L’Art d’avoir toujours raison/Stratagème XXIX

Dialectique éristique ou L’Art d’avoir toujours raison (1830 ?)
(p. 34-35).
Stratagème XXIX
Faire diversion

Lorsque l’on se rend compte que l’on va être battu, on peut faire une diversion, c.-à-d. commencer à parler de quelque chose de complètement différent, comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait un argument contre votre adversaire. Cela peut être fait innocemment si cette diversion avait un lien avec le thema quæstionis, mais dans le cas où il n’y a pas, c’est une stratégie effrontée pour attaquer votre adversaire.

Par exemple, j’ai loué le système chinois où la transmission des charges ne se faisait pas entre nobles par hérédité, mais après un examen. Mon adversaire avait soutenu que le droit de naissance (qu’il tenait en haute opinion) plus que la capacité d’apprentissage rendait les gens capable d’occuper un poste. Nous avons débattu et il s’est trouvé dans une situation difficile. Il a fait diversion et déclaré que les Chinois de tout rang étaient punis par la bastonnade, et a fusionné ce fait avec leur habitude de boire du thé afin de s’en servir comme point de départ pour critiquer les Chinois. Le suivre dans cette voie aurait été se dépouiller d’une victoire déjà acquise.

La diversion est un stratagème particulièrement effronté lorsqu’il consiste à complètement abandonner le quæstionis pour soulever une objection du type : « Oui, et comme vous le souteniez jusqu’ici, etc. » car le débat devient alors personnel, ce qui sera le dernier stratagème dont nous parlerons. Autrement dit, on se trouve à mi-chemin entre l’argumentum ad personam dont nous discutons ici et l’argumentum ad hominem.

Ce stratagème est inné et peut souvent se voir lors de disputes entre tout un chacun. Si l’une des parties fait un reproche personnel contre l’autre, cette dernière, au lieu de la réfuter, l’admet et reproche à son adversaire autre chose. C’est ce genre de stratagème qu’utilisa Scipion lorsqu’il attaqua les Cartaginois, non pas en Italie, mais en Afrique. À la guerre, ce genre de diversion peut être approprié sur le moment. Mais lors des débats, ce sont de pauvres expédients car le reproche demeure et ceux qui ont écouté le débat ne retiennent que le pire des deux camps. Ce stratagème ne devrait être utilisé que faute de mieux.