Anonyme
L’Armée et la démocratie
Revue des Deux Mondes3e période, tome 69 (p. 844-872).
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L'ARMEE ET LA DEMOCRATIE

I.
LE SERVICE DE TROIS ANS.

Il y a pour une nation un malheur plus grand que d’être vaincue, c’est de se tromper sur les causes de sa défaite. La lutte de 1870 sembla livrée non-seulement entre deux races d’hommes, mais entre deux systèmes de guerre. Pour la soutenir, la France avait levé ses soldats, l’Allemagne s’était levée elle-même. D’un côté, on avait vu des troupes, les plus renommées du monde, s’anéantir dans une double capitulation, le pays laissé par elles sans défense opposer en vain son courage à l’envahisseur, la destinée d’un grand peuple enfin, toujours surprise par une force supérieure et mal défendue par des efforts convulsifs, tomber en un abaissement que n’espérait pas la haine de ses ennemis. De l’autre côté, un million d’hommes subitement rassemblés, partout présens, tous semblables et toujours égaux à eux-mêmes, courageux dans les batailles, rapides dans les marches, si réguliers dans l’accomplissement des tâches les plus difficiles qu’elles paraissaient aisées, ayant leurs victoires pour seules haltes dans ce mouvement infatigable et sûr qui les conduisit en une campagne au cœur du pays ennemi, avait déployé la puissance non d’une armée qui manœuvre, mais d’un peuple qui se déplace, comme si après quinze siècles recommençait à couler le flot des migrations germaniques. Devant les grands succès et devant les grands revers l’âme française manque de constance. L’orgueil qu’elle avait eu jusque-là d’elle-même se tourna en admiration pour un rival devenu si facilement un maître. A la profondeur de la blessure ouverte dans son flanc, le vaincu mesurait la puissance de l’arme qui l’avait atteint, il voulut arracher de sa plaie ce fer pour s’en servir à son tour. Comme il condamna ses institutions politiques, il condamna ses institutions militaires. Un cri s’éleva unanime : il fallait mettre à profit l’expérience payée si cher, prendre ses lois au vainqueur.

La force la plus visible de l’Allemagne avait été le nombre. L’assemblée nationale, par un vote unanime, déclara soldats tous les Français. Les Français voulurent cette loi non-seulement parce qu’ils la croyaient nécessaire, mais parce qu’elle était généreuse. Le régime qui avait rendu la science des armes étrangère à la plupart des citoyens, permis à chacun d’acheter un autre homme pour mourir à sa place, chargé l’état lui-même de vendre aux Français le droit de ne pas défendre la France, pesait sur tous comme un remords. Altérés de sacrifices, ils voulaient préparer à de grandes fautes la revanche de grandes vertus. Gardienne de l’unité nationale, l’armée en devait être l’image. Il fallait y rassembler toutes les conditions, l’enrichir de toutes les intelligences, apaiser les haines des classes dans la piété d’un devoir commun, rendre impossibles, soit les divisions entre les soldats et le peuple, soit l’oppression du peuple par les soldats, et renouveler chez tous à la fois la conscience des libertés publiques et le sentiment de l’autorité. Sociale ou militaire, l’œuvre était également auguste. Le plus grand péril semblait alors que la pureté d’un tel patriotisme fût altérée par le mélange de sentimens moins nobles. Dans ces troupes il n’y avait plus de place pour des soldats vieillis par l’oisiveté des garnisons ou recrutés par un appât mercenaire. L’offre de la vie devenue un acte religieux ne pouvait être ni un métier ni un trafic. Aux portes de l’armée, qu’il s’agît d’entrer ou de sortir, l’argent perdait sa puissance. La suppression du remplacement et des primes fut la conséquence de cette conception héroïque : en écartant de l’armée le lucre, l’assemblée crut chasser les vendeurs d’un temple.

La paix, qui avait étendu l’Allemagne et réduit la France, donnait à l’une et à l’autre la même population. En décidant, à l’imitation de l’Allemagne, que tout homme devrait le service de vingt à quarante ans, — neuf ans dans l’armée active, onze dans l’armée territoriale, — la France s’assurait la même quantité de soldats. Restait à leur donner des qualités égales. Ainsi que l’éducation des premières années prépare la vie entière, la valeur militaire de chaque homme durant vingt années pouvait être assurée ou perdue par l’école du service actif.

Or, le changement apporté au nombre des combattans entraînait une révolution dans la nature du service militaire. Tant qu’une faible partie de la jeunesse formait toute l’armée, le service militaire était long. Sa durée, infligée à un petit nombre d’hommes, ne paralysait pas la société, et à ses victimes offrait une carrière. Du jour où tout le monde devenait soldat, la carrière de soldat devait disparaître sous peine de mettre obstacle à toutes les autres. Il ne pouvait plus s’agir de donner aux citoyens par de longues habitudes la vocation des armes ; il suffisait de leur en apprendre l’usage. L’intérêt des finances, la vie même de la société défendaient que cet enseignement se prolongeât, et plus il avait à former d’hommes, plus il devait être court. Là encore l’exemple du vainqueur sembla le meilleur à suivre. Le service de trois ans avait permis à une nation de l’emporter au commencement du siècle sur le plus grand des capitaines, et dans les dernières années sur deux puissances de premier ordre. Peu s’en fallut que les troupes allemandes obtinssent ce dernier triomphe de voir, sur le sol encore occupé par elles, le régime prussien consacré par le vote d’un parlement français.

Mais ce parlement comptait en grand nombre les généraux que la nation, comme Rome après Trasimène, honorait pour n’avoir pas désespéré de la patrie. Un seul éleva la voix pour donner raison à l’instinct populaire : c’était le général Trochu. Sauf lui, tous furent unanimes. S’ils acceptaient le don offert par le pays de toute sa population valide, ils rappelaient qu’en France cinq années avaient toujours paru nécessaires à l’éducation des soldats : ils ne consentaient pas, pour former les uns, à déformer les autres. Garder cinq ans toute la jeunesse eût été étouffer la nation sous le poids de son armure ; mieux valait ne donner au contingent autrefois étranger à l’armée qu’une instruction élémentaire, et maintenir l’ancienne durée du service pour le contingent qui seul était appelé autrefois. A leurs yeux, il demeurait dans l’avenir, comme il avait été dans le passé, la force véritable, et ils adjurèrent leur pays de ne pas achever l’œuvre de l’ennemi en brisant la seule de nos institutions militaires que la guerre eût trouvée forte et laissée intacte. Or ils étaient de ceux dont l’Écriture dit que leur parole est une épée : avec Changarnier apparaissaient les gloires de la conquête africaine, avec Ducrot une vigilance qui avait prévu nos désastres et un courage victorieux malgré lui de la mort, avec Chanzy l’honneur de nos révère, l’homme auquel des troupes improvisées avaient suffi pour balancer un jour et sans cesse inquiéter la fortune allemande ; avec tous, le passé héroïque de la France adressait à l’avenir dans une suprême leçon une prière suprême. Au-dessus d’eux enfin, témoin par ses travaux et son âge de nos grandeurs guerrières, condamné par nos désastres à manier la force dont il avait étudié les secrets et raconté l’histoire, chargé de reprendre avec des troupes hier captives la capitale en révolte, grandi par l’autorité de services militaires autant que civils, chef de l’état, dictateur de l’opinion, plus soldat que tous, M. Thiers osait regretter l’armée de Reischoffen et de Metz. Il réclamait pour elle dans sa patrie la justice qu’elle avait trouvée chez l’adversaire, demandait pour sauvegarder l’avenir des gouvernemens plus sages et non des soldats meilleurs, acceptait le nombre comme une concession nécessaire à l’erreur générale, mais plutôt que de souscrire par la réduction du service à l’affaiblissement de la France, était prêt à quitter le pouvoir.

L’assemblée nationale ne fut pas convaincue peut-être, mais elle ne se reconnut pas le droit d’accomplir une réforme militaire malgré les généraux et, pour l’accomplir, de renverser le gouvernement. Née entre la guerre étrangère et la guerre civile, rappelée par toutes les douleurs de sa carrière au deuil de la patrie, elle savait plus aisément qu’une autre faire au bien public le sacrifice de ses préférences. L’important n’était pas que l’armée lui semblât forte, mais qu’elle fût telle, et pour la créer elle s’en fiait aux hommes de guerre. Leur influence dicta le compromis de 1872. Le contingent fut partagé en deux moitiés, l’une astreinte au service pour un an, l’autre pour cinq. L’ancienne armée survivait avec les mêmes effectifs et le même temps de service. La loi nouvelle y ajoutait des réserves inépuisables par le nombre et assez instruites pour se mêler sans les trop affaiblir aux véritables soldats. Le service militaire était universel mais inégal.

À cette inégalité justifiée par l’intérêt de la guerre s’en ajoutaient d’autres consenties dans l’intérêt de la paix. La paix aussi a son armée. La nature, par des infirmités, interdit à certains la vie des camps. La conservation des familles serait compromise si elles étaient privées de leurs chefs et de leurs soutiens. L’intérêt général n’a pas moins d’exigences : la paix ne saurait pas plus se passer de lumières et de morale que la guerre de discipline et de courage, et la société, comme l’armée, a besoin de préparer ses serviteurs par une éducation. Imposer la vie militaire à ceux qui se destinent aux fonctions publiques, c’est, en leur enlevant le loisir et peut-être le goût de l’étude, causer à l’état même un préjudice, et pour le mieux défendre contre un péril incertain, oublier ses besoins permanens. L’assemblée nationale n’avait garde de les méconnaître. Elle confirma, en les augmentant, les dispenses établies par les lois précédentes : si elle les accorda aux infirmes au nom de leur propre malheur, aux orphelins, aux fils de veuves, aux frères de soldats au nom des intérêts domestiques, plus soucieuse encore de l’intérêt général, elle étendit de larges immunités sur tous ceux qui, candidats aux grandes écoles, à l’enseignement, au sacerdoce, empruntaient à leur vocation le caractère d’hommes publics. Ceux qui, sans briguer les charges de l’état, se destinent aux carrières libérales ou dirigent des industries importantes ne lui paraissaient pas jouer dans la société un rôle moins utile, puisqu’ils y développent l’intelligence et la richesse. Elle ne songea pas à dispenser cette élite du service, tenant au contraire que l’exemple vînt de haut ; mais elle ne voulut pas que, durant cinq années, la société fût exposée à s’appauvrir par leur inaction. Comme leur culture leur permettait de s’instruire plus vite, elle leur permit de quitter plus tôt la caserne, et elle leur imposa en échange de cette faveur l’obligation de fournir à leurs dépenses. La seule institution qui passa sans changemens de l’armée allemande dans la nôtre fut le volontariat d’un an.

L’armée comptait d’abord les hommes, officiers, sous-officiers, soldats, qui no se recrutent pas par des appels ; cette portion qu’on nomme permanente et qu’on pourrait appeler volontaire de l’armée est de 120,000 hommes.

Le recrutement procurait le reste. Chaque année 300,000 Français atteignent l’âge du service.

Il en fallait déduire :


Exempts pour infirmités 80.000 hommes.
Dispensés comme nécessaires à leur famille. 55.000 —
— comme liés à un service public. 5 000 —
140.000 hommes.

Restaient 160,000 hommes destinés à l’armée[1]. Sur ce nombre 20,000 servaient comme volontaires d’un an ; 140,000 étaient d’après l’ordre des numéros partagés en deux portions sensiblement égales : 70,000 hommes servant un an, 70,000 hommes cinq ans. L’effectif moyen sous les drapeaux était :


Partie permanente 120.000 hommes.
Cinq classes de 70.000 hommes 350.000 —
Une classe de 70.000 servant de six mois à un an 70.000 —
Une classe de volontaires d’un an 20.000 —
Total 560.000 hommes.
Cet effectif se réduisait par les pertes naturelles à 500.000 —[2]

Le contingent annuel de 160,000 hommes donnait les forces suivantes :

Armée active, 5 classes.


160.000 hommes, diminués de 12 pour 100, se réduisaient à 140,800. Cinq contingens donnaient 704.000 hommes.
Réserve de l’armée active, 4 classes : 140.800 hommes, diminués de 8 ½ pour 100, se réduisaient à 128,800. Quatre contingens donnaient 515.200 —
Armée territoriale, 5 classes : 128.800 hommes, diminués de 10 ½ pour 100, se réduisaient à 115,200. Cinq contingens donnaient 576.000 —
Réserve de l’armée territoriale, 6 cl. : 115.200 hommes, diminués de 12 pour

100, se réduisaient à 101,400. Six contingens donnaient.

608.400 —
Total 2.403.600 hommes.

En ajoutant à ces forces la portion permanente, la France avait plus de 2 millions 1/2 de combattans.

Tant que dura l’assemblée nationale, l’œuvre parut solide. Ceux qui l’avaient faite veillaient sur elle, ceux contre qui elle était faite demeuraient présens à la pensée française. Même quand l’assemblée commença à se distraire de ses deuils par ses discordes, elle tint au-dessus de ses discordes l’arche d’alliance où elle avait déposé la force et l’unité de la patrie. M. Thiers, auteur de la loi sur l’armée, put tomber du pouvoir, c’est l’armée elle-même qui y monta avec le maréchal de Mac-Mahon. Elle eut à la fois à la tête du gouvernement son plus haut dignitaire et à la tête de l’opposition son plus illustre défenseur. Mais les luttes qui la respectaient déchirèrent bientôt les partis. L’assemblée nationale par ses fautes devint impopulaire. La sagesse de sa conduite au dehors, en éloignant les périls, détournait les esprits des craintes qui auraient rappelé ses services, le bien qu’elle avait accompli donna tout le loisir de condamner le mal qu’elle avait fait, et la fin de son mandat fut la fin de sa politique.

Les élections de 1876 et de 1877 donnèrent le pouvoir à un parti nouveau. En même temps qu’il pénétrait dans la chambre, les représentans de l’armée en sortaient. L’assemblée nationale avait jugé que, la réforme militaire faite, la place des officiers était à la tête de leurs troupes et non au milieu des querelles, et on les avait déclarés inéligibles. M. Thiers, plus puissant que jamais, était, au moment où se préparait son triomphe, surpris par la mort. Le maréchal, vaincu par la défaite de ceux qui l’avaient porté au pouvoir, et isolé dans la foule des triomphateurs inconnus, abandonna le pouvoir où il devenait prisonnier. Ainsi se brisèrent tout à coup les liens entre le présent et le passé.

Les hommes qui se trouvaient les maîtres avaient appliqué toute la force de leur esprit ou de leurs passions aux affaires intérieures. Leur incompétence les aurait détournés de toucher aux institutions militaires s’ils eussent été d’un temps où pour décider il faut savoir. Mais l’armée tenait dans la vie des citoyens une trop grande place pour ne pas attirer le regard des législateurs. Ne pouvant demander conseil ni à leur propre expérience ni à celle des conseillers autorisés, ils n’avaient pour guides que leurs idées accoutumées. Leur victoire était le triomphe de certaines doctrines dans le gouvernement et l’état, il était inévitable qu’ils cherchassent à les répandre. A une assemblée qui avait tout organisé dans la nation pour le développement de la force militaire succédait une assemblée qui allait tout disposer dans l’armée pour le triomphe de la démocratie.

La démocratie aime l’égalité, l’armée pour des égalitaires était un scandale. A son origine même, la division entre les privilégiés qui servaient six mois et les infortunés qui servaient cinq ans plaçait une injustice universelle. Dès l’avènement des républicains, le service de trois ans apparut comme une conséquence.

L’esprit de l’assemblée nationale, survivant encore dans le sénat, ne permettait pas d’effacer la loi de 1872 ; mais sans la détruire, on pouvait ne la pas appliquer. En fixant la durée du service, elle avait laissé au ministre le droit de congédier les hommes par anticipation. Dans l’assemblée nationale, on avait profité de la latitude pour renvoyer après six mois les hommes qui devaient un an de présence et garder cinq ans ceux qui devaient cinq ans. Dès 1877, on garda un an les hommes de la seconde portion afin de renvoyer après quatre ans ceux de la première. La classe qui, cette année, bénéficia de la mesure était celle de 1873, la première appelée d’après la loi de 1872 : les républicains avaient triomphé assez tôt pour que le service de cinq ans ne fût pas une fois appliqué. Celui de quatre ans ne le fut pas davantage. Sous des ministres de plus en plus instables et de plus en plus dociles aux volontés parlementaires, la présence de la première portion fut bientôt réduite à trois ans et demi, puis à quarante mois ; enfin elle cessa de dépasser trois ans. Le volontariat d’un an ne reçut pas de moindres atteintes. Mal appliqué dès le principe, il avait donné à ses adversaires le droit de dire qu’il était un privilège accordé à la richesse et une exonération hypocrite. Le nombre des volontaires à admettre chaque année n’étant pas fixé par la loi, tomba de 20,000 hommes à moins de 5,000.

Mais ces réformes ne portaient que des remèdes partiels et détournés à un mal général. Il ne pouvait être détruit qu’avec l’œuvre de 1872 : il fallait au parti nouveau une loi nouvelle. Préparée par les élections successives qui portaient au Luxembourg les idées du Palais-Bourbon, elle a été formulée l’an dernier[3]. Votée alors en première lecture, soumise en ce moment à la seconde lecture, la loi est faite, puisqu’il lui manque seulement la confirmation de la chambre et le consentement du sénat, assemblées incapables l’une déjuger l’autre, l’autre de se déjuger.

Cette loi se résume en deux dispositions. Le service est réduit à trois ans pour tous les Français. Le service de trois ans est imposé à tous les Français. Les dispenses deviennent le privilège de la pauvreté. L’homme qui, par son travail, est l’unique ressource des siens est laissé aux siens et à son travail. Sauf la misère, rien n’est épargné. Les infirmités même sont suspectes : l’homme incapable de faire campagne doit être utilisé dans les services auxiliaires de tout ce qui lui reste de vie, il faut qu’il paie sa dette. L’intérêt des familles est écarté : la femme veuve, le père septuagénaire ou aveugle n’ont plus droit de garder leur fils unique, les orphelins leur frère aîné. L’intérêt même de l’état ne compte plus : les carrières libérales, la grande industrie, chargées de défendre cette puissance nationale qui ne se perd pas seulement sur les champs de bataille, les écoles célèbres qui répandent sur la France une gloire encore incontestée et alimentent les services publics, se videront pour fournir des soldats.

Une telle loi portait en elle sa clarté : les débats ont montré au grand jour le secret dessein de ses auteurs. Le moindre était de faire une œuvre militaire. Les conséquences du changement pour l’avenir de nos forces ont été indiquées à peine, l’on n’a poursuivi avec zèle, applaudi avec chaleur que l’œuvre politique et sociale. Elle était bonne parce qu’elle nivelait : elle apportait à la démocratie la joie de soulager ceux qui portent plus que leur part et la joie plus grande de charger ceux qui avaient échappé au fardeau. Chose étrange, en effet, cette démocratie prenait un plaisir inégal à faire à tous une condition égale, les réformes à accomplir lui étaient d’autant plus chères qu’elles concernent moins de personnes et ont moins d’importance pour l’armée. Le sort du contingent la passionnait moins que celui des anciens volontaires, et celui des volontaires que celui des anciens dispensés. Eux seuls en réalité étaient en cause, et dès qu’il s’est agi d’eux, les mots opposés de prolétaires et de bourgeois, de riches et de pauvres ont soudain laissé voir sous le voile déchiré de l’égalité les haines des classes. Ce n’est pas le respect de la justice commune qui emportait en ces fureurs les mandataires du peuple, c’est la volupté des représailles contre les supériorités sociales. La richesse en est une et aussi l’intelligence ; ils ont, à la jeunesse qui réclamait le temps d’apprendre et de produire, répondu comme la révolution à Lavoisier qui demandait aussi du temps pour ses découvertes : « La république n’a pas besoin de chimistes. » On a dit : « A la caserne ! » du même air qu’à d’autres époques on disait : « A la prison ! » A la caserne ceux dont la fortune insulte à la détresse du peuple ; leur sort y sera par le contraste plus dur que celui du pauvre ! A la caserne ceux dont le savoir humilie l’ignorance du peuple ; que leur esprit avide y trouve sa torture dans l’oisiveté ! Sans doute, tous dans le parlement n’avaient pas ce fanatisme. Nombre d’entre eux auraient voulu ne porter atteinte ni aux carrières ni aux fonctions publiques. Parmi les fonctions une surtout avait été tenue pour essentielle par la république : celle du maître d’école. Peut-être la république aurait-elle épargné ces fils du peuple qui enseignent les fils du peuple. Mais d’autres éducateurs avaient le même privilège : les prêtres. C’est à eux qu’elle voulait enlever l’empire des intelligences, c’est eux qu’elle rêvait d’anéantir par un coup décisif. Elle n’osait pas arrêter leur recrutement par une loi qui les condamnât seuls à servir, mais, pour les perdre, elle n’hésitait pas à supprimer toutes les immunités ; aucune ruine n’était trop vaste pourvu que le sacerdoce y demeurât enseveli. Tel est le résultat dernier de la gestion des intérêts militaires par des hommes politiques. L’armée organisée par leurs soins cesse d’être une force militaire contre les ennemis du dehors : elle devient une arme politique contre les adversaires du dedans.


II

Quels soldats prépare le service de trois ans ? Comme la loi qui le proclame consacre un état déjà existant en fait, pour connaître l’armée de demain il suffit d’étudier l’armée d’aujourd’hui.

Rien n’y rappelle l’armée d’autrefois. Le soldat qui trouvait dans sa rude existence la douceur d’une habitude, croyait à la dignité de sa profession, mettait son honneur à la bien accomplir et couronnait ses vertus militaires par quelque dédain des vertus civiles, n’existe plus. L’obéissance est partout, nulle part le goût d’obéir. Durant le service le sentiment qui domine n’est pas la fierté de l’accomplir, mais l’impatience de l’achever. L’homme est toujours trop près de la liberté qu’il vient de perdre ou de celle qu’il va retrouver pour considérer sa condition présente comme durable. Son corps seul est captif ; sa pensée erre autour du foyer natal, des champs paternels, des travaux accoutumés, que la servitude militaire interrompt sans affaiblir leur charme toujours présent.

L’existence qu’il mène rend le contraste plus amer. Plus le temps de service se réduit, plus l’instruction demande d’efforts. Dans les armes spéciales le travail est extrême. L’homme demeure accablé par l’excès de ce qu’il doit apprendre, sent s’échapper sans cesse les connaissances qu’il tente d’introduire trop vite dans un cerveau trop étroit, ne parvient jamais à cette possession assurée de savoir qui est le commencement du repos. Le service de trois ans le rebute par ses fatigues. Dans les autres armes, où l’homme a plus vite achevé d’apprendre, il se demande, dès qu’il connaît ses théories, pourquoi il est retenu à l’armée. Il sait que le service n’est pas un métier, mais une école ; pourquoi l’école n’est-elle pas close quand la leçon est finie ? Le service de trois ans l’étonné par son illogisme. Ces dispositions entretiennent dans les esprits une secrète résistance ; pour la briser, il faut fortifier la discipline. L’homme sent peser sur lui la menace, vit dans la crainte d’être coupable sans même connaître sa faute, ne trouve pas de proportion entre le mal qu’il fait et celui qu’on lui fait, et le moyen employé pour le soumettre achève de le dégoûter.

Le jour où le contingent tout entier sera retenu trois années, on compte que la similitude des conditions apaisera les regrets et que la présence d’hommes instruits éveillera le zèle de tous. Il est plus probable que des résultats contraires se produisent. On aura transporté la société dans l’armée, la société continuera d’y vivre avec les divisions que crée la différence d’intelligence, de fortune, de rang. Dans la société, elles sont comme adoucies par la distance qui sépare les conditions diverses ; dans l’armée, elles seront exaspérées par le contact. Les hommes cultivés apprendront il est vrai sans efforts, mais l’allure de l’instruction, convenable pour eux, sera trop emportée pour la masse des conscrits, accoutumés à creuser de lents sillons dans leur pensée comme sur le sol. Assembler des hommes trop inégaux pour accomplir la même tâche n’est pas développer chez tous l’émulation, mais chez les uns le découragement et chez les autres le dédain. Ce dédain sera le sentiment naturel à quiconque se croira de l’élite envers les détails du métier. Il faut, pour pénétrer l’importance profonde des petites choses, une étude trop patiente pour des yeux de vingt ans. Rien n’est plus irritable que l’orgueil de la première science : elle trouble la tête comme la fumée d’un vin nouveau. C’est pourquoi les mutineries sont le fléau des grandes écoles, même militaires. De pareils désordres ne seront pas à craindre dans les régimens, mais là aussi la jeunesse instruite sera la plus prompte à tout mettre en question, ordres et chefs, et jusque dans son obéissance se trahira la révolte de son esprit. Enfin, comme elle trouvera le métier plus pénible que personne, elle aspirera plus que personne à le quitter. Sa supériorité intellectuelle ne servira qu’à affaiblir la discipline, à diminuer chez les hommes de condition médiocre le sentiment du respect, à développer un sentiment, qui, jusqu’ici, n’était pas français, mais le deviendra, si l’on y prend garde, la honte d’être soldat.

Moins une troupe a de vertus militaires, plus les cadres doivent être solides. Le vieux soldat d’autrefois formait le sous-officier. Retenu pour de longues années au service, le conscrit songeait qu’il valait la peine de s’y créer une vie supportable : avec trois ans d’efforts il pouvait s’assurer pour le reste de son temps les avantages attachés au grade de sous-officier. Le concours était chaud, et, parmi les promus, la satisfaction d’un succès si disputé commençait à développer le goût du métier. Beaucoup en venaient à l’adopter comme celui de leur choix, et, pour le garder, rengageaient. L’état de sous-officier était une profession. Ceux qui l’exerçaient dix à vingt ans ne connaissaient ni surprise, ni embarras ; toutes les difficultés n’étaient guère pour eux que des souvenirs, presque tous avaient fait campagne ; en paix comme en guerre ; ils inspiraient confiance et respect au soldat. Dans cette élite, l’élite aspirait au rang d’officier. Les meilleurs y parvenaient vers leur trentième année, la plupart étaient atteints par la retraite comme capitaines après avoir déployé dans tout leur service la soumission exacte et la science des détails qui sont les qualités les plus précieuses chez les chefs subalternes. Comme ils obtenaient l’épaulette dix ans après les élèves des écoles, il n’y avait pas entre les deux catégories d’officiers rivalité de carrière : ces derniers parvenaient à peu près seuls aux hauts emplois. Il se faisait entre eux la séparation que réclamait l’intérêt militaire. La majorité des grades inférieurs était occupée par les officiers sortis du rang et ayant acquis, par leur longue pratique, l’autorité nécessaire pour la conduite des hommes. La majorité des grades supérieurs appartenait aux officiers aptes par la variété de leurs connaissances à résoudre les multiples problèmes que pose la conduite des opérations. Comme enfin entre ces doux catégories il n’y avait pas conflit d’intérêts, chacune rendait justice à l’autre, sentait le profit de leur coopération commune, et ce corps d’officiers, le plus divers par ses origines, par ses aptitudes, par son avenir, était le plus uni qui fût en Europe.

Avec le service de trois ans, cette hiérarchie croule par la base. Le soldat ne peut être promu sous-officier avant le commencement de la seconde année : en fait, il ne l’est guère avant le commencement de la troisième. Briguer les galons, c’est se soumettre à un travail immédiat et long, avec la perspective d’une récompense lointaine et courte. La philosophie d’un conscrit suffit à conclure : il aime mieux mener trois ans l’existence de troupier que subir deux ans la rude épreuve des candidatures aux grades. Le soldat les fuit, et l’armée est le seul corps en France où il faille imposer les honneurs par ordre. Les gradés exercent leurs fonctions comme ils les ont reçues, de peur d’être punis. Ils n’ont ni par l’âge ni par l’expérience d’autorité sur les hommes. Ils ne tiennent pas à se faire d’affaires avec des subordonnés hier leurs égaux et demain peut-être leurs supérieurs dans la vie civile, la seule importante à leurs yeux : ils n’aspirent qu’à partir avec leurs compagnons de captivité, et l’état qui les forme en deux ans n’a pas un an pour s’en servir.

L’infériorité de ces cadres est telle que la nécessité d’avoir des sous-officiers plus mûrs a apparu au moment même où l’on réduisait le temps de service, et pour obtenir qu’ils restassent on leur a, oubliant les répugnances de 1872, proposé des hautes paies et des primes. Mais ces avantages ne sauraient être égaux à ceux que présente à des hommes de vingt-trois ans l’industrie privée, et elle y joint l’indépendance dont leur âge est avide. Sur les 40,000 sous-officiers dont l’armée a besoin, les avantages offerts ne retiennent pas au service plus de 12,000. Insuffisans par le nombre, ils le sont plus encore par la valeur.

On compte que l’incorporation de la jeunesse instruite permettra de former plus vite dans la classe des gradés plus capables. Sans doute ils sauront en un an tout ce qui se retient par la mémoire, mais, s’ils sont promus de façon à servir deux ans comme sous-officiers, ils n’auront pas eu le loisir d’apprendre la vie du soldat. Leur zèle ne viendra pas en aide à leur inexpérience : quiconque dans un certain rang social aime l’armée y entre par les écoles ou l’engagement volontaire, quiconque n’y entre pas ainsi n’aspire qu’à reprendre sa carrière ou son oisivité. Si on les nomme par préférence, à cause des services plus immédiats qu’ils peuvent rendre, les candidats moins instruits et moins riches, les seuls parmi lesquels on puisse espérer des rengagemens, seront écartés. Si, au contraire, dans l’intérêt de l’avenir, on préfère aux jeunes gens qu’on désespère de garder les candidats sans études et sans éducation, la hiérarchie des grades ne sera plus conforme à la hiérarchie des aptitudes. Des hommes plus capables resteront sous les ordres d’hommes moins aptes à commander. Les sous-officiers, aux yeux des hommes, n’avaient pas le prestige que donne le temps, ils perdront même celui que donne l’intelligence. La présence de la jeunesse instruite dans les rangs affaiblira encore les cadres inférieurs.

Il est commun de dire que les bons officiers font les bons soldats : il n’est pas moins vrai que les médiocres soldats font les médiocres officiers. Le commandement, fût-il confié au génie même, perd sa force si des rouages trop grossiers le transmettent. Rien ne décourage les meilleurs chefs comme la résistance passive, également éloignée de la révolte et du zèle, et qui, faisant obstacle à tout progrès, ne donne même pas prise à une rigueur salutaire. Cette obéissance morte les dégoûte de vouloir, le sentiment de l’autorité même les empêche d’exiger ce qu’ils désespèrent d’obtenir, et l’inertie qu’ils ont combattue sans succès les gagne à leur tour. Le service à court terme prépare d’une façon plus directe cette ruine du commandement. Les deux tiers des sous-lieutenans viennent des sous-officiers. Dans une armée où ceux-ci disparaissent presque tous avec leur classe, il n’y a plus à choisir pour l’épaulette les meilleurs, mais à accepter ceux qui consentent, plus à leur faire des conditions, mais à subir les leurs. Leur offrir, comme autrefois aux meilleurs, le grade d’officier comme la récompense d’un long noviciat serait rebuter les plus médiocres. Ils sont d’un temps où tout désir est une impatience. Voilà pourquoi il a fallu fonder pour toutes les armes des écoles où les sous-officiers peuvent se présenter, et d’où les admis sortent après un an avec le grade d’officier. Si le jeune homme, que les gains et la liberté de carrière civile sollicitent, n’a pour le retenir dans la servitude militaire que la chance d’entrer à l’école, il ne restera pas. L’espoir ne lui suffit plus, il lui faut la certitude. D’où cette conséquence : les sous-officiers voudront se présenter à l’école durant leur première période de service. Ceux qui ne seront pas admis au moment où cette période expire quitteront l’armée ; ceux qui seront admis contracteront un engagement, mais pour entrer à l’école. Avec le service de trois ans, les sous-officiers formés dans la première année, nommés dans la seconde, seront candidats officiers dans la troisième.

Ce seul fait entraîne une révolution dans la manière de juger le mérite militaire. On tenait jusqu’ici pour les qualités les plus précieuses dans l’homme d’épée le sang-froid et l’audace sur le champ de bataille, la discipline et le sentiment du devoir partout. Ces vertus que l’occasion révèle et que l’habitude confirme trouvaient à se produire sous les yeux des chefs dans les devoirs longuement pratiqués de chaque grade : ce sont elles qui décidaient avant toutes autres de l’avancement. Laquelle se pourrait aujourd’hui manifester ? Ceux qui semblent plus intelligens sont, dès leur arrivée au corps, isolés de leurs camarades, dressés à peine conscrits aux fonctions de sous-officier, et, dès qu’ils ont obtenu leur nouvel emploi, distraits d’une responsabilité déjà trop lourde par l’étude de fonctions plus hautes. Où trouveraient-ils le temps d’accomplir les devoirs de leur grade ? Ils ont à peine celui de les apprendre. L’armée dégénère en pédagogie. Comme elle fait des élèves et non des soldats, il est naturel qu’elle choisisse les officiers par un examen : comme elle n’exerce que leur mémoire, elle établit entre eux toute la différence d’après ce qu’ils savent. Mais cet examen n’indique pas ce qu’ils sont, aucune des qualités qui font l’homme n’y peut être évaluée : le courage, l’honneur, les qualités morales disparaissent devant les qualités intellectuelles. Et quelle preuve même est apportée de celles-ci ? Le savoir modeste, la sûreté d’un esprit sans éclat, sont vaincus par la promptitude d’une mémoire passagère, l’agrément d’une parole même vide. Ce ne sont pas seulement les dons secondaires, c’est l’apparence de ces dons qui va prendre la place jusqu’ici réservée aux mérites essentiels et ouvrir la carrière aux deux tiers des officiers. Ces officiers n’auront à aucun degré l’expérience militaire et les connaissances pratiques de leurs aînés, et malgré l’excès des cours suivis par eux, ils demeureront ainsi inférieurs par leur éducation générale aux élèves sortis de Saint-Cyr.

Or, les élèves sortis de Saint-Cyr obtiennent l’épaulette de vingt-et-un à vingt-trois ans. Les sous-officiers la recevront de vingt-trois à vingt-cinq ans. La différence d’âge entre les deux catégories étant effacée, la rivalité va naître. Déjà elle est visible et dans l’unité naguère si fraternelle de nos cadres creuse une division. Elle deviendra plus profonde et va s’étendre à tous les grades que les officiers de l’une et de l’autre origine brigueront. Si les officiers de Saint-Cyr sont préférés, leurs concurrens se croiront victimes d’une injustice. Si le partage des grades est égal entre tous, le recrutement de Saint-Cyr deviendra impossible. Il est déjà compromis par cela seul que le service de trois ans existe. Comme tout soldat pourvu de quelqu’instruction aura la certitude d’atteindre en quatre ans le grade d’officier, comme l’enseignement dans l’armée est gratuit, les jeunes gens que les épreuves classiques rebutent ou éliminent, ceux qui sont las de la discipline paternelle ou pauvres et qui se croient la vocation militaire, au lieu de se présenter à Saint-Cyr, laisseront là leurs humanités et iront droit au régiment. Il n’y aura pour eux, à suivre cette voie, qu’un retard minime et compensé par la facilité du succès. Ils pourront même, par l’armée, arriver plus vite, il leur suffira de s’engager à dix-huit ans. Saint-Cyr ne gardera que les jeunes hommes, braves devant le travail, soucieux avant tout de compléter leurs études et de donner à leur vie entière la solidité de bonnes fondations. Mais ils comptent obtenir dans leur carrière des avantages proportionnés aux efforts qu’ils ont faits et à la supériorité qu’ils acquièrent. Si cette récompense leur est enlevée, la plupart se refuseront à des épreuves stériles pour leur avenir. Saint-Cyr formera de moins en moins d’élèves et bientôt si peu qu’il le faudra fermer. L’unité d’origine sera faite, mais combien le corps d’officiers où l’on pourra entrer sans connaissances générales, faire son chemin sans épreuves difficiles et dont la médiocrité écartera les intelligences d’élite, aura-t-il perdu de sa valeur !

Telle sera l’armée sous les drapeaux. Mais cette armée ne comprend que les cadres et les hommes non exercés : elle est l’école et non la force du pays. Pour devenir apte à combattre, elle doit se grossir des soldats exercés. Elle compte neuf classes : les troupes sous les drapeaux formant trois classes, les réserves en forment six. Les troupes âgées de vingt à vingt-trois ans se dégagent encore de l’adolescence et elles ont en moyenne un an et demi de service. Les soldats des réserves ont un effectif double, ont servi trois ans, sont âgés de vingt-quatre à vingt-neuf ans. Que l’on compare le nombre, l’instruction militaire, la vigueur physique, la force de cette armée est dans les réserves.

Cette force apparente fait sa faiblesse. L’homme, dès qu’il a quitté les drapeaux, se tient pour libéré envers sa patrie et croit avoir gagné le droit de vivre pour soi-même. Il fonde une famille, prend un état, se mêle à des intérêts qui bientôt affaiblissent en lui la vertu militaire, si elle était forte, et, si elle était faible, la détruisent. Qu’une guerre éclatant le rappelle, elle lui semble une déloyauté du sort. Il est sans exemple que les vétérans aient apporté aux armées de l’élan et de la discipline. Ils se sont reformés et assez vite quand ils sont venus se fondre dans une armée douée elle-même de qualités solides. Mais il faut qu’ils les y trouvent, et à un haut degré, pour redevenir ce qu’ils étaient autrefois. Dans une armée active où les plus vieux soldats comptent vingt-trois ans les esprits ne sont pas plus faits que les corps. Elle subira l’ascendant de l’âge et du nombre, au lieu d’encadrer ses réserves, elle se perdra en elles, et loin de leur rendre l’esprit militaire, elle en recevra l’esprit civil. Si bien que plus cette armée accroîtra ses effectifs, plus elle perdra sa vigueur.

Mais la plus grande des difficultés est de la réunir. Non pas que l’appel des réserves soit une opération lente ni hasardeuse, si l’on ne considère que le mécanisme de la mobilisation. Il est souple autant que fort et permet de porter au complet de guerre la fraction qu’on veut de l’armée. Dans les guerres de 1866 et de 1870, la Prusse avait besoin de toutes ses troupes, elle les a rassemblées plus tôt que l’Autriche et la France. En 1864, il lui suffisait contre le Danemarck d’un moindre effort, elle a mobilisé 23,000 hommes. L’obstacle à de telles mesures n’est pas matériel mais moral. Dans un état où l’armée est composée pour la plus grande part de réserves, tout conflit menace dans sa liberté et ses intérêts la population civile. Sans doute c’est pour défendre l’existence même du pays que le service universel a été créé après Iéna par la Prusse, adopté par la France après Metz et Sedan. Mais ces luttes suprêmes ne sont pas les seules qui agitent le monde ; celles où il s’agit non d’existence, mais d’ambition, d’intérêt, de dignité, de représailles sont plus fréquentes et presque habituelles aux peuples qui ont des possessions lointaines. Pour soutenir ces moindres guerres comme pour les plus grandes, il faut faire appel aux citoyens.

Les bons citoyens sont prêts si le salut public commande : mais il ne faut pas moins qu’un extrême péril pour légitimer à leurs yeux le sacrifice extrême que la guerre leur impose. S’il leur est demandé pour l’avantage douteux ou secondaire du pays, l’exigence leur devient excessive, et si elle devient fréquente, insupportable. Plus ils seront exposés à ces surprises, moins ils s’y résigneront. Leur épée, toujours suspendue sur leur tête, leur inspirera l’horreur des armes. Une nation où chacun est soldat perd bientôt l’esprit militaire.

Le mal n’est pas irréparable quand elle a un gouvernement maître de lui-même et soucieux de l’avenir. S’il a besoin de troupes, il les lèvera malgré l’opinion. Comme il ne dépend pas d’elle, il suffit que le mécontentement ne monte pas à ce point où il affaiblirait l’armée par la démoralisation, ou ébranlerait l’état lui-même par l’émeute. Il sait que beaucoup de colère s’apaise dans un peu de gloire et il entretient les vertus guerrières dans un peuple partagé entre la crainte des épreuves et l’orgueil des résultats.

Mais quand le peuple se gouverne lui-même, ceux qui décident s’il faut combattre sont ceux qui auraient à combattre. Pour chacun de ces juges, l’avantage public est l’avantage des autres, les mauvaises chances un mal personnel. Chaque conflit les met en demeure de se sacrifier au bien général. Les hommes qui en délibèrent trouvent rarement l’occasion suffisante pour se faire tuer. Un tel peuple ne contemplera pas la victoire, mais la bataille, mais le sang : même pour arriver à la terre promise il ne voudra pas traverser la Mer-Rouge. Les chefs nommés par le peuple sauront que l’intérêt le plus important est de ne pas troubler l’existence de tous. Si, mandataires infidèles, ils menaçaient d’envoyer leurs électeurs à la gloire, leurs électeurs les rendraient au repos. Jamais ce gouvernement ne prendra l’initiative d’une des luttes par lesquelles s’affirme ou se rétablit le rang d’une nation dans le monde. Jamais, fût-ce pour un grand résultat, il ne hasardera même un faible effort. Si réduite que soit la guerre, à qui l’imposer ? Sur quelles contrées faire peser la charge d’une mobilisation partielle ? De quel droit dans une démocratie égalitaire établir, en appelant une partie des citoyens à la lutte, la plus arbitraire des inégalités ? Comment un régime d’opinion oserait-il provoquer la colère des pays désignés pour fournir les troupes et des députés qui les représentent ? Une armée dont les soldats sont des citoyens maîtres dans l’état ne peut être levée : un gouvernement sans armée ne peut avoir de politique extérieure. Il sera condamné à ne pas saisir d’occasion et à en fournir aux autres, à supporter beaucoup d’injustices aggravées par beaucoup de dédains, et dans les cœurs pacifiques la crainte des aventures émoussera peu à peu les fiertés de l’honneur.

S’il se trouve au pouvoir des hommes en qui le goût de l’action survive, ou que tentent les avantages d’une entreprise au dehors, ils ont une seule chance d’être absous, même s’ils réussissent : c’est de suffire à leurs projets avec les soldats sous les drapeaux. Or, pour former avec eux des corps aptes à combattre, il faut augmenter les effectifs des unités appelées à l’action, et pour augmenter les unes il faut réduire les autres. Employer une partie de cette armée, c’est porter le trouble dans celle même qu’on n’emploie pas. Qu’à ce moment surgisse un de ces dangers qui exigent l’effort de tous, cette armée, en partie au loin, en partie exsangue, ne présente nulle part de forces. Aussi les expéditions partielles, pour lesquelles elle n’est pas faite la rendent incapable d’une guerre générale, la seule à laquelle elle soit destinée.

Ces maux ne sont plus à prévoir, attestés déjà par l’expérience de deux campagnes. Les expéditions de Tunisie et du Tonkin ont été résolues, l’une pour donner la sûreté à notre possession africaine l’autre pour établir notre prépondérance dans l’Indo-Chine. Le but valait un effort, les moyens étaient préparés, la mobilisation d’un ou deux corps d’armée pouvait fournir en quelques jours des troupes rassemblées avec ordre, l’occasion enfin se présentait d’éprouver par un essai sans danger le mécanisme qu’il serait si hasardeux d’expérimenter pour la première fois dans une grande guerre. Le gouvernement ni les chambres n’ont osé le faire mouvoir. Plutôt que d’appeler les réserves, ils auraient renoncé aux expéditions. Dans l’une et dans l’autre, on n’a employé que l’armée déjà sous les drapeaux et chaque fois on a vu le même spectacle : les soldats, recrutés partout, enlevés aux officiers qui les formaient pour passer sous les ordres de chefs qui ne les connaissaient pas, les corps auxquels ils étaient pris ne conservant pas même les effectifs suffisans pour les exercices, les corps destinés à la campagne formant des masses sans cohésion, sur quelques points l’aspect d’une armée qui se constitue malaisément, sur tous les autres d’une armée qui se débande, un va-et-vient tumultueux d’hommes et de matériel, tous les mécomptes de l’improvisation, toutes les difficultés qui naissent quand il ne s’agit pas seulement de se servir d’une force, mais de la créer. Avant le départ des troupes, la France a pu juger le vice de son organisation militaire.

La guerre a permis de juger les soldats. Recrutées en grand nombre de ceux qui avaient demandé à partir, ces troupes comprenaient les élémens les plus vigoureux de l’armée. Elles ont eu des heures brillantes et plus d’un acte accompli par elles mérite le nom d’héroïque. Mais ce serait se faire une bien faible idée des vertus militaires que les réduire au courage. Dans la Tunisie l’adversaire unique, au Tonkin l’adversaire principal était le climat. Trop jeunes et trop neuves, nos armées se sont mal défendues contre lui : elles ont semé leurs traînards sur les routes et rempli les hôpitaux de leurs malades. Quand elles se sont battues, elles ont remporté des victoires, mais jamais l’ennemi n’a été cerné, dispersé, poursuivi dans ses retraites, réduit à abandonner le pays. Le petit nombre des Français ne suffit pas à tout expliquer : ils avaient pour adversaire le peuple le moins militaire du monde. Sans doute il le devient et les Chinois d’aujourd’hui ne ressemblent guère à ceux que nos soldats avaient connus en 1862. Mais s’ils sont nouveaux, sommes-nous demeurés les mêmes, s’ils ont changé de système, avons-nous gardé le nôtre, et les uns ne semblent-ils pas avoir d’autant plus gagné que les autres auraient aussi perdu ? La comparaison entre nos ordres du jour si différens aux deux époques, si calmes alors même après de grands succès, aujourd’hui si enthousiastes après le moindre engagement, suffirait à un soldat pour conclure à la différence des armées. Les troupes éprouvées sont délicates sur la louange, il faut la leur donner sobrement. Une parole suffit pour satisfaire ou réveiller en elles l’honneur militaire. L’excès des éloges prouve la médiocrité des troupes. Cette médiocrité est apparue en plus d’une occasion. La facilité avec laquelle les Chinois se sont dérobés quand il leur a plu de perdre le contact, se sont échappés, même battus, ne prouve pas que notre armée marche bien. Des surprises, comme celles de Bac-Lé, sont la preuve qu’elle se garde mal. Son dernier fait de guerre a été une panique. A Lang-Son, après une offensive hardie, après mille preuves de bravoure, tout à coup des troupes se sont repliées en désordre, abandonnant une partie de leurs morts, la caisse de l’armée et du canon. A qui ? A personne. Les Chinois ne songeaient pas à l’offensive : et la dernière leçon de cette campagne a rappelé que pour abattre certains soldats il n’est pas besoin de danger devant eux : le danger est en eux-mêmes.

Le danger est dans ce mélange de vertus et de défaillances qui rend notre armée à la fois brillante et fragile. Toutes les quartés que nos soldats possèdent, l’élan, la vaillance, le goût du combat, sont des qualités que la nature donne. Toutes les qualités qu’ils ne possèdent pas, la résistance du corps aux fatigues, la calme possession de soi, l’obéissance aux chefs, sont des qualités que donne l’habitude. Il est visible à la fois et qu’à ces hommes rien ne manque pour faire d’admirables soldats, et que ces soldats ne sont pas formés. Le patriotisme sent à la fois la joie qu’ils n’aient pas dégénéré de leur race, et la tristesse que cette richesse naturelle ne soit pas mieux employée. Même en face des barbares, leur courage s’est un instant troublé : qu’adviendrait-il en face d’adversaires autrement faits pour répandre la crainte et pour en profiter ? Autant l’armée qu’on pourrait faire devrait inspirer de confiance, autant l’armée qu’on a faite doit inspirer d’inquiétude.

Le mal est si visible qu’il inquiète même ses auteurs. La chambre n’a pas renié son armée, mais elle a reconnu que cette armée ne peut servir aux expéditions restreintes. En même temps qu’elle votait la loi de recrutement, elle créait par une autre loi des troupes coloniales. Par le service de trois ans, elle diminuait pour l’armée le temps de service actif et augmentait le temps de service dans la réserve. Pour l’armée coloniale elle ne jugeait pas que ce fût pour les sous-officiers et les soldats trop de quinze ans de services et voulait des effectifs au complet. C’est avec cette armée qu’elle compté pourvoir à la défense des intérêts lointains. Elle lui assigne même un rôle dans la guerre continentale, s’avise que même en Europe ces vieux soldats ne seront pas inutiles, et les proclame supérieurs aux jeunes. Ils auront acquis « pur une longue pratique du métier des armes des qualités exceptionnelles, » et formeront a un corps d’élite d’une incomparable vigueur, une admirable réserve qui, jetée à propos sur un champ de bataille, pourrait décider de la victoire[4]. »

Que vaut le remède ? Quelque chose ou rien selon l’emploi. Le rôle permanent des troupes qu’on veut former sera la garde des colonies. Si elles ne comprennent guère que les effectifs nécessaires aux garnisons, elles ne peuvent ni assembler leurs forces ni les opposer à un adversaire imprévu. Pour toute opération de quelque importance, il faudra réclamer, comme il l’a fallu deux fois, le concours de l’armée continentale, et les mêmes difficultés qu’on croit apaisées seront encore à résoudre. Si l’on veut y mettre fin, il est nécessaire que les troupes coloniales aient des effectifs toujours libres et ils doivent être assez considérables pour soutenir seuls les querelles qui peuvent mettre en conflit les nations civilisées avec les nations barbares.

Or leur querelle sera la grande lutte des temps qui s’ouvrent. Le globe, qui semble moins vaste à mesure qu’il est plus connu, est désormais trop petit pour que la civilisation et la barbarie se le partagent et y vivent séparées. L’activité dus peuples qui produisent sera leur ruine, s’ils ne trouvent dans ceux qui ne produisent pas des consommateurs. Voilà pourquoi les territoires et autant qu’eux les marchés et les routes du commerce sont dans le monde entier disputés. Chaque nation les recherche avec un soin d’autant plus hâtif qu’il en reste moins à occuper, s’en saisit comme de gages compensateurs contre les avantages obtenus par les nations rivales, et chacune, dans la poursuite de sa primauté particulière, exécute la loi générale portée contre la barbarie. Or celle-ci oppose’ une résistance croissante. Les terres vacantes ou occupées par de faibles races ne sont plus à prendre : le monde civilisé entre en contact avec les grandes agglomérations de l’Asie et de l’Afrique. Elles ont l’intelligence du péril qu’elles courent, empruntent à ceux qu’elles redoutent leurs armes, leur tactique ; pour lutter contre la civilisation, la barbarie prend la civilisation à sa solde. Aussi les guerres deviennent sérieuses. A Madagascar, au Soudan, au Tonkin, des armées sont nécessaires. La dernière expérience faite par la France prouve que, pour réduire telle puissance naguère tenue pour quantité négligeable, 60,000 hommes auraient trouvé leur emploi. Une nation qui peut avoir à combattre sur plusieurs points à la fois ne saurait se contenter de moins pour son année expéditionnaire. La France, à l’heure présente, occupe à la garde de ses possessions 35,000 hommes formant l’armée d’Afrique et 25,000 formant les troupes de la marine. Ces 60,000 hommes n’en peuvent, sous peine de s’épuiser, fournir plus de 20,000 pour une campagne. Pour compléter l’effectif nécessaire, il faut ajouter 40,000 hommes. Les troupes coloniales atteindront ainsi le chiffre de 100,000.

Elles ne peuvent être tirées du contingent, comme aujourd’hui l’infanterie de marine. Déjà l’on tient pour injuste le hasard du sort qui voue quelques milliers d’hommes aux atteintes des climats meurtriers. Si, par surcroît, ils étaient seuls exposés aux dangers des expéditions lointaines, l’inégalité de charges entre eux et les soldats de l’armée métropolitaine deviendrait révoltante. Dans l’armée coloniale, l’homme ne paie pas la dette ordinaire que tous doivent à la patrie ; destiné à des épreuves insolites, il ne les doit pas subir contre sa volonté. Ce serait une illusion d’espérer cette volonté chez beaucoup de conscrits. Il s’en trouvera pour préférer la vie d’aventures à la monotonie des casernes, mais peu. Sous les armes mêmes un peuple cherche à satisfaire sa vocation naturelle : s’il n’a pas l’habitude d’étendre sa pensée par-delà les frontières, ignore l’émigration et vit d’intérêts et d’affections proches, ses soldats seront retenus par leurs familles, leur carrière à venir, leurs rêves mêmes sur le sol natal. Il faudrait, pour les en détacher, l’attrait d’un avantage pécuniaire. Même faible, il déciderait sans doute un certain nombre de conscrits à accomplir, dans l’armée coloniale, le temps de service qu’ils doivent à l’état. Mais en trois années, s’il leur fallait aller aux colonies et en être revenus, il ne leur manquerait que le loisir d’y séjourner, cette armée, sans cesse transportée, s’épuiserait à relever ses garnisons, elle n’aurait pas les vieux soldats dont elle a besoin. Pour donner à ces troupes la fixité qui les acclimate, les discipline, et éviter l’énorme dépense que coûtent leurs déplacemens, il faut les composer d’hommes attachés eux-mêmes pour de longues années au-drapeau. Les libérés du service actif peuvent seuls les fournir. La dépense faite pour les attirer est, tout compté, moindre ; seule, elle donne des soldats déjà formés et qui manifestent une vocation pour la vie militaire.

L’effectif de l’armée coloniale ne se confondra donc pas avec l’effectif fourni par le contingent. Sur les 100,000 hommes qui la doivent composer, 15,000 seulement existent dès aujourd’hui dans nos troupes : ce sont les corps étrangers ou indigènes qui figurent à la portion permanente. 85,000 hommes devront être demandés aux engagemens volontaires. La démocratie, alors, aura deux armées : l’une conforme à la logique démocratique, l’autre à la tradition militaire ; l’une destinée à former les hommes pour la grande guerre d’Europe, l’autre à agir dans toutes les occasions et sous tous les climats. Plus diverses encore par leur composition que par leur rôle, l’une mettra sa force dans les vieux soldats, l’autre dans les jeunes ; l’une dans le service court, l’autre dans le service long ; l’une dans ses réserves, l’autre dans ses effectifs toujours présens. Si contraires, elles ne peuvent être de valeur égale ; pourquoi la meilleure ne sert-elle pas de modèle unique ? Trois ans suffisent-ils pour former un soldat à la grande guerre ; comment ne suffiraient-ils pas à le rendre apte aux expéditions moindres ? Des troupes du métier sont-elles utiles contre les barbares, comment ne seraient-elles pas plus nécessaires contre des adversaires plus redoutables ? Ainsi, chacune de ces deux armées met en question l’autre, et toutes deux ruinent l’autorité morale du pouvoir qui les a faites en même temps.

Reste à examiner ce que ce double instrument coûtera à la France.

Le contingent incorporé d’après la loi de 1872 était de 160,000 hommes. La loi nouvelle y ajoutera :


1° Les fils de veuve ou aînés d’orphelins qui ne sont pas soutiens de famille ; leur nombre est évalué par les statistiques ministérielles à 7,000 hommes
2° Les anciens dispensés comme élèves des diverses écoles 5,000
3° Les Français nés aux colonies 5,000
Total 17,000 hommes


Ce contingent de 177,000 servant trois années formera sous les drapeaux un effectif de 531,000 hommes, que 8 pour 100 de pertes réduisent à 488,000 hommes
La portion permanente, de 120,000 hommes en 1872, s’est accrue, dans les dernières années, de 12,000 sous-officiers rengagés et monte à 132,000
L’effectif annuel sera donc de 620,000
Au lieu de 500,000
Différence 120,000 hommes

Enfin à ces 620,000 hommes il faut ajouter pour l’armée coloniale, 85,000 hommes. L’effectif entretenu dépassera de 200,000 le chiffre fixé en 1872, il atteindra 700,000 hommes.

Quel accroissement de dépenses produira l’accroissement de l’effectif ? Les calculs officiels évaluent à 725 francs le coût de chaque soldat. Si la somme est suffisante pour un soldat de l’armée continentale, elle est trop faible à coup sûr pour un soldat de l’armée coloniale. Les primes, les retraites, le prix plus élevé de la nourriture dans les pays chauds, les frais de transport portent au moins au double le coût d’un homme. L’entretien de ces 200,000 hommes coûtera par an plus de 200 millions.

Que l’on contemple maintenant les avantages assurés à la France par la réforme. Elle ne diminue pour personne la durée du service : depuis longtemps déjà la portion du contingent qui sert le plus longtemps ne demeure pas plus de trois années sous les drapeaux. Elle augmente la durée du service pour plus de la moitié des appelés : ceux qui étaient exempts, ceux qui, inscrits dans la seconde portion du contingent, servaient un an, serviront trois. Personne ne gagne, la majorité perd à cette réforme accomplie au nom du peuple. Elle lui prépare, par l’universalité du fardeau militaire, un état dont la rigueur épouvante. Quand les anciens voulaient exprimer le dernier terme de la misère pour une cité vaincue, ils disaient : « La jeunesse fut emmenée en esclavage. » Cet esclavage, ordonné par les prétendus serviteurs du peuple, va s’abattre durant trois années sur toute la jeunesse française. Dans cette saison qui sépare l’enfance de la virilité comme la fleur de la récolte, et qui tient toute l’espérance de la vie suspendue à la sérénité du printemps, chaque génération sera tout entière arrachée au sol où elle jetait ses racines. On la replantera, il est vrai, trois ans après. On verra alors combien garderont assez de sève pour rattacher leur existence nouvelle à l’ancienne, et dans cette armée funeste à elle-même combien de penseurs, de savans, d’ouvriers, d’hommes enfin auront été tués par le soldat ! Elle épargnera du moins au pays la cruauté des souffrances lentes. Le nombre sur lequel elle fonde sa force, l’accable. Pour enrôler tout le monde, elle doit atteindre des effectifs que jamais puissance n’a comptés : pour les entretenir engager des dépenses que les finances les plus florissantes ne sauraient supporter. L’essai du système est le déficit, sa durée la banqueroute.


III

Plus d’un politique le sait et s’en accommode. Le service de trois ans était populaire ; l’intérêt a obligé à le promettre, la difficulté de l’établir dispensera de tenir parole. La loi qui le consacre est une affiche électorale. Il faut qu’elle frappe les yeux au jour du vote qui s’approche. Elle se déchirera ensuite d’elle-même. Elle n’est rien si le sénat ne la vote ; on le persuadera de ne pas donner sa sanction, quitte à le dénoncer pour l’avoir refusée. D’autres soucis détourneront l’attention, le peuple met plus de bonheur à former ses désirs qu’à les réaliser, et le service de trois ans, s’il l’amuse jusqu’à un nouvel espoir, aura duré assez longtemps.

Ces habiles oublient eux-mêmes que les âmes simples prennent tout au sérieux ; surtout elles n’entendent pas raillerie sur les biens qu’on leur promet, et peu importe qu’ils soient impossibles si elles les tiennent pour nécessaires. Le châtiment de ceux qui trompent le peuple est sa foi. Les hommes qui depuis des années lui annoncent la réforme militaire ignorent leur propre puissance s’ils le supposent capable d’être distrait ou patient. Quand il exigera, comment résisteront-ils, eux qui ont voté la mesure et la vont promettre encore ? Ils attendent le lendemain des élections pour être fermes, mais dans un pays parlementaire, n’est-on pas toujours à la veille des élections ? Ils ont établi le service de trois ans : dès la prochaine législature il le faudra appliquer. Par cela même qu’on imposera aux finances cette surcharge, il sera impossible de constituer les troupes coloniales. Eu établissant le nouveau régime, on renoncera au remède qui aurait atténué le mal. Le triomphe de l’égalité en sera plus grand, et la démocratie en jouira tout d’abord. Mais le fardeau supporté par les autres ne diminue pas le poids du fardeau qu’on porte soi-même. Au bout de peu de temps chacun sera las du sien, irrité des impôts accrus, effrayé des ateliers déserts, honteux des écoles vides, et, tout à coup, de toutes les campagnes et de toutes les villes s’élèvera la voix de la France réclamant ses fils. Dès lors le service de trois ans ne pourrait durer que si la nécessité du sacrifice demeurait évidente. Cette évidence n’existe pas pour le pays. Les partisans du service à court terme lui ont enseigné que la science militaire consiste à donner à la mémoire la familiarité de certains préceptes et au corps l’habitude de certains mouvemens et que l’armée est l’école de cette science. Il leur a suffi, pour ruiner le service de cinq ans, d’affirmer que trois ans suffisent à cette instruction. Mais l’oreille qu’ils ont convaincue reste ouverte et, pour ruiner le service de trois ans, il suffira de prouver qu’un moindre temps suffit à dresser les hommes. La preuve déjà n’est plus à faire. Le prestige du chiffre si célébré a reçu sa première atteinte par la loi même qui le consacre. Les hommes entrent au service à la fin de novembre, ils le quitteront dans le cours de la troisième année après les grandes manœuvres, c’est-à-dire au commencement de septembre. La même pratique est suivie en Allemagne, où trois mois s’écoulent entre le départ d’une classe et l’appel de celle qui la remplace. Le service de trois ans n’est donc qu’un service de trente-trois mois.

En Allemagne, ce service n’est pas imposé à tout le monde. Au bout de deux ans, les meilleurs soldats, environ vingt par compagnie, obtiennent comme récompense le « congé du roi. » Dans le débat sur la loi de 1885, la même idée a été soutenue et ses défenseurs l’ont faite française par le développement logique qu’ils lui ont donné. Selon eux, la durée du service est calculée sur l’aptitude moyenne des hommes à apprendre. Il est juste de l’abréger pour ceux qui déploient une promptitude plus grande, et comme ces mérites exceptionnels ne peuvent être connus d’avance, on ne saurait fixer sans arbitraire ni le nombre des hommes qui seront formés, ni le temps après lequel ils le seront. Il a donc été proposé que chaque année des examens fussent passés par tous les soldats, et que tous les soldats instruits fussent libérés soit après leur seconde, soit après leur première année. Sans doute, les auteurs du projet n’ont pas plus triomphé que n’avaient triomphé en 1872 les défenseurs du service de trois ans[5] : mais le temps travaille pour les uns comme il a conspiré pour les autres. Rien de plus simple que de proportionner la durée de l’enseignement aux progrès accomplis par ceux qui le reçoivent. Refuserait-on le privilège accordé autrefois à la fortune et à l’éducation ? Pourquoi pas des libérés d’un an, après les volontaires d’un an ? Et comment le délai serait-il trop court pour faire avec les uns des soldats, puisqu’il permettait aux autres de sortir avec les galons de sous-officiers ?

Et si l’intelligence et le zèle sont encore une aristocratie qu’on refuse de favoriser par un traitement d’exception, n’est-ce pas à tous et par mesure générale qu’il faut appliquer le service d’un an ? N’y a-t-il pas à l’heure présente dans l’armée des hommes, la plupart sans culture, et peut-être les moins instruits des Français, qui, en moins de temps, achèvent leur école militaire ? Les fusiliers et les canonniers de la marine passent pour connaître leur métier : les cours où ils l’apprennent durent huit mois. Preuve vivante qu’avec une bonne méthode une année suffit à tout le monde pour se former aux exercices d’infanterie et au tir des pièces. Elle ne suffit pas, il est vrai, pour dresser à l’équitation et par suite pour former l’artillerie de campagne et la cavalerie. Mais cette difficulté se résout par un moyen bien simple et qu’a recommandé un ministre de la guerre[6]. Un certain nombre de jeunes gens ont acquis avant l’âge du service l’habitude du cheval. On les choisira pour les deux armes auxquelles leur aptitude les appelle, et comme ils auront seulement à acquérir les connaissances militaires, eux aussi seront faits en un an. Pourquoi s’arrêter même à cette limite ? Durant l’année, l’importance du travail est fort inégale : il y a des momens où il est à peu près arrêté. Si la loi nouvelle a congédié en septembre les soldats qui achèvent leur temps en novembre, si l’Allemagne les renvoie trois mois avant l’époque de leur libération, c’est qu’à ce moment l’armée ne s’instruit plus, elle se repose. Cette période de calme, régulière comme les saisons, commence et s’achève avec la brièveté des jours et la rigueur du climat : elle dure d’octobre à avril. C’est sur cette inégalité du travail qu’était fondé le service de quarante mois. Son inventeur, M. le général Faire, n’affirmait-il pas qu’en envoyant en congé durant un semestre les hommes il ne retardait pas d’une façon sensible leur instruction ? Un autre ministre, M. le général Lewal, n’a-t-il pas reconnu que « la perte totale est de plus de moitié du temps de service, » et qu’il s’écoule « plus de deux tiers d’année sur trois sans profit aucun ? » Cette intermittence d’efforts et de repos est nécessaire aux hommes qui demeurent plusieurs années au service. Mais si l’enseignement d’une année leur suffit, ce qui leur est utile dans ce laps de temps, c’est la période où l’enseignement se donne, ce n’est pas la période où il est suspendu. Il n’y a pas à leur ménager de repos, puisqu’ils n’auront pas à recommencer d’efforts. Il faut qu’ils entrent dans l’armée au moment où le travail commence, et qu’ils la quittent au moment où il se termine. Le service d’un an amène pour conséquence nécessaire le service de six mois.

Ce dernier n’a-t-il pas aussi ses titres ? N’a-t-il pas, après la loi de 1872, été appliqué à la seconde portion du contingent, créé par les hommes de guerre qui déclaraient ce délai suffisant pour instruire les soldats ? S’il suffisait aux conscrits de 1872, dépourvus de toute notion militaire, comment ne suffirait-il pas avec les conscrits de demain, formés dès l’enfance et rompus aux manœuvres des bataillons scolaires ? Ce noviciat qui les prépare de si loin n’est pas seulement un progrès, mais une révolution. Puisqu’il s’agit de façonner la mémoire et le corps, le moment le meilleur est celui où la mémoire est plus Adèle et le corps plus souple. Comme tous les élémens, ceux de la science militaire doivent être enseignés à l’enfance. Mais si le conscrit se forme à l’école, que lui restera-t-il à faire, devenu homme ? A conserver le savoir, et il le conservera par les mêmes moyens qui le lui ont donné. Il l’aura appris enfant sans être enlevé au foyer paternel, à ses études ordinaires, par des exercices passagers. Homme, il se tiendra en haleine par des exercices qui ne l’éloigneront pas davantage de son domicile et de ses travaux.

Le jour où ces idées auront triomphé, une grande révolution sera en effet accomplie : au système des armées permanentes succédera le système des milices.

Douter que ce changement soit réclamé, c’est douter qu’il y ait des hommes épris de logique et avides de se créer des titres auprès du peuple. Douter que ce changement s’accomplisse, c’est douter que ce peuple soit las de ses charges. Il est souverain, la meilleure manière de le conduire est de le flatter ; il souffre, la meilleure manière de le flatter est de le plaindre. Nulle souffrance n’est faite pour exciter sa pitié sur lui-même à l’égal de la servitude militaire qui saisit chaque homme et lui vole trois années de vie. Les ambitieux qui rôdent autour de la foule pour surprendre les moindres secrets de son cœur ne laisseront pas sans la satisfaire son ardeur passionnée pour le repos. La réduction du service est la première des réformes que devront au peuple ses amis, et s’ils accordent la plus petite, comment ne pas consentir toutes les autres ? Sur quel point de la pente où ils sont engagés s’arrêteront-ils ? Pour rester les premiers dans la faveur publique, ils descendront toujours plus bas sur le penchant des promesses, et ils ne s’arrêteront que le jour où il n’y aura plus rien à réduire dans les charges militaires.

Livrée à l’improbité sans scrupules des politiciens, comment résisterait la candeur sans prévoyance du peuple ? S’obstinera-t-il à des sacrifices qu’on lui démontrera inutiles, et repoussera-t-il des réformes qui allègent ses charges en satisfaisant sa raison ? Le souvenir de nos malheurs ni l’ambition d’un rôle à jouer dans le monde ne le défendront contre les sophismes. La salutaire tristesse des deuils n’est pas durable, et l’on se lasse de craindre comme de pleurer. La démocratie ajoute à ses oublis ses ignorances. Elle ne regarde pas au dehors ; elle a des ambitions, des intérêts et des haines plus proches. Les progrès des peuples étrangers comme leurs desseins lui échappent, et parce qu’elle n’est pas menaçante elle ne se croit pas menacée. L’armée lui semble d’autant plus lourde qu’elle songe moins à s’en servir. Ses dépenses doublent l’impôt ; sa force éveille l’inquiétude, les partis redoutent le témoin silencieux qui contemple leurs querelles, son existence même est une étrangeté. Vouée à l’obéissance au milieu de leurs discussions, indifférente à ce qui les émeut, passionnée pour ce qu’ils oublient, elle apparaît comme un démenti donné à la société civile. Toute corporation qui à la dictature des opinions régnantes peut opposer la résistance d’un esprit particulier, est suspecte comme un état dans l’état. Pour n’être pas suspecte au peuple, il faut que l’armée soit formée par le peuple, qu’en elle comme dans la nation les mêmes idées, les mêmes passions, pénètrent et dominent, que le soldat apporte sous le drapeau ses vertus civiques et qu’il n’y séjourne pas, de peur de les oublier.

Cette armée a paru en France dès que la démocratie a commencé à triompher. 1789 produisit les gardes nationales que la révolution opposa d’abord à la monarchie puis à l’Europe. Trop faibles contre l’étranger, trop fortes contre les Français, elles semblaient condamnées tant que le génie militaire régna avec Napoléon. La liberté politique les ranima ; sous le régime parlementaire, le roi et le peuple eurent chacun son armée. Quand le peuple devint seul maître, son armée triompha avec lui : en 1870 comme en 1792, la défense du pays fut confiée à des soldats citoyens qui nommaient leurs chefs. Leur dernier fait de guerre lut de se mesurer contre les restes de l’armée comme si l’une des deux institutions devait supprimer l’autre. Victorieuse, l’armée demeure seule. Nos malheurs l’avaient rétablie, nos sophismes la corrompent. On ne lui oppose plus les gardes nationales ; on tend à les rétablir en les transformant. L’entreprise poursuivie d’appliquer à l’armée les principes qui triomphent dans l’état tend à cette fin. On y prépare l’esprit public. Pour avoir osé dire le jugement des faits sur les volontaires de 1792, un historien n’était-il pas banni naguère des Archives, où il avait puisé la vérité ? La légende ne commence-t-elle pas pour la commune quand l’histoire est encore visible dans les ruines de nos monumens ? Le parti qui votait en 1871 contre la dissolution des gardes nationales n’est-il pas dans les chambres ? Et ne voyons-nous pas au pouvoir les hommes qui réclamaient il y a quinze ans l’abolition des armées permanentes ?

Le jour où seront établies, sous quelque nom que ce soit, les milices, l’harmonie sera faite entre les institutions militaires et les institutions politiques. De même que tout citoyen est réputé apte à gouverner le pays, il sera réputé apte à le défendre, et il n’aura pas besoin de se préparer plus à l’un des devoirs qu’à l’autre. Le même orgueil qui le présente comme naturellement sage le présentera comme naturellement bravo, et, couronnement logique d’une société idolâtre de la matière, le droit et la force auront tous deux, pour expression suprême, le nombre.

Il n’y a pas à rechercher quelle force une telle armée opposera à un ennemi extérieur. Dire qu’elle comptera seulement des réserves et que ces réserves seront formées de conscrits, n’est-ce pas avoir tout dit ? Mais quand, par un bonheur nouveau dans l’histoire, une nation sans défense cesserait d’être une proie, quand la France pourrait compter sur une paix garantie par sa faiblesse, l’avenir ne serait pas assuré. Les guerres les plus menaçantes pour une démocratie sont les guerres civiles. Le siècle présent aux luttes politiques ajoute les luttes sociales. Dans le monde, où nulle autorité n’existe qui ait été édifiée en commun et que le respect de tous maintienne la paix publique a pour garant la force, et la force est l’armée. Un jour peut se lever où dans les hommes de désordre la crainte sera moindre que la haine. Comment la société se défendra-t-elle, si pour soldats elle a des citoyens, quand au lieu d’esprit militaire ils auront des opinions ? Devant l’émeute, qui étonne le courage des meilleures troupes, seront-ils même unis ? Ne mettront-ils pas leur fidélité à servir chacun sa faction ? Si leur unité se brise, l’anarchie triomphe. Non que l’erreur l’emporte toujours dans les consciences, mais autre chose est d’adhérer au bien dans le secret du cœur, autre chose de le soutenir dans le péril. Sauf de rares et héroïques réveils, l’honnêteté est mêlée dans l’homme d’indolence, il semble qu’il y ait dans la vertu une lassitude, et seuls sont infatigables les ouvrière du mal. C’est pourquoi il faut dans un état une force qui dispense les bons d’assurer eux-mêmes l’ordre ; c’est assez pour eux de le vouloir. Si cette force s’affaiblit ou disparaît, la lutte qui s’engage n’est pas longue. Après quelques élans honorables, la multitude déconcertée des honnêtes gens se soumet au joug des minorités audacieuses. Voilà pourquoi la démagogie pousse avec une ardeur si persévérante à la ruine de l’armée. Elle sait pour qui elle travaille : chaque coup porté aux traditions militaires ouvre une brèche dans le rempart qui défend contre elle la société. Dernière ironie des faits contre les mots, partout le service universel et égal prépare la défaite du nombre : il ouvre les frontières à l’ennemi du dehors, il ouvre le pouvoir à l’ennemi du dedans.

Quelles institutions militaires peuvent défendre la France ? On le recherchera dans un prochain travail.


  1. On a compris dans ces calculs les hommes du contingent destinés aux troupes de la marine ; ces troupes, on le sait, doivent faire retour à l’armée de terre.
  2. On calcule que l’effectif est réduit par les morts, désertions, etc., de 4 pour 100 dans la première année et de 2 pour 100 dans chacune des années suivantes.
  3. Le débat ont lieu à la chambre en mai et Juin 1881.
  4. M. Ballue, rapport au nom de la commission de l’armée, 1883.
  5. L’amendement de M. de Lanessan, qui proposait l’examen annuel avait été pris en considération le 12 juin 1884 par 305 voix contre 281, il a fallu toute l’influence du ministre de la guerre pour le faire repousser par 293 voix contre 201, dans la séance du 14 juin.
  6. L’artilleries, en effet, qui va être déchargée d’une grande partie de son instruction, par suite de la création d’une artillerie de forteresse distincte, et la cavalerie, dont le recrutement sera assuré avec soin en raison de la désignation exclusive pour cette arme des hommes sachant monter à cheval, pourront suffire en trois ans à leur programme d’instruction. (Lettre du général Thibaudin, ministre de la guerre, à la commission de l’armée, mai 1883.)