la Grève.
Il faut, même en chansons, du bon sens et de l’art.
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard

Inspirer quelquefois une muse grossière,
Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu’un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l’auteur altier de quelque chansonnette
Au même instant prend droit de se croire poëte :
Il ne dormira plus qu’il n’ait fait un sonnet ;
Il met tous les matins six impromptus au net ;
Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,
Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries,
Il ne se fait graver au devant du recueil,
Couronné de lauriers, par la main de Nanteuil.


ART PRIAPIQUE.

CHANT PREMIER.

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur :
S’il ne sent point du ciel l’influence secrète,
Si son astre en naissant ne l’a formé poëte,
Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd et Pégase rétif.
Ô vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer ;
Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtems votre esprit et vos forces.
La nature, fertile en esprits excellens,
Sait entre les auteurs partager les talens :

L’un cédant aux transports de son heureuse flamme,
Trois fois entre ses bras voit se pâmer sa dame ;
L’autre pousse plus loin ses amoureux exploits,
Et n’enconne jamais sans décharger six fois ;
Mais souvent un ribaud qui se flatte et qui s’aime
Méconnaît son priape et s’ignore soi-même.
Ainsi tel autrefois, avec un vit mollet
Qu’on sait avoir raté filles de cabaret,
S’en va mal à propos, d’une voix insolente,
Chanter de mille cons sa pine triomphante :
À l’entendre, si Dieu fout ce monde à l’envers,
Lui seul à coups de cul peuplera l’univers.
Quel que soit le jupon sous lequel on s’escrime,
Bander est un devoir, et mollir est un crime,
Mais l’excès est toujours le tombeau du plaisir :
La couille est une esclave et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la maîtriser d’abord on s’évertue,
À ménager son sperme à l’aise on s’habitue ;
Et d’un foutre abondant toujours elle s’emplit,
Pour le bonheur du con et la gloire du vit.
Si vous la prodiguez, malheur à la pucelle
Qui dans le jeu d’amour ose compter sur elle !
Soignez donc vos couillons, pour que toujours vos vits
Tirent d’eux en foutant et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens dirigent leur pensée,

Et voulant de l’amour varier les doux jeux,
Ils sont plus libertins sans être plus heureux.
Évitons ces excès ; laissons à l’Italie
De ces raffinemens la honteuse folie.
Visez, tendez au con, si vous voulez jouir ;
C’est le fleuron d’amour, le foyer du plaisir ;
Du suprême bonheur le con seul est la voie,
Et de nos pauvres vits il fait toute la joie.
Un ribaud quelquefois, trop plein de son objet,
Fatigue, échauffe en vain un aimable sujet ;
Sans cesse auprès de lui le paillard foutimasse,
Et sur ses nudités sa main passe et repasse.
À ses feux impuissans voulant donner l’essor,
Il palpe, il gratte, il claque, et ne fout point encor ;
Puis, sans trop distinguer les ronds et les ovales,
Il baise, il lèche tout dans ses fureurs brutales ;
Partout il insinue et sa langue et sa main,
Sans nul plaisir pour elle embrasant sa catin.
Filles, de ces paillards fuyez l’amour stérile ;
Ne vous chargez jamais d’un priape inutile :
Vit qui ne bande point est fade et rebutant ;
Une matrice en feu le rejette à l’instant.
Celui qui sur ses sens ne peut avoir d’empire
Du meilleur des fouteurs devient enfin le pire ;
Il foutra mol celui qui jadis foutait dur,
Son vit d’abord fameux n’est plus qu’un vit obscur,

Qu’un franc godemichet qui devant fille nue,
Saisi d’un sot respect, s’incline et la salue.
Voulez-vous d’un tendron mériter les amours ?
Il faut le foutre roide et deux fois tous les jours.
Mais dans vos procédés gardez d’être uniforme ;
Évitez en foutant qu’un con baille et s’endorme ;
Il n’aime pas un vit dressé pour l’ennuyer,
Qui n’a jamais qu’un pas, qu’une façon d’aller.
Bienheureux qui pour foutre a plus d’une manière !
Sa marche est tour à tour vive, lente, légère.
Son priape, envié de tous les riboteurs,
Est souvent entouré de conins amateurs.
Dans vos plaisirs divers évitez la bassesse :
La verge la moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens certain goût effronté
Trompa les vits d’abord, plut par sa nouveauté,
On ne rechercha plus que filles triviales,
Tout le monde courut même aux dames des halles ;
La licence à baiser alors n’eut plus de frein,
Priape dérogea, Vénus fit la catin.
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes ;
La plus mauvaise garce eut ses adulateurs,
Et jusqu’à la Margot, tout trouva des fouteurs.
Mais on vit à la fin la cour désabusée ;
Dédaigner de ce goût l’extravagance aisée,

Redonner le mouchoir aux filles du bon ton,
Et laisser la province enfiler Margoton.
Il faut de vos talens faire un meilleur usage :
Ne descendons jamais en un si bas étage,
Et laissons la crapule aux ribauds du Pont-Neuf.
Mais en voulant toujours du fringant et du neuf,
Vos pines à baiser se montrant trop rétives,
Dans vos chausses longtems peuvent rester oisives.
Sachez que la nature est plus belle que l’art,
Qu’un teint frais est plus beau qu’un teint chargé de fard,
Et que dans l’art heureux et d’aimer et de plaire,
Une reine souvent vaut moins qu’une bergère.
Dans vos courses d’amour prenez quelque repos :
Point trop de changement ni de plaisirs nouveaux.
Gardez que votre pine, à courir trop hâtée,
Ne soit par un poulain en son chemin heurtée.
De fillettes partout il est un choix heureux,
De certaines fuyez l’abord contagieux.
La plus aimable fille étant chaude-pissée,
Doit vous glacer le cœur, le vit et la pensée.
Ah ! qu’ils faisaient l’amour platement autrefois
Ces chevaliers errants, ces paladins courtois !
Filant à leurs beautés une tendresse pure,
Ils pensaient que les foutre était leur faire injure.
Pinus sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Cocufier plusieurs de ces preux chevaliers.

Tribadinus après fit fleurir l’encuissade ;
Loyola fut, dit-on, père de l’enculade ;
Vaginus renchérit pardessus ces ribauds,
Et créa pour jouir des moyens tout nouveaux ;
Gamahu, qui suivit, eut une autre méthode :
Il devint par sa langue un ribaud à la mode,
Et longtems près du sexe eut un heureux destin.
Mais les imitateurs de ce sale mâtin,
Accablés de mépris pour un goût si grotesque,
Abjurèrent bientôt leur méthode tudesque.
Ce paillard ordurier, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Chancrin et Poulinot.
Enfin Priapus vint, et le premier en France,
Corrigeant l’art de foutre, en bannit la licence ;
D’un vit mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la couille aux règles du devoir,
Et l’on vit par ses soins la crapule abhorrée,
L’anus vilipendé, la matrice honorée ;
Les hommes sur le sexe apprirent à tomber,
Et le gars sur le gars n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle
À tous les amateurs doit servir de modèle.
Marchez donc sur les pas d’un ribaud si vanté,
Lui par qui le bon goût fut toujours respecté.
Beau sexe, à ses leçons il faut aussi vous rendre,
Autrement devant vous mon vit va se détendre,

Et de vos doux appas prompt à se détacher,
Dans sa calotte étroite il ira se cacher.
Il est certains ribauds dont les pines glacées
Par un coup de poignet veulent être excitées.
On voit devant un con leur verge se baisser,
Et sous leur propre main aussitôt se dresser.
Il est pour les plaisirs une route plus sûre :
Suivez dans vos ébats les lois de la nature.
Le sage riboteur qui les suit constamment,
Bande avec plus de force et fout plus aisément.
Cette aimable nature à vos yeux révérée,
Dans vos plus grands excès doit vous être sacrée.
Pour vous justifier n’offrez pas à mes yeux
De l’impudique Onan l’exemple vicieux.
C’est là contre vous-même un affreux barbarisme,
Et contre la nature un très-grand solécisme.
Avec un tel penchant le plus superbe engin
Souvent auprès d’un con fait le George Dandin.
Quoiqu’un foutre brûlant vous excite et vous presse,
Ne vous piquez jamais d’une folle vitesse.
Pour un con affamé c’est un triste présent
Qu’un vit qui bande, enconne et décharge à l’instant ;
J’aime mieux un engin qui, ménageant sa veine,
Dans l’amoureux réduit quelque tems se promène,
Qu’un vit écervelé dont le cours orageux
Bientôt laisse aux abois un vagin amoureux.

Besognez longuement, et sans perdre courage,
Après l’avoir fini reprenez votre ouvrage.
Caressez votre belle et la recaressez ;
Après six coups pourtant posez-vous, c’est assez.
Dans le cœur d’un tendron quand les désirs fourmillent,
De l’amour dans ses yeux quand les flammes pétillent,
Il faut, sans consulter ni le tems ni le lieu,
Du doux sentier d’amour enfiler le milieu ;
Qu’entr’elles sur-le-champ les pièces assorties
Ne fassent qu’un seul tout de diverses parties,
Et que jamais d’un con votre vit s’écartant,
N’aille chez le voisin s’héberger en sortant.
Craignez-vous pour vos goûts la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique :
Fatuité toujours est prête à s’admirer.
Recherchez des tendrons prompts à vous censurer ;
Qu’ils soient auprès de vous toujours vrais et sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Près d’eux ne prenez pas un ton de grand fouteur,
Mais sachez discerner un langage flatteur :
Telle semble applaudir qui vous raille et vous joue.
Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.
La catin aussitôt cherche à se récrier,
Et chaque coup de cul la fait extasier.
Poussez ferme, jamais votre vit ne la blesse ;
Son con s’ouvre de joie et pleure de tendresse.

Elle vous comble ainsi d’éloges fastueux :
La vérité n’a point cet air impétueux.
Une amante toujours rigoureuse, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible.
La friponne se plaint des coups mal ménagés ;
Elle n’excuse point ceux qui sont négligés,
Et tançant d’un fouteur l’impertinente emphase,
L’appelle hautement bande-à-l’aise, viédase.
Comment donc ! ton beau feu semble se ralentir !
Allons, l’ami, du foutre, et vive le plaisir !
C’est ainsi que vous parle une amante adorable.
Mais souvent sur l’article un fouteur intraitable,
À se justifier se croit intéressé,
Et par cette leçon il se trouve offensé.
Si sa belle lui dit : Vous foutez à la glace !
Mon imbécile fat va faire la grimace.
Il est fâcheux, dit-il, que je te semble froid ;
Je te baise à ravir, et tu te plains de moi !
Mon vit ne te plaît pas. Tout ton sexe l’admire !
Ainsi toujours constant à ne point se dédire,
Si sa maîtresse veut un jour le corriger,
Le revêche s’obstine à ne jamais changer.
Cependant, à l’entendre, il chérit la critique,
Sa belle a sur son cœur un pouvoir despotique.
Mais tout ce beau discours dont il sait la flatter
Est discours d’un Gascon qui prétend en conter.

Bientôt il l’abandonne, et, content de sa ruse,
S’en va chercher ailleurs quelque autre qui l’abuse.
S’il est pour certains cons des vits complimenteurs,
Il est pour certains vits des cons adulateurs ;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est à la cour pour le duc, pour le prince.
Ce sont de bons payeurs qui tiennent en tout tems,
Même en les foutant mal, les vagins très-contens.
Un vit de financier, trêve de la satyre,
Est toujours un vit d’or qu’on aime et qu’on admire.



CHANT II.



Telle que dans les bois une tendre fauvette
De fleurs ne pare point son plumage et sa tête,
Et, pour amadouer les oiseaux ses amans,
Ne fait point la coquette au retour du printems,
Ainsi, sans employer un manége inutile,
Aux charmes de l’amour doit céder la pupille.
Son ton simple et naïf n’a rien d’astucieux,
Tout ce qu’elle a d’appas elle l’offre à vos yeux ;
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Fasse bondir le vit qui languit et sommeille ;

Mais se vautrant sur elle un ribaud quelquefois,
Par trop d’ardeur débande en se mordant les doigts,
Et follement hardi, dans sa fougue indiscrète,
Il croit du premier coup enconner la poulette ;
Ensuite il lâche prise après quelques assauts :
le beau sexe à jamais fuit de tels étourneaux.
Au contraire, cet autre, échappé du village,
De son engin tout neuf semble ignorer l’usage.
Captif dans sa culotte et privé d’agrément,
Son vit baise sa cuisse, y rampe tristement.
On dirait qu’un tendron sur ses couilles rustiques
Doit faire sur-le-champ jouer ses doigts pudiques,
Et prier humblement ce ridicule oison
De loi laisser tirer sa pine de prison.
Entre ces deux excès la route est difficile :
Suivez, pour la trouver, et Phrosine et Lucile ;
Que leurs jolis tétons, par l’amour contournés,
Ne quittent pas vos mains, jour et nuit patinés.
Fillettes et garçons, elles vont vous apprendre
Comment pour bien jouer vous devez vous y prendre ;
Comment la jeune Aminte avec ses doigts légers
Doit au combat d’amour animer ses bergers,
Leur faire du plaisir sentir la douce amorce,
À leur vit languissant redonner de la force,
Et par son art la même obtiendra quelquefois
L’honneur d’avoir le vit d’un consul dans les doigts :

De ces catins tel est le manège et la grâce.
Dans un moutier aussi le plaisir a sa place.
La plaintive nonnain, en longs habite de deuil,
Y besogne partout, même sur un cercueil.
Les transports les plus vifs expriment son ivresse ;
Avide de plaisir, elle foutrait sans cesse ;
Mais pour bien contenter ses désirs amoureux,
Il faudrait n’être pas des hommes, mais des dieux.
Je hais ces céladons, dont la langue emmiellée
Constamment des fadeurs prend la tournure usée,
Qui raffinent le tendre et, fous de sens rassis,
Se transforment, pour plaire, en amoureux transis.
Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines,
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que pousser jour et nuit des soupirs à foison,
Martyriser leurs sens et perdre la raison.
Ce n’était pas jadis sur ce ton ridicule
Que déclarait ses feux le sensuel Tibulle ;
Ou qu’Ovide, laissant les vers et les chansons,
De l’art d’aimer au sexe expliquait les leçons.
Il faut que le vit seul exprime votre envie,
Au milieu du plaisir et de la fouterie.
La duchesse aux grands airs, fière de ses aïeux,
Garde dans ses ébats un air audacieux,
Et dès qu’à son fouteur elle ouvre la barrière,
Elle veut qu’il fournisse une longue carrière.

Avec moins de hauteur, aux bords du Simoïs,
Junon aurait soumis sa charnière à Pâris.
Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle veut des enfans avoir le pucelage ;
Et ne rêvant jamais que luxure et coït,
Ardente elle reçoit l’écolier dans son lit,
Qui mollement résiste et, sottement jocrisse,
S’il n’est déculotté, refuse le service.
Elle paraît mouvoir le croupion au hasard,
Mais tous ses mouvemens sont un effet de l’art.
Loin ces hommes craintifs, d’un esprit flegmatique,
Qui gardent en amour un ordre méthodique ;
Mesurés, progressifs dans leurs patinemens,
Vers le plaisir de foutre ils marchent à pas lents.
En voyant les attraits d’une fillette nue,
Ils n’osent point encor perdre leur vit de vue.
Entre les froides mains de ces plats sigisbé
Un conin chaleureux certes est mal tombé !
Priape de son feu leur fut toujours avare.
On dit à ce propos qu’un jour ce dieu bisarre,
Voulant pousser à bout tous les fouteurs français,
Et de l’art érotique avancer les progrès,
D’abord, pour ajuster les choses à merveille,
Voulut un vit, un con de mesure pareille,
Et qu’ensuite, six coups francs et bien avérés
Fussent, sans débrider, artistement tirés.

De ce combat d’amour telle fut l’ordonnance :
Il mesura des coups le nombre et la cadence,
Défendit qu’un vit flasque osât s’y rencontrer,
Et qu’un large vagin pût jamais s’y montrer.
Du reste, il le dota d’un agrément extrême.
Un tel combat parfait est la volupté même.
Mais en vain cent fouteurs y pensent arriver,
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
À peine dans dix ans les boudoirs d’une ville
En peuvent-ils citer deux ou trois entre mille :
Le reste ne vaut rien. Un si rude métier
N’est fait que pour un carme ou pour un muletier.
Eux seuls ont des engins de la taille prescrite,
Et pour eux l’ouverture est toujours trop petite.
Si l’homme à ces doux jeux encor s’était borné,
Et qu’un sale penchant ne l’eût pas entraîné !
Jadis de nos ribauds ces horreurs ignorées
Furent de l’Italie en nos murs attirées ;
Le grand, des nouveautés amateur très-ardent,
À ce nouvel appât courut avidement.
La faveur de la cour excitant leur audace,
Les culs partout des cons prirent bientôt la place.
Le jésuite cafard en fut enveloppé,
Le prélat orgueilleux lui-même en fut frappé ;
Les régents du collége en firent leurs délices ;
Tous les moines stylaient à ce jeu leurs novices ;

Le robin à son tour brûla de s’y livrer,
Et bientôt pour un con nul n’osa soupirer,
On vit les bourgeois même, à la motte infidèles,
Préférer le derrière au devant de leurs belles.
Chaque objet eut dès lors deux visages divers ;
Encore aimait-on mieux le visage à l’envers :
L’avocat à ces goûts rendit son clerc facile,
Le marchand son commis, le tuteur son pupille.
La nature outragée enfin ouvrit les yeux,
Et proscrivant partout cet excès odieux,
Pour le peuple surtout le déclarant infâme,
Fit bientôt recouvrer tous ses droits à la femme,
Permettant seulement aux fantasques ribauds
De faire à leurs catins parfois tourner le dos.
En général ainsi les désordres cessèrent.
Toutefois, à la cour les bardaches restèrent,
Pour l’usage honteux de quelques débauchés,
Sur ces gars avilis obstinément huchés.
Passe donc, mes amis, qu’une volage pine
Sur un cul féminin batifole et badine,
Et dans ce défilé tente un pénible accès,
Mais sur ce point encore évitez tout excès,
Et n’allez pas toujours, d’emblée ou de bricole,
Sur le revers d’un con faire la cabriole.
De penchants et de goûts quelle diversité !
De mettre cinq contre un l’un fait sa volupté ;

Un autre de dom Bougre affiche les maximes ;
Tel dans le farfouillage a des plaisirs sublimes ;
De l’aisselle aux tetons tel, vaguant tour à tour,
Y répand à grands flots la rosée d’amour.
Pour chanter des plaisirs qu’on aime et qu’on admire,
Des paillards de tout tems eurent le goût d’écrire.
Petrone dans ce genre étala son savoir :
Des débauchés romains son livre est le miroir ;
Filles, femmes, garçons, il met tout à l’enchère,
Enjambe le goujat sur la princesse altière.
L’Aretin à nos yeux dessina gravement
Tous les moyens de foutre et chaque mouvement ;
Son esprit inventif enrichit la nature ;
Chacun en le lisant se branla sans mesure.
Chaque fille imita ces exemples pressans,
Et cet ouvrage heureux incendia les sens.
Un anonyme ardent, sorti de cette école,
Poussa jusqu’à l’excès sa fougueuse hyperbole.
Son ouvrage, parfois manquant de vérités,
Étincelle pourtant de sublimes beautés.
Il osa de nos jours, sur la scène étonnée,
Nous montrer de Titus la maîtresse enconnée ;
Il peignit au bordel de jeunes sénateurs
Sous le déguisement faisant les riboteurs.
Bientôt, poussant à bout la luxure latine,
Aux portefaix de Rome il livra Messaline :

Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
De ces maîtres savons, disciple ingénieux,
Piron fut parmi nous formé sur leurs modèles :
Dans son style animé sont des beautés nouvelles.
Heureux, si ses discours, pénétrant le lecteur,
L’embrasaient du beau feu dont brûlait cet auteur,
Et si le son hardi de ses rimes cyniques
N’effarouchait les sots aux oreilles pudiques !
Par prudence, Chorier, ou par timidité,
Écrivit en latin, n’en fut que plus goûté ;
De deux filles peignit le lascif ribotage,
De leurs plaisirs divers nous présenta l’image.
Thérèse et sa cousine, en leur brûlante ardeur,
Avec l’art le plus doux excitent leur fouteur.
Robert, si renommé par sa couille fertile,
Foutraille jour et nuit et Thérèse et Lucile.
Sur elles ce ribaud sans cesse chevauchant,
Passe d’un con à l’autre et foutrait en marchant.
On partage l’ivresse où son âme se noie :
Cet enfant du plaisir est père de la joie.
Surtout il ne va point, ribaud audacieux,
Foutre un con inconnu ni même un con douteux.
À la fin, ces écarts d’un imprudent élève
Chez lui du doux plaisir empoisonnent la sève :
Fatal sujet de pleurs pour son pauvre bracmart !
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard

Faire enfiler parfois une gouine grossière,
Et fournir, sans danger, la jouissance entière.
Pour un rare bonheur qui vous fit échapper,
Évitez ces objets, craignez de vous tromper.
Tel qui sort franc des bras d’une impure soubrette,
Croit pouvoir à tous cons sans péril tenir tête.
Il ne dormira plus que, la lance en arrêt,
À quelque coin de rue il n’ait trouvé son fait.
Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,
Si son vit, succombant à tant de fouteries,
Dans un vagin pourri ne trouve son cercueil.
De l’école Saint-Côme, amis, craignons l’écueil !

FIN.