Éditions Prima (Collection gauloise ; no 89p. 38-42).


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Les Aventures d’Adussias



Lorsqu’au soleil levant Adussias, portant la djellaba rouge qui, depuis peu indiquait le commandement, parut sur le pont du bateau pirate, ce fut une magnifique acclamation. Alors, se sentant aimée et certaine de garder l’équipage en mains, elle commanda que l’on allât quérir le marquis pour décider de son sort, sur ordre de Pissacier.

Mais M. de Salistrate de Baverne d’Arnet n’était pas un enfant. Il feignait évidemment de ne point comprendre le sort qui lui restait réservé en cas de rébellion de la plèbe du Saint-Elme.

Cette attitude était toutefois diplomatique. Il aimait, en effet, dans un milieu où ils paraissaient inutilisables, à user des plus délicats moyens du gouvernement. Son fidèle la Bouline l’informait, néanmoins, de tout. Aussi sut-il, avant minuit, que le Rouquin était trépassé. Il décida aussitôt de se servir de la chaloupe pour fuir. Et, à trois heures du matin, la Bouline et lui perdaient de vue le fanal de poupe du Saint-Elme.

Ils avaient, au préalable, garni leur embarcation de vivres et d’eau. Leur petite voile, par bon vent, et pourvu qu’il n’y eut pas de tempête, les ramènerait dans l’île Trissingo, la fameuse île aux trésors, en deux jours au plus.

Pissacier entra dans une rage toute espagnole en apprenant la fuite de celui qui l’avait dévêtue à la lime. Elle bouda Adussias et lui refusa, de ce jour, la consolation de ses caresses les plus inquisitoriales… Il y eut alors une scène violente, sur le bateau pirate, et Adussias décida à la première occasion de se débarrasser de l’irascible gaillarde, passée sans douleur et avec un naturel si parfait des mains d’un dignitaire ecclésiastique à celles d’une capitaine de bandits. Certainement, se disait Adussias, qui avait la subtilité des races du midi de la France, car elle était de Cassis, certainement, cette Pissacier est capable de redevenir honnête aussi vite qu’elle est devenue canaille. Tandis que moi — et à cette idée l’orgueil lui emplit l’esprit — moi je ne serai jamais qu’une voleuse et assassine et je finirai telle ou pendue.

Toutefois, habile autant que le marquis, elle craignait que Pissacier qui possédait en vérité une habileté amoureuse et une lascivité tenant du miracle, ne se fut ménagé des amitiés par ce moyen dans l’équipage. Adussias se contenta de veiller au grain.

On erra ainsi sur l’Océan un mois durant. Les victimes prévues par feu le Rouquin ne se rencontrèrent pas. La navigation se trouvait désormais dirigée par un jeune homme ramassé aux îles et qui venait de Salé au Maroc, où il avait été esclave.

Il était né de bonne famille Angevine, mais indomptable, naviguait depuis treize ans. Homme de mer, il connaissait toutes les apparences du ciel et des eaux aussi bien que Griffe-Esgourde qui avait cinquante-cinq ans de voyages.

On se trouvait, à ce moment, à hauteur des îles Açores. C’était novembre, lorsque la vigie signala un navire de commerce à l’horizon.

Ce fut un cri de joie partout et chacun se prépara à l’assaut. Autant que les richesses espérées, ce massacre attirait les bandits. Il allait enfin débonder leur naturelle violence et leur permettre de se retrouver calmes, un peu de temps, une fois le combat passé.

Adussias s’était mise nue et Pissacier l’imita. Mais son corps tavelé par la cotte de maille n’avait jamais retrouvé son luisant et sa planité de peau. On eut dit qu’elle avait la lèpre. L’équipage, à qui cela répugnait, vint respectueusement postuler Adussias qu’elle fit vêtir sa compagne, dont la tenue manquait d’excitant.

Il y eut là une querelle assez violente qui faillit finir par mort d’hommes. Le bateau qu’on espérait détrousser en profita pour disparaître sans façons.

Ce fut une belle colère lorsque l’équipage, entourant les deux femmes nues, constata en ricanant que l’espoir d’un beau pillage venait de s’évaporer.

Alors on vint demander Adussias avec un air menaçant qui ne présageait rien de bon. Il fallait qu’elle fit mettre aux fers, dans la cale, Pissacier qui portait la responsabilité de l’incident. Adussias comprit que l’aventure diminuait appréciablement son prestige et accorda la demande.

On descendit Pissacier ligotée et qui hurlait des injures espagnoles à foison.

Pour ne rien cacher, lorsqu’ils furent dans la cale où deux anneaux fixés à trois mètres l’un de l’autre permettaient de tenir congrument allongé le corps humain le plus vaste, les trois matelots chargés de l’opération se virent proposer par Pissacier, une chose difficile à décrire, vu qu’il faisait très noir et que pour y jeter la lumière de ma prose, il faudrait en sus être bien certain que ce ne fut pas attentatoire à diverses pudeurs. J’en conserve, on en conviendra, en cette histoire au fond assez peu vergogneuse. On sait que Pissacier avait été la maîtresse d’un Inquisiteur. Il est probable que cela donne, en


Quand il eut coupé une demi-douzaine d’anneaux (page 33).

matière de luxure, des goûts assez hardis, et prépare à des jouissances en dehors de la norme commune.

Bref, Pissacier, qui ne se sentait pas de rage, proposa le fin du fin de son art galant aux trois hommes. Mais encore fallait-il qu’ils lui fissent une promesse.

Ils firent la promesse en jurant sur un saint de leur pays, et sur la tête de feu le capitaine Kidd, de qui les navires sont respectés comme des saints et dont le souvenir les emplissait d’une émotion assez inattendue pour des gens dépourvus de sentimentalité…

Alors, l’Inquisitoriale courtisane leur donna un échantillon de son savoir-faire. Nul n’eut prévu qu’il dût jamais servir à réjouir trois matelots pirates dans une cale emplie de rats et de barils de viande boucanée…

Et il fut promis qu’à la première occasion on égorgerait Adussias pour s’emparer du Saint-Elme et faire soi-même, sous la protection de Pissacier, une piraterie neuve et productive.