L’Armée royale en 1789
Revue des Deux Mondes3e période, tome 81 (p. 580-603).
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L'ARMEE ROYALE
EN 1789

II.[1]
LES CADRES. — LE SOLDAT. — LE MILICIEN. — L’ARTILLERIE. — LE GÉNIE.


I. — LES CADRES.

Les cadres sont excellens dans les troupes réglées, sinon dans la milice[2], et cela de temps immémorial. Quand un pays possède une caste militaire[3], il est toujours assuré d’y trouver les élémens d’un bon corps d’officiers de troupes. Telle la Prusse encore aujourd’hui, telle l’ancienne France. Aussi loin qu’on remonte dans le cours de son histoire, on y trouve un certain nombre de familles vivant noblement, ne pratiquant ni le commerce, ni l’industrie, ni la finance, ni les arts, et dont l’unique occupation est de donner de grands coups d’épée. Au moyen âge, quand elles ne se battent pas pour le suzerain, ou qu’elles ne courent pas sus au Sarrasin, elles guerroient entre elles. Aux XIVe et XVe siècles, toujours pour le plaisir de rompre des lances et par goût plus que par patriotisme, c’est elles qui chassent l’Anglais et qui travaillent à l’œuvre de l’unité française. Viennent les grandes mêlées du XVIe et du XVIIe siècle ; c’est encore elles qui en soutiennent le principal effort. De là, dans ces familles, par un effet de l’hérédité, un tempérament, des aptitudes et des instincts particuliers. Les enfans y naissent braves, entreprenans, guerriers, comme les chevaux de sang naissent vites. Tout jeunes, grâce à leur éducation physique, qui achève l’œuvre de la race, ce sont déjà des hommes faits, très capables de servir et même parfois de commander. Où ont-ils appris ? Nulle part. Ils savent pourtant, et notre histoire militaire est pleine des prouesses de cette jeunesse. A quinze ans, Bayard était déjà l’un des plus rudes jouteurs de son temps ; à seize, au combat d’Arnay-le-Duc, le Béarnais conduisait sa première charge de cavalerie ; à douze, au siège de Fribourg, le prince de Montbarey, enseigne au régiment de Lorraine, recevait dans les tranchées le baptême du feu ; à treize, Guibert suivait son père à l’armée d’Allemagne et s’y distinguait ; à quatorze, le fils du duc de Boufflers commandait une des colonnes chargées d’attaquer Raucoux, et comme il n’était pas assez grand pour escalader les retranchemens ennemis, son père, qui était venu se placer à ses côtés, le prenait à bras-le-corps et le jetait de l’autre côté[4]. Et combien d’autres, combien de petits Bara dont l’histoire n’a pas gardé les noms, tant la bravoure était banale, même chez les enfans, dans les rangs de cette noblesse !

A la fin du XVIIIe siècle, malgré l’introduction de l’élément bourgeois dans l’armée, la composition des cadres n’a pas sensiblement changé ; elle est toujours essentiellement aristocratique, et si cette composition n’est plus en rapport avec le mouvement des idées, il faut reconnaître qu’au point de vue purement militaire elle présente de singuliers avantages. Pour relever le commandement, après la guerre de sept ans, il avait suffi d’un retour d’honnêteté dans le gouvernement et d’un changement de règne ; il n’y eut même pas à toucher aux cadres, tant ils étaient demeurés solides. La défaite a glissé sur eux sans les entamer. Ce qu’ils étaient à Fontenoy, ils le sont encore après Rosbach. Trop nombreux sans doute, et, sous ce rapport, il reste encore bien à faire. Mais quelle expérience et quel mérite, dans les bas emplois surtout ! Quelle incomparable pépinière de bons et modestes serviteurs sachant leur métier, l’aimant pour lui-même et le faisant en conscience ! Payés, c’est à peine s’ils le sont et s’ils ont de quoi subvenir à leur équipement[5]. Un colonel a 4,000 livres dans les troupes réglées ; un lieutenant-colonel, 3,744 ; un major, 3,120 ; un chef d’escadron, 2,500 ; un capitaine, 1,700 ; un lieutenant, 950, un sous-lieutenant, 720[6]. Longtemps ils ont eu beaucoup moins. Avec cela, pas de retraite, ou si modique et si mal payée ! et des uniformes qui coûtent les yeux de la tête ! D’avancement, aucune espérance, ou si faible, que ce n’est pas la peine d’en parler. Pour un qui passera, comme Chevert, combien qui végéteront ? Et pourtant la race n’en meurt pas. Ils sont ainsi des milliers dans l’armée, sortis de toutes les gentilhommières de France, élevés à l’école ou dans les collèges militaires, servant pour servir, par atavisme, comme le père ou l’aïeul, sans autre ambition que de se retirer, après vingt-cinq ans de campagne, avec la croix de Saint-Louis. Assurément, ce ne sont pas des anges, et, dans le nombre, les brebis galeuses ne manquent pas. En pays conquis, et même à l’intérieur, trop souvent ils se conduisent en vrais chefs de bandes. Ils ont du sang des compagnons de Montluc ou du captal de Buch dans les veines ; et, quoique très chatouilleux sur le point d’honneur, ils prennent avec la délicatesse et la probité de singulières libertés. Au XVIIe siècle, on volait couramment dans l’armée, et Louvois eut toutes les peines du monde à réprimer l’abus des passe-volans et des retenues illégales sur la solde[7]. Il était presque admis qu’un capitaine s’indemnisât des sacrifices qu’il avait faits pour acheter sa compagnie par beaucoup de petits profits illicites sur l’équipement, la nourriture, les chevaux, les habits, les armes[8]. A présent, depuis que Choiseul a repris aux capitaines l’administration des compagnies, ces abus ne sont plus tolérés ; il s’en faut pourtant qu’ils aient complètement disparu, et l’on trouverait encore bien des irrégularités dans les comptes des majors[9]. Pareillement, sur le chapitre des mœurs et de la vie privée, toute cette noblesse en prend vraiment trop à son aise. « Faire le désespoir des familles, dira bientôt Camille Desmoulins[10], corrompre les épouses et les filles pour tuer le temps, insulter les magistrats par orgueil, vexer les habitans des villes de guerre et leur faire éprouver toute sorte de souffrances et d’humiliations, toujours impunies par la connivence des chefs, telle était, surtout depuis vingt-cinq ans, la possession d’état des officiers dans les garnisons. « Il y a bien de la haine et de la polissonnerie dans ces lignes, et l’on y sent éclater toute la malveillance de l’homme. Camille Desmoulins me rappelle ici, le courage en moins, ce gamin de Paris, toujours prêt, en temps de troubles à tirer sur la troupe. Si chargé qu’il soit, le portrait n’est pourtant pas dénué de ressemblance. De tout temps en France, à l’exception de ce pauvre Louis XVI, le roi s’est amusé ; la noblesse fait comme son roi ! Elle est galante, libertine, elle aime l’amour et le fait sans mesure et sans discrétion : c’est son péché mignon. Mais n’est-ce pas aussi le péché national, et les mœurs de la roture sont-elles donc si pures ? Attendez, et quand l’armée se sera démocratisée, vous verrez et vous comparerez.

Ce qui est plus grave que d’enlever à la bourgeoisie ses joyeuses commères et de troubler, dans l’oisiveté de la vie de garnison, le repos de quelques ménages, c’est l’esprit dont la caste est encore animée. Manifestement, en dépit de l’audace croissante de la littérature et de la philosophie, ces gens-ci se regardent encore comme des êtres d’une espèce supérieure, et, dans leurs rapports avec les autorités civiles[11], ils apportent une raideur, une morgue et des façons hautaines qui ne sont plus de saison. De là des discussions perpétuelles, des conflits, des querelles ; enfin, l’éternel antagonisme du civil et du militaire, aggravé de toute la force que le tiers commence à se sentir. Grave imprudence, et que l’armée paiera cher avant qu’il soit longtemps !

En attendant, et cette part faite à la critique, rien n’égale la bonté de ces cadres, si ce n’est la valeur et la solidité de celui des bas officiers. Bas, c’est encore ainsi qu’on les nomme, et le mot n’est pas heureux : avec les idées nouvelles, il est devenu choquant ; il a pris une acception humiliante qu’il n’avait pas dans le principe ; il marque trop les distances. Après l’ordonnance de Ségur, rien de plus impolitique et de plus dangereux. Viennent des troubles, et ces bas officiers se souviendront qu’ils sont peuple, que leur chair est faite de sa chair ; et quand leurs sous-lieutenans à quatre quartiers voudront les enlever, ils ne trouveront plus personne. Ce n’est pas que leur esprit soit déjà mauvais, ni le sentiment de la discipline affaibli chez eux : sortis du rang après plusieurs années de service, ils y ont pris l’habitude et le sentiment de la hiérarchie. Soigneusement choisis[12] parmi les meilleurs et les plus intelligens, à l’autorité que donne le grade ils ajoutent celle qui est le résultat d’une longue pratique. Ce ne sont pas de jeunes muscadins, comme on dira bientôt, arrivés de la veille au régiment, et n’ayant d’autre supériorité sur la troupe qu’un peu d’arithmétique et d’orthographe. La plupart sont de vieux soldats de huit ou dix ans au moins[13], ayant lentement et péniblement conquis leurs galons à force de patience et de mérite, tout à leur affaire, la sachant et la faisant consciencieusement ; aussi leur laisse-t-on beaucoup de latitude. C’est sur eux que roule tout le détail de service intérieur[14], et le temps n’est pas loin, — ils le savent bien, — où l’accès aux places d’officiers leur sera définitivement ouvert dans les troupes réglées comme dans la milice[15]. Déjà Saint-Germain, qui les a vus à l’œuvre pendant la guerre de sept ans, a tenté d’abaisser la barrière qui les en sépare. Il n’a pas réussi, mais le règlement du 1er juillet 1788 sur le service intérieur a commencé de les relever dans l’estime publique et dans celle du soldat, en les astreignant à de sévères examens[16]. Qu’on fasse un pas de plus, qu’on achève de les émanciper, ces « hommes précieux[17], » et l’on verra comme ils se serreront autour du trône. Sans doute, il y a bien dans leurs rangs quelques têtes chaudes et des esprits ardens, inquiets, poussés et troublés par le vague pressentiment des grands changemens qui se préparent. La guerre d’Amérique a fait refluer vers l’armée beaucoup de jeunes gens d’une intelligence et d’une éducation au-dessus du commun et qu’en d’autres temps la carrière militaire n’eût pas attirés. A côté des vieux grognards encore très dévoués à l’ancien régime et ne voyant guère au-delà, s’est ainsi formée, petit à petit, dans les dernières années, toute une élite de jeunes bas officiers et soldats, pleins d’amour-propre et d’ambition, comme les Hoche, les Marceau, les Championnet, les Bon, les Jourdan, les Haxo, les Oudinot, les Lecourbe. Mais c’est le petit nombre, et ceux-là même, si l’on savait, si l’on voulait, comme ils seraient faciles à prendre ! Combien, parmi ces futurs vainqueurs de la Bastille, y regarderaient encore à deux fois avant de passer au peuple ? Seulement qu’on se dépêche : au train dont marchent les choses, il n’y a pas de temps à perdre ; les vieux patienteraient peut-être encore, ils ont attendu si longtemps ! Eux n’attendront pas. Qu’on se dépêche, car si la défection venait à se mettre dans l’armée, ce ne serait pas seulement, suivant le mot d’un contemporain, « une des causes de la révolution, mais la révolution même[18]. » Et cette défection, eux seuls bientôt pourront l’empêcher.


II. — LE SOLDAT.

Troupes réglées. — Le soldat, lui non plus, n’a pas changé depuis les guerres de Louis XIV ; bien qu’il ait perdu de sa réputation, l’espèce en est restée la même. Intrinsèquement, il ne vaut ni plus ni moins, il vaut autant. Recruté, comme on l’a vu plus haut, pour une durée d’au moins huit années avec faculté de réengagement, c’est le soldat de fortune ou de métier dans toute l’acception du mot. Il en a les défauts, l’esprit gouailleur et l’humeur un peu frondeuse, il est volontiers glorieux et fanfaron, souvent ivrogne et débauché, pas toujours très docile. Il faut pour le tenir une main de fer et des chefs qui n’hésitent pas à réprimer sévèrement ses incartades. En temps de paix, les baguettes et les coups de plat de sabre en viennent à bout ; en campagne, pour l’empêcher de piller, le tirage au billet et la pendaison ne sont pas de trop. Mais, en revanche, que de qualités ! Et d’abord il possède la première de toutes : la solidité. Il n’est pas seulement brave et capable d’élan, de furia francese, plein d’entrain et de bonne humeur[19], il est résistant[20]. On le juge sur Rosbach ; on a tort. Dans les dernières campagnes, toutes les fois qu’il n’a pas en des Soubise ou des Clermont à sa tête, il a fort bien fait. En le prenant par l’amour-propre et les sentimens, on le mènerait au bout de la terre. Répétez-lui sur tous les tons qu’il est le premier soldat du monde et vous lui ferez tout endurer. Parlez-lui le langage de l’honneur, mettez-y même un peu de pompe et de déclamation. Il n’est pas Français pour rien : il aime la phrase, il est sensible aux grands mots ; au besoin, il en fait. Tel ce grenadier que le duc de Luynes aperçoit comme il quittait la tranchée, sans se presser, devant Philipsbourg, en 1735 : « Où vas-tu ? — Où peut aller un grenadier qui abandonne son poste : je vais mourir ! » Le pauvre diable avait un biscaïen dans le ventre !

Autre mérite : ce soldat de métier a l’aptitude et le goût du service ; il ne considère pas son temps comme une condamnation qu’il lui faut purger et le régiment comme une geôle. Il est là comme il serait chez lui, s’il avait un chez-lui, tranquillement installé dans la monotonie d’une existence automatique et réglée. Matériellement, sans être bien, il n’a pas trop à se plaindre. Autrefois, quand il courait le monde à la recherche d’un embauchement, il ne soupait pas tous les jours. A présent, il a les vivres, l’habit et le coucher. Le roi lui donne 6 sous 8 deniers par jour dans l’infanterie[21], 6 sous 4 deniers dans l’infanterie légère et dans les régimens allemands, irlandais et liégeois (les Suisses ont un régime à part), 7 sous et 2 deniers dans les dragons et les chasseurs, 7 sous 4 deniers dans les hussards et 8 sous 8 deniers dans la cavalerie[22]. C’est peu, sans doute, car il ne faut pas seulement qu’il se nourrisse là-dessus, qu’il achète sa viande et ses légumes, le pain seul lui étant fourni à raison de 2 sous la livre et demie[23], il faut encore qu’il prélève sur sa solde tant pour sa coiffure, tant pour son blanchissage et son tabac, tant pour la chandelle et le balai dans les chambrées ; pour le sel de la soupe, pour l’entretien de ses guêtres, chemises, cols, cocardes, bas, souliers et boucles, pour le noir de ses guêtres et de sa giberne, et pour le blanc de sa buffleterie[24]. Et, dans les grandes villes, avec tous ces petits frais, il a peine à joindre les deux bouts[25]. Il y arrive pourtant, et la preuve, c’est qu’il rengage. De même, pour son costume, il n’a que le nécessaire, et il l’a tout juste : « un habit tous les trois ans, un chapeau tous les deux ans, une culotte tous les ans. » Mais il l’a, et avec de l’ordre et de la propreté, il peut encore s’en tirer. — Le pire, dans sa condition, c’est le logement : « Gardez-vous, dit le rédacteur de l’Encyclopédie méthodique, d’être séduit par l’extérieur de quelques casernes, pénétrez dans les chambrées, et vous verrez là entassés trente ou quarante soldats et quelquefois davantage pour dix, douze ou quatorze lits, des fenêtres basses, un air méphitique, etc. » Le fait est qu’ici, par exception, les continuateurs de Diderot n’exagèrent pas trop. L’ancien régime n’entendait rien à l’hygiène, et de toutes les parties de l’administration militaire, après les hôpitaux, le casernement avait toujours été la plus négligée. Il est vrai qu’on était moins délicat, moins difficile alors, et que le besoin du confortable était infiniment moins répandu qu’aujourd’hui. Allez à Versailles et faites-vous montrer, dans les combles du château, les taudis où logeait la première noblesse du royaume, au temps de Louis XIV : vous serez moins tenté ensuite de vous étonner que l’on trouvât tout naturel encore, à la fin du XVIIIe siècle, de faire coucher deux soldats dans le même lit. Considérez aussi ce qui se passait à la même époque dans les autres armées, comparez la condition du soldat autrichien ou prussien[26] à celle du soldat français. Interrogez Guibert[27], Mirabeau[28], Toulongeon[29], Goethe[30] lui-même. Lisez les pages écœurantes de Laukard et du Témoin oculaire sur le service sanitaire à l’armée du duc de Brunswick en 1792[31], celles du prince de Ligne[32] sur les hôpitaux autrichiens ; on oublie trop souvent ces comparaisons synchroniques. Elles s’imposent pourtant à qui veut prendre exactement la mesure d’un fait historique et porter sur ce fait un jugement équitable. Au surplus, que le soldat soit plus ou moins bien payé, nourri, vêtu et couché, là n’est pas la question ou, du moins, c’en est le petit côté, le côté philanthropique et sensible. L’essentiel, dans un état militaire, c’est que le soldat s’endurcisse à la fatigue et même aux privations sans rien perdre de sa vigueur et soit toujours prêt à faire campagne. Les plus belles armées du monde ont été des armées maigres, et c’est par la graisse qu’a toujours péri le militaire. L’ancien régime avait eu ce point des idées fort arrêtées, qui lui venaient en droite ligne de Rome et de Sparte et qu’il devait à son éducation classique. S’il eut un tort, c’est moins de les avoir trop rigoureusement appliquées à la troupe que d’avoir adopté pour ses états-majors une ligne de conduite et des principes différens, et l’on serait peut-être moins tenté de lui reprocher sa dureté pour le soldat, s’il n’avait pas toléré tant de luxe et de mollesse chez l’officier.


III. — LE MILICIEN.

A part les grenadiers royaux, l’espèce du milicien ne vaut pas, à beaucoup près, celle du soldat de ligne. Ce n’est pas, comme ce dernier, le besoin ou le goût des aventures et l’attraction de la vie militaire qui l’ont amené sous les drapeaux : c’est le billet, l’affreux billet noir, tiré « d’une main tremblante et d’un cœur glacé[33]. » Il vivait heureux dans son village, entre ses bêtes et ses parens, quand M. le subdélégué est venu et l’a pris. Et, maintenant, le voilà pour six ans dans cette galère. Six ans effectifs ? non pas ; car, depuis 1778, le roi, dans l’intérêt de la culture, « a réglé qu’il n’y aurait plus d’assemblée générale que dans le cas où la défense de son royaume pourrait l’exiger[34], » et les soldats provinciaux n’ont plus désormais en temps de paix qu’à se présenter une fois par an devant le subdélégué de leur arrondissement. Mais que la guerre éclate, et non-seulement on les retiendra tout leur temps sans leur faire grâce d’un jour, mais rien ne dit qu’on ne les gardera pas plus que leur congé[35]. Quelle épée de Damoclès suspendue sur la tête de ces malheureux, dont beaucoup sont mariés, et comment de tels élémens tirer de solides réserves ! Encore, s’ils avaient été formés, disciplinés, s’ils avaient passé quelque temps à la caserne, vivant de la rude vie du soldat, et prenant à ce contact l’habitude, sinon le goût du métier, s’ils avaient été tant soit peu militarisés ! Mais non ; le plus souvent, en cas de guerre, on attend le dernier moment pour les appeler, et c’est à peine dégrossis qu’ils sont envoyés dans les places et même dans les régimens en campagne pour y combler les vides[36]. Ils y arrivent avec l’inquiétude et l’ahurissement du villageois transplanté, l’air gauche et contraint dans leur habit neuf, ne sachant pas seulement tenir un fusil[37], le moral abattu, souffrant déjà du mal du pays, en attendant que le typhus ou la dysenterie les livre à la promiscuité de l’hôpital. Avec quelques mois d’entraînement, on en eût fait des hommes capables de supporter les longues marches et les privations. Ainsi jetés pêle-mêle et sans transition aux armées par messieurs les intendans, ils sont marques d’avance. A chaque campagne, il en périt la moitié de langueur ou de maladie, souvent sans avoir même vu le feu[38].

Avec cela nulle considération[39], rien pour les soutenir et les réconforter ; rien pour leur donner du cœur au ventre et de l’émulation. Au régiment, le milicien est en butte au dédain du soldat de ligne ; on lui fait sentir par toute sorte de quolibets et de mauvais traitemens son infériorité ; c’est la tête de Turc sur laquelle chacun, même l’officier[40], s’exerce à l’envi. Pareillement pour le peuple, ce n’est qu’un soldat d’occasion, un maladroit, un emprunté, qui ne sait même pas porter son costume[41] et qui ne ressemble pas plus à la troupe réglée, si martiale et si bien tenue, que le franc-archer du moyen âge ne ressemblait aux gens d’armes. Ainsi pense la foule, et avec elle la plupart des écrivains de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les physiocrates voient dans la milice une perte sèche pour l’agriculture, les philosophes la déclarent incompatible avec la liberté humaine et s’apitoient sur « ce fléau des nations modernes. » Parmi les écrivains militaires et les hommes de guerre eux-mêmes, beaucoup, sans aller comme Saint-Germain et son commentateur jusqu’à nier l’utilité de l’institution, reprochent aux troupes provinciales de manquer d’expérience et de solidité, ou leur attribuent l’échec de leurs combinaisons[42] ; seuls, ou peu s’en faut, les grenadiers royaux, dont la valeur éclate à toutes les pages de notre histoire militaire, échappent à ce discrédit général.

Est-ce bien et complètement juste, et n’y a-t-il pas ici quelque exagération ? Plus un peuple s’émancipe et s’approche de la liberté plus il devient difficile ; plus s’allège le poids des abus qui pesaient sur lui, plus ils lui paraissent lourds. Ainsi de la milice à la fin de l’ancien régime. Sous Louis XIV, elle était respectée ; le souvenir des services qu’elle avait rendus dans les dernières campagnes du maréchal de Villars la protégeait. Sous Louis XV, dans les guerres de Pologne et de la succession d’Autriche, elle fait encore très bonne figure. C’est elle qui répare les pertes des armées de Bohême et de Bavière, et qui forme en partie celle du maréchal de Noailles en 1743, et l’opinion, Voltaire en tête, ne lui est pas encore trop hostile.

Après la guerre de sept ans, où son rôle avait été beaucoup moins actif, son impopularité se mesure aux progrès de l’esprit révolutionnaire ; ses jours sont comptés. Le gouvernement n’ose plus l’assembler, en attendant que la Constituante la supprime d’un trait de plume.

Pauvre Jacques Bonhomme, toujours sacrifié ! Pauvre milice, elle valait pourtant mieux que sa réputation ! Car enfin, pour peu brillans qu’aient été ses services en général, elle n’avait pas après tout laissé d’en rendre ; elle faisait nombre, et, parmi ses défauts, elle avait au moins une vertu : elle savait mourir, avec la tranquille résignation de l’homme des champs. Pendant deux siècles de guerres terribles, elle sème ses os sur toutes les grandes routes d’Europe ; elle comble les vides faits dans nos régimens par le feu et la maladie, sans qu’un rayon de gloire ou de popularité descende jamais sur elle. C’est la réserve toujours prête où puisent sans compter nos généraux. Rôle ingrat, lourd impôt, s’il en fut, et dont la bourgeoisie, elle, a bien su s’affranchir ! Tout cela pour qu’un jour les bourgeois de l’assemblée constituante, au lieu de lui donner une organisation plus régulière, lui substituent la garde nationale, « cette noble milice, » comme l’appellera bientôt Dubois-Crancé. En vérité, l’histoire a de singulières injustices, et l’on ne peut sans quelque attendrissement songer à ces petits soldats provinciaux, à leur triste sort et à leur fin plus triste encore. Ce n’étaient pas de grands guerriers sans doute ; isolément surtout, on ne pouvait guère compter sur eux, si ce n’est dans les places, et encore[43] ! Bien encadrés, dans de vieilles troupes, ils faisaient pourtant assez bien. Mais à qui la faute s’ils n’ont pas fait mieux, et qui dira jamais ce qu’il y eut dans cette jeunesse, poussée comme bétail aux armées, d’obscurs dévoûmens et de forces vives perdues, faute d’un meilleur régime ?


IV. — L’ARTILLERIE.

L’artillerie, grâce à Vallière et surtout à Gribeauval, avait fait de grands progrès. Jusqu’à eux, l’arme était restée dans l’état où l’avait laissée Vauban, excellente pour la guerre de sièges, de chicanes et d’expéditions restreintes, comme l’aimait et la pratiquait Louis XIV, tout à fait insuffisante et comme nombre et comme mobilité pour la guerre à la Frédéric II, par grandes marches et par vastes déploiemens.

L’ordonnance du 5 février 1720 lui avait bien donné plus de consistance et d’homogénéité en réunissant les divers élémens[44] dont elle se composait en un seul corps, formé de cinq bataillons s’administrant séparément, sous la direction nominale du grand-maître et sous le commandement réel d’un colonel inspecteur. Mais il restait à compléter cette organisation, dont les traits essentiels existent encore aujourd’hui, par la réforme d’un matériel vieilli et par l’augmentation d’un personnel qui avait cessé de répondre aux besoins du moment. Le temps n’était plus, en effet, où le rôle de l’artillerie, sur les champs de bataille, consistait à se placer dans une position déterminée, à s’y fortifier, quand elle le pouvait, par des ouvrages de campagne, et à y demeurer tout le temps de l’action, « trouvant ainsi parfois l’occasion de faire de grands ravages dans les rangs ennemis, mais le plus souvent réduits à l’impuissance quand il ne se rencontrait rien dans son champ de tir[45]. » On a souvent cité l’exemple de Fontenoy, où la colonne du duc de Cumberland, s’étant portée sur un point de la ligne française qui se trouvait dégarnie de canons, était, sur le point de la forcer, quand un jeune officier du régiment de Touraine émit timidement l’avis qu’on pourrait bien faire avancer quatre petites pièces de 4 qui se trouvaient à quelque distance de là. Richelieu n’y avait pas songé ! Il eut du moins, le propos lui ayant été rapporté, l’esprit de s’emparer de l’idée, et c’est ainsi que la bataille, au lieu de se terminer par une déroute, finit par le plus brillant succès de l’époque. Voilà où en était encore à Fontenoy l’artillerie française ! et cependant Vallière avait déjà passé par là.

L’œuvre du premier colonel inspecteur de Royal-Artillerie n’est guère connue que des spécialistes, et c’est à peine si l’on trouve son nom dans les histoires générales[46]. Entre Vauban et Gribeauval, ces deux grandes figures, il disparaît presque. Vallière eut pourtant un rare mérite : dans un temps où la routine était toute-puissante, il sut, jusqu’à un certain point, rompre avec elle ; il simplifia le matériel, et le rendit à la fois plus roulant et plus facile à servir.

Avant lui, les types de bouches à feu réglementaires étaient très variables. Il les réduisit à cinq, tous plus courts, plus légers, et par conséquent plus maniables que les anciens[47], il sut en déterminer les épaisseurs et les dimensions avec tant de précision que a ces élémens sont restés les mêmes pour les pièces de siège jusqu’au moment où les canons rayés sont venus remplacer les canons à âme lisse[48]. » C’est à son administration qu’il faut aussi rapporter la création des écoles d’artillerie et l’établissement d’examens d’entrée au corps et de passage du grade de lieutenant à celui de capitaine en second : excellentes innovations, et qui dans la suite ne contribuèrent pas peu à la formation d’un personnel d’élite.

Le système de Vallière dura plus de trente ans, autant que les Vallière père et fils, et les perfectionnemens dont l’artillerie leur fut redevable avaient déjà singulièrement agrandi le rôle de l’arme sur les champs de bataille. A Dettingen, sous la direction de Vallière lui-même, elle avait failli donner la victoire au maréchal de Noailles ; à Raucoux, elle avait contribué pour une large part au succès du maréchal de Saxe. Il s’en fallait pourtant que son matériel fût encore à la hauteur de celui des autres puissances ; il était demeuré beaucoup trop lourd. On avait bien essayé, pour corriger ce défaut, d’attacher à chaque bataillon d’infanterie une pièce de canon dite à la Rostaing, plus légère que la pièce de 4 ordinaire, attelée de trois chevaux et servie par des canonniers commandés par un simple sergent[49]. Mais cette dispersion une par une de bouches à feu, tirant au hasard, sous la direction d’officiers la plupart du temps inexperts, n’avait fait que compliquer les manœuvres et qu’habituer le soldat à ne se croire en sûreté que sous la protection de l’artillerie. Grave danger en tout temps, et plus encore en un temps et dans une armée dont le moral était affecté. On le vit bien dès le début de la guerre de sept ans, à Rosbach, où, Soubise n’ayant pas eu le temps de rassembler son canon pour arrêter la charge du général de Seydlitz, la troupe, bien que très supérieure en nombre à l’ennemi, perdit toute contenance et lâcha pied. Cet exemple fameux, joint à tous ceux que Frédéric II se chargea de donner par la suite, dans sa lutte homérique contre les Russes et les Autrichiens, était tristement concluant. Une nouvelle réforme s’imposait, et de toutes parts, dans l’armée, l’opinion la réclamait avec ardeur : livres, mémoires et brochures pleuvaient. Restait à trouver l’homme le plus capable de l’entreprendre et de la mener à bonne fin, car on ne pouvait demander à Vallière fils, devenu depuis 1747 le chef du corps, de ruiner de ses propres mains le système de son père. C’est alors que Gribeauval parut, ou plutôt revint, précédé, comme autrefois le comte de Saxe, d’une réputation acquise au service et consacrée par le suffrage de l’étranger. Pendant la guerre de sept ans, mécontent de voir ses idées méconnues et les projets qu’il formait déjà repoussés, il avait offert à Marie-Thérèse un concours que celle et s’était empressée de reconnaître en l’élevant immédiatement au grade de général[50] et en lui donnant la haute main sur son artillerie. Plus tard, après sa belle défense de Schweidnitz contre Frédéric II, il avait été fait d’enthousiasme feld-maréchal, et cette haute distinction, accordée par la souveraine à ses talens, l’avait mis complètement hors de pair.

Il n’en fallut pas moins pour l’aider à triompher des résistances qui l’attendaient. Encore n’y parvint-il, au prix d’efforts extraordinaires et d’une lutte acharnée, qu’au bout de plusieurs années. Autorisé dès la fin de la guerre à faire des essais, ce ne fut qu’en 1776, après la mort de Vallière fils, qu’il réussit à imposer ses idées et qu’il eut tout pouvoir pour les appliquer. Saluons cette date, car c’est une des plus importantes qui soit dans notre histoire militaire, et inclinons-nous devant le souvenir qu’elle évêque, car c’est celui d’un des plus grands serviteurs de ce pays. D’autres ont brillé d’un plus vif éclat dans l’art militaire ; aucun, si ce n’est Vauban, n’a laissé une œuvre comparable à celle de Gribeauval. A l’un la gloire d’avoir entouré la France de la triple ceinture de forteresses qui l’avaient faite invulnérable ; à celui-ci l’inappréciable honneur d’avoir, par des inventions de génie, préparé les prodigieux succès de la république et de l’empire !

L’idée mère de Gribeauval était, comme toutes les grandes idées, d’une extrême simplicité : créer un matériel d’artillerie distinct pour chacun des services de campagne, de siège, de place et de côte, et l’adapter à sa destination particulière, tout son système tient en ces quelques mots. Cela nous paraît élémentaire aujourd’hui, et l’on s’étonne qu’il ait fallu tant d’efforts et de temps pour en venir à cette formule. Mais voyez de quelles conséquences elle était grosse. Sous le règne des Vallière, on avait conservé l’habitude de traîner en campagne d’énormes pièces de 24 et de 16, excellentes pour battre une place ou défendre une position retranchée, mais très difficiles à manier sur le champ de bataille. Dans le système de Gribeauval, ces lourdes pièces sont reléguées, avec quelques modifications de détail, dans le service de siège ou de place et remplacées, pour le service de campagne, par des canons de 12, de 8 et de 4, plus légers que les anciennes pièces du même type. Désormais, partout où la troupe ira, l’artillerie pourra la suivre et l’appuyer ; elle ne gênera plus ses mouvemens offensifs et ne risquera plus, en cas de retraite, d’entraver sa marche et de se faire prendre. Car le nouveau matériel n’est pas seulement plus léger de poids : pour ajouter à sa mobilité, Gribeauval s’est avisé de munir ses affûts d’essieux en fer et d’augmenter la hauteur des roues de l’avant-train, multipliant ainsi la légèreté par la vitesse. En même temps il a trouvé la prolonge ! invention capitale, grâce à laquelle l’artillerie peut maintenant franchir les passages les plus difficiles, attendre l’ennemi à petite portée et lui tirer ses derniers coups sans dételer. « L’homme qui a introduit la prolonge dans l’artillerie mériterait par cela seul, a dit un écrivain justement estimé[51], d’y voir son nom honoré. » — « Et pourtant, ajoute le même écrivain, cette innovation disparaît presque dans le nombre de celles que nous devons à son auteur. » Considérez, en effet, le nombre et l’importance des réformes qui viennent s’ajouter, dans le système de Gribeauval, à son œuvre essentielle :

Cartouches à boulet. — Le mode de chargement des pièces s’était un peu perfectionné dans les derniers temps : on ne se bornait plus, comme autrefois, à faire suivre l’artillerie par des tonneaux où les canonniers puisaient la poudre au moyen d’une lanterne qu’ils introduisaient ensuite avec précaution dans l’âme de la pièce. Dès 1741, quelques officiers s’étaient avisés d’employer des gargousses ou sacs à papier chargés d’avance, et l’usage en était devenu général à la fin de la guerre de la succession. Mais il restait à trouver le moyen de réunir le projectile à la poudre. Le problème est résolu par l’invention d’un ingénieux mécanisme où le boulet, relié par des bandelettes de fer-blanc à un sabot de bois, rattaché lui-même au sachet de serge contenant la poudre, fera désormais corps avec elle.

Caissons. — La création de nouvelles voitures, aussi mobiles que les pièces elles-mêmes, et disposées de manière à recevoir les munitions ainsi préparées, était la conséquence nécessaire des précédentes réformes. Gribeauval imagine un caisson à compartimens, monté, comme la nouvelle artillerie, sur des essieux en fer et sur de hautes roues de devant, où les projectiles, maintenus chacun dans leur case par des bourrelets d’étoupe et garantis de l’humidité par une bonne fermeture, pourront être impunément secoués et transportés sur le champ de bataille avec une grande rapidité.

Obusiers et mortiers. — L’obusier de campagne adopté depuis longtemps par plusieurs puissances, notamment par l’Angleterre et par la Hollande, avait été repoussé par Vallière et n’existait guère qu’à l’état d’exception chez nous. C’était une lacune : Gribeauval la répare en introduisant dans nos équipages de campagne un obusier non plus de 8, mais de 6 pouces.

Les mortiers de 12 pouces du système Vallière avaient été reconnus incapables de résister à plus de soixante coups et de porter la bombe au-delà de 800 toises. Ils sont remplacés par des obusiers de 10 pouces, plus résistans et portant la bombe au-delà de 1,200 toises.

Pointage. — La méthode de pointage était encore fort arriérée : elle consistait uniquement à faire passer la ligne de tir par les points les plus élevés de la culasse et du bourrelet. La hausse est inventée pour « donner à nos pointeurs des lignes de mire artificielles à diriger sur le but, aux distances plus grandes que la distance du but en blanc[52]. » Étoile mobile et lunettes. — Il n’existait aucun moyen de mesurer avec une entière exactitude les dimensions intérieures des pièces neuves, les dégradations des vieilles et le diamètre des divers projectiles. L’étoile mobile et la lunette mettent entre les mains de nos constructeurs les instrumens de précision qui leur manquaient pour donner à leur fabrication toute la rigueur voulue.

Constructions. — La régularité des constructions laissait fort à désirer ; elle variait d’un département[53] à l’autre, et chaque arsenal avait ses proportions particulières, que les officiers qui y étaient employés se transmettaient pour ainsi dire héréditairement. La voie, les essieux, les timons, les avant et les arrière-trains, tout était différent ; chaque équipage avait ses rechanges particuliers qui n’étaient même pas astreints à des dimensions précises, et qu’il fallait presque toujours retoucher. D’où mille inconvéniens pour toutes les réparations à faire dans les parcs et surtout dans les marches ou les retraites. Gribeauval abolit cette routine véritablement barbare. a Non-seulement, dit un contemporain qui fut l’un de ses principaux collaborateurs[54], il établit une seule voie pour tout le charroi de l’artillerie, non-seulement il décida que toutes les constructions seraient uniformes, mais il porta la précision de l’uniformité au point qu’une partie quelconque d’un affût, d’un canon ou d’un chariot construit à Auxonne, par exemple, s’assemble à première présentation avec les parties correspondantes de l’attirail de même espèce construit à Strasbourg, à Douai ou à Metz. »

Mais ce n’est pas tout : le matériel ainsi renouvelé et perfectionné, il fallait songer à donner au personnel de l’arme une constitution plus forte et plus en rapport avec celle des puissances étrangères. Songez qu’au commencement de la guerre de sept ans, Royal-Artillerie ne comptait encore que 6 bataillons à 16 compagnies de 50 hommes, soit 96 compagnies et 4,800 hommes ; plus 12 compagnies d’ouvriers et de mineurs à 100 hommes ; en tout, une force de 6,000 hommes. En 1765, par une ordonnance élaborée sous l’inspiration de Gribeauval, Choiseul avait bien tenté d’augmenter cet effectif dérisoire. Malheureusement, à sa chute, une violente réaction, marquée par la nomination de M. de Monteynard au secrétariat de la guerre, s’était aussitôt produite ; et le parti rouge[55], ressaisissant tous ses avantages, avait obtenu le retour du personnel aux anciennes proportions et l’exil de Gribeauval. Devenu le maître, la première pensée de celui-ci devait être de reprendre et de compléter l’œuvre ébauchée de 1765. Le 3 novembre 1776, en effet, sous le ministère de Saint-Germain, paraissait une première ordonnance constituant l’artillerie française en régimens au nombre de 7, de 20 compagnies chacun, et qui en portait la force à 12,000 hommes. Deux ans après, la nouvelle organisation des troupes provinciales lui apportait un renfort de 10,000 hommes et de 7 régimens. C’était, en quelques années, un accroissement d’effectif de près des trois quarts. Et l’on ne s’en tint pas là : les idées de Gribeauval avaient fait un si rapide chemin qu’en 1784 la marine voulut avoir, elle aussi, son artillerie de campagne et qu’un nouveau corps destiné au service des colonies fut créé. Cette dernière création équivalait à la formation d’un nouveau régiment d’artillerie de terre, et devait, en cas de guerre continentale, rendre à celle-ci la libre disposition de toutes ses forces aux frontières.

Il ne restait plus après cela qu’à compléter sur certains points l’organisation de Vallière. De louables efforts avaient été faits, on l’a vu, par ce dernier pour doter Royal-Artillerie d’un corps d’officiers d’élite. Il avait institué des examens et fondé des écoles qui avaient déjà donné d’excellens résultats. Mais il n’avait pas osé pousser plus loin, toucher aux règles d’avancement qui laissaient encore une si large part à l’ancienneté dans une arme où la nécessité du choix s’imposait. Gribeauval, lui, n’hésite pas. A l’avenir, tous les grades supérieurs dans l’artillerie, depuis celui de premier inspecteur-général jusqu’à celui de chef de brigade[56], seront donnés au mérite et au talent, sans aucune considération d’ancienneté. Sur cinq emplois de chefs de brigade, trois sont réservés au choix et deux seulement à l’ancienneté. Même proportion pour les emplois de capitaines en premier : ils seront attribués par le colonel, le lieutenant-colonel, les chefs de brigade et le major du régiment assemblés aux sujets les plus dignes parmi les lieutenans en premier ou en second. Quant aux lieutenans en troisième, c’est parmi les sergens-majors qu’ils devront être pris désormais. Encore une brèche faite au corps de place et par où va passer la roture, au grand désespoir des partisans de l’ancienne organisation de l’armée !

Telle est, dans ses traits généraux, l’œuvre de reconstitution entreprise et conduite à bonne fin par Gribeauval, Sans doute, dans cette improvisation hâtive, traversée par tant d’obstacles et de résistances, tout n’est pas également heureux, et la critique y découvre aisément plus d’une lacune. Comment, par exemple, un esprit aussi novateur que Gribeauval n’eut-il pas l’idée de changer le vieux mode d’attelages en usage dans l’artillerie ? Depuis longtemps l’expérience avait condamné ce système de charretiers de réquisition, plus soucieux de conserver leur peau et celle de leurs chevaux que de remplir leur office, et qui, le plus souvent, dételaient avant d’arriver sur le terrain, obligeant ainsi nos malheureux canonniers à tirer eux-mêmes leurs pièces à l’aide de bricoles. Ces hussards de Lenchère, comme on les appelait, du nom de l’entrepreneur des transports, étaient fameux dans l’armée pour leur insuffisance et leur couardise. N’avait-on pas d’ailleurs en face de soi l’exemple de la Prusse, qui, depuis l’époque du grand électeur, possédait des attelages montés et conduits par ses propres artilleurs et qui n’avait eu qu’à s’en louer ? Gribeauval, d’ordinaire si pénétrant, eut-il ici la vue troublée par la routine ? Ou bien fut-il opprimé par les préjugés d’un temps où la pratique de certains métiers passait encore pour incompatible avec l’uniforme et la dignité de l’homme de guerre ? Quoi qu’il en soit, il eut le tort de reculer devant une réforme qui s’imposait à sa raison et qui eût achevé d’émanciper l’arme.

On pourrait aussi lui reprocher de n’avoir pas deviné le rôle qu’un très prochain avenir réservait à l’artillerie montée. Dès les premières années de la guerre de sept ans, Frédéric II avait eu des batteries à cheval, qui s’étaient formées petit à petit, et dont le combat de Reichenbach, en 1762, avait si bien démontré l’efficacité que plusieurs puissances, notamment l’Espagne et la Russie, s’étaient mises aussitôt à les imiter. Ne nous pressons pas trop, toutefois, d’accuser Gribeauval ; ce n’est peut-être pas tant la clairvoyance et la résolution qui lui manquèrent ici que les moyens matériels. Pouvait-il, en l’état des finances et de l’opinion, quand de tous côtés la machine craquait, quand, pour faire des économies, le roi consentait à la suppression d’un de ses plus beaux régimens de cavalerie[57], était-ce le moment, eût-il été bien venu de Necker ou de Brienne à leur proposer la création d’un corps d’artillerie montée ? Qu’il soit permis au moins d’en douter.

Au surplus et quelque opinion que l’on adopte à ce sujet, ce n’est pas sur ses lacunes et ses défaillances qu’il faut juger un homme, — les plus grands en ont eu, — c’est sur ses mérites et sur ses services. Or, ici, les faits parlent assez haut. Naguère l’artillerie française ne venait qu’au quatrième rang en Europe, après la Russie ! En quelques années, par un prodige d’activité et d’énergie dont l’histoire offre bien peu d’exemples, elle a repris sa place au premier. Tous les progrès accomplis par les puissances étrangères, elle les a réalisés et même dépassés ; toute l’avance qu’elles avaient prise, elle l’a rattrapée. Son matériel, autrefois si lourd et si peu fait pour seconder la bravoure française, est maintenant le plus léger du monde. Et il compte plus de dix mille bouches à feu, dont les deux tiers au moins disponibles en cas de guerre. Peut-être son personnel entretenu n’est-il pas assez nombreux ; il ne permettrait pas de se conformer à la proportion de quatre pièces par mille hommes, adoptée depuis la guerre de sept ans ; mais il pourrait être doublé du jour au lendemain par la mise en activité des régimens provinciaux. Quant à son corps d’officiers, citer les noms des célèbres écoles d’où il sort, c’est dire qu’il n’a pas son pareil en Europe pour la science et pour les talens[58]. Strasbourg, Metz, Grenoble, Besançon, La Fère, Toul, Auxonne, autant de foyers d’instruction autour desquels se presse une jeunesse ardente, stimulée par les perspectives désormais ouvertes à son ambition, et que la gloire attend.


V. — LE GÉNIE.

Le génie, lui, n’avait jamais dégénéré ; dans les plus mauvais jours, alors que tout se dissolvait et se désagrégeait, il était demeuré pour l’Europe un objet d’envie. Les dernières guerres, celle de Flandre surtout, loin d’affaiblir la réputation qu’il s’était acquise sous Vauban, avaient achevé de la porter à son comble. Depuis, même, il avait encore fait des progrès. « L’art du génie, dit Guibert dans sa Défense du système de guerre moderne, vient d’être lumineusement perfectionné par M. de Ruggy. Cet habile officier, qui dirige notre école de mineurs établie à Verdun, a fait une révolution dans cette science. Elle était, autrefois, plus favorable à l’attaquant qu’à l’attaqué. Il l’a rendue aujourd’hui plus avantageuse à l’assiégé qu’à l’assiégeant, par un système de fortifications souterraines au moyen duquel la prise des places doit être infiniment plus lente et plus difficile. Les principes de cette nouvelle science sont encore un mystère pour l’Europe. » Mystère ou non, et quoique ici Guibert, emporté par son enthousiasme, puisse être taxé d’exagération, il est certain que, à aucune époque, l’excellence du corps n’avait été plus évidente et plus universellement reconnue que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Quand un souverain étranger avait besoin d’un bon ingénieur alors, c’était le plus souvent à la France qu’il le demandait. C’est un ingénieur français, Lefebvre, qui conduisait l’attaque de Schweidnitz contre Gribeauval, et c’est à ce même Lefebvre, un assez triste sire d’ailleurs, que Frédéric II, la guerre terminée, avait confié la construction de Silberberg, en Silésie[59]. En dehors de nos littérateurs et de nos cuisiniers, ce prince ne nous reconnaissait guère de supériorité ; la légèreté française[60] ne trouvait déjà pas grâce auprès de lui ; et souvent, dans ses œuvres, on rencontre les plus malsonnantes épithètes à l’adresse de nos armes[61]. Mais il reconnaissait volontiers que nous n’avions pas nos pareils pour l’attaque et la défense des places. Il est vrai que, de sa part et dans sa bouche, l’éloge n’était pas de grande conséquence. Le plus beau siège du monde ne valait pas, à ses yeux, un mouvement bien conduit sur le champ de bataille, en quoi, par parenthèse, il n’avait pas tort ; et quant aux ingénieurs eux-mêmes, il les tenait en assez mince estime : « Avec ses idées d’économie, dit Mirabeau[62], il les considérait un peu comme des fripons[63] qui tiraient sur sa caisse, soit qu’il s’agit de constructions, soit qu’il s’agit d’un siège. »

Toujours est-il pourtant que Frédéric II aimait encore mieux s’adresser aux nôtres qu’aux siens, qui, avec moins de talens, l’eussent sans doute volé tout autant. « On assure, dit encore Mirabeau, qu’il n’est pas une seule des forteresses construites par les ingénieurs prussiens qui n’ait des défauts frappans. La seule partie où ils sont remarquables, c’est la fortification de campagne. Dans la défense des places, ils n’ont montré aucun art. Schweidnitz et Breslau furent pris très lestement en 1758, la première par escalade. Dresde fut défendue avec plus d’opiniâtreté, mais sans rien d’extraordinaire ; la défense de Torgau fut beaucoup plus vaillante ; mats le génie n’y eut aucune part, non plus qu’à celle de Colberg, où il n’y avait pas un ingénieur dans la place. Quant aux sièges que les Prussiens ont exécutés, deux seulement sont dignes de mémoire par leur importance : celui d’Olmütz, en 1758, et celui de Schweidnitz, en 1762. Le corps du génie montra dans tous les deux une grande inhabileté[64]. Le premier avait été dirigé par M. de Bolby, colonel au service de Prusse, qui jouissait d’une grande réputation. Cet officier y commit des fautes grossières, établissant ses batteries à 400 ou 500 toises de la place, chargeant ses pièces aux deux tiers du poids du boulet, et brisant ainsi ses mortiers. A Schweidnitz, les opérations furent plus mal conduites encore. On mit deux mois à exécuter quatre globes de compression qui devaient faire sauter les remparts. Ils n’emportèrent pas seulement la crête du chemin couvert ; et, sans une bombe qui fit sauter le magasin à poudre, la place eût encore tenu fort longtemps. »

Telle était encore, après toutes les prouesses accomplies par le génie français depuis un siècle, l’ignorance du génie prussien, et ce fut seulement à la veille de la révolution qu’il reçut, non de Frédéric II, mais de son successeur, une organisation un peu plus régulière. Frédéric-Guillaume II n’avait pas hérité de l’aversion de son prédécesseur pour l’arme, et l’un de ses premiers soins, une fois le maître, avait été de congédier les étrangers et de fonder à Potsdam une académie qui assurât le recrutement du corps[65]. Il s’en fallait toutefois que cette institution, qui ne faisait que de naître, fût à la hauteur de notre école de Mézières.

Tout de même en Autriche. Cette puissance possédait sans doute un plus grand nombre d’officiers instruits et qui avaient assez bien fait dans les dernières guerres ; mais le corps était loin d’avoir à son actif des pages aussi glorieuses que la défense de Prague ou la prise de Beng-op-Zoom, pour ne citer que ces deux traits entre tant d’autres. Et s’il avait eu quelque succès au cours de la guerre de sept ans, c’était plus à la faiblesse de ses adversaires qu’à ses propres talens qu’il les avait dus.

Quant à la Russie, la plus jeune et la dernière venue des quatre grandes puissances continentales, elle était trop près de sa barbarie primitive pour avoir accompli de grands progrès dans un art qui exigeait de longues études théoriques. Elle demeurait encore, suivant l’expression d’un contemporain[66], à l’école, et son génie surtout avait grand besoin d’y faire un long stage, avant que de pouvoir entrer en ligne avec celui des autres nations.

En somme, rien de comparable en Europe au génie français, tel que l’avait constitué l’ancien régime, en un corps spécial, composé de 300 officiers d’élite, nommés au choix, sans aucune exception, ayant tous passé par une école spéciale où l’on n’entrait qu’au concours, après avoir subi de rigoureuses épreuves sur les mathématiques, l’algèbre, la mécanique, l’hydrodynamique et le dessin[67] ; ayant tous, en outre, servi deux ans dans l’artillerie et deux autres années dans l’infanterie, afin de se mettre au courant des manœuvres de troupe. Un corps pareil, disposant de l’admirable outillage défensif créé par Vauban, pouvait inspirer toute confiance au pays : plus heureux que Royal-Artillerie, il n’avait jamais subi d’éclipsé, et, depuis la création de l’école de Mézières par d’Argenson, en 1748, on peut dire que son organisation était aussi parfaite que possible. La seule chose qui lui manquât, c’était une troupe à ses ordres et sous sa direction : les compagnies de mineurs et d’ouvriers lui en tenaient bien lieu dans une certaine mesure ; mais elles étaient toujours rattachées à l’artillerie, qui n’avait pas encore perdu toute espérance de replacer le génie lui-même sous sa dépendance. Grave question qui divisait déjà les meilleurs esprits à la fin du siècle dernier et qui les partage encore aujourd’hui !


ALBERT DURUY.

  1. Voyez la Revue du 15 mai.
  2. En principe, les officiers de milice devaient être choisis parmi les officiers ayant déjà servi, réformés ou retirés dans les provinces (ord. du 2 février 1726 et du 25 janvier 1729). Mais ces prescriptions ne furent jamais sérieusement appliquées. Beaucoup de gentilshommes, et même de bourgeois, n’ayant jamais servi, recevaient des grades dans les troupes provinciales, et l’on a pu dira avec raison (Gébelin) que c’était surtout par les officiers que l’institution avait été défectueuse. Saint-Germain, dans ses Mémoires, et le commentateur de ces Mémoires, parlent couramment de leur a nullité. »
  3. « Dans un pays où le premier état est le militaire, où la fleur de la noblesse sert dans l’armée, où tous les officiers sont des gens de naissance,.. on doit bien se persuader qu’il doit y avoir de l’honneur dans des troupes ainsi composées. Aussi y en a-t-il beaucoup ; j’ai vu des officiers périr plutôt que de reculer. Eux et jusqu’au commun soldat ne souffrent point dans leur corps des gens qui ont témoigné des faiblesses qu’on ne relèverait pas même dans d’autres armées. Avec de pareilles troupes, on dompterait l’univers entier… »
  4. Montbarey, Mémoires.
  5. « Une très grande partie des officiers particuliers attend avec impatience le moment de son semestre, dit le prince de Montbarey dans ses Mémoires, parce que, sans l’économie qui en résulte pour eux, leurs appointemens ne pourraient suffire à leurs dépenses. » Les bas officiers faisaient de même : ils demandaient constamment des congés pour refaire leur bourse, et la discipline en souffrait naturellement. (Voir Guibert, Mémoire sur les opérations du conseil de la guerre.)
  6. Ordonnance du 17 mars 1788.
  7. Voir Rousset : Histoire de Louvois.
  8. Ils n’en étaient pas beaucoup plus riches. « Vis-à-vis de la misère des capitaines, écrivait le comte de Gisors au maréchal de Belle-Isle, il faut bien des ruses pour exiger d’eux le sacrifice de leur bourse en même temps que celui de leur corps. » (Lettre du 1er mars 1757.)
  9. « Depuis longtemps, dira Gasparin, capitaine au ci-devant Picardie et député des Bouches-du-Rhône à la Constituante, ceux qui administraient les moyens de la misérable existence des soldats étaient peu délicats dans leur administration ; les profits des majors avaient passé en proverbe. »
  10. N° 80 des Révolutions de France.
  11. Ils ne sont guère moins talon rouge avec les commissaires des guerres eux-mêmes, et la Correspondance est pleine de leurs démêlés a avec les gens déplume, » comme ils appellent dédaigneusement tout ce qui tient à l’administration de l’armée, y compris les intendans. Un jour, raconte le général Ambert, « le marquis de Mirabeau, alors capitaine, n’arriva devant sa compagnie, pour la revue du commissaire, qu’après l’appel de sa troupe ; il descendit de cheval et vint auprès du major, qui se tenait aux côtés du commissaire : — Monsieur, dit le major à celui-ci, voilà M. de Mirabeau, que je vous disais ne pouvoir manquer d’arriver dans la journée. — J’en suis très facile, répond le commissaire, mais mon devoir est de passer la troupe en revue et de noter ce qui y manque d’hommes ; au moment où la compagnie a été vue, M. de Mirabeau n’y était pas ; je ne puis prendre connaissance d’autre chose. En conséquence, la revue est close pour M. de Mirabeau, et il est passé absent. » Celui-ci laisse le major plaider sa cause et se récrier contre la rigueur du commissaire, qui s’écrie : « M. de Mirabeau est absent, je l’ai constaté ; il est absent ! » Le jeune capitaine, muet jusque alors, dit au commissaire avec le plus grand sang-froid : « Je suis donc absent ! — Oui, monsieur. — En ce cas, monsieur, ceci se passe en mon absence. » Et, tombant sur le commissaire à grands coups de cravache devant le régiment, il répète en riant : « Je suis absent. » L’affaire fit quelque bruit, et les commissaires demandèrent un châtiment exemplaire. Louvois pensait comme eux ; mais Louis XIV répondit négligemment : « C’est très mal, mais c’est logique. »
  12. « Depuis la guerre de sept ans, dit Susane, un choix plus sévère préside à leur recrutement. »
  13. Voir, dans la Revue du 15 novembre 1885, le Brigadier Muscar.
  14. Susane.
  15. Ordonnance du 20 novembre 1726 : « Attendu, dit cette ordonnance, la conséquence dont il est que les moyens soient intelligens et que l’on puisse compter sur eux pour plusieurs années. »
  16. « Aucun soldat, dit ce règlement, ne pourra être nommé caporal s’il n’est de première classe, en état d’instruire un homme de recrue, de commander une section, instruit sur le service des postes ; en ce qui le concerne, de la meilleure conduite et tenue, sachant lire et écrire autant que possible, et après avoir subi devant son adjudant un examen auquel assistera le major. Un caporal ne sera reçu sergent qu’après avoir passé devant le major lui-même un examen qui, vu l’importance des fonctions de ce grade, sera rendu plus difficile encore… Et ainsi de suite jusqu’au grade d’adjudant inclusivement, »
  17. Turgot, lettre à Monteynard.
  18. Miot de Mélito. (Cité par M. Sorel dans l’Europe et la révolution.)
  19. Le matin de Raucoux, pendant une dernière reconnaissance qu’avait ordonnée le maréchal de Saxe, l’armée ayant fait halte, les soldats, raconte le prince de Monlbarey dans ses Mémoires, se mirent, les uns à jouer à coupe-tête en avant du front de bandière, les autres à danser avec les femmes du pays qui étaient venues leur apporter des provisions.
  20. « Je ne puis vous dire trop de bien de la fermeté des troupes, écrivait Broglie après son échec de Fillingshausen, elle est au-dessus de tout éloge, et leur ton est aussi bon aujourd’hui qu’avant l’affaire. Jamais armée n’a été plus ferme et n’a conservé plus d’ordre dans un pays aussi coupé. » Broglie à Choiseul. (Extrait des Mémoires de Bourcet.)
  21. Ordonnance du 17 mars 1788.
  22. En temps de guerre, il recevait une ration de pain un peu plus forte, et, dans les années de disette, le roi en prenait souvent la fourniture entière à sa charge. En 1751, ce supplément lui avait coûté plus de 1,150,000 francs ; on 1769 et 1770, il s’était élevé à 2,213,990 francs. (Voir Mémoires de Choiseul.)
  23. Ce pain était-il d’aussi mauvaise qualité que beaucoup d’écrivains l’ont prétendu ? Je ferai simplement observer ici qu’on 1790, la question ayant été portée devant l’assemblée constituante, celle-ci crut devoir décider, sur la proposition de son comité militaire, que « la fourniture du pain continuerait à se faire suivant les anciennes ordonnances. »
  24. Voir Encyclopédie méthodique, au mot Désertion, et Servan : le Soldat-citoyen.
  25. Le conseil de la guerre supprima toute espèce de dépenses relatives à la tenue. Il avait aussi, dans un sentiment d’humanité qui l’honore, essayé d’améliorer la condition matérielle et morale du soldat en lui donnant dans les garnisons la jouissance d’un certain nombre de jardins et en ouvrant à ses dis un débouché par la création de l’école dite des Orphelins militaires. Une autre école d’éducation militaire, fondée par une ordonnance du 10 août 1780, l’École des enfans de l’armée, existait déjà à Liancourt. Destinée à recevoir cent enfans d’invalides Agés d’au moins sept ans, elle avait été placée sous la direction du duc de Liancourt. L’enseignement y était donné par un capitaine et par un lieutenant d’invalides, assistés de plusieurs sous-officiers également invalides. A seize ans, les élèves devaient être incorporés dans un régiment.
  26. Au dire de Bardin, ils étaient moins bien traités que les Français : « Il n’y avait, dit-il, que les Anglais qui le fussent mieux. » (Bardin, Dictionnaire.)
  27. Voyage en Allemagne. Il faut lire, dans ces notes au jour le jour, le tableau qu’il trace de la condition du militaire prussien : « Soldats hors de service, sans tenue aucune, malpropres, mal peignés, déguenillés même, enfin comme ils veulent. — Soldats à tous les coins de rue, — dans Berlin, — exerçant toute espèce de professions : conducteurs de fiacres, laquais de louages, vendeurs d’allumettes, mendians. On a pour principe, en Prusse, qu’aucune profession n’avilit le soldat ; que tout est bien, pourvu qu’il gagne de l’argent. — Infanterie toute campée sur une ligne ; gardes du camp à 150 pas des faisceaux, chaîne de sentinelles doubles à deux pas les unes des autres. Même chaîne sur les côtés et derrière. Quelle armée, sous ce point de vue, que celle où l’on est obligé d’enceindre ainsi les drapeaux pour empêcher que les soldats ne les abandonnent ! Il est constant que, dans la première campagne, les régimens prussiens peuvent compter sur un quart de déserteurs ; en temps de paix, cela est impossible. — Désespoir de la plupart de ces malheureux, ainsi enfermés et réduits, par la modicité de leur solde, à la vie la plus misérable ; suicides très communs parmi les soldats, surtout parmi cette classe d’étrangers qui forme le tiers des compagnies et qu’un moment d’inconstance a privés de la liberté pour leur vie. Quand on les engage, on leur fait bien une capitulation pour tant d’années, mais presque toujours on les trompe… »
  28. De la Monarchie prussienne.
  29. Toulongeon, une Mission en Prusse.
  30. Campagne de France.
  31. Voir la savante étude de M. Chuquet, la Première invasion prussienne.
  32. Mémoires.
  33. Dubois Crancé, séance du 12 décembre 1780.
  34. Règlement du 1er mars 1778.
  35. Pendant la guerre de sept ans, les congés furent prorogés d’année en année. A la paix, en 1765, une ordonnance du 27 novembre proscrivit formellement cet usage ; mais il est infiniment probable qu’en cas de nouvelle grande guerre cette ordonnance n’eût pas été plus observée que les précédentes.
  36. C’est pendant la guerre de la succession d’Espagne que ce système avait commencé d’être appliqué. Il fut repris sous Louis XV ; la milice recruta alors, non-seulement l’infanterie, mais la cavalerie, même les carabiniers.
  37. Broglie à d’Argenson 4 avril 1743. « L’armée du roi, n’étant entièrement composée aujourd’hui que de milices, ne nous a pas donné jusqu’à présent de preuves de sa valeur,.. et cela n’est pas étonnant, la plupart ne sachant point se servir de leurs armes. Il y a déjà eu plusieurs soldats ou cavaliers de tués par ces mêmes miliciens en voulant seulement les manier. »
  38. Voir Encyclopédie méthodique, au mot Désertion. Saint-Germain, Mémoires ; Lessac, de l’Esprit militaire.
  39. « Il semble que ce soit chez nous un honneur de servir le roi dans l’état militaire et une espèce de honte de tirer à la milice. » (Bernardin de Saint-Pierre, Vœu d’un solitaire.) — « Les milices sont avilies. » (Menou, séance de l’assemblée constituante du 12 décembre 1789.) — « L’esclave n’était point forcé de partager la prétendue gloire et le péril de ces débats souvent sans objet qui ensanglantaient la terre… » (Linguet, Annales politiques.)
  40. Encyclopédie méthodique, au mot Milice.
  41. Ibid. Voir aussi Barbier (III, 429). — « Un grand nombre d’ouvriers préfèrent, par honneur, la qualité de soldat à celle de milicien. »
  42. Voir notamment Rousset, Correspondance de Louis XV et de Noailles et dans Gébelin, une lettre de Chevert à Belle-Isle.
  43. En 1760, le maréchal de Castries écrit à Broglie (13 octobre) que, vu l’importance de Dusseldorf, il y envoie le régiment de Lockmaria. « La place ne serait pas, dit-il, à l’abri d’un coup de main, s’il ne lui restait que de la milice. »
  44. Ces élémens étaient : les 4 bataillons du Royal-Artillerie, les 2 de Royal-Bombardiers, 4 compagnies séparées de canonnière, 4 de mineurs et 1 compagnie de canonniers dite des côtes de l’Océan.
  45. Susane, Histoire de l’artillerie française.
  46. Seul peut-être en dehors des écrivains militaires, Voltaire lui a rendu justice : « Vallière, dit-il, qui avait poussé le service de l’artillerie aussi loin qu’il peut aller. » (Siècle de Louis XV.)
  47. Ordonnance du 7 octobre 1732.
  48. Favé.
  49. Ordonnances du 20 janvier et du 26 février 1757.
  50. Il n’était encore que lieutenant-colonel.
  51. Favé, Etude sur le passé et l’avenir de l’artillerie.
  52. Favé.
  53. La France était divisée en plusieurs départemens d’artillerie.
  54. Du Coudray.
  55. On appelait ainsi les partisans du système Vallière et plus généralement de la grosse artillerie, par opposition au parti bleu, dont Gribeauval était l’âme.
  56. Une brigade d’artillerie se composait de la réunion de 4 compagnies. Il y en avait 5 par régiment.
  57. La gendarmerie de la garde.
  58. Pas même en Prusse, où la composition des cadres laissait fort à désirer pour les raisons suivantes que j’emprunte à Mirabeau (Système militaire de la Prusse) : « 1° Frédéric II ne faisait pas assez de cas du corps et lui montrait peu de considération. Il n’accordait que très rarement l’ordre du Mérite à un officier d’artillerie. Le major d’Anhalt, qui a commandé l’artillerie à cheval, est le seul qui l’ait eu depuis la mort du général Holtzendorf et du colonel Merkaetz. Cependant, le roi le donnait souvent même aux officiers subalternes des autres armes. Son mot est bien connu : « Qu’est-ce donc que ces gens-là ont de recommandable ! Est-ce si difficile de tirer juste ? » 2° Il n’y avait point de véritable école d’artillerie en Prusse. L’artillerie exige une étude théorique que ne reçoivent pas les officiers. Ils sont ignorans. Dans la guerre de 1778, le duc de Brunswick voulut mettre le feu à un village où s’étaient retranchés les Croates. Jamais l’officier d’artillerie, qu’il fit avancer pour cela avec un obusier, n’y parvint ; toutes ses grenades tombaient en-deçà ou au-delà du but. »
  59. L’étranger ne se contentait pas de nous emprunter nos ingénieurs ; il nous prenait aussi nos fondeurs. En 1773, Guibert, visitant l’arsenal de Vienne, y trouva comme directeur des fonderies deux Français, les frères Poitevin, ‘ tous deux gens de mérite, très instruits, lumineux même dans leur partie… Il y a deux ans qu’ils sont à la tête des fonderies et ils ont fondu plus de mille pièces de canon. Singulière économie qu’ils y ont introduite… »
  60. « Je passe sous silence les Français, quoi qu’ils soient avisés et entendus, parce que leur inconséquence et leur esprit de légèreté renversent d’un jour à l’autre les avantages que leur habileté pourrait leur procurer. » (lettres de Frédéric II sur la guerre de 1757.)
  61. « L’année 42, je fis une campagne en Moravie pendant l’hiver pour dégager par cette diversion la Bavière, et si je ne réussis pas, c’est que les Français étaient des lâches et les Saxons des traîtres. » (Frédéric II, Principes généraux de la guerre.) Il ne faudrait pas voir ici l’expression vraie de l’opinion de Frédéric II sur le soldat français : cette épithète de lâches n’est ici qu’une boutade, une de ces injures comme celles qu’il adressait si souvent à ses propres généraux : « que le diable te casse le cou ! » La preuve, c’est que ces lâches, il faisait tout pour les attirer. Quand Guibert fit son voyage en Allemagne, en 1773, il trouva dans chaque compagnie prussienne, à Breslau, de quinze à vingt déserteurs français ; et ce n’est pas à moins de vingt-cinq mille qu’il en porte le total.
  62. Système militaire de la Prusse.
  63. Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort en ce qui concerne les ingénieurs français qui s’expatriaient. Dans le nombre, il y avait beaucoup d’aventuriers comme ce Lefebvre, qui, pour échapper à une condamnation honteuse, ayant été pris la main dans le sar, dut se faire sauter la cervelle.
  64. C’était aussi l’avis de Guibert. Lorsqu’il visita Olmütz, en 1773, il obtint du major autrichien commandant l’autorisation de visiter la place. « Dominée, dit-il, et attaquable par la porte de Vienne. C’est là qu’elle le fut par le roi de Prusse, mais mal, mollement et sans intelligence, comme lui et ses troupes attaquent toutes les places… Le roi de Prusse resta devant elle inutilement pendant plus de six semaines, et il n’était pas au chemin couvert quand il leva le siège. »
  65. Heydt, Recherches sur l’organisation du génie en Europe.
  66. Favier.
  67. Règlement pour l’admission à l’école de Mézières (septembre 1777).